Sermon de Wajda aux élèves-cinéastes de Lodz

Par Andrzej Witold Wajda

“Ser­mon aux élèves-cinéastes de Lodz” in WAJDA, entre­tiens avec J. L. DOUIN. éd. CANA, Paris, 1981

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Il y a deux choses que vous devez savoir : dois-je tour­ner de près ou de loin, dois-je m’attarder ou non sur ce plan ? Si vous avez la réponse à ces ques­tions, vous pou­vez tout faire.

Mani­fes­te­ment, vous avez peur. Vous avez peur que si vous éloi­gnez la camé­ra, on ne sau­ra de quoi il retourne. Pen­sez-vous qu’en la rap­pro­chant tout s’éclaircira ? Non ! Parce que vos acteurs eux-mêmes ne connaissent pas vos inten­tions. Ils ne savent pas où vous vou­lez en venir et ce que vous atten­dez d’eux. En outre, tout est lent, assom­mant, redondant.

Voyons, vous êtes jeunes et vous devriez avoir « l’œil bala­deur » pour pou­voir décou­vrir le côté amu­sant ou gro­tesque de tout ce qui nous entoure. Je vais au ciné­ma pour me sen­tir mieux. Je n’y vais pas pour qu’on me bourre le crâne. Je ne le veux pas et je n’en ai pas besoin. Je ne suis pas si bête que ça et je ne veux pas qu’on m’instruise sans cesse. Je veux aller voir quelque chose : le monde, ma réa­li­té, mais per­çus d’une manière dif­fé­rente, plus intéressante.

Par exemple : je passe tou­jours par cette rue et il y a des choses que je n’ai pas remar­quées. Je connais cet homme et, c’est drôle, mais je ne le voyais pas sous ce jour, J’ai fré­quen­té cette école, j’y ai étu­dié et ; tout d’un coup, je la vois autre­ment… Voi­là ce que le spec­ta­teur attend de vous.

Reve­nons à la mise en scène. Je suis convain­cu que ce n’est pas un tra­vail diffi­cile. Il y a deux choses que vous devez savoir : dois-je tour­ner de près ou de loin, dois-je m’attarder ou non sur ce plan ? Si vous avez la réponse à ces ques­tions, vous pou­vez tout faire. C’est là qu’on retrouve la patte d’un Eisen­stein, d’un Cha­plin, d’un Fel­li­ni. Cela signi­fie : dois-je me rap­pro­cher ou m’éloigner ? Non, je vais me mettre plus loin, on va voir… Ce sera assez clair, assez com­pré­hen­sible ? Hum, il vaut mieux que je me rap­proche, ce truc-là est inté­res­sant… Voi­là com­ment vous devez vous com­por­ter, comme si vous étiez vous-mêmes en train d’observer un évé­ne­ment. C’est quand même simple, non ?

 

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