Incarcéré depuis 4 mois suite au G20 de Hambourg, Fabio 19 ans, tient tête à la justice

Quoiqu’il arrive, peu importe la décision qui sera prise par ce tribunal, elle n’aura aucune influence sur notre protestation. Il y aura encore tout autant de garçons et de filles qui, portés par les mêmes idéaux descendront dans les rues d’Europe.

Arrê­té lors des jour­nées d’émeutes qui ont secoué le G20 de Ham­bourg les 7 et 8 juillet 2017, Fabio Vet­to­rel est accu­sé de jet de pro­jec­tile et de rébel­lion. Il est incar­cé­ré depuis 4 mois à la pri­son de Bill­wer­der et com­pa­rais­sait le 7 novembre der­nier devant le tri­bu­nal pour mineur d’Altona à Ham­bourg. Nous repro­dui­sons ici la décla­ra­tion qu’il a faite ce jour-là devant ses juges et qui contient plus de véri­té, de sin­cé­ri­té et de jus­tesse que tous les solip­sismes incon­sé­quents de procureurs.

Les pro­chaines audiences de son pro­cès auront lieu les 27 novembre et 7 décembre prochain.

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Madame la juge, mes­sieurs les jurés, madame le pro­cu­reur, mon­sieur l’assistant du tri­bu­nal pour mineurs.

Vous, aujourd’hui, vous êtes appe­lés à juger un homme. Vous l’avez appe­lé un « cri­mi­nel agres­sif » et « irres­pec­tueux de la digni­té humaine ». Per­son­nel­le­ment je ne prête aucune atten­tion aux appel­la­tions que vous m’attribuez. Moi, je suis seule­ment un gar­çon de bonne volonté.

Avant tout je vou­drais dire que pro­ba­ble­ment ces mes­sieurs les poli­ti­ciens, ces mes­sieurs les com­mis­saires de police et ces mes­sieurs les magis­trats pensent qu’en incar­cé­rant et arrê­tant quelques jeunes cela puisse arrê­ter la contes­ta­tion dans les rues. Pro­ba­ble­ment ces mes­sieurs pensent que les pri­sons suf­fisent à éteindre les voix rebelles qui s’élèvent de par­tout. Pro­ba­ble­ment ces mes­sieurs pensent que la répres­sion arrê­te­ra notre soif de liber­té, notre volon­té de construire un monde meilleur.

Et bien ces mes­sieurs se trompent. Et c’est l’Histoire qui leur donne tort.

Parce qu’un nombre incal­cu­lable de gar­çons et de filles sont pas­sés, comme moi, devant un tri­bu­nal comme celui-ci.

En effet aujourd’hui c’est à Ham­bourg, hier à Gênes et encore avant à Seattle.

Vous, vous essayez d’empêcher la pro­pa­ga­tion des voix de la révolte qui s’élèvent par­tout par n’importe quel moyen « légal », par n’importe quel moyen « procédurier ».

Quoiqu’il arrive, peu importe la déci­sion qui sera prise par ce tri­bu­nal, elle n’aura aucune influence sur notre pro­tes­ta­tion. Il y aura encore tout autant de gar­çons et de filles qui, por­tés par les mêmes idéaux des­cen­dront dans les rues d’Europe. Se pré­oc­cu­pant guère de ces pri­sons que dans un essouf­fle­ment, vous vous effor­cez de rem­plir de pri­son­niers politiques.

Mais venons-en donc à l’essentiel, madame la juge, mes­sieurs les jurés, madame le pro­cu­reur, mon­sieur l’assistant du tri­bu­nal pour mineur.

Venons-en donc à l’essentiel.

Comme vous pou­vez l’imaginer, je veux user de mon droit de ne pas faire de décla­ra­tions en rap­port avec le fait spé­ci­fique pour lequel vous me pour­sui­vez. Tou­te­fois je vou­drais por­ter l’attention sur les moti­va­tions qui poussent un jeune ouvrier d’une petite ville recu­lée des Pré-alpes orien­tales à venir à Hambourg.

Pour mani­fes­ter son propre désac­cord avec le som­met du G20.

G20. Rien que le nom a déjà en soi, quelque chose de pervers.

Vingt hommes et femmes repré­sen­tants des vingt pays les plus riches et les plus indus­tria­li­sés du globe, s’asseyent autour d’une table. Ils s’asseyent tous ensemble pour déci­der de notre futur. Oui, j’ai bien dit ceci : le notre. Le mien, ain­si que celui de toutes les per­sonnes assises aujourd’hui dans cette salle, tout comme celui des sept mil­liards de per­sonnes qui habitent cette belle pla­nète Terre.

Vingt hommes décident de notre vie et de notre mort.

Évi­dem­ment, la popu­la­tion n’est pas invi­tée à ce joli ban­quet. Nous, nous ne sommes que le stu­pide trou­peau des puis­sants de la Terre. Spec­ta­teurs tota­le­ment sou­mis de ce théâtre où une poi­gnée de per­sonnes tiennent entre leurs mains l’humanité toute entière.

Moi, madame la juge, j’ai beau­coup pen­sé avant de venir à Hambourg.

J’ai pen­sé à mon­sieur Trump et à ses États-Unis d’Amérique qui sous le dra­peau de la démo­cra­tie et de la liber­té s’érigent comme les gen­darmes du monde entier. J’ai pen­sé aux nom­breux conflits déclen­chés par le géant amé­ri­cain aux quatre coins de la pla­nète. Du Moyen-Orient à l’Afrique. Tout ceci pour s’accaparer du contrôle de telle ou telle res­source éner­gé­tique. Peu importe si ceux qui meurent, ce sont tou­jours les mêmes : civils, femmes et enfants.

J’ai pen­sé aus­si à mon­sieur Pou­tine. Nou­veau tsar de Rus­sie, qui dans son pays viole sys­té­ma­ti­que­ment les droits de l’Homme et se moque de toute opposition.

J’ai pen­sé aux Saou­diens et à leurs régimes fon­dés sur la ter­reur avec qui nous, les occi­den­taux nous fai­sons des affaires en or.

J’ai pen­sé à Erdo­gan qui tor­ture, tue et empri­sonne ses opposants.

J’ai pen­sé aus­si à mon pays, où à coup de lois-décret chaque gou­ver­ne­ment sup­prime sans trêve les droits des étu­diants et des travailleurs.

En bref, les voi­ci les pro­ta­go­nistes du somp­tueux ban­quet qui s’est tenu à Ham­bourg en juillet der­nier. Les plus grands va‑t’en-guerre et assas­sins que le monde contem­po­rain connaisse.

Avant de venir à Ham­bourg j’ai pen­sé aus­si à l’inégalité qui frappe, aujourd’hui, de plein fouet notre pla­nète. Cela me semble presque évident de répé­ter qu’en effet 1% de la popu­la­tion la plus riche du monde pos­sède la même richesse que les 99% le plus pauvre. Cela me semble presque évident de répé­ter que les quatre-vingt cinq hommes les plus riches du monde pos­sède la même richesse que 50% de la popu­la­tion la plus pauvre. Quatre-vingt cinq hommes contre trois mil­liards et demi. Ces quelques chiffres suf­fisent à don­ner une idée.

Ensuite, madame la juge, mes­sieurs les jurés, madame le pro­cu­reur, mon­sieur l’assistant du tri­bu­nal pour mineurs, avant de venir à Ham­bourg j’ai pen­sé à ma terre : à Feltre. Le lieu où je suis né, où j’ai gran­di et où je veux vivre. La cita­delle médié­vale qui est ser­tie comme une gemme dans les Pré-alpes orien­tales. J’ai pen­sé aux mon­tagnes qui, au cré­pus­cule, se teignent de rose. Aux magni­fiques pay­sages que j’ai la chance de voir depuis ma fenêtre. A la beau­té qui tra­verse ce lieu.

Puis, j’ai pen­sé aux fleuves de ma belle val­lée, vio­lés par les entre­pre­neurs qui veulent les conces­sions pour y construire des cen­trales élec­triques, sans se pré­oc­cu­per des dom­mages pour la popu­la­tion et pour l’écosystème.

J’ai pen­sé aux mon­tagnes, frap­pées par le tou­risme de masse ou deve­nues lieu d’entraînements militaires.

J’ai pen­sé à ce magni­fique endroit où je vis, qui est en passe d’être bra­dé à des hommes d’affaires sans scru­pules, exac­te­ment comme d’autres val­lées à chaque coin de la pla­nète, où la beau­té est détruite au nom du progrès.

Dans la lignée de toutes ces pen­sées, j’ai donc déci­dé de venir mani­fes­ter à Ham­bourg. Pour moi, venir ici était un devoir avant d’être un droit.

J’ai trou­vé cela juste de m’opposer à ces poli­tiques scé­lé­rates qui sont en train de pous­ser le monde vers le gouffre.

J’ai trou­vé cela juste de me battre pour que quelque chose soit au moins un peu plus humain, digne et équitable.

J’ai trou­vé cela juste d’aller dans la rue pour répé­ter que la popu­la­tion n’est pas un trou­peau et qu’elle doit être consul­tée dans les choix.

Le choix de venir à Ham­bourg a été celui d’une prise de par­ti. Le choix d’être du côté de ceux qui demandent des droits et contre ceux qui veulent leurs en enle­ver. Le choix d’être du côté de tous les oppres­sés du monde et contre les oppres­seurs. Le choix de com­battre les puis­sants, grands et petits, qui uti­lisent le monde comme si c’était leur jouet et qui ne se sou­cient pas du fait que c’est tou­jours la popu­la­tion qui en fait les frais.

J’ai fait mon choix et je n’ai pas peur s’il doit y avoir un prix à payer injustement.

Néan­moins il y a autre chose que je vou­drais vous dire, que vous me croyiez ou non : je n’aime pas la vio­lence. Mais j’ai des idéaux et pour ceux-ci j’ai déci­dé de me battre.

Je n’ai pas fini.

Dans une époque his­to­rique où par­tout dans le monde s’érigent de nou­velles fron­tières, se déroule du nou­veau fil bar­be­lé, se dressent de nou­veaux murs des Alpes à la Médi­ter­ra­née, je trouve cela mer­veilleux que des mil­liers de jeunes, de chaque coin de l’Europe, soient dis­po­sés à des­cendre ensemble dans les rues d’une seule et même ville pour leur propre futur. Contre chaque fron­tière. Avec comme seule inten­tion com­mune, le fait de rendre le monde meilleur par rap­port à com­ment nous l’avons trouvé.

Parce que madame la juge, mes­sieurs les jurés, madame le pro­cu­reur, mon­sieur l’assistant du tri­bu­nal pour mineurs, parce que nous ne sommes pas le trou­peau de ces vingt sei­gneurs. Nous sommes des femmes et des hommes qui vou­lons avoir le droit de dis­po­ser de notre propre vie.

Et pour cela nous com­bat­tons et nous combattrons.

Fabio, tri­bu­nal pénal de Alto­na à Ham­bourg, le 7 novembre 2017.

Source : lun­di­ma­tin

Fabio Vet­to­rel, jeune mili­tant ita­lien arrê­té lors des mani­fes­ta­tions contre le G20 de Ham­bourg à été libé­ré. Il n’a tout de fois pas le droit de quit­ter la ville et a du payer une cau­tion de 10’000 euros. Fabio avait choi­si d’assumer son choix de venir à Ham­bourg comme un acte politique.