Au Chili, un Mall bouche l’avenir du port de Valparaíso

Par NG.

La ville-port, dont le centre his­to­rique a récem­ment été clas­sé Patri­moine de l’Humanité par l’Unesco, se trouve aujourd’hui face à un dilemme.

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Vue, depuis le Mira­dor du Cer­ro Baron, du “muelle Baron” et de la zone concer­née par le pro­jet du mall

Lorsque l’on veut par­ler de déve­lop­pe­ment, la ques­tion qui se pose en pre­mier lieu porte sur la défi­ni­tion que l’on veut en don­ner. A Val­pa­raí­so l’aménagement du sec­teur Baron est au cœur du débat. Espace stra­té­gique, cette zone sert actuel­le­ment de dépôt de mar­chan­dises débar­quées dans le port de com­merce (voir pho­to ci-des­sus pour une vue de la zone), et appar­tient à l’Empresa Por­tua­ria de Val­pa­raí­so, entre­prise por­tuaire de Val­pa­raí­so. Elle a récem­ment été ven­due à la Com­pa­gnie Pla­za Val­pa­raí­so S.A, branche du Groupe Pla­za qui pro­jette d’y construire un com­plexe com­mer­cial-hôte­lier-immo­bi­lier d’une super­fi­cie de 18 hec­tares. Selon les orga­ni­sa­tions qui s’y opposent, ce pro­jet empê­che­rait l’expansion de la zone por­tuaire qui pour­rait relier le sec­teur Baron au port de com­merce. Cette polé­mique illustre bien les rap­ports de force qui opposent les “pro-port” et les “pro-mall”, reste à savoir si les uns ou les autres répondent aux attentes des Porteños.

« EPV a signé le contrat qui risque de scel­ler pour plu­sieurs décen­nies le des­tin du sec­teur Barón de Valparaíso »

La ville-port, dont le centre his­to­rique a récem­ment été clas­sé Patri­moine de l’Humanité par l’Unesco, se trouve aujourd’hui face à un dilemme. Val­pa­raí­so, dont l’histoire et le mythe mais aus­si l’économie ont par­tie liée avec le port, connait une réduc­tion de son acti­vi­té por­tuaire. Fruit d’une réforme visant à la moder­ni­sa­tion de ce sec­teur au niveau natio­nal, en 1997 l’Empre­sa Por­tua­ria de Chile (entre­prise por­tuaire du Chi­li) est sub­di­vi­sée en 36 enti­tés. Désor­mais 26 ports appar­tiennent à des entre­prises pri­vées, alors que les 10 autres sont sous la coupe d’entreprises publiques. Ce qui signi­fie que leurs direc­teurs sont nom­més par le Pré­sident de la Répu­blique et qu’ils dépendent du Minis­tère des Trans­ports mais fonc­tionnent avec des inves­tis­se­ments pri­vés. Tout cela s’inscrivant dans une logique de réduc­tion des coûts et de com­pé­ti­ti­vi­té face aux autres grands pôles mari­times du Cône sud, comme le port du Cal­lao au Pérou.

Le port de Val­pa­raí­so est l’un de ces 10 ports. Pour autant, il a ces­sé sur ce plan d’être la “Joya del Paci­fi­co” comme la décrit la chan­son popu­laire du même nom. S’il est ques­tion d’une remo­dé­la­tion de son fonc­tion­ne­ment, l’EPV et la Région de Val­pa­raí­so ne l’envisagent plus comme prin­ci­pal pôle d’activité de la ville. Et pour cause, fin 2006, EPV a signé le contrat qui risque de scel­ler pour plu­sieurs décen­nies le des­tin du sec­teur Barón de Val­pa­raí­so. La com­pa­gnie Pla­za Val­pa­raí­so, dont Fala­bel­la (un des plus grands consor­tiums de grandes sur­faces d’Amérique Latine) est l’actionnaire prin­ci­pal, a obte­nu la conces­sion pour trente ans d’une zone de logis­tique et ancien­ne­ment des­ti­née à l’entrepôt de contai­ners. Et c’est ici que le bât blesse, elle compte y implan­ter un Mall, don­nant direc­te­ment sur le front de mer de Val­pa­raí­so. Pour ceux qui n’ont pas eu l’heureuse expé­rience de visi­ter ces temples de la déme­sure et de l’hyper consom­ma­tion, ima­gi­nez une concen­tra­tion de bou­tiques, de super­mar­chés, de par­kings, de ciné­mas, de res­tau­rants, d’hôtels, j’en passe et des meilleurs … et cela sur une pro­me­nade qui a été récem­ment réamé­na­gée pour les pié­tons. Rajou­tez encore qu’un tel ensemble serait un pas­sage obli­gé pour atteindre le bord de mer, et vous com­pren­drez pour­quoi beau­coup s’opposent à ce projet.

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Aper­çu du pro­jet “Puer­to Baron”

Pour le moment, même si le contrat a été signé il y plu­sieurs années, le pro­jet est en cours d’examen par les auto­ri­tés muni­ci­pales. C’est un délai sup­plé­men­taire que les asso­cia­tions de quar­tiers, syn­di­cats de tra­vailleurs du port et même cer­tains conseillers muni­ci­paux, ont sai­si pour enga­ger un bras de fer avec la firme inter­na­tio­nale et EPV.

« Mall Pla­za Val­pa­raí­so vien­drait inter­fé­rer avec la capa­ci­té mari­time et por­tuaire, déjà mise à mal, et com­pro­met­trait cer­taines pos­si­bi­li­tés d’extension »

Ce pro­jet est aus­si pré­sen­té par EPV comme une pers­pec­tive de créa­tion de 4000 emplois dont 2500 per­ma­nents, et 1500 durant sa construc­tion. Alors bien enten­du, pour une région comme Val­pa­raí­so, qui tient la pre­mière place du pays en matière de chô­mage, avec un taux de 9,1% en 2010, c’est aus­si une oppor­tu­ni­té. Pour autant, ceux qui s’opposent à ce pro­jet voient d’autres pers­pec­tives d’emplois que celles de se mettre au ser­vice de grandes chaînes de super­mar­chés. Sur­tout que ces enseignes vien­draient sérieu­se­ment concur­ren­cer les petits com­merces, par­ti­cu­liè­re­ment dyna­miques dans les sec­teurs à proxi­mi­té de la zone d’implantation.

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Plan du pro­jet Mall Plaza

Pour l’Asam­blea Ciu­da­da­na Ciu­dad-Puer­to Val­pa­raí­so, qui regroupe des orga­ni­sa­tions d’habitants, l’expansion du port est une solu­tion bien plus viable en terme de qua­li­té d’emploi et de décol­lage éco­no­mique pour la ville (mais sûre­ment aus­si dis­cu­table que le pro­jet du mall, en terme de béné­fices directs et réels pour les Por­teños). Pour eux, Mall Pla­za Val­pa­raí­so vien­drait inter­fé­rer avec la capa­ci­té mari­time et por­tuaire, déjà mise à mal, et com­pro­met­trait cer­taines pos­si­bi­li­tés d’extension. Ils appellent EPV à défi­nir une poli­tique por­tuaire claire et pro­posent la réa­li­sa­tion d’un grand refe­ren­dum com­mu­nal sur le sujet. Ceux que l’on atten­dait le moins se sont rejoints à cette lutte, comme le Com­man­dant en chef de l’armée, Edmun­do Gon­za­lez, qui a décla­ré que la construc­tion de ce Mall revien­drait à « assas­si­ner » le port de Val­pa­raí­so. Tous dénoncent le manque de vision à long terme du direc­teur de l’entreprise por­tuaire. En effet, même si la conces­sion est éta­blie pour trente ans, le pro­jet de construc­tion de zones rési­den­tielles sur cet espace ren­voie à un futur encore plus incer­tain l’agrandissement de l’espace portuaire.

« C’est toute une ville que l’on veut ”orga­ni­ser” et ”net­toyer” »

Autre point de dis­sen­sions, et pas des moindres, c’est l’attribution par l’Etat chi­lien pour la réa­li­sa­tion du pro­jet d’une sub­ven­tion de 21 mil­lions de dol­lars, et cela à la demande de l’entreprise Mall Pla­za. D’autant plus que, selon les orga­ni­sa­tions oppo­sées au pro­jet, la conces­sion du ter­rain à cette entre­prise serait en fait une vente. Ce qui n’entre pas dans les attri­bu­tions de EPV, qui ne peut pas avoir par­tie pre­nante dans une affaire immo­bi­lière. En cela, le contrat pour­rait être frap­pé de nul­li­té pour illé­ga­li­té, et ici réside l’espoir d’abandon du pro­jet. Autre piste, Val­pa­raí­so, ville patri­mo­niale, devrait consul­ter l’Unesco à ce sujet. La ques­tion est de savoir si un tel com­plexe peut se trou­ver à proxi­mi­té du centre his­to­rique, clas­sé Patri­moine de l’Humanité.

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Le Muelle Baron, ancienne pla­te­forme de déchar­ge­ment, aujourd’­hui espace piéton

Pour atté­nuer les ten­sions, la com­pa­gnie et le maire de la ville, Jorge Cas­tros, assurent que 60% de la sur­face sera dédiée à la mise en place d’espaces publiques, à savoir des places, des espaces verts, etc. D’ailleurs Pla­za Val­pa­raí­so vient de publier les résul­tats de son enquête d’opinion concer­nant ce pro­jet, et sur ces points elle recueille 71% d’approbation. Un hôtel de luxe doit aus­si être implan­té en contre-bas du mira­dor du Cer­ro Barón. De quoi atti­rer des tou­ristes argen­tés, habi­tuel­le­ment orien­tés vers Viña del Mar, la cité bal­néaire voi­sine de Val­po. Pas besoin d’être devin pour ima­gi­ner que der­rière ce pro­jet c’est toute une ville que l’on veut « orga­ni­ser » et « net­toyer », du moins lui don­ner un aspect plus « conve­nable » au regard des stan­dards touristiques.

Comme le montrent les rap­ports de force autour de ce pro­jet, on assiste au Chi­li, à une demande de chan­ge­ments de fond, et par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui concerne les déci­sions publiques. Beau­coup vou­draient qu’elles ne soient pas uni­que­ment orien­tées vers le pro­fit des grandes entreprises.

Qu’il s’agisse des inté­rêts immo­bi­liers de Pla­za Val­pa­raí­so ou des ambi­tions de com­pé­ti­ti­vi­té du port, la dif­fi­cul­té réside dans la sen­si­bi­li­sa­tion des indi­vi­dus concer­nés par ces mesures, aus­si une issue est d’entamer un débat public sur le type de ville que sou­haitent les Por­teños. Parce qui si la ville ne ces­se­ra d’évoluer, il ne fau­drait pas qu’elle le fasse sans eux.

Si vous vou­lez allez voir par vous-même je vous conseille les sites :

Jun­ta de veci­nos Cer­ro Concep­cion : assem­blée de quar­tier du Cer­ro Concep­cion mobi­li­sée contre le pro­jet de Mall “Puer­to Baron”

El Mar­tu­ti­no : Jour­nal en ligne de la région de Val­pa­rai­so, pas de mys­tère, les jour­na­listes ne cachent pas leur oppo­si­tion au Mall