La société civile de plus de 120 pays se mobilise à Tunis pour la démocratie

Le Forum social mondial a débuté à Tunis le 24 mars. Quatre ans après le printemps arabe, les luttes pour davantage de démocratie, de dignité et d’égalité se poursuivent, au Maghreb et ailleurs.

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Le Forum social mon­dial a débu­té à Tunis le 24 mars. Quatre ans après le prin­temps arabe, les luttes pour davan­tage de démo­cra­tie, de digni­té et d’égalité se pour­suivent, au Magh­reb et ailleurs. 70 000 per­sonnes venues de 122 pays sont atten­dues, pour échan­ger et débattre durant cette semaine sur les résis­tances à l’œuvre, les mobi­li­sa­tions, les alter­na­tives. Repor­tage-pho­to à Tunis, lors de la marche d’ouverture de ce forum.

La pluie tombe sans dis­con­ti­nuer à Tunis, mar­di 24 mars. Mais elle n’entame pas la déter­mi­na­tion des mil­liers de par­ti­ci­pants au Forum social mon­dial (FSM), venus du monde entier, pour cette marche d’ouverture. Des­ti­na­tion, le musée du Bar­do où a eu lieu l’attentat qui a fait 21 vic­times six jours plus tôt. Sur place, Abder­rah­mane Hed­hi­li, coor­di­na­teur du comi­té d’organisation du FSM 2015 et pré­sident du Forum tuni­sien pour les droits éco­no­miques et sociaux, négo­cie avec les forces de l’ordre pour faire abou­tir la marche devant le musée. « L’un des enjeux de ce FSM, indique-t-il, c’est de se deman­der pour­quoi notre jeu­nesse est atti­rée par ces ter­ro­ristes sala­fistes. Si on ne touche pas éga­le­ment aux ques­tions éco­no­miques et sociales, aux migra­tions, on n’avance pas. Il faut aus­si par­ler d’audace et d’alternatives. »

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Au même moment, à l’intérieur du musée, les auto­ri­tés tuni­siennes orga­nisent une céré­mo­nie offi­cielle en hom­mage aux 20 tou­ristes étran­gers et au poli­cier tuni­sien tué lors de l’attentat. Afef, dont la famille habite en face du Bar­do, a réus­si à se glis­ser par­mi les invi­tés. Elle était pré­sente au moment de l’attentat. Elle a accom­pa­gné les bles­sés à l’hôpital et peine encore à trou­ver le som­meil. « Je suis cho­quée par ce qu’il s’est pas­sé et je tenais à être pré­sente à cette marche contre le ter­ro­risme », explique-t-elle. Elle retrouve le sou­rire face à une assem­blée de figu­rants vêtus de cos­tumes tra­di­tion­nels variés, qui patientent dans un coin. « Les sala­fistes vou­draient que nous soyons tous habillés de noir. On leur montre notre atta­che­ment à la diver­si­té », pour­suit-elle, avant de les rejoindre pour poser fiè­re­ment devant les photographes.

Conti­nuer la révolution

Aux abords du musée, der­rière des bar­rières de sécu­ri­té, une foule bran­dit des bal­lons rouges et blancs avec le visage de Cho­kri Belaïd. Ce res­pon­sable du par­ti de gauche radi­cale Al Watad a été assas­si­né devant son domi­cile, à Tunis, en février 2013 (lire notre article). « Tuni­sie libre, ter­ro­risme dehors ! », scandent femmes et enfants, mais aus­si « Je suis Bar­do ! ». Plu­sieurs per­sonnes affichent éga­le­ment la pho­to du jour­na­liste et blo­gueur Sofiène Chou­ra­bi et du pho­to­graphe Nédhir Kta­ri, deux Tuni­siens enle­vés en Libye par Daech le 8 sep­tembre dernier.

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Des mesures de sécu­ri­té ren­for­cées ont été prises ces der­niers jours à Tunis. Des mili­taires et poli­ciers encadrent la marche d’ouverture du FSM et l’entrée du musée. De nom­breux Tuni­siens se font prendre en pho­to avec les poli­ciers, comme à Paris en jan­vier lors de la marche en hom­mage aux vic­times des atten­tats de Char­lie Heb­do et de la supé­rette casher.

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Au FSM, les femmes ont tenu une Assem­blée géné­rale le matin-même, et sont très pré­sentes dans le cor­tège. Pour la tuni­sienne Mos­bah Saa­dir, de l’association M’nemty Hedu­cap (« rêver les yeux ouverts »), « les femmes n’ont pas atteint leurs objec­tifs en Tuni­sie. On nous veut com­plé­men­taires mais pas égales, et nous n’avons rien gagné au niveau de la pari­té. Le seul chan­ge­ment de taille depuis la révo­lu­tion, c’est la parole libre. Mais il est pos­sible que nous retour­nions demain en “liber­té pro­vi­soire”. »

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Défendre la liber­té d’expression

Yas­sine Aya­ri est condam­né à un an de pri­son ferme par un tri­bu­nal mili­taire tuni­sien, début 2015, pour avoir cri­ti­qué l’armée sur Face­book. Cet ingé­nieur-infor­ma­ti­cien vivant en France est arrê­té à son arri­vée à Tunis, le 25 décembre 2014. Les mois pré­cé­dant son arres­ta­tion, il s’est mon­tré très cri­tique envers Nida Tou­nès, le par­ti du pré­sident actuel de la Tuni­sie, Béji Caïd Esseb­si. La liber­té d’expression reste fragile…

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Zoh­ra est membre du comi­té de sou­tien de Yas­sine Aya­ri : « On est là pour crier notre peur. On est en train d’exploiter le ter­ro­risme pour por­ter atteinte aux droits de l’Homme, à la liber­té d’expression. Bien sûr, nous sommes tous contre le ter­ro­risme, mais nous sommes aus­si oppo­sés à ce qu’on puisse accu­ser des gens à cause d’une publi­ca­tion sur Face­book. »

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D’autres mondes sont possibles

De nom­breux Algé­riens par­ti­cipent éga­le­ment à la marche d’ouverture du FSM. Au total, plus de 4300 orga­ni­sa­tions sont ins­crites au FSM. 122 pays sont repré­sen­tés et un tiers envi­ron des struc­tures viennent du Magh­reb (Maroc, Algé­rie, Tuni­sie, Mau­ri­ta­nie) ou du Machrek (Irak, Syrie, Palestine).

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La situa­tion en Pales­tine est un des nom­breux sujets qui seront abor­dés pen­dant le Forum. « Les peuples du monde sont unis contre toutes les formes d’agressions et de ter­ro­risme », explique Abder­rah­mane Hed­hi­li, un des orga­ni­sa­teurs du FSM. Droits de l’Homme, éga­li­té homme-femme, cli­mat, éco­no­mie, jus­tice sociale, migra­tion : plus de 1000 ate­liers et débats vont se dérou­ler pen­dant quatre jours, à l’université El Manar de Tunis. Un moment de ren­contre et d’échanges, pour mon­trer que d’autres mondes sont pos­sibles. Et conti­nuer d’avancer.

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Textes : Sophie Cha­pelle et Simon Gouin (à Tunis)

Pho­tos : Natha­lie Cru­bé­zy / Col­lec­tif à‑vif(s)

Source de l’ar­ticle : bas­ta !