Burkina Faso : Nous sommes tous des enfants de Sankara

par Mikaël Doul­son Alberca

Pour beau­coup de jeunes issus de ce que l’on com­mence à appe­ler la « géné­ra­tion consciente », la voie de la libé­ra­tion des peuples en Afrique a déjà été tra­cée par le Pré­sident Tho­mas Sankara…

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L’appel san­ka­riste est donc un appel à la libé­ra­tion uni­ver­selle et à la soli­da­ri­té des peuples du monde entier.

« Je viens en ces lieux vous appor­ter le salut fra­ter­nel d’un pays de 274.000 km², où sept mil­lions d’enfants, de femmes et d’hommes, refusent désor­mais de mou­rir d’ignorance, de faim, de soif, tout en n’arrivant pas à vivre véri­ta­ble­ment depuis un quart de siècle d’existence comme Etat sou­ve­rain, sié­geant à l’ONU.

Je viens […] vous par­ler au nom d’un peuple qui, sur la terre de ses ancêtres, a choi­si doré­na­vant de s’affirmer et d’assumer son his­toire, dans ses aspects posi­tifs comme dans ses aspects néga­tifs, sans com­plexe aucun.

Je viens […] pour expri­mer les vues de mon peuple concer­nant les pro­blèmes […] qui consti­tuent la trame tra­gique des évè­ne­ments qui fis­surent dou­lou­reu­se­ment les fon­de­ments du monde en cette fin du ving­tième siècle. Un monde où l’humanité est trans­for­mée en cirque, déchi­rée par les luttes entre les grands et les semi-grands, bat­tue par les bandes armées, sou­mise aux vio­lences et aux pillages. Un monde où des nations, se sous­trayant à la juri­dic­tion inter­na­tio­nale, com­mandent des groupes de hors-la-loi, vivant de rapines, et orga­ni­sant d’ignobles tra­fics, le fusil à la main. »

Dis­cours de Tho­mas San­ka­ra le 4 octobre 1984 à la Trente-neu­vième ses­sion de l’Assemblée géné­rale des Nations Unies.

En par­tant de cette cita­tion, nous pou­vons faire deux constats : 

1. En pre­mier lieu : en 30 ans, le Bur­ki­na Faso a consi­dé­ra­ble­ment chan­gé, et cer­tains chiffres sont à actua­li­ser : si le pays fait tou­jours 274.000 km² de super­fi­cie, la popu­la­tion a plus que dou­blé en un quart de siècle, pour atteindre 17 mil­lions d’habitants aujourd’hui.

2. En second lieu : l’analyse que Tho­mas San­ka­ra fait en 1984 à pro­pos de l’affrontement des grandes et semi-grandes puis­sances sur la scène inter­na­tio­nale — qui se fait tou­jours sur le dos des peuples et des nations exploi­tées — cette des­crip­tion est tou­jours valable aujourd’hui et plus que jamais d’actualité.

Nous pou­vons ajou­ter un troi­sième constat :

3. Les rai­sons qui ont pous­sé « sept mil­lions d’enfants, de femmes et d’hommes, [à refu­ser] de mou­rir d’ignorance, de faim, de soif », et qui les ont pous­sé à épou­ser la révo­lu­tion san­ka­riste le 4 août 1983, sont les mêmes rai­sons qui ont pous­sé des mil­lions de bur­ki­na­bè à se mobi­li­ser dans les rues pour chas­ser Blaise Com­pao­ré du pou­voir les 30 et 31 octobre 2014. Mais cet exploit popu­laire s’enracine dans une longue his­toire de luttes syn­di­cales et estu­dian­tines qui remontent aux grandes mobi­li­sa­tions qui ont sui­vi les nom­breux assas­si­nats de l’ère Com­pao­ré : tout d’abord l’ancien pré­sident du Faso Tho­mas San­ka­ra et 12 de ses com­pa­gnons le 15 octobre 1987 ; puis l’étudiant Bou­ka­ry Dabo en 1990 ; puis deux autres étu­diants en 1995 ; le jour­na­liste Nor­bert Zon­go en 1998 ; l’élève de CM2 Fla­vien Nébié en 2000 ; le juge consti­tu­tion­nel Sali­fou Nébié en 2014 ; et enfin les mar­tyrs des 30 et 31 octobre 2014 ; ain­si que tous les autres assas­si­nats poli­tiques qui ont émaillé les 4 man­dats du pré­sident Blaise Compaoré.

Mais comme dit un pro­verbe bur­ki­na­bè : « Le men­songe peut cou­rir mille ans, mais la véri­té le rat­tra­pe­ra en un jour. ». Et ce jour est arri­vé, où le peuple bur­ki­na­bè a soif de véri­té. Ce jour est arri­vé, où le peuple réclame jus­tice. Ce jour est arri­vé, où le peuple reven­dique le droit à son auto­dé­ter­mi­na­tion, à sa liber­té, et à sa digni­té. Ceux qui ont com­mis tous ces crimes durant ces 27 ans d’impunité, ont en réa­li­té creu­sé leur propre tombe, pris au piège de leur logique assas­sine. Ils risquent d’en payer aujourd’hui le prix, car le peuple bur­ki­na­bè a la mémoire longue. Il a la patience du juste, et la déter­mi­na­tion inflexible de celui qui connait sa force.


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L’insurrection d’octobre 2014 :

C’est ain­si que le 28 octobre 2014, plu­sieurs mil­lions de per­sonnes se sont réunies dans les grandes villes du pays pour pro­tes­ter contre la modi­fi­ca­tion de l’Article 37 de la Consti­tu­tion bur­ki­na­bè, qui aurait per­mis au Pré­sident Blaise Com­pao­ré de bri­guer un 5è man­dat à la tête du pays, après plus de 27 ans de règne.

La contes­ta­tion s’amplifiant, le régime de Com­pao­ré s’est fait plus répres­sif et plus san­glant que jamais, en répri­mant vio­lem­ment les mani­fes­ta­tions paci­fiques et les marches orga­ni­sées par l’opposition. Au matin du 30 octobre der­nier, des cen­taines de mil­liers de per­sonnes se sont mobi­li­sées dans la capi­tale Oua­ga­dou­gou, dans la deuxième ville Bobo Diou­las­so et dans toutes les grandes villes du pays, pour empê­cher la modi­fi­ca­tion de la Consti­tu­tion. Les mani­fes­tants ont pris et brû­lé l’Assemblée Natio­nale, le siège du par­ti majo­ri­taire, et d’autres lieux sym­bo­liques du pou­voir. Le 31 octobre aux alen­tours de midi, sous la pres­sion popu­laire, le Pré­sident Blaise Com­pao­ré au pou­voir depuis 27 ans, annonce sa démis­sion et quitte le pays pour se réfu­gier en Côte d’Ivoire. Le lieu­te­nant-colo­nel Isaac Zida prend les rênes du pays, et les remet 15 jours plus tard au pou­voir civil. Une tran­si­tion poli­tique s’engage alors, diri­gée par le Pré­sident dési­gné Michel Kafon­do et le Pre­mier Ministre Zida[La chro­no­lo­gie pré­cise de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 est pré­sen­tée dans l’article : « [Bur­ki­na Faso : la révo­lu­tion dans tous ses détails »]]. Le bilan humain de l’insurrection des 30 et 31 octobre est de 24 morts et 625 bles­sés, qui ont été éle­vés au rang de héros nationaux.

Au cours de cette insur­rec­tion, les Orga­ni­sa­tions de la Socié­té Civile et les mou­ve­ments sociaux tels que le Col­lec­tif Anti-Réfé­ren­dum ou encore le Balai Citoyen ont joué un rôle majeur pour enca­drer et orga­ni­ser les manifestations.


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Portrait des insurgés :

Nes­tor Zan­té, jeune socio­logue et mili­tant proche du Balai citoyen, ana­lyse la com­po­si­tion des mou­ve­ments sociaux qui ont mis à bas le régime de Blaise Com­pao­ré : « Bon nombre des jeunes que j’ai pu ren­con­trer se tiennent en marge] de la poli­tique. Ce sont des jeunes qui sont beau­coup plus dans la socié­té civile, comme ceux du Balai citoyen qui ont un regard cri­tique sur tout ce que le gou­ver­ne­ment pose comme action. […]C’est ce regard cri­tique qui pour beau­coup de jeunes est plus impor­tant que d’être dans un par­ti poli­tique. […] En fait c’était la par­ti­cu­la­ri­té de ces mou­ve­ments : c’était beau­coup plus une mul­ti­tude de jeunes d’horizons divers. Il y avait tous les jeunes ; des étu­diants, des chô­meurs, des sco­la­ri­sés, des non sco­la­ri­sés, des com­mer­çants… Toutes les com­po­santes de la jeu­nesse étaient mobi­li­sées pour cette cause-là. » [[Antho­ny LATTIER, «[Les jeunes pré­fèrent le regard cri­tique au mili­tan­tisme poli­tique », Rfi le 31 mai 2015 ]]


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Contexte socio-économique :

Quelques chiffres pour éclai­rer le contexte socio-éco­no­mique du pays, et expli­quer les causes de l’insurrection populaire :

• 45 % de la popu­la­tion bur­ki­na­bè a moins de 15 ans, et 65 % a moins de 25 ans. L’âge moyen est de 17 ans. C’est prin­ci­pa­le­ment cette tranche d’âge, les 15 – 30 ans qui était dans la rue pour exi­ger le départ de Blaise Com­pao­ré les 30 et 31 octobre.

• Près de 80 % des bur­ki­na­bè sont des pay­sans. Ils tra­vaillent dans des condi­tions très dif­fi­ciles pour nour­rir les 20 % d’urbains res­tants, com­po­sés essen­tiel­le­ment de fonc­tion­naires, de com­mer­çants et de tra­vailleurs infor­mels. Les pay­sans sont maîtres de leur terre, pour­tant, ils sont les pre­miers à subir la famine qui pousse à l’exode rural ou à la mort. Pour­quoi ? A cause d’un mar­ché tour­né vers l’exportation de cer­tains pro­duits agri­coles (le coton « l’or blanc du Bur­ki­na Faso », le sésame, le maïs, le kari­té, l’anacarde, l’arachide, etc.) au détri­ment des cultures vivrières. A cause d’une poli­tique néo­li­bé­rale qui favo­rise aus­si l’importation de pro­duits agri­coles asia­tiques – plus com­pé­ti­tifs – ou euro­péens – moins chers car sub­ven­tion­nés — au détri­ment des cultures locales issues de l’agriculture fami­liale. C’est pour­tant cette agri­cul­ture fami­liale qui est la plus effi­cace pour lut­ter contre la faim dans le monde et atteindre l’auto-suffisance ali­men­taire, comme l’affirmait déjà Tho­mas San­ka­ra il y a 30 ans de cela, et comme le pres­crit aujourd’hui la FAO[Rap­port de la FAO de 2014 : « [La situa­tion mon­diale de l’alimentation et de l’agriculture 2014 : Ouvrir l’agriculture fami­liale à l’innovation », FAO]]. Bref, à cause donc d’une poli­tique qui pré­fère l’entrée de devises étran­gères au pro­fit de quelques uns, à la san­té et à la sur­vie de tous.

• Plus de 60% des bur­ki­na­bè sont anal­pha­bètes, sur­tout dans les vil­lages, et près de 40% des jeunes de 5 à 14 ans ont arrê­té l’école pour exer­cer un tra­vail ou pour aider leurs parents dans les champs ou à la mai­son pour effec­tuer les tâches ména­gères. 77% de la popu­la­tion est au chô­mage, et plus de 50% des bur­ki­na­bè vivent sous le seuil de pau­vre­té. Le tout alors que le Bur­ki­na Faso est le pre­mier pro­duc­teur de coton d’Afrique et le 4è pro­duc­teur d’or du continent.


 

Au cœur des reven­di­ca­tions por­tées par la jeu­nesse qui a pris la rue les 30 et 31 octobre, se trouve la ques­tion de l’enseignement et de l’emploi pour les jeunes.

L’enseignement et l’emploi au cœur des revendications :

• Les condi­tions d’études à l’université :

Témoi­gnage de Yacou­ba D., étu­diant en 1ère année de droit, le 17 juin 2015 : « J’ai eu mon bac en juin 2014. Pour­tant, avec les retards accu­sés par l’université, nous n’avons pu com­men­cer les cours qu’au mois de juin 2015. Nous avons per­du une année entière, beau­coup se sont décou­ra­gés et ont aban­don­né la voie des études pour cette rai­son. De plus, les condi­tions d’étude sont médiocres : nous man­quons d’infrastructures, de classes et de pro­fes­seurs com­pé­tents. En 1ère année de droit par exemple, nous sommes 3600 étu­diants. Pour assis­ter aux cours magis­traux, nous sommes obli­gés de nous entas­ser dans des han­gars du SIAO [la foire d’exposition de Oua­ga­dou­gou] qui n’ont pas été conçus pour cela. Ima­gi­nez 3000 étu­diants dans une seule salle mal sono­ri­sée, et où le pro­fes­seur n’est com­pris que par ceux qui sont aux pre­miers rangs. Les autres sont lais­sés pour compte et beau­coup pré­fèrent res­ter à la mai­son pour étu­dier les notes de leurs cama­rades et les livres de cours. Lorsqu’enfin vous décro­chez votre diplôme, s’engage un autre com­bat : trou­ver un emploi. Sur les mil­liers de pré­ten­dants qui obtiennent leur maî­trise en droit, seuls 20 postes de magis­trats sont ouverts chaque année, condam­nant les autres à des emplois qui ne sont pas à la hau­teur de leur niveau d’étude. En plus de cela, on sait bien que le milieu aca­dé­mique est cor­rom­pu et ce ne sont pas tou­jours les plus com­pé­tents qui décrochent les postes, mais plu­tôt le cou­sin, le frère, ou le neveu d’untel. Tout cela doit chan­ger, et c’est pour exi­ger un chan­ge­ment que nous sommes des­cen­dus dans la rue les 30 et 31 octobre der­nier. »[[Entre­tien per­son­nel réa­li­sé le 17 juin 2015 à l’Université de Ouagadougou.]]

Il faut savoir qu’au Bur­ki­na, faute d’enseignants et de locaux suf­fi­sants, il faut en moyenne six ans pour bou­cler une licence qui se fait nor­ma­le­ment en trois ans.[« [Soli­da­ri­té avec la lutte révo­lu­tion­naire du peuple et de la jeu­nesse bur­ki­na­bé ! », La Forge de juin 2015]]

• Mar­ché de l’emploi dif­fi­cile d’accès, et accrois­se­ment des inéga­li­tés sociales :

Le salaire mini­mum au Bur­ki­na Faso[Salaire Mini­mum Inter­pro­fes­sion­nel Garan­ti, ou SMIG.]] est de 30.064 FCFA[[« Pou­voir d’a­chat au Bur­ki­na Faso : Le SMIG « doit » pas­ser de 30 864 FCFA à 48 255 FCFA », [Faso Presse le 10 février 2014]], soit envi­ron 46 euros par mois, pour 169 heures de tra­vail men­suelles. Et encore cela ne concerne pas toutes les pro­fes­sions, telles que les pay­sans qui n’ont aucune garan­tie de vendre leur pro­duc­tion à un prix leur per­met­tant de résis­ter à la période de « sou­dure » entre deux récoltes.

La plu­part des petits bou­lots urbains ne per­met pas d’espérer une amé­lio­ra­tion des condi­tions de vie ou du pou­voir d’achat[« [Une étude confirme la dégra­da­tion des condi­tions de vie des Bur­ki­na­bè », Rfi le 9 février 2014]]. Un tel salaire per­met à peine de sur­vivre, mais en aucun cas d’épargner pour s’assurer, pour inves­tir dans une affaire, pour payer des études supé­rieures à son enfant, ou pour faire face à une hos­pi­ta­li­sa­tion par exemple. Ce qui explique que pour beau­coup, entrer à l’hôpital revient à sor­tir par la morgue.

Pour­tant, l’argent ne manque pas au Bur­ki­na Faso. En témoignent les vil­las luxueuses avec pis­cine, gar­dées par des agents de sécu­ri­té armés jusqu’aux dents, qui fleu­rissent dans les beaux quar­tiers de la Zone du bois et de Oua­ga 2000, à Oua­ga­dou­gou. En témoigne le prix d’entrée au pres­ti­gieux Lycée fran­çais Saint-Exu­pé­ry et à l’ISO, l’International School of Oua­ga­dou­gou (l’école dite « amé­ri­caine ») qui ras­semblent l’élite de la nation. Comp­tez 2 mil­lions de FCFA par an de frais de sco­la­ri­té, soit plus de 3000 euros, pour mettre son enfant au Lycée fran­çais ; et 9 mil­lions de Francs CFA par an, soit près de 14.000 euros, pour l’école états-unienne. Qui peut se per­mettre de payer cette somme ? En témoignent aus­si ces cen­taines de gros 4x4 ruti­lants, flan­qués des sceaux d’ONG et d’organisations inter­na­tio­nales aux acro­nymes bien connus, comme l’OMC, l’OMS, le HCR, le CICR, le PNUD, l’ONU, l’UNICEF, et j’en passe. Le domaine de la coopé­ra­tion est un bon busi­ness, tant pour les bur­ki­na­bè que pour les expa­triés. A titre d’exemple, le direc­teur de la coopé­ra­tion hol­lan­daise au Bur­ki­na Faso gagne l’équivalent de 12.000 euros par mois, soit 240 fois le salaire mini­mum local. Qui l’aide du contri­buable néer­lan­dais aide-t-elle ? Le pay­san bur­ki­na­bè, qui après 50 ans d’aide inter­na­tio­nale n’a pas amé­lio­ré ses condi­tions de vie d’un iota ? Ou les sala­riés de cette grande machine qu’est la « coopé­ra­tion inter­na­tio­nale », qui négo­cient des salaires à 5.000 euros / mois, et dont les pri­vi­lèges indé­cents amputent l’aide réelle sur le ter­rain ? Récem­ment encore, on a appris que la Croix-Rouge des Etats-Unis a col­lec­té 488 mil­lions de dol­lars pour la recons­truc­tion après le trem­ble­ment de terre à Haï­ti, alors que cinq ans plus tard sur le ter­rain à peine 6 mai­sons sont sor­ties de terre[« La Croix-Rouge amé­ri­caine a‑t-elle dila­pi­dé l’argent pour Haï­ti ? », L’express.fr le 4 juin 2015]]. Où sont pas­sés tous ces millions ?

C’est la rai­son pour laquelle le pré­sident Tho­mas San­ka­ra disait déjà en 1984 : « Nous accep­tons l’aide quand elle res­pecte notre indé­pen­dance et notre digni­té. » Il ana­ly­sait déjà ain­si les écarts entre les riches et les pauvres : « D’autres avant moi ont dit, d’autres après moi diront à quel point s’est élar­gi le fos­sé entre les peuples nan­tis et ceux qui n’aspirent qu’à man­ger à leur faim, boire à leur soif, sur­vivre et conser­ver leur digni­té. Mais nul n’imaginera à quel point “le grain du pauvre a nour­ri chez nous la vache du riche”. […] Très peu sont les pays qui ont été comme le mien inon­dés d’aides de toutes sortes. Cette aide est en prin­cipe cen­sée œuvrer au déve­lop­pe­ment. On cher­che­ra en vain dans ce qui fut autre­fois la Haute-Vol­ta, les signes de ce qui peut rele­ver d’un déve­lop­pe­ment. […] L’aide au Sahel, à cause de son conte­nu et des méca­nismes en place, n’est qu’une aide à la sur­vie. […] Certes nous encou­ra­geons l’aide qui nous aide à nous pas­ser de l’aide. Mais en géné­ral, la poli­tique d’assistance et d’aide n’a abou­ti qu’à nous désor­ga­ni­ser, à nous asser­vir, à nous déres­pon­sa­bi­li­ser dans notre espace éco­no­mique, poli­tique et cultu­rel. » Dis­cours de Tho­mas San­ka­ra du 4 octobre 1984 à la Trente-neu­vième ses­sion de l’Assemblée géné­rale des Nations Unies.

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• L’accès à la san­té et l’amélioration des condi­tions de vie

Après l’éducation et l’emploi, la jeu­nesse porte d’autres reven­di­ca­tions : l’accès à la san­té et l’amélioration des condi­tions de vie.

Zina­ba Ras­mane, ancien membre d’ATTAC et du CADTM Bur­ki­na, actuel­le­ment membre de la coor­di­na­tion natio­nale du Balai Citoyen, explique que « sur 100 per­sonnes qui se rendent aujourd’hui à l’hôpital public pour des mala­dies bénignes, 15 décèdent faute du maté­riel médi­cal suf­fi­sant pour les soi­gner. » [[Entre­tien per­son­nel le 19 avril 2015 à Ouagadougou.]]

De plus, un enfant sur 100 meurt à la nais­sance, et l’espérance de vie à la nais­sance n’excède pas les 55 ans.[[The World Fact­book of CIA]]

On com­prend ces chiffres alar­mants lorsqu’on sait qu’il y a à peine 1 méde­cin pour 20.000 per­sonnes, 1 lit d’hôpital pour 2.500 per­sonnes, que 20 % de la popu­la­tion n’a tou­jours pas accès à l’eau potable et qu’1 enfant sur 4 est en sous-poids.[[Idem]]

Le SIDA, le palu­disme, la fièvre jaune, la typhoïde, les ménin­gites et les hépa­tites tuent encore de nom­breuses per­sonnes chaque année, faute de moyens pour les prendre en charge et les soigner.

A qui la faute, lorsqu’on sait que 6 % du bud­get à peine est attri­bué au sec­teur de la san­té, alors que le ser­vice de la dette mobi­lise 8% des recettes bud­gé­taires[Chiffres de 2012 pré­sen­tés par Pau­line IMBACH du CADTM, dans l’article du 23 jan­vier 2015 acces­sible en ligne : « [Bur­ki­na Faso : une dette illé­gi­time qui doit être répu­diée » ]], une dette publique qui repré­sente près de 30% du PIB du pays ?

La dette publique du Bur­ki­na s’élevait à 2,6 mil­liards d’euros fin 2014, dont la plu­part est déte­nue par le FMI et la Banque Mon­diale. Il faut savoir que cette dette a aug­men­té de 78% entre 2000 et 2013, alors que le niveau de vie des habi­tants, lui, n’a pas bou­gé, voire dimi­nué à cause de l’augmentation des prix des loyers et des pro­duits de pre­mières néces­si­tés. [Voir l’étude de 2014 de la CGT‑B pré­sen­tée dans l’article de Rfi le 9 février 2014 : « [Une étude confirme la dégra­da­tion des condi­tions de vie des Bur­ki­na­bè »]]

Alors, à quoi sert l’argent prê­té, sinon à per­pé­tuer une dépen­dance moné­taire de type néocoloniale ?

Ce qui fai­sait dire au Pré­sident Tho­mas San­ka­ra : “La dette ne peut pas être rem­bour­sée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mour­ront pas. Soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mou­rir. Soyons en sûrs éga­le­ment.”

Moins de trois mois après ce dis­cours qu’il a tenu le 29 juillet 1987 à la 25e Confé­rence au som­met des pays membres de l’Organisation de l’Union Afri­caine à Addis-Abe­ba, Tho­mas San­ka­ra est assas­si­né, et Blaise Com­pao­ré arrive au pou­voir pour mettre en place une poli­tique de « rec­ti­fi­ca­tion » de la révo­lu­tion san­ka­riste. Il ouvre alors les bras aux ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales (FMI / Banque Mon­diale) en met­tant en place un Plan d’Ajustement Struc­tu­rel (PAS) mor­ti­fère à par­tir de 1991. Il ouvre aus­si les bras aux mul­ti­na­tio­nales étran­gères, et met en place un sys­tème de cor­rup­tion et de népo­tisme généralisé.


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« Nous ne vou­lons pas d’une simple alter­nance mais d’une véri­table alter­na­tive » :

• Décep­tion de la tran­si­tion politique :

- Pas d’amélioration immé­diate des condi­tions de vie, et au contraire dimi­nu­tion du pou­voir d’achat liée à l’instabilité de la situa­tion politique.

- Pas d’amélioration des ser­vices publics (san­té, édu­ca­tion, infra­struc­tures…) ni de l’accès à l’énergie (les déles­tages sont quo­ti­diens dans les grandes villes, et entraînent une para­ly­sie de tout un pan de l’économie du pays).

- Pas d’amélioration visible de la lutte contre la cor­rup­tion et pour la bonne gou­ver­nance, dont les ins­ti­tu­tions de la tran­si­tion ont pour­tant fait leur che­val de bataille.

- Pas de réformes struc­tu­relles dans le domaine de la jus­tice où règne tou­jours l’impunité (ex : pro­cès Ous­mane Gui­ro dans le cadre des assises cri­mi­nelles qui se sont tenues en juin 2015 à Oua­ga­dou­gou[« [Bur­ki­na Faso : l’ex-patron des douanes condam­né à deux ans avec sur­sis] », Rfi le 21 juin 2015] : l’ancien patron des douanes du temps du régime Com­pao­ré – décla­ré cou­pable des faits de cor­rup­tion sur la somme de 900 mil­lions de francs CFA et de vio­la­tion de la règle­men­ta­tion en matière de change. — a été condam­né à seule­ment 2 ans de pri­son avec sur­sis et 10 mil­lions de FCFA d’amende (15.000 euros), lorsqu’un voleur de chèvre encourt 3 ans de pri­son ferme.) L’issue de ce pro­cès accen­tue la convic­tion des citoyens de l’existence d’une logique de « deux poids, deux mesures » au sein de la Jus­tice burkinabè.

- Pas de réforme visible au sein du Régi­ment de Sécu­ri­té Pré­si­den­tielle (RSP), un corps d’élite que Blaise Com­pao­ré a créé et qui est dédié à sa sécu­ri­té per­son­nelle, alors que cer­tains élé­ments du RSP sont sus­pec­tés d’avoir les mains tâchées du sang de jour­na­listes et d’opposants poli­tiques que le régime a fait dis­pa­raître (David Oué­drao­go, Nor­bert Zon­go…). Il faut dire qu’aujourd’hui encore Blaise Com­pao­ré a le bras long sur le RSP. C’est d’ailleurs l’ancien aide de camp de Blaise Com­pao­ré, le lieu­te­nant-colo­nel Mous­sa Céleste Cou­li­ba­ly, qui a été nom­mé à la tête du Régi­ment de Sécu­ri­té Pré­si­den­tielle il y a cinq mois, en février 2015[[« RSP : Les rai­sons de la colère. Qui sont les nou­veaux hommes forts », Le Faso.net le 9 février 2015, acces­sible en ligne : http://www.lefaso.net/spip.php?article63165 et « RSP : le colo­nel major Bou­rei­ma Kéré passe le témoin au lieu­te­nant colo­nel Mous­sa Céleste Cou­li­ba­ly », Omé­ga BF le 12 février 2015, acces­sible en ligne : http://omegabf.net/index.php/societe/item/533-rsp-le-colonel-major-boureima-kere-passe-le-temoin-au-lieutenant-colonel-moussa-celeste-coulibaly]]. Et c’est le colo­nel major Bou­rei­ma Kie­ré – un proche du Géné­ral Gibert Dien­dé­ré et par­mi les fidèles de Blaise– qui est deve­nu le Chef d’État-major par­ti­cu­lier de la pré­si­dence du Faso.

- Aug­men­ta­tion de l’insécurité et du grand ban­di­tisme dans le pays ces der­niers mois, entraî­nant la créa­tion de groupe d’auto-défense dans cer­tains quar­tiers pour sup­pléer aux forces de police jugées peu effi­caces[« [Groupes « d’autodéfense » : La mise en garde du Gou­ver­ne­ment », Faso­zine le 19 juin 2015]].

- Appa­ri­tion du ter­ro­risme, avec le pre­mier enlè­ve­ment d’étranger à déplo­rer au Bur­ki­na Faso : le 4 avril 2015 un agent de sécu­ri­té rou­main – qui a ser­vi dans la légion étran­gère fran­çaise — a été enle­vé dans la zone de Tam­bao, au Nord du pays. L’enlèvement a été reven­di­qué par le groupe ter­ro­riste Al-Mou­ra­bi­toune, groupe lié à la mou­vance Al-Qae­da / Daesh. Inquié­tant lorsqu’on sait que l’enquête sur cet enlè­ve­ment a été confiée à l’ancien bras-droit de Blaise Com­pao­ré : le Géné­ral Gil­bert Dien­dé­ré. Dien­dé­ré, qui a été démis de ses fonc­tions de Chef d’Etat-Major par­ti­cu­lier à la Pré­si­dence mais qui reste au cœur des affaires dans cette période de tran­si­tion poli­tique, est pour­tant soup­çon­né d’être impli­qué dans nombre de crimes de sang au Bur­ki­na et dans la sous-région, depuis l’assassinat de Tho­mas San­ka­ra en 1987, puis de ses com­pa­gnons révo­lu­tion­naires Jean-Bap­tiste Lin­ga­ni et Hen­ri Zon­go en 1989, jusqu’aux tirs du Régi­ment de Sécu­ri­té Pré­si­den­tielle sur les mani­fes­tants des 30 et 31 octobre 2014, en pas­sant par les assas­si­nats suc­ces­sifs du chauf­feur de Fran­çois Com­pao­ré, David Oué­drao­go ; puis du jour­na­liste Nor­bert Zon­go en 1998 ; et impli­qué éga­le­ment dans les guerres civiles libé­rienne et sier­ra-léo­naise des années 1990, et ivoi­rienne des années 2000. Le bras droit de toutes les basses besognes de Blaise Com­pao­ré depuis près de 30 ans est donc plus que jamais au cœur du pou­voir post-insur­rec­tion­nel, ce qui inquiète légi­ti­me­ment le peuple qui craint la récu­pé­ra­tion de l’insurrection par l’ancien pou­voir sous un autre masque.[Ben­ja­min ROGER, « [Bur­ki­na Faso : que sait-on de l’enlèvement d’un Rou­main par Al-Mou­ra­bi­toune ? », Jeune Afrique le 19 mai 2015 et Rémi CARAYOL, « Armée bur­ki­na­bè : Gil­bert Dien­dé­ré, la dis­cré­tion assu­rée », Jeune Afrique le 5 novembre 2014]]

Ain­si, l’étudiant en droit Yacou­ba D. nous confie : « Je n’ai pas confiance dans les par­tis poli­tiques. Tous sans excep­tion ont trem­pé dans les magouilles du régime. Ceux qui se disaient de l’opposition étaient sou­vent contrô­lés par le pou­voir en place. Moi per­son­nel­le­ment je ne pense pas aller voter, mais j’attends de voir ce que pro­posent les dif­fé­rents par­tis dans leurs pro­grammes de cam­pagne. »[[Entre­tien réa­li­sé le 17 juin 2015 à l’Université de Ouagadougou.]]


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La scène politique pour les élections à venir :

Le spectre poli­tique bur­ki­na­bè se décom­pose aujourd’hui en 114 par­tis poli­tiques recon­nus offi­ciel­le­ment, mais tous ne par­ti­ci­pe­ront pas à la cam­pagne pré­si­den­tielle. La quête de la magis­tra­ture suprême se joue­ra sans doute entre les 5 prin­ci­pales for­ma­tions poli­tiques du pays :

• Union Pour le Chan­ge­ment (UPC) :

Can­di­dat à la pré­si­den­tielle : Zéphi­rin Dia­bré, cré­di­té de 27% d’intentions de vote. Zéphi­rin Dia­bré a été direc­teur adjoint des bras­se­ries du Bur­ki­na Faso au sein du groupe fran­çais Cas­tel, avant de deve­nir conseiller du Pré­sident Blaise Com­pao­ré pour les affaires éco­no­miques. En 1998, il devint direc­teur géné­ral adjoint du Pro­gramme des Nations unies pour le déve­lop­pe­ment (PNUD). En 2006, il rejoi­gnit le groupe AREVA en tant que Chair­man, Afrique et Moyen-Orient et Conseiller pour les affaires inter­na­tio­nales auprès de la pré­si­dente Anne Lau­ver­geon. Il pré­si­da éga­le­ment un groupe de réflexion sur les matières pre­mières au sein du Medef. Il sié­gea au gou­ver­ne­ment comme Ministre du com­merce, de l’in­dus­trie et des mines, Ministre de l’é­co­no­mie, des finances et du plan, et il pré­si­da le Conseil Eco­no­mique et Social (CES) du Bur­ki­na Faso. En 2010, il retour­na sa veste en quit­tant le par­ti majo­ri­taire et en créant un par­ti d’opposition : l’U­nion pour le Pro­grès et le Chan­ge­ment (UPC), qu’il pré­side aujourd’hui.

• Mou­ve­ment du Peuple pour le Pro­grès (MPP) :

Can­di­dat à la pré­si­den­tielle : Rock Marc Chris­tian Kabo­ré, cré­di­té de 22% d’intentions de vote à la pré­si­den­tielle d’octobre 2015 selon un son­dage paru le mois dernier[[Sondage Ben­dré, pré­sen­té dans le quo­ti­dien Le Pays n°5877 du 16 juin 2015, p.2]]. Rock Marc Chris­tian Kabo­ré a été direc­teur géné­ral de la Banque inter­na­tio­nale du Bur­ki­na de 1984 à 1989, puis Ministre d’Etat, puis Ministre char­gé de la Coor­di­na­tion de l’action gou­ver­ne­men­tale, puis Ministre des Finances, puis Ministre char­gé des rela­tions avec les ins­ti­tu­tions, avant de deve­nir Pre­mier ministre sous la pré­si­dence de Blaise Com­pao­ré de 1994 à 1996. En 1999, il devint le secré­taire exé­cu­tif natio­nal du Congrès pour la Démo­cra­tie et le Pro­grès (CDP, le par­ti de Blaise Com­pao­ré). Kabo­ré est même élu pré­sident de l’As­sem­blée natio­nale en 2002, et devint en 2003 le pré­sident du CDP. En jan­vier 2014, il démis­sion­na du CDP pour créer avec d’autres démis­sion­naires son propre par­ti : le Mou­ve­ment du Peuple pour le Pro­grès (MPP), dont il est aujourd’hui le président.

• UNIR/PS (Par­ti san­ka­riste unifié) :

Can­di­dat à la pré­si­den­tielle : Béné­wen­dé Sta­nis­las San­ka­ra, cré­di­té de 8% d’intentions de vote. Avo­cat de for­ma­tion, Béné­wen­dé San­ka­ra par­ti­ci­pa au Comi­té de Défense de la Révo­lu­tion (CDR) entre 1984 et 1986 sous la pré­si­dence de Tho­mas San­ka­ra. Après l’assassinat de l’ancien pré­sident, Béné­wen­dé San­ka­ra devint l’avocat de la famille de Tho­mas San­ka­ra et s’engagea en poli­tique pour défendre les idées san­ka­ristes en créant en 2000 l’UNIR/MS.

• Nou­velle Alliance du Faso (NAFA), un nou­veau par­ti issu d’une scis­sion avec le CDP :

Can­di­dat à la pré­si­den­tielle : Dji­bril Bas­so­lé, cré­di­té tan­tôt de 8% tan­tôt de 3% d’intentions de vote. Dji­bril Bas­so­lé était le Ministre des Affaires étran­gères et de la Coopé­ra­tion régio­nale sous Blaise Compaoré.

• Sans oublier le Congrès pour la Démo­cra­tie et le Pro­grès (CDP), qui fut sus­pen­du le 15 décembre 2014 à la suite de l’insurrection popu­laire avant d’être réha­bi­li­té au nom de la récon­ci­lia­tion natio­nale et de la garan­tie d’élections inclu­sives : Le nou­veau patron du CDP est Eddie Kom­boï­go. Le can­di­dat à la pré­si­den­tielle n’est pas encore connu, mais il pour­rait s’agir de Gil­bert Dien­dé­ré, l’ancien n°1 du Régi­ment de Sécu­ri­té Pré­si­den­tielle et ancien Chef d’Etat-major par­ti­cu­lier à la Pré­si­dence de Blaise Com­pao­ré.[« [Pré­si­den­tielle 2015 : Gil­bert Dien­dé­ré, pro­bable can­di­dat du CDP ! », Le Faso.net le 5 février 2015]]

Dans ce son­dage, les autres for­ma­tions poli­tiques recueillent moins de 3% d’intentions de vote et joue­ront vrai­sem­bla­ble­ment un rôle négli­geable aux pro­chaines élec­tions : Tahi­rou Bar­ry (2%), Saran Séré­mé (2%), Soun­ga­no Apol­li­naire Ouat­ta­ra (2%), Ablas­sé Oué­drao­go du Faso Autre­ment (2%), etc.

L’enjeu majeur de la cam­pagne est la par­ti­ci­pa­tion. Si en milieu urbain près de 80% des citoyens pos­sèdent leur carte d’électeur[[Sondage Ben­dré, pré­sen­té dans le quo­ti­dien Le Pays n°5877 du 16 juin 2015, p.2]], ce n’est pas le cas des cam­pagnes où de nom­breux jeunes ne voient pas l’utilité de s’inscrire sur la liste élec­to­rale, ou s’en trouvent empê­chés par des contraintes logis­tiques (dif­fi­cul­té d’accès aux mai­ries, tra­vaux cham­pêtres qui com­mencent…). Le vote des jeunes est l’autre grande incon­nue du scrutin.


 

Révolution panafricaine / révolution des peuples :

Le socio­logue Nes­tor Zan­té nous révèle l’influence des lea­ders du pan­afri­ca­nisme dans cette insur­rec­tion : « Pour un grand nombre de jeunes, il y a une réfé­rence poli­tique actuelle : c’est Tho­mas San­ka­ra. Beau­coup s’inspirent de Tho­mas San­ka­ra pour aujourd’hui poser des actions – je ne dirais pas poli­tiques – mais pour pou­voir arran­ger la chose publique. Aujourd’hui les slo­gans à Oua­ga­dou­gou c’est : “Plus rien ne sera comme avant”. Je pense que leur ins­pi­ra­tion c’est Tho­mas San­ka­ra, et peut-être d’autres idoles, des poli­tiques hors du Bur­ki­na Faso comme Patrice Lumum­ba et Kwame Nkru­mah. …]Très sou­vent ce sont ces figures-là qui sont le plus por­tées au-devant de la scène. Ce sont ces der­niers qui ont por­té les germes de l’Afrique, pour dire : voi­ci com­ment l’Afrique devrait se déve­lop­per. Et actuel­le­ment c’est vrai­ment des réfé­rences pan­afri­ca­nistes pour beau­coup de jeunes afri­cains. »[[Antho­ny LATTIER, «[Les jeunes pré­fèrent le regard cri­tique au mili­tan­tisme poli­tique », Rfi le 31 mai 2015]]

En effet, pour beau­coup de jeunes issus de ce que l’on com­mence à appe­ler la « géné­ra­tion consciente », la voie de la libé­ra­tion des peuples en Afrique a déjà été tra­cée par le Pré­sident Tho­mas San­ka­ra, mais aus­si par les pères des indé­pen­dances dans les années 1960.

San­ka­ra qui disait très jus­te­ment : « Avec le sou­tien de tous, nous pour­rons faire la paix chez nous. Nous pour­rons éga­le­ment uti­li­ser ces immenses poten­tia­li­tés pour déve­lop­per l’Afrique, parce que notre sol, notre sous-sol, sont riches ; nous avons suf­fi­sam­ment de bras, et nous avons un mar­ché immense, très vaste — du nord au sud, de l’est à l’ouest. Nous avons suf­fi­sam­ment de capa­ci­tés intel­lec­tuelles pour créer. » / « Fai­sons en sorte que le mar­ché afri­cain soit le mar­ché des Afri­cains : pro­duire en Afrique, trans­for­mer en Afrique, et consom­mer en Afrique. Pro­dui­sons ce dont nous avons besoin, et consom­mons ce que nous pro­dui­sons, au lieu d’importer. »

Du reste, ce mes­sage trouve aus­si un écho en Europe, où les peuples retrouvent peu à peu de goût de la consom­ma­tion locale, et se heurtent aux limites maté­rielles et envi­ron­ne­men­tales de la mon­dia­li­sa­tion. San­ka­ra a aus­si tra­cé une voie de sor­tie de la domi­na­tion capi­ta­liste qui sévit dans nos nations occi­den­tales, en rap­pe­lant que la sobrié­té et la pro­mo­tion des échanges à l’échelle locale court-cir­cuitent de fait l’influence des mul­ti­na­tio­nales. Il rap­pelle aus­si que : « les masses popu­laires en Europe ne sont pas oppo­sées aux masses popu­laires en Afrique mais ceux qui veulent exploi­ter l’Afrique, ce sont les mêmes qui exploitent l’Europe. Nous avons un enne­mi com­mun. »

L’appel san­ka­riste est donc un appel à la libé­ra­tion uni­ver­selle et à la soli­da­ri­té des peuples du monde entier. Le san­ka­risme est un patrio­tisme sans fron­tières. Le san­ka­risme est un inter­na­tio­na­lisme qui appelle à l’unité des peuples dans la lutte contre la domi­na­tion et pour leur libé­ra­tion. Sachons répondre à cet appel uni­ver­sel, unis­sons nos forces par-delà les mers, les fron­tières et les déserts, car comme le rap­pelle le mou­ve­ment Balai Citoyen « Notre nombre est notre force ».

La Révo­lu­tion ou la Mort, nous vaincrons.

Je vous remer­cie camarades.

Mikaël Doul­son Alberca

Le 24 juin 2015 à Ouagadougou