Dove, une image qui trompe énormément

Par André Gunthert

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l’i­mage sociale

Dove a‑t-il réel­le­ment vou­lu dif­fu­ser un clip raciste ? Plu­tôt étrange de la part d’une entre­prise atta­chée à la pro­mo­tion de la diversité.

Com­ment véri­fier les pro­ces­sus d’interprétation des images, lorsqu’on ne dis­pose pas de lourds moyens d’enquête ? De nom­breux cas de récep­tion peuvent être ana­ly­sés comme autant d’expériences sociales spon­ta­nées, pour autant qu’on les observe sous l’angle approprié.

Peut-on se trom­per en lisant une image ? Ques­tion déran­geante, dans un uni­vers visuel réglé par les prin­cipes de la trans­pa­rence docu­men­taire, sup­po­sés garan­tir une lisi­bi­li­té uni­voque des conte­nus. No cap­tion nee­ded (pas besoin de légende), comme l’affirme un ouvrage à suc­cès, est la signa­ture de la croyance en la véri­té du visuel – qui per­met de faire l’économie de toute édu­ca­tion à l’image.

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L’exemple de la récep­tion de la publi­ci­té pour le savon douche Dove montre pour­tant que l’on peut més­in­ter­pré­ter de bonne foi un mes­sage visuel. Le 6 octobre der­nier, une ver­sion de 4 secondes d’un clip publié sur Face­book fait l’objet d’un mon­tage en quatre images fixes par la maquilleuse Nao­mi Blake (Nay­the­mua), qui montre deux femmes reti­rant suc­ces­si­ve­ment leur t‑shirt, la pre­mière noire, la seconde blanche (voir ci-dessus).

La conclu­sion semble s’imposer d’elle-même : avec le savon Dove, une peau noire devient une peau blanche – un mes­sage dans la lignée des publi­ci­tés racistes du XIXe siècle, bien­tôt citées sur les réseaux sociaux, où le mon­tage de Nao­mi Blake acquiert ins­tan­ta­né­ment une vira­li­té explosive.

Dove a‑t-il réel­le­ment vou­lu dif­fu­ser un clip raciste ? Plu­tôt étrange de la part d’une entre­prise atta­chée à la pro­mo­tion de la diver­si­té. La marque se confond en excuses et retire la publi­ci­té incri­mi­née, pour cou­per court à la polé­mique. Mais le docu­ment qui a cir­cu­lé en ligne et qui est repris par la presse est le mon­tage avant/après, non le clip ori­gi­nal. Trois jours après le début du buzz, des inter­nautes redif­fusent cette source, en fai­sant remar­quer que celle-ci com­prend un troi­sième per­son­nage fémi­nin, d’un autre type racial.

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La peau blanche n’est donc pas le terme de la séquence, ce qui inva­lide l’interprétation raciste, basée sur une lec­ture hié­rar­chique de l’opposition noir/blanc. Sur le site du Guar­dian, la man­ne­quin Lola Ogu­nye­mi, pre­mier modèle du clip, pro­teste à son tour contre cette récep­tion néga­tive, et reven­dique sa par­ti­ci­pa­tion enthou­siaste à un pro­jet construit sur la diver­si­té – dont la ver­sion télé­vi­sée com­porte sept per­son­nages d’âge et de races différentes.

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Ins­pi­ré de la célèbre séquence finale du clip Black or White (1991) de Michael Jack­son, qui recourt au mor­phing pour expri­mer la fusion des races et des genres, la cam­pagne pour le savon Dove a vou­lu pro­po­ser un mes­sage éga­li­taire et joyeux de mélange des dif­fé­rences. La réduc­tion à deux per­son­nages et la suc­ces­sion noire/blanche pro­duit au contraire un effet de mon­tage typique, où toute asso­cia­tion est lue comme une cor­ré­la­tion, en fonc­tion d’un sché­ma finaliste.

Cas exem­plaire d’interprétation déclen­chée par un récit pré­exis­tant, celui du whi­te­wa­shing raciste, cette pro­jec­tion cau­sa­liste peut être décrite comme une décon­tex­tua­li­sa­tion et une erreur de lec­ture. Tou­te­fois, la réac­tion de l’entreprise, qui a choi­si de s’excuser plu­tôt que de nier cette glose, montre que l’interprétation d’une image sociale est une construc­tion qui ne dépend pas des seules inten­tions des pro­duc­teurs, mais doit au contraire inté­grer la réponse de la réception.