Chili : la gauche est en colère

Par Manuel Cabieses Donoso

/

Pun­to Final


Tra­duit par ZIN TV

Com­ment actua­li­ser la gauche à son époque

Les temps d’ef­froi que nous vivons appellent à une nou­velle socié­té. Mais ce ne sera pas une nais­sance issue du déses­poir des masses. La socié­té capi­ta­liste ne se sur­pas­se­ra pas non plus comme le pro­met l’o­li­gar­chie effrayée qui demande des indul­gences. Le capi­ta­lisme doit être vain­cu par les forces du chan­ge­ment. Pour cette bataille, il faut un ins­tru­ment de cohé­sion orga­nique et idéo­lo­gique. Qui peut réa­li­ser cet exploit si ce n’est la gauche anti­ca­pi­ta­liste ? La seule force non enga­gée dans un sys­tème qui conduit inexo­ra­ble­ment à l’ex­tinc­tion de l’es­pèce humaine.

L’af­fron­te­ment iné­luc­table a un nom : la révo­lu­tion. En ce moment, la révo­lu­tion a un pro­logue cultu­rel car il fau­dra abattre les murs épais de l’i­gno­rance et des pré­ju­gés qui sont la pre­mière ligne de défense du capi­ta­lisme. Il sera néces­saire de vaincre la coer­ci­tion idéo­lo­gique, média­tique et cultu­relle du capitalisme.

La valeur supé­rieure de la soli­da­ri­té — l’ob­jec­tif suprême du socia­lisme — devra sur­mon­ter la cupi­di­té qui régit les rela­tions sociales actuelles.

Mais une révo­lu­tion cultu­relle est à des années-lumière des pra­tiques rou­ti­nières et bureau­cra­tiques qui conduisent la gauche actuelle à la consommation.

Il y a vingt ans, Fidel Cas­tro a affir­mé dans un dis­cours : “La révo­lu­tion, a‑t-il dit, est le sens du moment his­to­rique ; elle change tout ce qui doit être chan­gé ; elle est la pleine éga­li­té et la liber­té ; elle est trai­tée et traite les autres comme des êtres humains ; elle nous éman­cipe nous mêmes et nos propres efforts ; elle remet en ques­tion les puis­santes forces domi­nantes à l’in­té­rieur et à l’ex­té­rieur de la sphère sociale et natio­nale ; elle défend des valeurs aux­quelles nous croyons au prix de tout sacri­fice ; elle est  la modes­tie, l’al­truisme, la soli­da­ri­té et l’hé­roïsme ; elle lutte avec audace, intel­li­gence et réa­lisme ; elle ne ment jamais et ne viole pas les prin­cipes éthiques ; elle est la convic­tion pro­fonde qu’il n’y a pas de force dans le monde capable d’é­cra­ser la force de la véri­té et des idées”.

Pour com­prendre le moment his­to­rique que vit le Chi­li, il faut appré­cier dans toute son ampleur l’ef­fon­dre­ment de la dic­ta­ture ins­ti­tu­tion­na­li­sée et la mon­tée de la lutte insur­rec­tion­nelle de masse depuis octobre de l’an­née dernière.

Chan­ger tout ce qui doit être chan­gé, en atten­dant, c’est affron­ter sans crainte l’é­tape déchi­rante qui consis­te­ra à dépas­ser les habi­tudes tra­di­tion­nelles de l’ac­tion poli­tique. La gauche devra se débar­ras­ser du lest des pra­tiques obso­lètes et des visions à court terme qui la conduisent à l’opportunisme.

Cepen­dant, la gauche de ce siècle ne sor­ti­ra pas de nulle part. C’est un ins­tru­ment de lutte qui reste dans la mémoire his­to­rique des peuples. L’ac­tion rebelle du socia­lisme va réveiller les consciences par des méthodes de lutte et des formes d’or­ga­ni­sa­tion actualisées.

Les idées révo­lu­tion­naires de cette époque ne vont pas non plus naître sur un ter­rain sté­rile. Des com­bat­tants sociaux qui, dans le pas­sé, ont uni la pra­tique et la théo­rie, ont lais­sé de pré­cieuses leçons. En Amé­rique latine, par exemple, l’i­déo­lo­gie socia­liste du XXIe siècle sera fidèle à la voca­tion his­to­rique d’u­ni­té et d’an­ti-impé­ria­lisme de la gauche.

Sur le plan idéo­lo­gique, il est urgent d’é­li­mi­ner les tabous et les erreurs comme celles qui iden­ti­fient le socia­lisme à l’é­ta­tisme. Les slo­gans dans ce sens ont pour effet de mon­trer la gauche comme étant des­ti­née à l’é­chec du “socia­lisme réel” du siècle der­nier. Une telle dis­tor­sion coupe les ailes à la créa­ti­vi­té propre au socia­lisme qui favo­rise le plein déve­lop­pe­ment des capa­ci­tés humaines et des forces productives.

Le socia­lisme à l’é­poque de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle et des tech­no­lo­gies 5G aura des carac­té­ris­tiques dif­fé­rentes de celles de l’é­poque du télé­graphe et de la loco­mo­tive à vapeur. Mais son moteur sera tou­jours l’ac­tion concer­tée des masses. Aujourd’­hui, sa mis­sion est de libé­rer “les zom­bies qui errent dans les rues avec leurs visages col­lés à leur smart­phone”.

La nou­velle socié­té sera construite par des mil­lions d’i­ni­tia­tives. Le pou­voir du peuple attein­dra ain­si toute l’é­ten­due de son pou­voir de transformation.

En temps de faim et de pan­dé­mie sous la domi­na­tion du chan­ge­ment cli­ma­tique qui menace la pla­nète, le socia­lisme se consti­tue comme un cer­tain espoir de l’Hu­ma­ni­té. Le cen­te­naire de Rosa Luxem­burg “socia­lisme ou bar­ba­rie” est excep­tion­nel­le­ment oppor­tun. Sup­po­ser que le déses­poir cau­sé par la misère et la faim va pro­duire un chan­ge­ment social est une hypo­thèse qui castre l’i­ni­tia­tive des peuples. L’ab­sence d’une gauche socia­liste pour orga­ni­ser la lutte — comme le montre l’ex­pé­rience his­to­rique — ouvre la voie au fas­cisme et aux faux messies.

Au Chi­li, nous sommes très en retard dans le tra­vail d’ ”actua­li­sa­tion” de la gauche à notre nou­velle époque. Mais le temps est venu de jeter les bases d’une gauche ayant sa propre per­son­na­li­té et son “sens du moment historique”.