Brésil : Marina Silva ne laisse aucun doute sur son projet

Il y a quelques semaines, Marina Silva a lancé sa candidature à la présidence du Brésil. Dans son programme, trois points se distinguent par leur importance. Les trois, ensemble, pointent sur un projet d’orientation nettement néolibérale.

(Mari­na Sil­va est ex-membre du Par­ti des tra­vailleurs (PT) et a été séna­trice avant de deve­nir ministre de l’En­vi­ron­ne­ment du gou­ver­ne­ment Lula de 2003 à 2008. Can­di­date à l’é­lec­tion pré­si­den­tielle de 2010 pour le Par­ti vert du Bré­sil, elle arrive troi­sième avec près de 20% des voix. Après avoir échoué à créer son propre par­ti, elle rejoint en 2013 le Par­ti socia­liste bré­si­lien (PSB) et aurait occu­pé le poste de vice-pré­si­dente en cas de vic­toire du can­di­dat Eduar­do Cam­pos pour l’é­lec­tion pré­si­den­tielle de 2014. Après la mort de ce der­nier dans un acci­dent d’a­vion le 13 août 2014, elle est dési­gnée can­di­date du PSB.)

silva_4.jpg

Il y a quelques semaines, Mari­na Sil­va a lan­cé sa can­di­da­ture à la pré­si­dence du Bré­sil. Dans son pro­gramme, trois points se dis­tinguent par leur impor­tance : l’indépendance de la Banque cen­trale, une impor­tance moindre don­née au Pré-sal et au Mer­co­sur, ce der­nier étant rem­pla­cé par des accords bila­té­raux. Ces trois points ne sau­raient être plus plus signi­fi­ca­tifs, car ils entrent direc­te­ment en conflit avec les orien­ta­tions des gou­ver­ne­ments de Lula et de Dil­ma. Les trois, ensemble, pointent sur un pro­jet d’orientation net­te­ment néolibérale.

L’autonomie de la Banque cen­trale est l’une des thèses les plus pré­co­ni­sées par les recettes néo­li­bé­rales. Elle pro­voque l’affaiblissement de l’État et le ren­for­ce­ment du cen­tra­lisme du mar­ché, alors que cette indé­pen­dance de la poli­tique moné­taire est nor­ma­le­ment l’oeuvre du gou­ver­ne­ment, qu’il applique à un modèle de déve­lop­pe­ment éco­no­mique inex­tri­ca­ble­ment lié à la répar­ti­tion du reve­nu. Reti­rer au gou­ver­ne­ment son contrôle de la poli­tique moné­taire et la lais­ser sou­mise à l’influence directe des acteurs du mar­ché – en par­ti­cu­lier du sys­tème ban­caire pri­vé – revient à dépla­cer la capa­ci­té de ce modèle à sou­mettre l’équilibre bud­gé­taire à des poli­tiques dis­tri­bu­tives, en se sou­met­tant, au contraire, à la cen­tra­li­té de l’ajustement fis­cal, recher­ché par le néolibéralisme.

Dimi­nuer l’exploration du Pré-sal revient à jeter par-des­sus bord la capa­ci­té du Bré­sil à s’affranchir en termes de poli­tique éner­gé­tique, de dis­po­ser d’une grande quan­ti­té de res­sources pro­ve­nant de l’exportation, ain­si que de consa­crer 7,5 % de ces res­sources à l’éducation et 2,5% à la san­té, confor­mé­ment à une déci­sion déjà adop­tée par le Congrès.

Ce serait aus­si une poli­tique sui­ci­daire en termes de déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique du Bré­sil, et dimi­nue­rait l’impulsion éco­no­mique obte­nue par les immenses demandes exi­gées par l’exploration du Pré-sal.

Ces posi­tions se com­plètent – et gagnent leur plein sens – lorsqu’on exa­mine ce que peut vou­loir dire dimi­nuer l’importance du Mer­co­sur et déve­lop­per des accords bila­té­raux. Le MERCOSUR a signi­fié jusqu’ici la poli­tique de prio­ri­té des accords régio­naux face au Trai­té de libre-échange avec les États-Unis, prê­ché par le gou­ver­ne­ment de Fer­nan­do Hen­rique Car­do­so et blo­qué par la vic­toire de Lula en 2002.

Mini­mi­ser l’importance du Mer­co­sur, en réa­li­té, signi­fie­rait nier l’importance de toute la gamme des ins­tances d’intégration déve­lop­pées et créées ces der­nières années : la Banque du Sud, le Conseil sud-amé­ri­cain de la défense, l’Unasur, la Celac, ain­si que les Brics et leurs accords nou­vel­le­ment éta­blis, qui com­prennent la Banque de déve­lop­pe­ment et le Fonds de réserves de sou­tien aux pays ayant des pro­blèmes de devises.

Le pro­gramme ne dit pas clai­re­ment de quel type d’accord bila­té­ral il s’agit, mais il est à craindre que ce soit, sur­tout, des accords avec les États-Unis et les pays cen­traux du capi­ta­lisme. Il sera alors impos­sible au Bré­sil de conti­nuer dans le Mer­co­sur, et abou­ti­ra, peut-être, à une rup­ture totale du pays avec tous ces orga­nismes et une réin­ser­tion radi­cale et subor­don­née à la sphère des États-Unis, avec toutes les consé­quences régio­nales et mon­diales que cela suppose.

Il ne fait aucun doute que la forme de l’affrontement élec­to­ral a chan­gé, avec la pola­ri­sa­tion autour de Mari­na Sil­va et de Dil­ma Rous­seff, mais le conte­nu reste le même : conti­nui­té du gou­ver­ne­ment post­néo­li­be­ral du PT ou retour à un pro­jet néo­li­bé­ral, main­te­nant dégui­sé de quelques – assez peu – ori­paux et décla­ra­tions éco­los (Mari­na a déjà décla­ré qu’elle n’a jamais été contre les cultures trans­gé­niques) ou un pré­ten­du renou­vel­le­ment de la poli­tique, au-des­sus des par­tis et de la pola­ri­sa­tion gauche-droite, tout en regrou­pant à droite toute der­rière elle.

C’est un vrai cadeau pour la droite bré­si­lienne et pour les États-Unis, qui étaient près de voir leurs can­di­dats et ses thèses éli­mi­nées une fois de plus. Le mono­pole pri­vé des moyens de com­mu­ni­ca­tion – le véri­table par­ti de la droite – sans doute obtien­drait une grande vic­toire, dans le cas où sa nou­velle can­di­date par­vien­drait à vaincre le gou­ver­ne­ment du PT – objec­tif unique, par n’importe quel moyen, de la droite bré­si­lienne et de Washing­ton. C’est ce qui est en jeu main­te­nant au Brésil.

Marine indique clai­re­ment la nature de son pro­jet par ses posi­tions, mais éga­le­ment en regrou­pant dans la coor­di­na­tion de sa cam­pagne élec­to­rale des noms connus du néo­li­bé­ra­lisme : Andre Lara Resen­da, ancien ministre des gou­ver­ne­ments Col­lor de Melo et Car­do­so ; Gian­net­ti da Fon­se­ca, notoire idéo­logue néo­li­bé­ral, et Neca Setu­bal, héri­tière de la Banque Itaú, l’une des plus grandes banques pri­vées bré­si­liennes. Avec ces posi­tions et cette équipe, l’ex-leader éco­lo­giste Mari­na Sil­va se conver­tit plei­ne­ment au néolibéralisme.

Par Emir Sader

Tra­duit par Lulu de la Lune, pour LGS

Source ori­gi­nale de l’ar­ticle : pagina12