5 questions à Detric Fox-Quinlan, activiste de la communauté noire US et écrivaine d’ OccupyTheHood

Par Car­los Latuff

Occu­py the Hood, “Occu­pons le quar­tier” (Hood est une contrac­tion argo­tique du mot neigh­bo­rhood, uti­li­sée par les habi­tants des ghet­tos pour dési­gner leur lieu de vie), est un mou­ve­ment lan­cé en 2011 par Malik Rah­saan, un conseiller en toxi­co­ma­nie afri­cain-amé­ri­cain du quar­tier Jamai­ca de Queens à New York, et Ife Joha­ri Uhu­ru, une coif­feuse sty­liste de Detroit, à par­tir du constat que les Noirs étaient presque tota­le­ment absents du cam­pe­ment d’Oc­cu­py Wall Street dans le Parc Zuc­cot­ti. D’un mou­ve­ment visant à “déco­lo­ni­ser” le mou­ve­ment Occu­py, Occu­py the Hood est deve­nu un mou­ve­ment auto­nome enra­ci­né dans les quar­tiers noirs de plus de 20 États du pays. Malik, qui est marié avec Detric Fox-Quin­lan, elle-même ori­gi­naire du New Jer­sey et vivant à Atlan­ta, est le fils d’un ex-poli­cier. Il a été aupa­ra­vant enga­gé dans le mou­ve­ment de soli­da­ri­té avec Mumia Abu Jamal et il a for­te­ment contri­bué à axer le mou­ve­ment contre le pro­blème prin­ci­pal des com­mu­nau­tés afri­caines-amé­ri­caines : la cri­mi­na­li­sa­tion et l’in­car­cé­ra­tion de masse, qui sont non seule­ment l’arme répres­sive prin­ci­pale du sys­tème mais une source de pro­fits juteux pour l’É­tat et pour des sec­teurs privés.

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EN LIEN :

Source de l’ar­ticle : Tlax­ca­la

L’oppression n’a pas changé.

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Un des­sin de Car­los Latuff

Car­los Latuff : Ces der­nières années, le seul sou­lè­ve­ment pro­vo­qué par le racisme aux USA res­tait celui des années 90 à Los Angeles. Mais aujourd’hui, en un an, il y a eu Fer­gu­son et Bal­ti­more. Qu’est-ce qui a changé ?

Detric Fox-Quin­lan : Inter­net, c’est ce qui a chan­gé les choses ! La tech­no­lo­gie nous per­met d’assister aux exac­tions en temps réel. Cette même tech­no­lo­gie nous per­met de nous connec­ter aux gens qui sont fiers d’être noirs ! Quand nous nous aimons nous-mêmes, nous nous bat­tons contre ceux qui ne nous aiment pas ! Ce qui s’est pas­sé en 92 avec Rod­ney King par­tait de la même bru­ta­li­té poli­cière résul­tant du supré­ma­cisme blanc à laquelle nous fai­sons face aujourd’hui… les hommes et les femmes noirs étaient en colère parce que les offi­ciers qui avaient bru­ta­le­ment bat­tu Rod­ney King n’avaient pas été pour­sui­vis, de la même manière qu’ils sont aujourd’hui en colère contre le fait que Dar­ren Wil­son n’a pas été incul­pé pour le meurtre de Michael Brown. Nous voyons le gouvernement/l’Etat comme l’ennemi, et nous vou­lons ripos­ter ! Il y a d’innombrables cas d’usage exces­sif de la force, de faute grave, et de meurtres d’hommes, de femmes et d’enfants noirs à l’actif des forces de police US sur les 23 années depuis Rod­ney King, mais la jeu­nesse de Fer­gu­son a ravi­vé ce « COMBAT » parce que nous les avons vus SE DRESSER ET RIPOSTER en temps réel ! Bal­ti­more est un cas de figure un petit peu dif­fé­rent de Fer­gu­son, dans la mesure où ils sont un peu plus politisés.

Si on prend la cou­ver­ture du maga­zine Time de cette semaine, qui com­pare les émeutes actuelles de Bal­ti­more avec les sou­lè­ve­ments raciaux pas­sés, aux USA, qu’est-ce qui a chan­gé, et qu’est-ce qui n’a pas changé ?

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Cou­ver­ture du maga­zine Time qui com­pare les émeutes actuelles de Bal­ti­more avec les sou­lè­ve­ments raciaux pas­sés, aux USA

L’oppression n’a pas chan­gé. Ce qui a chan­gé c’est la quan­ti­té innom­brable de per­sonnes noires qui sont prêtes à deve­nir les oppres­seurs de leurs sem­blables, au lieu de tra­vailler avec eux au ren­ver­se­ment du sys­tème. Nous sommes tou­jours des esclaves dans un monde qui se pré­tend libre. Les cou­ver­tures comme celle du Time nous rap­pellent à quel point nous n’AVONS PAS PROGRESSE.

Com­ment les médias domi­nants ont-ils cou­vert les récentes protestations ?

Comme d’habitude. De la pro­pa­gande infes­tée de faus­se­tés. Ces organes de presse passent en boucle les mêmes 5 secondes de vidéo pour ins­til­ler la peur chez les gens, trai­tant d’animaux ces jeunes gens parce qu’ils osent ripos­ter contre un sys­tème oppres­sif. Aucune famille noire de Bal­ti­more ne pos­sé­dait de CVS*. De la même façon aucune famille noire ne pos­sé­dait de Quik­Trip** à Fer­gu­son. Ces États et entre­prises pillent les vies des Noirs amé­ri­cains depuis des années. Quand ces bâti­ments brûlent les gens parlent immé­dia­te­ment du fait qu’ils détruisent leur propre com­mu­nau­té. IL N’Y AVAIT RIEN DE BIEN DANS LEURS COMMUNAUTES AVANT L’ÉMEUTE ! C’était juste la goutte d’eau qui a fait débor­der le vase ! Tuer Fred­die Gray et ne tenir per­sonne pour res­pon­sable c’était juste une rai­son de plus pour la riposte de la com­mu­nau­té noire. PAS LA SEULE RAISON – UNE AUTRE RAISON !

Mal­colm X, les Black Pan­thers… la résis­tance noire, c’est une vieille his­toire. Pen­sez-vous qu’avec Fer­gu­son et Bal­ti­more, une nou­velle géné­ra­tion de résis­tance est née ?

Oui, et je pense que de plus en plus de gens vont rejoindre le com­bat. C’est une ère nou­velle, mais c’est mal­heu­reu­se­ment le même vieux com­bat. Nous ne sommes tou­jours pas libres ! La guerre contre les hommes et femmes noir(e)s dure depuis plus long­temps que ma propre vie. Je suis sûre qu’un chan­ge­ment abso­lu va adve­nir, mais ça ne sera sûre­ment pas de mon vivant. Cepen­dant, je suis prête à sou­te­nir, à conseiller, et à com­battre aux côtés de la jeu­nesse dans notre com­bat, parce que cette lutte, c’est à nous de la remporter.

Des juifs éthio­piens pro­testent contre la bru­ta­li­té poli­cière en Israël, la com­mu­nau­té noire des fave­las du Bré­sil affronte aus­si la bru­ta­li­té poli­cière. Pen­sez-vous que vous noirs des USA puis­siez tis­ser main­te­nant des alliances avec les luttes des com­mu­nau­tés noires des autres par­ties du monde ?

Abso­lu­ment et j’espère que cela va être le cas. J’espère qu’on uti­li­se­ra la tech­no­lo­gie pour com­mu­ni­quer et pour nous édu­quer les uns les autres sur ce qui marche et ce qui ne marche pas dans notre lutte. Ce que j’ai appris, c’est que le com­bat est le même où qu’on se trouve dans le monde. Le com­bat des hommes et des femmes noirs pour nous débar­ras­ser de la botte qui nous écrase la nuque, du nœud cou­lant autour de notre cou est le même par­tout où vous allez. De l’Éthiopie au Bré­sil jusqu’aux USA, être noir est un com­bat que nous allons devoir conti­nuer à mener avec achar­ne­ment, et il nous fau­dra résis­ter pour gagner. Je rap­pelle tou­jours aux gens que je n’ai aucun inté­rêt à deve­nir l’égale de mon oppres­seur. Je ne veux pas ce que l’homme blanc pos­sède… je veux sim­ple­ment pou­voir bou­ger libre­ment dans un monde qui soit autant le mien que celui de n’importe qui, sans res­tric­tion, sans inter­rup­tion ou sans har­cè­le­ment de la part de qui­conque. Je veux que mon peuple soit LIBRE DE VIVRE.