Le Rap et le Hip Hop dans la lutte des femmes en Amérique Latine

Les revendications pour les droits de la femme rencontrent un large écho au sein du mouvement hip hop vénézuélien et latino, contrairement à certains courants musicaux dont les paroles la dénigrent souvent comme le reggaeton, le dembow, la bachata...

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Au Vene­zue­la, dans les mis­sions sociales, les conseils com­mu­naux, les com­munes, dans les salles de classe des uni­ver­si­tés gra­tuites, bref dans ces espaces de par­ti­ci­pa­tion que les jour­na­listes occi­den­taux ne visitent jamais et qui sont le cœur même du pro­ces­sus véné­zué­lien, on ren­contre une majo­ri­té de femmes. Au point qu’on peut dire que nous avons affaire à une révo­lu­tion « fémi­nine ». « Pas de socia­lisme sans fémi­nisme, pas de fémi­nisme sans socia­lisme » : l’idée lan­cée par Cha­vez prend peu à peu corps dans un pays affec­té d’une forte tra­di­tion machiste. Il reste beau­coup à faire. Le 14 avril 2015 un nou­veau cir­cuit judi­ciaire char­gé spé­cia­le­ment des délits de vio­lence contre la femme a été inau­gu­ré dans l’État de Lara pour accé­lé­rer le dépôt de plaintes et la réponse de la jus­tice, por­tant le nombre de ces cir­cuits spé­ciaux à 16 pour l’ensemble du pays. Les reven­di­ca­tions pour les droits de la femme ren­contrent un large écho au sein du mou­ve­ment hip hop véné­zué­lien et lati­no, contrai­re­ment à cer­tains cou­rants musi­caux dont les paroles la dénigrent sou­vent comme le reg­gae­ton, le dem­bow, la bacha­ta et dans cer­tains cas spé­ci­fiques, le merengue.

Le rap lati­no-amé­ri­cain aus­si s’emploie à valo­ri­ser l’image des femmes et de leurs luttes, à tra­vers des textes com­ba­tifs et expli­cites, qui traitent des divers aspects de la vie quo­ti­dienne. C’est ain­si que sont abor­dés les thèmes ayant trait aux abus phy­siques et aux pres­sions psy­cho­lo­giques, tels qu’ils se dévoilent à la mai­son ou sur les lieux de tra­vail, mani­fes­ta­tions du joug patriar­cal par­tie pre­nante du sys­tème de domi­na­tion sur les femmes. Un de ces col­lec­tifs musi­caux – « Nous sommes femmes, nous sommes hip hop » – a pré­sen­té pour la pre­mière fois sur les réseaux sociaux, son vidéo­clip inti­tu­lé « Amé­rique latine unie ». C’était le dimanche 5 avril 2015 à 20 heures :

Depuis les années 1990, des groupes tels que Acti­tud Maria mar­ta, La Mala Rodri­guez, Dia­na Avel­la et Aria­na Puel­lo, se sont frayés un che­min au sein d’un uni­vers musi­cal tra­di­tion­nel­le­ment domi­né par les hommes.

Par ailleurs, fai­sant suite à des années de per­sé­vé­rance, des repré­sen­tantes de ce style, mais aus­si des groupes se sont impo­sés au niveau mon­dial, conso­li­dant ain­si la pré­sence des femmes dans le rap. Se char­geant de la mise en valeur de l’univers de la femme et ses expé­riences, Lucia Var­gas, Ani­ta Tijoux et Are­na La Rosa, sont de ces chan­teuses qui auront impo­sé au sein de cette ten­dance, un cou­rant phi­lo­so­phique, réso­lu­ment acti­viste, qui excède le simple champ de la dis­trac­tion musi­cale. Quant aux artistes telles que Tel­ma­ry Diaz, Danay Sua­rez, elles ont opté pour une explo­ra­tion expé­ri­men­tale du rap ; Michu Mc et Ursu­la y Dj Gely, ayant choi­si une orien­ta­tion pri­vi­lé­giant la radicalité.

A l’heure actuelle, le Vene­zue­la connaît une véri­table explo­sion de cette ten­dance, dont le centre de gra­vi­té est Cara­cas. En effet, il n’y est pas rare ‑c’est le cas chaque semaine- que des inter­prètes exclu­si­ve­ment fémi­nines se pro­duisent sur scène. De plus, à rai­son d’un jour par semaine, des pro­grammes de radio tel que celui de Mega Flow, sont dédiés à ce genre de rap. Apo­lo­nia, Garee, La Nena, Gaby­lo­nia, Anar­kia Mc, Mc Kim, Robex Mc, Are­na La Rosa et Kne­la Pala­cios sont les prin­ci­pales repré­sen­tantes de ce genre musi­cal. La géné­ra­tion mon­tante n’est pas en reste, puisqu’elle com­mence à s’imposer, notam­ment en milieu urbain. En sont : Ly Mara­day, Estruc­tu­ra Mc, Zaho­ry La Real, Divi­na Ver­tud Nati­va, Rue­dac Fyah Baby­lon, Rima Rap, Raya Mc, Mez­ti­za, Lira Mc, Nebli­na, Satya Riot, Vane­za Ezay­la, Ima­lay Rojas, Bari Ama­tis­ta, Kathy Flow, Afree­ka, Ben­ga­li, Daria­ni Mc, Joy Mar­ti­nez et Karen Caceres. 

Pour en savoir un peu plus sur ce mou­ve­ment, nous avons dis­cu­té avec deux des repré­sen­tantes du rap véné­zué­lien : Anar­kia Mc et Kne­la Pala­cios.

Com­ment sont pré­sen­tées les reven­di­ca­tions de la femme et ses luttes, au moyen du rap ?

Grâce au pou­voir de la rime, à notre mode d’expression, nous fai­sons en sorte que les femmes aient le sen­ti­ment de s’exprimer, de s’exclamer, qu’elles prennent la parole, qu’elles aient le sen­ti­ment d’être enten­dues. A chaque fois que ces chan­sons sont pro­gram­mées, elles com­prennent qu’elles ne sont pas seules, que nous sommes vivantes ; mais aus­si que notre liber­té de pen­sée est bien réelle, que leurs luttes sont nos luttes. Que tout cela n’est pas vain.

C’est dif­fi­cile d’évoluer dans un milieu musi­cal tra­di­tion­nel­le­ment domi­né par les hommes ?

Bien sûr, c’est dif­fi­cile. Parce que c’est une sphère cultu­relle domi­née par les hommes. C’est comme tout dans ce monde. Le sys­tème patriar­cal s’impose par­tout. C’est la rai­son pour laquelle une forme de « non exis­tence » s’est impo­sée aux femmes. D’après les canons domi­nants, nous sommes des­ti­nées à enfan­ter, à nous occu­per de notre foyer. C’est pour­quoi nous avons de longue date enga­gé une lutte his­to­rique qui concerne tout à la fois, les sphères du tra­vail, de la culture, de l’histoire, du sport ‚etc. Il en résulte éga­le­ment, que tout ce que nous fai­sons, nous tenons à l’identifier, nous le nom­mons, nous l’édictons. Dire que nous fai­sons du « rap fémi­nin », pro­cède de cela. Parce qu’ainsi, cha­cun sait que ce sont des femmes qui font du rap. Que nous pos­sé­dons tout aus­si bien que les hommes ‑par­fois en mieux- la facul­té d’écrire des textes, la maî­trise de l’improvisation.

Les femmes de ce mou­ve­ment sont-elles organisées ?

Si l’on consi­dère ce qui se passe au niveau mon­dial, il y a effec­ti­ve­ment divers pays au sein des­quels des col­lec­tifs de femmes bien struc­tu­rés s’expriment. C’est le cas du Mexique avec le col­lec­tif »Mujeres Tra­ba­jan­do » ( »Les Femmes au Tra­vail ») ; mais aus­si de l’Equateur, avec le col­lec­tif »Somos Mujeres, Somos Hip Hop » ( »Nous sommes femmes, nous sommes Hip Hop »), qui est à l’origine d’un réseau s’étendant à l’heure actuelle, sur toute l’Amérique latine. Quant au Vene­zue­la, je crois que nous souf­frons d’un défaut d’organisation. Il fau­drait plus de soli­da­ri­té et moins de concur­rence entre nous. Per­son­nel­le­ment, je suis en train de me battre pour mettre sur pied un col­lec­tif inti­tu­lé »mujeres urba­nas » ( »Les femmes des villes ». J’espère atteindre cet objec­tif dans un futur proche.

Quel est ton sen­ti­ment en ce qui concerne le rap fémi­nin au Venezuela ?

Je vou­drais tout d’abord dire, que toutes celles qui font du rap dans notre pays, sont dignes de res­pect. Quant à ma propre vision du rap, je dirai que je m’attelle à l’approfondissement de concepts rele­vant tout à la fois du ques­tion­ne­ment, et des réponses à four­nir à ces inter­ro­ga­tions. C’est pour­quoi j’ai du mal à m’étiqueter »chan­teuse de rap ».

J’ai l’impression que le rap fémi­nin de notre pays manque encore de matu­ri­té. Le plus sou­vent, on a ten­dance à per­son­na­li­ser à outrance le rap. De ce fait, on se heurte aux égos des unes et des autres, c’est pour­quoi j’ai du mal à m’identifier à cela. Tou­te­fois, il y des excep­tions notables dans le rap fémi­nin. Je pense aux »rap­peuses » de la vieille école : Garee, Are­na et Apolonia.

Peut-on affir­mer que le rap fémi­nin est un rap politique ?

Tout est poli­tique à par­tir du moment où tu décides d’interroger la réa­li­té, quand tu sou­haites for­mu­ler un sché­ma de vie, « hors norme ». Mais aus­si quand tu écris les paroles d’une chan­son. Tout cela relève de l’action poli­tique. Cela n’a rien à voir avec la poli­tique au sens clas­sique du terme. Moi, je défi­nis la poli­tique comme un ensemble d’actions de forme indi­vi­duelle ou col­lec­tive, qui déter­mine l’émergence de situa­tions, de réa­li­tés concrètes.

Que cherche à mettre en exergue le rap de Kne­la, ton rap ?

Je tente uni­que­ment de m’émanciper de ces para­digmes, qu’un sys­tème abu­sif, répres­sif et fas­ciste cherche à m’imposer. Quand j’écris, c’est toute ma rage que je libère, je donne une expres­sion à mes émo­tions, mes poten­tia­li­tés, aux contra­dic­tions qui me tra­versent. J’observe ain­si le monde, je le savoure, je le ques­tionne, je le vis et m’y adapte. En fait, je suis ce que j’écris. Je n’écris pas pour écrire. Je tiens uni­que­ment à expri­mer ce que je suis, tout en cher­chant à appro­fon­dir, ce qui en moi, m’autorise à évo­luer en tant qu’essence.

Zahory “La Real ” Soy (Venezuela) :

Rima Roja con Black Mama – Ben­di­ción ser mujer (Equa­teur) :

Dia­na Avel­la – Nací Mujer (Colom­bie) :

Rebe­ca Lane – Ban­de­ra Negra (Gua­te­ma­la) :

Audry Funk – Rom­pien­do Esquemas : 

Mala Rodrí­guez – Quien Manda : 

Source ori­gi­nale : alba­ciu­dad

Source en fr : vene­zue­lain­fos

Tra­duc­tion : Jean-Marc del Percio