Déclaration aux Intellectuels

Par Fidel Cas­tro Ruz


Tra­duit par Gas­ton Lopez

EN LIEN :

La Révo­lu­tion ne peut pas pré­tendre étouf­fer l’art ou la culture alors qu’un des buts fon­da­men­taux de la Révo­lu­tion est de déve­lop­per l’art et la culture.

Les 16, 23 et 30 juin 1961 ont eu lieu à La Havane, au Salon des actes de la Biblio­thèque Natio­nale, des réunions aux­quelles ont par­ti­ci­pé les figures les plus repré­sen­ta­tives des intel­lec­tuels cubains. Artistes et écri­vains ont dis­cu­té et ont expo­sé lon­gue­ment leurs points de vue sur dif­fé­rents aspects de l’activité cultu­relle et sur les pro­blèmes de créa­tion, devant le Pré­sident de la Répu­blique, le Doc­teur Osval­do Dor­ti­cos Tor­ra­do, le Pre­mier Ministre, le Doc­teur Fidel Cas­tro Ruz, le Ministre de l’Éducation, le Doc­teur Arman­do Hart, les membres du Conseil Natio­nal de la Culture et d’autres figures repré­sen­ta­tives du gouvernement.

Com­pa­gnons et Compagnes,

Au terme de trois ses­sions où furent dis­cu­tés dif­fé­rents pro­blèmes concer­nant la culture et la créa­tion, où de nom­breuses ques­tions inté­res­santes furent posées, et où furent expri­més les dif­fé­rents cri­tères repré­sen­tés, il est temps pour nous de prendre notre tour. Nous ne le ferons pas comme étant la per­sonne la plus auto­ri­sée pour par­ler de ce sujet mais s’agissant d’une réunion entre vous et nous, il est néces­saire que nous expri­mions ici quelques points de vue.

Ces dis­cus­sions étaient très inté­res­santes et je crois que nous l’avons mon­tré avec ce que l’on pour­rait appe­ler « une grande patience » mais, en réa­li­té, il n’a pas été néces­saire de faire un effort héroïque car pour nous, ça a été une dis­cus­sion ins­truc­tive et je dirais aus­si, agréable. Cer­tai­ne­ment, dans ce type de dis­cus­sion, nous, les hommes de gou­ver­ne­ment, ne sommes pas les plus avan­ta­gés pour don­ner notre opi­nion sur les ques­tions dans les­quelles vous êtes, vous, spé­cia­li­sés. A tout le moins… ceci est mon cas.

Le fait d’être homme de gou­ver­ne­ment et acteur de cette Révo­lu­tion ne veut pas dire que nous soyons obli­gés (quoique par­fois ce soit le cas) d’être experts en toute matière. Il est pos­sible que si nous avions ame­né plu­sieurs des com­pa­gnons qui ont par­lé ici à quelque réunion du Conseil des Ministres pour dis­cu­ter des pro­blèmes avec les­quels nous sommes le plus fami­lia­ri­sés, ils se seraient vus dans une situa­tion iden­tique à la nôtre.

Nous avons été acteurs de cette Révo­lu­tion, de la Révo­lu­tion éco­no­mique et sociale qui a lieu à Cuba. A son tour, cette Révo­lu­tion éco­no­mique et sociale doit ame­ner inévi­ta­ble­ment aus­si une Révo­lu­tion cultu­relle dans notre pays.

Pour notre part, nous avons essayé de faire quelque chose (peut-être dans les pre­miers moments de la Révo­lu­tion il y avait d’autres pro­blèmes plus urgents). Nous pour­rions nous adres­ser aus­si une auto­cri­tique en affir­mant que nous avions lais­sé un peu de côté la dis­cus­sion d’une ques­tion aus­si impor­tante que celle-là. Cela ne veut pas dire que nous l’ayons com­plè­te­ment oubliée ; cette dis­cus­sion – que peut- être l’incident auquel il a été fait réfé­rence ici de façon réité­ré a contri­bué à accé­lé­rer – était déjà dans l’esprit du gou­ver­ne­ment. Depuis des mois, nous avions l’intention de convo­quer une réunion comme celle-ci pour ana­ly­ser le pro­blème cultu­rel. Les faits se sont suc­cé­dés et sur­tout les der­niers ont été la cause que cela n’ait pas été fait plus tôt. Cepen­dant, le gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire avait pris quelques mesures qui mon­traient notre pré­oc­cu­pa­tion à ce sujet. On a fait quelque chose et plu­sieurs com­pa­gnons du gou­ver­ne­ment, en plus d’une occa­sion, ont insis­té sur la ques­tion. En résu­mé, on peut dire que la Révo­lu­tion en elle-même a déjà ame­né quelques chan­ge­ments dans l’ambiance cultu­relle, les condi­tions de tra­vail des artistes ont changé.

Je crois que, ici, on a un peu insis­té sur quelques aspects pes­si­mistes, je crois qu’ici il y a eu une pré­oc­cu­pa­tion qui va plus loin qu’une quel­conque jus­ti­fi­ca­tion sur ce pro­blème. On n’a presque pas évo­qué la réa­li­té des chan­ge­ments qui se sont pro­duits du point de vue de l’ambiance et des condi­tions actuelles des artistes et des écri­vains. Si on fait une com­pa­rai­son avec le pas­sé, il n’est pas dou­teux que les artistes et les écri­vains cubains ne peuvent se sen­tir comme dans le pas­sé car les condi­tions du pas­sé étaient véri­ta­ble­ment dépri­mantes dans notre pays pour les artistes et les écri­vains. Si la Révo­lu­tion a com­men­cé à appor­ter par elle-même un chan­ge­ment pro­fond dans l’ambiance et dans les condi­tions, pour­quoi craindre que la Révo­lu­tion qui nous appor­ta ces nou­velles condi­tions de tra­vail puisse étouf­fer ces condi­tions ? Pour­quoi craindre que la Révo­lu­tion aille pré­ci­sé­ment liqui­der ces condi­tions qu’elle a ame­nées avec elles ?

Il est cer­tain que nous dis­cu­tons ici un pro­blème qui n’est pas simple. Il est cer­tain que nous tous avons le devoir de l’analyser soi­gneu­se­ment. C’est une obli­ga­tion pour vous comme pour nous. Ce n’est pas un pro­blème simple parce que c’est un pro­blème qui s’est posé plu­sieurs fois et qui s’est posé dans toutes les Révo­lu­tions. C’est une affaire, pour­rions-nous dire, assez embrouillée et pas facile du tout à démê­ler. C’est un pro­blème que nous ne résou­drons pas faci­le­ment nous non plus.

Les dif­fé­rents com­pa­gnons qui ont par­lé ont expri­mé ici un grand nombre de points de vue et ils les ont expri­més avec leurs argu­ments. Le pre­mier jour, il y avait un peu de crainte à abor­der le sujet et pour cela, il a été néces­saire que nous deman­dions aux com­pa­gnons de l’aborder fran­che­ment et que cha­cun dise ce qui l’inquiétait.

Au fond, si nous ne nous sommes pas trom­pés, le pro­blème fon­da­men­tal qui était dans l’air était le pro­blème de la liber­té de la créa­tion artis­tique. De même, lorsqu’ils ont visi­té notre pays, de nom­breux écri­vains, sur­tout des écri­vains poli­tiques, ont abor­dé cette ques­tion plus d’une fois. Il est indis­cu­table que cela était un thème dis­cu­té dans tous les pays où il y a eu une évo­lu­tion pro­fonde comme la nôtre.

Par hasard, un moment avant de reve­nir dans cette salle, un com­pa­gnon nous a appor­té une bro­chure où au début ou à la fin, on trouve un petit dia­logue entre nous et Sartre et que le com­pa­gnon Lisan­dro Ote­ro a recueilli dans le livre qui porte pour titre « Conver­sa­tions sur la Lagune » (Révo­lu­tion, mar­di 8 mars 1960). En une autre occa­sion, l’écrivain nord-amé­ri­cain Wright Mil­ls nous posa une ques­tion similaire.

Je dois confes­ser que, dans un cer­tain sens, ces ques­tions nous prennent un peu au dépour­vu. Nous n’avons pas eu notre Confé­rence de Yenan avec les artistes et les écri­vains cubains durant la Révo­lu­tion. En réa­li­té, ceci est une Révo­lu­tion qui évo­lua et arri­va au pou­voir en un temps, on peut le dire « record ». Au contraire d’autres Révo­lu­tions, elle n’avait pas réso­lu tous les grands problèmes.

Une des carac­té­ris­tiques de la Révo­lu­tion a été, à cause de cela, la néces­si­té d’affronter plu­sieurs pro­blèmes dans l’urgence. Et nous, nous sommes comme la Révo­lu­tion, c’est à dire que nous avons assez impro­vi­sé. Ain­si, on ne peut pas dire que cette Révo­lu­tion ait eu l’étape de ges­ta­tion qu’ont eu d’autres révo­lu­tions, ni les diri­geants de la Révo­lu­tion n’ont eu la matu­ri­té intel­lec­tuelle qu’ont eu les diri­geants d’autres révo­lu­tions. Nous croyons que nous avons contri­bué dans la mesure de nos forces à ce qui se passe, actuel­le­ment, dans notre pays. Nous croyons qu’avec l’effort de tous, nous fai­sons pro­gres­ser une vraie Révo­lu­tion et que cette Révo­lu­tion se déve­loppe et paraît appe­lée à deve­nir l’un des faits les plus impor­tants de ce siècle. Cepen­dant, mal­gré cette réa­li­té, nous qui avons eu une par­ti­ci­pa­tion impor­tante à ces faits, nous ne nous croyons pas les théo­ri­ciens des révo­lu­tions ni les intel­lec­tuels des révo­lu­tions. Si les hommes se jugent à leurs œuvres, peut-être aurions-nous le droit de consi­dé­rer que nous avons le mérite de l’œuvre que signi­fie la Révo­lu­tion elle-même. Et cepen­dant, nous ne pen­sons pas ain­si et je crois que nous tous devrions avoir une atti­tude iden­tique, quelles qu’aient été nos œuvres. Si, méri­toire que nos œuvres puissent paraître, nous devons com­men­cer par nous situer dans la posi­tion hono­rable de ne pas croire que nous savons plus que les autres, de ne pas croire que nous avons appris tout ce que l’on peut apprendre, de ne pas croire que nos points de vue sont infaillibles et que tous ceux qui ne pensent pas comme nous se trompent. C’est à dire que nous devons nous situer dans cette posi­tion hono­rable non par fausse modes­tie mais de véri­table valo­ri­sa­tion de ce que nous savons parce que si nous nous situons de ce point de vue, je crois qu’il sera plus facile de mar­cher vers le futur de façon assu­rée et que, si nous adop­tons tous cette atti­tude, aus­si bien vous que nous, dis­pa­raî­tront les atti­tudes per­son­nelles et dis­pa­raî­tra cette dose d’individualisme que nous met­tons dans l’analyse des pro­blèmes. En réa­li­té, que savons-nous ? Nous tous, nous sommes en train d’apprendre.

En réa­li­té, nous avons tous beau­coup à apprendre et nous ne sommes pas venus ici pour ensei­gner, nous sommes venus ici aus­si pour apprendre. Il y avait cer­taines craintes dans l’air et quelques com­pa­gnons ont expri­mé ces craintes. En les écou­tant, nous avions par­fois l’impression que nous étions en train de rêver un peu. Nous avions l’impression que nous n’avions pas encore bien posé nos pieds sur terre. Car, si quelque pré­oc­cu­pa­tion, si quelque crainte nous arrête aujourd’hui, c’est en rap­port avec la Révo­lu­tion elle-même. La grande pré­oc­cu­pa­tion que nous devons tous avoir, c’est la Révo­lu­tion elle-même. Ou bien croyons-nous avoir gagné toutes les batailles révo­lu­tion­naires ? Est-ce que nous croyons que la Révo­lu­tion n’est pas en dan­ger ? Quelle doit être aujourd’hui la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion de tout citoyen ? La pré­oc­cu­pa­tion que la Révo­lu­tion déborde de ses limites, que la Révo­lu­tion asphyxie l’art, que la Révo­lu­tion asphyxie le génie créa­teur de nos conci­toyens ou bien la pré­oc­cu­pa­tion de la Révo­lu­tion elle-même. Les dan­gers réels ou ima­gi­naires qui peuvent mena­cer l’esprit créa­teur ou les dan­gers qui peuvent mena­cer la Révo­lu­tion elle-même ?…

Il ne s’agit pas d’invoquer ce dan­ger comme un simple argu­ment ; nous signa­lons que, l’état d’âme de tous les citoyens du pays et que l’état d’âme de tous les écri­vains et artistes révo­lu­tion­naires ou de tous les écri­vains et artistes qui com­prennent et jus­ti­fient la Révo­lu­tion doit être : Quels dan­gers peuvent mena­cer la Révo­lu­tion et que peut-on faire pour aider la Révo­lu­tion ? Nous croyons que la Révo­lu­tion a encore de nom­breuses batailles à livrer et nous croyons que notre pre­mière pen­sée et notre pre­mière pré­oc­cu­pa­tion doivent être : Que fai­sons- nous pour que la Révo­lu­tion soit vic­to­rieuse ? Car la pre­mière chose est celle-ci, la pre­mière chose, c’est la Révo­lu­tion elle-même et après, nous nous pré­oc­cu­pe­rons des autres ques­tions. Ce qui ne veut pas dire que les autres ques­tions ne doivent pas nous pré­oc­cu­per mais que dans notre esprit, du moins tel qu’il est, notre pré­oc­cu­pa­tion fon­da­men­tale doit être la Révolution.

Le pro­blème que l’on a dis­cu­té ici et que nous allons abor­der est le pro­blème de la liber­té d’expression des écri­vains et des artistes. La crainte qui a été expri­mée est : est-ce que la Révo­lu­tion va étouf­fer cette liber­té ? Est-ce que la Révo­lu­tion va étouf­fer l’esprit créa­teur des écri­vains et des artistes ? On a par­lé ici de liber­té for­melle. Tout le monde est d’accord sur le res­pect de la liber­té for­melle, je crois qu’il n’y a pas de doute à ce sujet.

La ques­tion devient plus sub­tile et devient véri­ta­ble­ment le point essen­tiel de la dis­cus­sion quand il s’agit de la liber­té de conte­nu. C’est le point le plus sub­til parce qu’il est expo­sé aux inter­pré­ta­tions les plus diverses. Le point le plus polé­mique de cette ques­tion est : s’il doit y avoir oui ou non une abso­lue liber­té de conte­nu dans l’expression artis­tique. Il nous semble que quelques com­pa­gnons défendent ce point de vue. Peut-être par crainte de ceux qui estiment qu’il faut des défenses, des régu­la­tions, des limi­ta­tions, des règles, des autorités.

Per­met­tez-moi de vous dire en pre­mier lieu que la Révo­lu­tion défend la liber­té ; que la Révo­lu­tion a ame­né dans le pays de nom­breuses liber­tés ; que la Révo­lu­tion ne peut être par essence enne­mie des liber­tés ; et que si la pré­oc­cu­pa­tion de cer­tains est que la Révo­lu­tion risque d’asphyxier leur esprit créa­teur, cette pré­oc­cu­pa­tion n’est pas néces­saire, cette pré­oc­cu­pa­tion n’a pas de rai­son d’être.

Quelle peut être la rai­son de cette pré­oc­cu­pa­tion ? Seul celui qui n’est pas sûr de ses convic­tions révo­lu­tion­naires peut être véri­ta­ble­ment pré­oc­cu­pé par ce pro­blème. Celui qui n’a pas confiance en son art peut être pré­oc­cu­pé par ce pro­blème, celui qui n’a pas confiance en sa véri­table capa­ci­té à créer et on peut se deman­der si un révo­lu­tion­naire véri­table, si un artiste ou un intel­lec­tuel qui com­prend la Révo­lu­tion et qui est sûr d’être capable de ser­vir la Révo­lu­tion peut se poser ce pro­blème ; c’est à dire est-ce qu’il peut y avoir un doute pour les artistes et les écri­vains véri­ta­ble­ment révo­lu­tion­naires. Je pense que non ; car il ne peut y avoir doute que pour les écri­vains et artistes qui, sans être contre-révo­lu­tion­naires, ne se sentent pas non plus révo­lu­tion­naires. (applau­dis­se­ments)

Il est donc cor­rect qu’un écri­vain et un artiste qui ne se sentent pas révo­lu­tion­naires se posent ce pro­blème ; c’est à dire un écri­vain et un artiste hon­nête, capable de com­prendre toute la rai­son d’être et la jus­tice de la Révo­lu­tion sans y entrer se posent ce pro­blème. En effet, le révo­lu­tion­naire met quelque chose au-des­sus de toutes les autres ques­tions, le révo­lu­tion­naire met quelque chose au-des­sus de son propre esprit créa­teur, il met la Révo­lu­tion au-des­sus de tout et l’artiste le plus révo­lu­tion­naire serait celui qui serait dis­po­sé à sacri­fier même sa propre voca­tion artis­tique à la Révo­lu­tion. (applau­dis­se­ments)

Per­sonne n’a jamais sup­po­sé que tous les hommes ou tous les écri­vains ou tous les artistes devaient être révo­lu­tion­naires, de même que per­sonne ne peut sup­po­ser que tous les hommes ou tous les révo­lu­tion­naires doivent être artistes, de même que tout homme hon­nête, par le seul fait d’être hon­nête, doit être révo­lu­tion­naire. Être révo­lu­tion­naire est aus­si une atti­tude devant la vie, être révo­lu­tion­naire est aus­si une atti­tude devant la réa­li­té exis­tante, il y a des hommes qui se résignent devant cette réa­li­té, il y a des hommes qui s’adaptent à cette réa­li­té et il y a des hommes qui ne peuvent ni se rési­gner ni s’adapter à cette réa­li­té et qui essaient de la chan­ger, et c’est pour cela qu’ils sont révo­lu­tion­naires. Mais il peut y avoir des hommes qui s’adaptent à cette réa­li­té et qui sont hon­nêtes, seule­ment leur esprit n’est pas un esprit révo­lu­tion­naire et leur atti­tude devant la réa­li­té n’est pas une atti­tude révo­lu­tion­naire. Et il peut exis­ter des artistes, et de bons artistes, qui n’aient pas devant la vie une atti­tude révo­lu­tion­naire et c’est pré­ci­sé­ment pour ce groupe d’artistes et d’intellectuels pour les­quels la Révo­lu­tion en soi consti­tue un fait impré­vu, un fait nou­veau, un fait qui peut même affec­ter leur âme pro­fon­dé­ment, c’est pré­ci­sé­ment pour ce groupe d’artistes et d’intellectuels que la Révo­lu­tion peut consti­tuer un problème.

Pour un artiste ou un intel­lec­tuel mer­ce­naire, pour un artiste ou un intel­lec­tuel mal­hon­nête, ce ne sera jamais un pro­blème, il sait ce qu’il doit faire, il sait ce qui l’intéresse, il sait vers où il doit se diri­ger. Le pro­blème existe véri­ta­ble­ment pour l’artiste ou l’intellectuel qui n’a pas une atti­tude révo­lu­tion­naire devant la vie et qui pour­tant est une per­sonne hon­nête. Il est clair que celui qui a cette atti­tude devant la vie, qu’il soit ou non révo­lu­tion­naire, qu’il soit ou non artiste, à ses buts, a ses objec­tifs et nous pou­vons tous nous poser des ques­tions sur ses buts et ses objec­tifs. Pour le révo­lu­tion­naire, ses buts et objec­tifs vont vers le chan­ge­ment de la réa­li­té, ses buts et objec­tifs vont vers la rédemp­tion de l’homme. C’est pré­ci­sé­ment l’homme, son sem­blable, la rédemp­tion de ses sem­blables, qui consti­tue l’objectif des révo­lu­tion­naires. Si on nous demande à nous, révo­lu­tion­naires, ce qui nous importe le plus, nous dirons : le peuple, et nous dirons tou­jours, le peuple. Le peuple dans son vrai sens, c’est à dire cette majo­ri­té du peuple qui a dû vivre sous l’exploitation et l’oubli le plus cruel. Notre pré­oc­cu­pa­tion fon­da­men­tale sera tou­jours la plus grande par­tie du peuple, c’est à dire les classes oppri­mées et exploi­tées. Nous le regar­dons tous à tra­vers ce prisme ; pour nous, sera bon tout ce qui sera bon pour elles ; pour nous sera noble, sera beau et sera utile, tout ce qui sera noble , utile et beau pour elles. Si l’on ne pense pas ain­si, si l’on ne pense pas pour le peuple et par le peuple, c’est à dire si l’on ne pense pas et si l’on n’agit pas pour cette grande masse exploi­tée du peuple, pour cette grande masse que l’on veut rache­ter, alors sim­ple­ment l’on n’a pas une atti­tude révo­lu­tion­naire. Du moins, c’est le cris­tal à tra­vers lequel nous ana­ly­sons le bon, l’utile et le beau de chaque action.

Nous com­pre­nons que cela doit être une tra­gé­die lorsque quelqu’un entend cela et doit cepen­dant se recon­naître inca­pable de lut­ter pour cela. Nous croyons être des révo­lu­tion­naires. Celui qui est plus artiste que révo­lu­tion­naire ne peut pas pen­ser exac­te­ment comme nous. Nous lut­tons pour le peuple et nous ne souf­frons aucun conflit parce que nous lut­tons pour le peuple et nous savons que nous pou­vons réus­sir dans notre lutte. Le peuple est le but prin­ci­pal. Il faut pen­ser au peuple avant de pen­ser à nous-même et ceci est l’unique atti­tude qui peut être défi­nie comme une atti­tude véri­ta­ble­ment révo­lu­tion­naire. Et pour ceux qui ne peuvent avoir ou n’ont pas cette atti­tude mais qui sont des per­sonnes hono­rables, c’est pour elles qu’existe ce pro­blème, et de la même manière que pour eux la Révo­lu­tion consti­tue un pro­blème, eux consti­tuent aus­si un pro­blème pour la Révo­lu­tion et la Révo­lu­tion doit s’en pré­oc­cu­per. On a signa­lé ici, avec pru­dence, le cas de nom­breux écri­vains et artistes qui n’étaient pas révo­lu­tion­naires mais qui cepen­dant étaient des écri­vains et des artistes hon­nêtes et qui, en outre, vou­laient aider la Révo­lu­tion et dont l’aide inté­res­sait la Révo­lu­tion, qui vou­laient tra­vailler pour la Révo­lu­tion et dont la Révo­lu­tion appré­ciait les connais­sances et les efforts pour la faire pro­gres­ser. Ceci est plus facile à appré­cier quand on ana­lyse les cas par­ti­cu­liers et par­mi ces cas par­ti­cu­liers il y en a nom­breux pas facile d’analyser.

Mais, ici, un écri­vain catho­lique a par­lé. Il a posé les pro­blèmes qui le pré­oc­cu­paient, clai­re­ment. Il a deman­dé s’il pou­vait inter­pré­ter de son point de vue idéa­liste un pro­blème déter­mi­né ou s’il pou­vait écrire une œuvre défen­dant ces points de vue. Il a deman­dé fran­che­ment si, sous un régime révo­lu­tion­naire, il pou­vait s’exprimer en accord avec ses sen­ti­ments. Il a posé le pro­blème sous une forme qu’on peut consi­dé­rer comme symbolique.
Ce qui le pré­oc­cu­pait était de savoir s’il pou­vait écrire en accord avec ses sen­ti­ments ou en accord avec cette idéo­lo­gie qui n’était pas pré­ci­sé­ment l’idéologie de la Révo­lu­tion. Il était en accord avec la Révo­lu­tion sur les ques­tions éco­no­miques ou sociales mais il avait une posi­tion phi­lo­so­phique dis­tincte de la phi­lo­so­phie de la Révo­lu­tion. Et c’est un cas digne d’être pris en compte car c’est pré­ci­sé­ment le cas repré­sen­ta­tif d’un ensemble d’écrivains et d’artistes qui sont favo­ra­ble­ment dis­po­sés envers la Révo­lu­tion et veulent savoir quel degré de liber­té ils ont à l’intérieur de la Révo­lu­tion pour s’exprimer en accord avec leurs sen­ti­ments. C’est ce sec­teur qui consti­tue un pro­blème pour la Révo­lu­tion. De la même manière que la Révo­lu­tion consti­tue pour eux un pro­blème et c’est le devoir de la Révo­lu­tion de se pré­oc­cu­per de ces cas ; c’est le devoir de la Révo­lu­tion de se pré­oc­cu­per de la situa­tion de ces artistes et de ces écri­vains car la Révo­lu­tion doit aspi­rer à ce que marchent avec elle non seule­ment tous les révo­lu­tion­naires, tous les artistes et intel­lec­tuels révolutionnaires.

Il est pos­sible que les hommes et les femmes qui ont une atti­tude révo­lu­tion­naire devant la réa­li­té ne soient pas la majo­ri­té de la popu­la­tion ; les révo­lu­tion­naires sont l’avant-garde du peuple mais les révo­lu­tion­naires doivent aspi­rer à ce que tout le peuple marche avec eux ; la Révo­lu­tion ne peut renon­cer à ce que tous les hommes ou femmes hon­nêtes, qu’ils soient ou non écri­vains ou artistes, marchent avec elle ; la Révo­lu­tion doit aspi­rer à ce que tous ceux qui ont des doutes deviennent révo­lu­tion­naires ; la Révo­lu­tion doit essayer de gagner à ses idées la plus grande par­tie du peuple ; la Révo­lu­tion ne doit jamais renon­cer à s’occuper de la majo­ri­té du peuple, à comp­ter non seule­ment avec les révo­lu­tion­naires mais avec tous les citoyens hon­nêtes qui, bien qu’ils ne soient pas révo­lu­tion­naires, c’est à dire bien qu’ils n’aient pas une atti­tude révo­lu­tion­naire devant la vie, sont avec la Révo­lu­tion. La Révo­lu­tion doit seule­ment renon­cer à ceux qui sont incor­ri­gi­ble­ment réac­tion­naires, qui sont incor­ri­gi­ble­ment contre-révolutionnaires.

La Révo­lu­tion doit avoir une poli­tique pour cette par­tie du peuple ; la Révo­lu­tion doit avoir une atti­tude face à ces intel­lec­tuels et à ces écri­vains. La Révo­lu­tion doit com­prendre cette réa­li­té et donc elle doit agir de manière que tous ces artistes et ces intel­lec­tuels qui ne sont pas sim­ple­ment révo­lu­tion­naires trouvent à l’intérieur de la Révo­lu­tion un lieu où tra­vailler et créer et que son esprit créa­teur même lorsqu’il ne s’agit pas d’écrivains ou d’artistes révo­lu­tion­naires aient l’opportunité et la liber­té de s’exprimer à l’intérieur de la Révo­lu­tion. Cela signi­fie tout dans la Révo­lu­tion rien contre la Révo­lu­tion. Rien contre la Révo­lu­tion parce que la Révo­lu­tion a aus­si ses droits et le pre­mier droit de la Révo­lu­tion est le droit d’exister et face au droit de la Révo­lu­tion d’être et d’exister, per­sonne. Du moment que la Révo­lu­tion inclut les inté­rêts du peuple, du moment que la Révo­lu­tion exprime les inté­rêts de la nation entière, per­sonne ne peut allé­guer une rai­son quel­conque ou un quel­conque droit contre elle.

Je crois que cela est bien clair. Quels sont les droits des écri­vains et des artistes révo­lu­tion­naires ou non révo­lu­tion­naires ? A l’intérieur de la Révo­lu­tion : tout, contre la Révo­lu­tion : aucun droit (applau­dis­se­ments).

Fidel.jpg

Et ce n’est pas une loi d’exception pour les artistes et les écri­vains. Ceci est un prin­cipe géné­ral pour tous les citoyens. C’est un prin­cipe fon­da­men­tal de la Révo­lu­tion. Les contre-révo­lu­tion­naires, c’est à dire les enne­mis de la Révo­lu­tion, n’ont aucun droit contre la Révo­lu­tion parce que la Révo­lu­tion a un droit : le droit d’exister, le droit de se déve­lop­per et le droit de vaincre et qui pour­rait dou­ter de ce droit d’un peuple qui a dit : LA PATRIE OU LA MORT, c’est à dire la Révo­lu­tion ou la mort.

L’existence de la Révo­lu­tion ou rien ; d’une Révo­lu­tion qui a dit : NOUS VAINCRONS, c’est à dire qu’elle s’est fixé très sérieu­se­ment un but et, pour res­pec­tables que soient les rai­son­ne­ments per­son­nels d’un enne­mi de la Révo­lu­tion, beau­coup plus res­pec­tables sont les droits et les rai­sons d’une Révo­lu­tion, d’autant plus qu’une Révo­lu­tion est un pro­ces­sus his­to­rique, qu’une Révo­lu­tion n’est et ne peut être l’œuvre du caprice ou de la volon­té de per­sonne, qu’une Révo­lu­tion peut seule­ment être l’œuvre de la néces­si­té et de la volon­té de tout un peuple et face au droit de tout un peuple, les droits des enne­mis de ce peuple ne comptent pas.

Lorsque nous par­lons de cas extrêmes, nous le ferons sim­ple­ment pour expri­mer nos idées avec plus de clar­té. J’ai déjà dit que par­mi ces cas extrêmes, il y a une grande varié­té d’attitudes men­tales et aus­si une grande varié­té de pré­oc­cu­pa­tions. Cela ne signi­fie pas néces­sai­re­ment qu’avoir une pré­oc­cu­pa­tion quel­conque signi­fie ne pas être révo­lu­tion­naire. Nous avons essayé de défi­nir les atti­tudes essentielles.

La Révo­lu­tion ne peut pas pré­tendre étouf­fer l’art ou la culture alors qu’un des buts fon­da­men­taux de la Révo­lu­tion est de déve­lop­per l’art et la culture afin que, pré­ci­sé­ment, l’art et la culture soient le vrai patri­moine du peuple. Et, de même que nous avons vou­lu pour le peuple une vie meilleure du point de vue maté­riel, nous vou­lons pour le peuple une vie meilleure aus­si du point de vue spi­ri­tuel, et nous vou­lons pour le peuple une vie meilleure du point de vue cultu­rel. Et, de même que la Révo­lu­tion se pré­oc­cupe du déve­lop­pe­ment des condi­tions et des forces qui per­mettent au peuple la satis­fac­tion de tous ses besoins maté­riels, nous vou­lons déve­lop­per aus­si des condi­tions qui per­mettent au peuple la satis­fac­tion de tous ses besoins cultu­rels. Le peuple a‑t-il un faible niveau de culture ? Un grand pour­cen­tage du peuple ne sait ni lire ni écrire ? De même, une grande par­tie du peuple a faim, ou du moins, vit ou vivait dans des condi­tions dures. Il vivait dans des condi­tions misé­rables. Une par­tie du peuple manque d’un grand nombre de biens maté­riels qui lui sont indis­pen­sables et nous essayons de créer les condi­tions néces­saires pour que tous ces biens maté­riels soient don­nés au peuple.

De la même manière, nous devons créer les condi­tions néces­saires pour que tous ces biens cultu­rels soient don­nés au peuple. Cela ne veut pas dire que l’artiste doit sacri­fier la valeur de ses créa­tions ni sa qua­li­té. Cela veut dire que nous devons lut­ter dans tous les sens pour que le créa­teur pro­duise pour le peuple et que le peuple, à son tour, élève son niveau cultu­rel pour se rap­pro­cher des créa­teurs. On ne peut pas don­ner une règle de carac­tère géné­ral ; toutes les mani­fes­ta­tions artis­tiques ne sont pas exac­te­ment de même nature et par­fois, nous avons posé ici le pro­blème comme si toutes les mani­fes­ta­tions artis­tiques étaient exac­te­ment de même nature, il y a des expres­sions de l’esprit créa­teur qui, par leur propre nature, peuvent être beau­coup plus acces­sible au peuple que d’autres mani­fes­ta­tions de l’esprit créa­teur. Ain­si, on ne peut pas don­ner une règle géné­rale. En effet, dans quelle expres­sion artis­tique l’artiste doit-il aller au peuple et dans laquelle, le peuple doit-il aller à l’artiste ? Peut-on don­ner une règle géné­rale de ce point de vue ? Non. Ce serait une règle trop simple. Il faut s’efforcer dans toutes les mani­fes­ta­tions d’aller au peuple mais de même, il faut faire tout ce qui est à notre por­tée pour que le peuple puisse com­prendre, chaque fois, davan­tage et mieux. Je crois que ce prin­cipe ne contre­dit les aspi­ra­tions d’aucun artiste et encore moins si on prend en compte l’idée que les hommes doivent créer pour leurs contemporains.

On ne dit pas qu’il y a des artistes qui vivent en pen­sant à la pos­té­ri­té car cer­tai­ne­ment, sans la pen­sée de consi­dé­rer notre juge­ment comme infaillible, je crois que celui qui pro­cède ain­si s’autosuggestionne (applau­dis­se­ments).

Et cela ne veut pas dire que celui qui tra­vaille pour ses contem­po­rains doive renon­cer à ce que son œuvre passe à la pos­té­ri­té car pré­ci­sé­ment, en créant pour ses contem­po­rains, indé­pen­dam­ment du fait que ses contem­po­rains l’aient com­pris ou non, les œuvres peuvent acqué­rir une valeur his­to­rique et une valeur uni­ver­selle. Nous ne sommes pas en train de faire une Révo­lu­tion pour les géné­ra­tions à venir mais nous la fai­sons avec cette géné­ra­tion et pour cette géné­ra­tion, indé­pen­dam­ment du fait que les béné­fices de cette œuvre pro­fitent aux géné­ra­tions futures et deviennent un fait his­to­rique. Nous ne fai­sons pas une Révo­lu­tion pour la pos­té­ri­té, cette Révo­lu­tion pas­se­ra à la pos­té­ri­té parce que c’est une Révo­lu­tion pour main­te­nant et pour les hommes et les femmes de main­te­nant (applau­dis­se­ments).

Qui nous sui­vrait si nous fai­sions une Révo­lu­tion pour les géné­ra­tions futures ? Nous tra­vaillons et créons pour nos contem­po­rains sans que cela n’enlève à aucune créa­tion artis­tique le mérite d’aspirer à l’éternité.

Ce sont des véri­tés que nous devons tous ana­ly­ser avec pro­bi­té. Et je crois qu’il faut par­tir de cer­taines véri­tés fon­da­men­tales pour ne pas tirer de conclu­sions erro­nées. Et nous ne voyons pas qu’il puisse y avoir de motif de pré­oc­cu­pa­tion pour aucun artiste ou écri­vain hon­nête. Nous ne sommes pas enne­mis de la liber­té, per­sonne ici n’est enne­mi de la liber­té. Qui crai­gnons-nous ? Quelle auto­ri­té crai­gnons-nous qui asphyxie notre esprit créa­teur ? Ou bien alors, nous crai­gnons les com­pa­gnons du Conseil Natio­nal de la Culture. Dans les conver­sa­tions avec les com­pa­gnons du Conseil Natio­nal de la Culture, nous avons obser­vé des points de vue et des sen­ti­ments qui sont tout à fait étran­gers aux pré­oc­cu­pa­tions qui ont été évo­quées ici au sujet des limi­ta­tions, des entraves et des règles de style impo­sées à l’esprit créateur.

Notre conclu­sion est que les com­pa­gnons du Conseil Natio­nal sont aus­si pré­oc­cu­pés que vous tous de trou­ver les meilleures condi­tions pour que l’esprit créa­teur des artistes et des intel­lec­tuels se déve­loppent. C’est un devoir de la Révo­lu­tion et du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire de pou­voir comp­ter sur un organe hau­te­ment qua­li­fié qui sti­mule, fomente, déve­loppe et oriente cet esprit créa­teur. Nous consi­dé­rons cela comme un devoir et cela peut peut-être consti­tuer une atteinte au droit des écri­vains et des artistes, cela peut consti­tuer une menace contre le droit des écri­vains et des artistes par la crainte qu’il com­mette un acte arbi­traire ou un excès d’autorité. De la même façon, nous pou­vons craindre qu’en pas­sant au feu un poli­cier nous arrête. De la même manière, nous pou­vons craindre que le juge nous condamne. De la même manière nous pou­vons craindre que la force exis­tante dans le Pou­voir Révo­lu­tion­naire com­mette un acte de vio­lence contre nous.

C’est à dire que nous devrions alors nous pré­oc­cu­per de toutes ces choses et cepen­dant, l’attitude du citoyen n’est pas de croire que le mili­cien va lui tirer des­sus, que le juge va le sanc­tion­ner, que le Pou­voir va user de vio­lence contre sa personne.

L’existence d’une auto­ri­té cultu­relle ne signi­fie pas qu’on doive craindre un abus d’autorité. En effet, quel est celui qui désire que cette auto­ri­té cultu­relle n’existe pas ? De la même façon, il pour­rait dési­rer que la Milice n’existe pas, que la Police n’existe pas, que le Pou­voir de l’État n’existe pas et même que l’État n’existe pas. Et si une per­sonne désire tel­le­ment que l’autorité de l’État n’existe pas, alors qu’elle ne s’en fasse pas, qu’elle soit patiente, car un jour arri­ve­ra où l’État non plus n’existera plus. (applau­dis­se­ments)

Il faut un Conseil qui oriente, qui sti­mule, qui déve­loppe, qui tra­vaille pour créer les meilleures condi­tions pour le tra­vail de l’artiste et des intel­lec­tuels et quel est le pre­mier défen­seur des inté­rêts des artistes et des intel­lec­tuels sinon ce Conseil lui- même ? Qui pro­pose des lois et sug­gère des mesures de dif­fé­rentes sortes pour amé­lio­rer ces condi­tions, sinon le Conseil Natio­nal de la Culture ? Qui pro­pose une loi sur la Presse natio­nale pour remé­dier à ces défi­ciences qui ont été signa­lées ici ? Qui pro­pose la créa­tion de l’Institut d’Ethnologie et du Folk­lore, sinon, pré­ci­sé­ment, le Conseil Natio­nal ? Qui inter­cède pour que l’on dis­pose du bud­get et des devises néces­saires pour ame­ner des livres qui n’entrent plus dans le pays depuis plu­sieurs mois ; pour acqué­rir du maté­riel pour que les peintres et les artistes plas­tiques puissent tra­vailler ? Qui se pré­oc­cupe des pro­blèmes éco­no­miques, c’est à dire des condi­tions maté­rielles des artistes ? Quel orga­nisme se pré­oc­cupe de toute une série de besoins actuels des écri­vains et des artistes ? Qui défend au sein du gou­ver­ne­ment les bud­gets, les construc­tions et les pro­jets des­ti­nés pré­ci­sé­ment à éle­ver le niveau des condi­tions dans les­quelles vous allez tra­vailler ? C’est pré­ci­sé­ment le Conseil Natio­nal de la Culture.
Pour­quoi faire des réserves sur ce Conseil ? Pour­quoi regar­der cette auto­ri­té comme une auto­ri­té qui va pré­ci­sé­ment faire le contraire, limi­ter nos condi­tions, asphyxier notre esprit créateur ?

On conçoit que vont se pré­oc­cu­per de cette auto­ri­té ceux qui n’ont aucun pro­blème d’aucune sorte ; mais en réa­li­té, ceux qui peuvent appré­cier la néces­si­té de toute la ges­tion et de tout le tra­vail que doit faire le Conseil ne le regar­de­ront jamais avec réserve car le Conseil a aus­si une obli­ga­tion envers le peuple, il a une obli­ga­tion envers la Révo­lu­tion et envers le Gou­ver­ne­ment Révo­lu­tion­naire, c’est à dire accom­plir les objec­tifs pour les­quels il a été créé et il a autant d’intérêts dans le suc­cès de son tra­vail que chaque artiste dans le sien.

Je ne sais pas si quelques-uns des pro­blèmes fon­da­men­taux qui ont été signa­lés ici vont me res­ter. On a beau­coup par­lé du pro­blème du film. Moi, je n’ai pas vu le film, bien que j’ai envie de le voir. Je suis curieux de le voir. Le film a‑t-il été mal­trai­té ? En réa­li­té, je crois qu’aucun film n’a reçu autant d’honneurs et qu’aucun film n’a été autant discuté.

Quoique nous n’ayons pas vu ce film, nous nous en sommes remis au juge­ment de com­pa­gnons qui l’ont vu, par­mi eux le juge­ment du com­pa­gnon Pré­sident et le juge­ment des dif­fé­rents com­pa­gnons du Conseil Natio­nal de la Culture. C’est un juge­ment et une opi­nion qui méritent, pour nous, tout le res­pect mais il y a quelque chose qui, je crois, ne peut être dis­cu­té, et c’est le droit éta­bli par la Loi d’exercer la fonc­tion que dans ce cas a exer­cé l’Institut du Ciné­ma ou la Com­mis­sion de Cen­sure. Peut-on par hasard dis­cu­ter ce droit du gou­ver­ne­ment ? Le gou­ver­ne­ment a‑t-il le droit ou non d’exercer cette fonc­tion ? Pour nous, dans ce cas, ce qui est fon­da­men­tal, c’est, avant tout, de pré­ci­ser si ce droit du gou­ver­ne­ment exis­tait ou n’existait pas. On pour­rait dis­cu­ter la ques­tion de la pro­cé­dure, déter­mi­nant si elle ne fut pas amiable, si une pro­cé­dure à l’amiable aurait pu être meilleure. On peut même dis­cu­ter si la déci­sion a été juste ou non mais il y a quelque chose que per­sonne ne dis­cute, et c’est le droit du gou­ver­ne­ment à exer­cer cette fonc­tion parce que si on attaque ce droit, alors, cela signi­fie­rait que le gou­ver­ne­ment n’a pas le droit de cen­su­rer les films que l’on va mon­trer au peuple.

Et je crois que c’est un droit qui ne se dis­cute pas. Il y a, en outre, quelque chose que nous com­pre­nons tous par­fai­te­ment, c’est que, par­mi les mani­fes­ta­tions de type intel­lec­tuel et artis­tique, cer­taines ont une impor­tance quant à l’éducation du peuple, ou à la for­ma­tion idéo­lo­gique du peuple, supé­rieure à d’autres types de mani­fes­ta­tions artis­tiques. Et je ne crois pas que per­sonne puisse dis­cu­ter le fait que, un de ces médias fon­da­men­taux et très impor­tants, est le ciné­ma, comme la télé­vi­sion. Et, en réa­li­té, on pour­rait dis­cu­ter au sein de la Révo­lu­tion, le droit qu’a le gou­ver­ne­ment, de régu­ler, cen­su­rer et fis­ca­li­ser les films que l’on montre au peuple, c’est peut-être de cela que nous discutons ?

Et peut-on consi­dé­rer comme une limi­ta­tion ou une inter­dic­tion le droit du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire de fis­ca­li­ser ces moyens de divul­ga­tion qui ont tant d’influence sur le peuple ?

Si nous atta­quons ce droit du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire, nous entrons dans un pro­blème de prin­cipes, car nier cette facul­té au gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire serait nier sa fonc­tion et sa res­pon­sa­bi­li­té, sur­tout au milieu d’une lutte révo­lu­tion­naire, de diri­ger le peuple et de diri­ger la Révo­lu­tion. Et par­fois, il a sem­blé que l’on atta­quait ce droit du gou­ver­ne­ment, et en réa­li­té, si l’on attaque ce droit du gou­ver­ne­ment, nous, nous pen­sons que le gou­ver­ne­ment a ce droit. Et s’il a ce droit, il peut l’utiliser. Il peut le faire de façon équi­voque, nous ne pré­ten­dons pas que le gou­ver­ne­ment est infaillible. Le gou­ver­ne­ment agis­sant dans l’exercice d’un droit ou d’une fonc­tion qui lui appar­tient, n’est pas néces­sai­re­ment infaillible mais quel est celui qui fait tant de réserves par rap­port au gou­ver­ne­ment, quel est celui qui doute tel­le­ment, quel est celui qui a tant de soup­çons, par rap­port au gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire, quel est celui qui se méfie tant du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire, qui, même quand il estime qu’une déci­sion est une erreur, éprouve véri­ta­ble­ment de la ter­reur en pen­sant que le gou­ver­ne­ment peut tou­jours se trom­per ? Je ne suis pas en train d’affirmer peu ou prou que le gou­ver­ne­ment se soit trom­pé en pre­nant cette déci­sion, ce que j’affirme, c’est que le gou­ver­ne­ment usait d’un droit. J’essaie de me mettre à la place de ceux qui ont tra­vaillé à ce film, j’essaie d’entrer dans l’esprit de ceux qui ont fait le film et même, j’essaie de com­prendre leur peine, leur dégoût, leur dou­leur parce que le film n’a pas été dis­tri­bué. N’importe qui peut com­prendre cela par­fai­te­ment, mais il faut com­prendre que le gou­ver­ne­ment a agi en usant d’un droit et ce fut un juge­ment qui s’est appuyé sur des com­pa­gnons com­pé­tents et res­pon­sables du gou­ver­ne­ment et qu’en réa­li­té, il n’y a aucune rai­son réelle pour se méfier de l’esprit de jus­tice et d’équité des hommes du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire car le gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire n’a don­né aucune rai­son pour que quelqu’un puisse dou­ter de son esprit de jus­tice et d’équité.

Nous ne pou­vons pas pen­ser que nous sommes par­faits et même nous ne pou­vons pas pen­ser que nous soyons exempts de pas­sions. Cer­tains pour­raient signa­ler que cer­tains com­pa­gnons du gou­ver­ne­ment sont pas­sion­nés ou ne sont pas exempts de pas­sions mais ceux qui croient une telle chose peuvent-ils véri­ta­ble­ment affir­mer que, eux-mêmes sont exempts de passions ?

Et peuvent-ils repro­cher des atti­tudes de type per­son­nel à cer­tains com­pa­gnons sans accep­ter que leurs propres opi­nions puissent être ins­pi­rées aus­si par des atti­tudes de type per­son­nel ? Ici, nous pour­rions dire que celui qui se sent par­fait ou étran­ger aux pas­sions, lance la pre­mière pierre.

Je crois que, dans la dis­cus­sion, on a intro­duit de la pas­sion et qu’on en a fait une affaire de per­sonne et dans ces dis­cus­sions, n’y a‑t-il pas eu une affaire de per­sonne, n’y a‑t-il pas eu de la pas­sion ? Tout le monde est-il venu là abso­lu­ment sans pas­sion et sans par­ti-pris per­son­nel ? Est-ce que tous, abso­lu­ment, nous sommes venus sans esprit de groupe ? N’y a‑t-il pas eu des cou­rants et des ten­dances dans cette dis­cus­sion ? On ne peut nier cela. Si un enfant de six ans avait été assis ici, il se serait ren­du compte des dif­fé­rents cou­rants, des dif­fé­rents points de vue et des dif­fé­rentes pas­sions qui s’affrontaient.

Les com­pa­gnons ont dit plu­sieurs choses, ils ont dit des choses inté­res­santes, cer­tains même des choses brillantes, tous ont été très « éru­dits » mais au-des­sus de tout, il y a eu une réa­li­té, la réa­li­té même de la dis­cus­sion, et la liber­té avec laquelle tous ont pu s’exprimer et défendre leur point de vue. La liber­té avec laquelle tous ont pu par­ler et expo­ser ici leurs cri­tères au sein d’une grande réunion et qui a été chaque jour plus grande. Une réunion que nous consi­dé­rons comme posi­tive, une réunion où nous avons pu dis­si­per toute une série de doutes et de pré­oc­cu­pa­tions et qu’il y ait eu des que­relles, qui en doute ? Et qu’il y ait eu des guerres et des gué­guerres entre les écri­vains et les artistes, qui en doute ? Et qu’il y ait eu des cri­tiques et des super cri­tiques, qui en doute ? Et que quelques com­pa­gnons aient essayé leurs armes aux dépends d’autres com­pa­gnons, qui en doute ?

Ici, ont par­lé les bles­sés, expri­mant leurs plaintes contre ce qu’ils ont consi­dé­ré comme des attaques injustes. Heu­reu­se­ment, il n’y a pas eu de cadavres mais seule­ment des bles­sés et même des com­pa­gnons qui se remettent à peine des bles­sures reçues et quelques-uns par­mi eux pré­sen­taient comme une injus­tice évi­dente le fait qu’on les ait atta­qués avec des canons de gros calibres, sans qu’ils puissent même ripos­ter. Qu’il y ait eu des cri­tiques dures, qui en doute ? Et, en un cer­tain sens, ici s’est posé un pro­blème que nous n’avons pas la pré­ten­tion d’élucider en deux mots mais je crois que par­mi les choses qui se sont dis­cu­tées ici, l’une des plus cor­rectes est que l’esprit de la cri­tique devait être construc­tif, devait être posi­tif et non des­truc­teur. C’est ce que nous pen­sons mais en géné­ral, on n’en tient pas compte. Ain­si, la parole cri­tique est deve­nue syno­nyme d’attaque, alors qu’en réa­li­té, ce n’est pas cela. Lorsqu’on dit à quelqu’un : « Un tel t’a cri­ti­qué », ce quelqu’un est furieux avant de deman­der ce que réel­le­ment on a dit sur lui, c’est à dire, il pense qu’on l’a détruit. Si, en réa­li­té, à quelqu’un d’entre nous qui avons été étran­gers à ces pro­blèmes ou à ces luttes –à ces passes d’armes- on nous explique le cas de quelques com­pa­gnons qui ont été pra­ti­que­ment au bord d’une dépres­sion incu­rable à cause de cri­tiques des­truc­trices diri­gées contre eux, il est pos­sible que nous sym­pa­thi­sions avec les vic­times parce que nous avons tou­jours ten­dance à sym­pa­thi­ser avec les victimes.

Nous, qui, sin­cè­re­ment, dési­rons contri­buer à la com­pré­hen­sion et à l’union de tous, avons essayé d’éviter des paroles qui pou­vaient bles­ser ou décou­ra­ger qui que ce soit mais un fait est incon­tour­nable, c’est qu’il puisse y avoir des luttes ou des contro­verses dans les­quelles les condi­tions ne sont pas égales pour tous. Cela, selon le point de vue de la Révo­lu­tion, ne peut être juste. La Révo­lu­tion ne peut pas don­ner des armes aux uns contre les autres, la Révo­lu­tion ne doit pas don­ner des armes aux uns contre les autres et nous croyons que les écri­vains et artistes doivent tous avoir la pos­si­bi­li­té de s’exprimer. Nous pen­sons que les écri­vains et artistes, au tra­vers de leur asso­cia­tion, doivent avoir un maga­sine cultu­rel impor­tant, auquel tous aient accès. Cela ne vous semble-t-il pas une solu­tion juste ? Mais la Révo­lu­tion ne peut pas mettre ses recours dans les mains d’un groupe. La Révo­lu­tion peut et doit mobi­li­ser ses recours de manière qu’ils puissent être ample­ment uti­li­sés par tous les écri­vains et artistes. Vous allez consti­tuer promp­te­ment l’Association des Artistes, vous allez vous ras­sem­bler en Congrès. Ce Congrès doit se réunir dans un esprit véri­ta­ble­ment construc­tif et nous sommes confiants dans le fait que vous êtes capables de le faire dans cet esprit. De ce Congrès sur­gi­ra une forte Asso­cia­tion d’Artistes et Écri­vains à laquelle tous doivent par­ti­ci­per dans un esprit véri­ta­ble­ment construc­tif car si quelqu’un pense qu’on veut l’éliminer, si quelqu’un pense qu’on veut l’étouffer, nous pour­rons lui assu­rer qu’il s’est com­plè­te­ment trompé.

C’est le moment où, de façon orga­ni­sée, et avec tout votre enthou­siasme, vous devez rem­plir les tâches qui sont les vôtres dans la Révo­lu­tion et consti­tuer un grand orga­nisme de tous les écri­vains et artistes. Je ne sais pas si les ques­tions posées ici se dis­cu­te­ront au Congrès mais nous savons que le Congrès va se réunir et que ses tra­vaux, de même que ceux de l’Association des Écri­vains et Artistes, seront un bon thème de dis­cus­sion pour nos pro­chaines réunions. Nous croyons que nous devons nous réunir à nou­veau, à tout le moins, nous ne vou­lons pas nous pri­ver du plai­sir et de l’utilité de ces réunions qui ont atti­ré notre atten­tion sur ces pro­blèmes. Il faut que nous nous réunis­sions de nou­veau. Qu’est-ce que cela signi­fie ? que nous devons conti­nuer à dis­cu­ter sur ces pro­blèmes. C’est à dire qu’il va se pas­ser quelque chose qui doit ras­su­rer tout le monde, et c’est de connaître l’intérêt qu’a le gou­ver­ne­ment pour les pro­blèmes et en même temps les oppor­tu­ni­tés du futur, de dis­cu­ter toutes les ques­tions dans de grandes assem­blées. Il nous semble que cela doit être un motif de satis­fac­tion pour les écri­vains et pour les artistes et de cette façon, nous aus­si, nous conti­nue­rons à nous infor­mer et à mieux connaître les problèmes.

Le Conseil Natio­nal de la Culture doit avoir aus­si un autre organe de dif­fu­sion. Je crois que cela remet les choses à leur place et cela ne peut pas s’appeler culture diri­gée ni asphyxie de l’esprit créa­teur artis­tique. N’importe qui qui pos­sède les cinq sens et est en outre artiste de véri­té peut-il pen­ser que cela consti­tue une asphyxie de l’esprit créa­teur ? La Révo­lu­tion veut que les artistes fassent le maxi­mum d’efforts en faveur du peuple, elle veut qu’ils mettent le maxi­mum d’intérêts et d’efforts dans l’œuvre révo­lu­tion­naire et nous croyons que c’est une aspi­ra­tion juste de la Révolution.

Est-ce que cela veut dire que nous allons indi­quer aux gens ce qu’ils doivent écrire ? Non. Que cha­cun écrive ce qu’il veut et si ce qu’il écrit ne sert pas, tant pis pour lui, si ce qu’il peint ne sert pas, tant pis pour lui. Nous ne défen­dons à per­sonne d’écrire sur le thème qu’il pré­fère, au contraire, et que cha­cun s’exprime dans la forme qu’il estime per­ti­nente et qu’il exprime libre­ment l’idée qu’il veut expri­mer. Nous appré­cie­rons tou­jours sa créa­tion à tra­vers le prisme du cris­tal révo­lu­tion­naire. C’est aus­si un droit du gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire, aus­si res­pec­table que le droit de cha­cun d’exprimer ce qu’il veut exprimer.

Nous sommes en train de prendre une série de mesures, dont nous vous avons signa­lé quelques-unes. Pour ceux qui se pré­oc­cu­paient du pro­blème de l’Imprimerie Natio­nale, nous les infor­mons qu’il y a une loi qui règle son fonc­tion­ne­ment, créant dif­fé­rentes édi­tions qui s’occuperont des dif­fé­rents besoins de l’édition, pal­liant aux manques actuels. L’imprimerie Natio­nale, orga­nisme récem­ment créé, qui a dû débu­ter dans des condi­tions de tra­vail dif­fi­ciles, car il a fal­lu com­men­cer à tra­vailler dans un jour­nal qui a brus­que­ment fer­mé (et nous étions pré­sents le jour où ce jour­nal devint la pre­mière impri­me­rie du pays, avec tous ses ouvriers et rédac­teurs) et qui, en outre, a dû s’occuper de la publi­ca­tion d’œuvres urgentes dont plu­sieurs de type mili­taire, il a des défi­ciences aux­quelles nous remé­die­rons. Il n’y aura plus lieu de se plaindre comme dans cette réunion au sujet de l’imprimerie Nationale.

De même, nous pre­nons les accords néces­saires pour acqué­rir des livres, pour acqué­rir du maté­riel de tra­vail, c’est à dire résoudre tous les pro­blèmes qui ont pré­oc­cu­pé les écri­vains et les artistes et sur les­quels le Conseil Natio­nal de la Culture a beau­coup insis­té ; pour que vous sachiez que, dans l’État, il y a dif­fé­rent dépar­te­ments et dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions et que, à l’intérieur de l’État, cha­cun réclame et désire pou­voir comp­ter sur les res­sources néces­saires pour satis­faire ses aspi­ra­tions et accom­plir cor­rec­te­ment ses fonc­tions. Nous vou­lons signa­ler quelques aspects sur les­quels nous avons déjà avan­cé et qui doivent être un motif d’encouragement pour nous tous. Par exemple, le suc­cès obte­nu avec l’Orchestre Sym­pho­nique qui a été recons­truit et réha­bi­li­té tota­le­ment et qui, non seule­ment a atteint des niveaux éle­vés dans l’ordre artis­tique, mais aus­si dans l’ordre révo­lu­tion­naire, parce que cin­quante membres de l’Orchestre Sym­pho­nique sont miliciens.

Le Bal­let de Cuba, aus­si, a été recons­truit et vient de faire une tour­née à l’étranger où il a recueilli l’admiration et l’estime de tous les pays visités.
L’ensemble de Danse Moderne a aus­si du suc­cès actuel­le­ment et a reçu de grands éloges en Europe. La Biblio­thèque Natio­nale, de son côté, déve­loppe une poli­tique en faveur de la culture, elle fait effort pour éveiller l’intérêt du peuple pour la musique, pour la pein­ture, elle a créé un dépar­te­ment de pein­ture dans le but de faire connaître les œuvres au peuple, un dépar­te­ment de musique, un dépar­te­ment pour les jeunes, et aus­si une sec­tion pour les enfants.

Nous-mêmes, peu avant de pas­ser à ce salon, nous avons visi­té le dépar­te­ment de la Biblio­thèque Natio­nale pour les enfants, nous avons vu les enfants qui y par­ti­cipent, le tra­vail qui s’y fait, et les avan­cées que la Biblio­thèque Natio­nale a réus­sies consti­tuent un motif pour que le gou­ver­ne­ment lui donne les res­sources dont elle a besoin pour conti­nuer à déve­lop­per ce tra­vail. L’imprimerie Natio­nale est déjà une réa­li­té et avec la nou­velle orga­ni­sa­tion, c’est aus­si une conquête de la Révo­lu­tion qui contri­bue­ra à la pré­pa­ra­tion du peuple d’une façon extraordinaire.

L’institut du Ciné­ma est aus­si une réa­li­té. Pen­dant toute cette pre­mière étape, fon­da­men­ta­le­ment, on a fait les inves­tis­se­ments néces­saires pour le doter des équi­pe­ments et du maté­riel dont il a besoin pour tra­vailler. A tout le moins, la Révo­lu­tion a éta­bli les bases de l’Industrie du Ciné­ma, ce qui repré­sente un grand effort si l’on prend en compte le fait que notre pays n’est pas indus­tria­li­sé et cela a signi­fié des sacri­fices pour l’acquisition de tout cet équi­pe­ment. En outre, si dans le domaine du ciné­ma il n’y a pas plus de faci­li­té, ce n’est pas en rai­son d’une poli­tique res­tric­tive du gou­ver­ne­ment, mais sim­ple­ment à cause de la rare­té des moyens éco­no­miques actuels pour créer un mou­ve­ment d’amateurs qui per­mette le déve­lop­pe­ment de tous les talents au ciné­ma et qui sera mis en place quand nous en aurons les moyens. La poli­tique menée à l’Institut du Ciné­ma, de son côté, sera l’objet de dis­cus­sions et, en outre, d’émulation entre les dif­fé­rentes équipes de tra­vail. On ne peut pas juger encore du tra­vail de l’ICAIC. L’Institut du Ciné­ma n’a pu encore avoir le temps de réa­li­ser une œuvre qui puisse être jugée mais il a tra­vaillé et nous savons qu’une série de ses docu­men­taires a gran­de­ment contri­bué à dif­fu­ser à l’étranger l’œuvre de la Révo­lu­tion. Mais, ce qu’il importe de com­prendre, c’est que les bases pour l’industrie du ciné­ma sont main­te­nant établies.

On a réa­li­sé aus­si un tra­vail de publi­ci­té, de confé­rences, d’extension cultu­relle par­mi les dif­fé­rents orga­nismes mais ceci n’est rien en com­pa­rai­son de ce que l’on peut faire et en com­pa­rai­son de ce que la Révo­lu­tion aspire à faire.

Il existe encore toute une série de ques­tions à résoudre, qui inté­ressent les écri­vains et les artistes. Il y a des pro­blèmes d’ordre maté­riel, c’est à dire d’ordre éco­no­mique. Les condi­tions d’avant n’existent plus actuel­le­ment. Aujourd’hui, n’existe plus ce petit sec­teur pri­vi­lé­gié qui acqué­rait les œuvres des artistes, quoi qu’à des prix de misère, si bien que plus d’un artiste a fini dans l’indigence et l’oubli. Il reste à regar­der en face et résoudre ces pro­blèmes. Le gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire doit les résoudre et ils doivent être la pré­oc­cu­pa­tion du Conseil Natio­nal de la Culture, de même que le pro­blème des artistes qui ne pro­duisent plus et sont com­plè­te­ment désem­pa­rés, en garan­tis­sant à l’artiste, non seule­ment des condi­tions maté­rielles adé­quates pour le pré­sent, mais aus­si la sécu­ri­té pour le futur. En un cer­tain sens, avec la réor­ga­ni­sa­tion de l’Institut des Droits d’Auteur, on a réus­si à amé­lio­rer consi­dé­ra­ble­ment les condi­tions de vie d’une série d’auteurs qui étaient exploi­tés et dont on bafouait les droits. Ceux-ci béné­fi­cient aujourd’hui d’avancées qui ont per­mis à beau­coup de sor­tir de la situa­tion de pau­vre­té extrême dans laquelle ils se trouvaient.
Ce sont des pas que la Révo­lu­tion a faits mais ce ne sont que quelques pas qui doivent pré­cé­der d’autres pas qui devront créer de meilleures condi­tions encore.

Nous avons aus­si le pro­jet d’organiser un lieu de repos et de tra­vail pour les artistes et les écri­vains. Alors que nous étions en train de visi­ter le ter­ri­toire natio­nal, nous avons eu l’idée, dans un très bel endroit de l’Ile des Pins, de construire un quar­tier, un vil­lage au milieu des pins pour récom­pen­ser et rendre hom­mage aux écri­vains et aux artistes (à cette époque, nous pen­sions créer un prix pour les meilleurs écri­vains et artistes pro­gres­sistes du monde). Ce pro­jet n’a pas pris corps mais il peut être revu pour créer un vil­lage dans un endroit pai­sible qui invite au repos, qui invite à écrire et je crois que cela vaut la peine que les artistes, et par­mi eux les archi­tectes, com­mencent à des­si­ner et à conce­voir le lieu de repos idéal pour un écri­vain et un artiste, et voir s’ils se mettent d’accord là-des­sus. Le gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire est, pour sa part, déci­dé à don­ner les sub­sides néces­saires à ce pro­jet. Et est-ce que la pla­ni­fi­ca­tion de ce pro­jet sera une limi­ta­tion impo­sée à l’esprit créa­teur par nous, les révo­lu­tion­naires ? Car, en un cer­tain sens, il ne faut pas oublier que nous, les révo­lu­tion­naires nous nous voyons main­te­nant devant la réa­li­té de la pla­ni­fi­ca­tion et cela nous pose, à nous, un pro­blème car jusqu’à main­te­nant, nous avons été des esprits créa­teurs d’initiatives révo­lu­tion­naires et de finan­ce­ment éga­le­ment révo­lu­tion­naire qu’il nous faut main­te­nant pla­ni­fier. Ain­si, n’allez pas croire que nous n’avons pas de pro­blèmes et que de notre point de vue, nous ne puis­sions aus­si pro­tes­ter contre cela. C’est à dire que l’on sait déjà ce que l’on va faire l’an pro­chain, l’année sui­vante et l’année sui­vante. Qui va dis­cu­ter la néces­si­té de pla­ni­fier l’économie ? Mais, à l’intérieur de cette pla­ni­fi­ca­tion peut se trou­ver la construc­tion d’un lieu de repos pour les écri­vains et les artistes et vrai­ment, ce serait une satis­fac­tion, que la Révo­lu­tion puisse comp­ter cette réa­li­sa­tion par­mi ses œuvres.

Nous avons été ici pré­oc­cu­pés par la situa­tion actuelle des écri­vains et des artistes et nous avons un peu oublié les pers­pec­tives du futur. Et nous, qui n’avons pas de quoi nous plaindre de vous, nous avons pris le temps de pen­ser aux artistes et aux écri­vains du futur et à la manière dont leur réunion va se pas­ser, de la même façon que se réuni­ront les hommes du gou­ver­ne­ment dans le futur, dans cinq, dans dix ans – je ne veux pas dire que ce sera nous exac­te­ment – avec les écri­vains et les artistes quand la culture aura atteint l’extraordinaire déve­lop­pe­ment que nous vou­drions qu’elle atteigne, quand nous récol­te­rons les pre­miers fruits du plan d’académies et d’écoles qui existe actuellement.

Bien avant que l’on se pré­oc­cupe de ces ques­tions, le Gou­ver­ne­ment Révo­lu­tion­naire s’occupait déjà de l’extension de la culture au peuple. Nous avons tou­jours été très opti­mistes. Je crois que l’on ne peut être révo­lu­tion­naire si l’on n’est pas opti­miste car les dif­fi­cul­tés qu’une Révo­lu­tion doit vaincre sont très grandes et il faut de l’optimisme. Un pes­si­miste ne pour­rait jamais être révolutionnaire.

La Révo­lu­tion s’est faite par étapes. Il y a eu une étape où une série d’initiatives éma­nait de divers orga­nismes. Même l’INRA réa­li­sait des acti­vi­tés pour étendre la culture. Nous n’avons pas ces­sé de nous battre même avec le Théâtre Natio­nal car là-bas, se fai­sait un tra­vail et nous, sou­dain, nous en fai­sons un autre pour notre propre compte. Main­te­nant, tout ceci est orga­ni­sé et dans nos plans au sujet des pay­sans, des coopé­ra­tives et des fermes a sur­gi l’idée d’amener la culture aux champs, aux fermes et aux coopératives.

Com­ment ? Eh bien, en ame­nant des com­pa­gnons pour les conver­tir en ins­truc­teurs de musique, de danse, de théâtre. Seule­ment les opti­mistes peuvent lan­cer des ini­tia­tives de ce genre. Eh bien, com­ment réveiller chez le pay­san le goût du théâtre, par exemple ? Où sont les ins­truc­teurs ? D’où les tirons-nous, pour les envoyer plus tard par exemple à trois mille fermes du peuple et à six cents coopé­ra­tives ? Tout ceci pré­sente des dif­fi­cul­tés mais je suis sûr que vous serez tous d’accord pour dire que si l’on réus­sit, c’est posi­tif, sur­tout pour com­men­cer à décou­vrir par­mi le peuple les talents et le conver­tir en créa­teur car, en défi­ni­tive, c’est le peuple qui est le grand créa­teur. Nous ne devons pas oublier ceci, et nous ne devons pas oublier non plus, les mil­liers de talents qui ont été per­dus dans nos cam­pagnes et dans nos villes par manque d’opportunités pour se déve­lop­per. Dans nos cam­pagnes, nous en sommes tous sûrs et, à moins que nous pré­su­mions être les plus intel­li­gents qui sont nés dans ce pays, et je ne le pense pas, de nom­breux talents se sont per­dus. Sou­vent, j’ai don­né comme exemple le fait que, là où je suis né, par­mi mille gar­çons, j’ai été le seul qui ait pu étu­dier et qui ait pu avoir une car­rière uni­ver­si­taire, bien mal sui­vie, cer­tai­ne­ment, sans pou­voir évi­ter de pas­ser par une série de col­lèges de curés, etc.

Je ne veux lan­cer l’anathème contre per­sonne, pour­tant, je dis que j’ai le même droit que n’importe qui, ici, à dire ce que je vou­lais, à me plaindre. J’ai le droit de me plaindre, quelqu’un a dit que j’avais été for­mé par la socié­té bour­geoise et moi, je peux dire que j’ai été for­mé par quelque chose d’encore pire ; j’ai été for­mé par ce que la réac­tion a de pire et une bonne par­tie de ma vie a été per­due dans l’obscurantisme, la super­sti­tion et le mensonge.

C’était cette époque où l’on n’apprenait pas à pen­ser mais on obli­geait à croire. Je crois que, quand on veut enle­ver à l’homme la capa­ci­té de pen­ser et de rai­son­ner, d’être humain on le trans­forme en ani­mal domes­ti­qué… Je ne m’élève pas contre les sen­ti­ments reli­gieux de l’homme : res­pec­tons ces sen­ti­ments, res­pec­tons le droit de l’homme à la liber­té de croire et de pra­ti­quer mais cela ne veut pas dire que mon droit à moi ait été res­pec­té. Je n’ai eu aucune liber­té de croire ni de pra­ti­quer, on m’a impo­sé une croyance et un culte et on m’a domes­ti­qué pen­dant douze ans.

Natu­rel­le­ment, je peux par­ler en me plai­gnant des années que j’aurais pu employer, à cette époque où chez les jeunes, on trouve la plus grande dose d’intérêt et de curio­si­té pour les choses, dans l’étude sys­té­ma­tique qui m’aurait per­mis d’acquérir cette culture que les enfants aujourd’hui, à Cuba, vont avoir lar­ge­ment l’opportunité d’acquérir.

C’est à dire que, mal­gré tout cela, le seul qui ait pu, entre mille, avoir un titre uni­ver­si­taire, a dû pas­ser par ce mou­lin de pierres où, mira­cu­leu­se­ment, on ne l’a pas tri­tu­ré men­ta­le­ment pour tou­jours. Ain­si, seul entre mille, j’ai dû endu­rer tout ceci. Pour­quoi ? Parce que j’étais le seul entre mille à qui l’on pou­vait payer le col­lège pri­vé pour qu’il étu­die et main­te­nant, est-ce que pour cela, je vais croire que j’étais le plus apte et le plus intel­li­gent par­mi ces mille ? Je crois que nous sommes un pro­duit de sélec­tion, non pas natu­relle mais sociale. J’ai été sélec­tion­né socia­le­ment pour aller à l’université et je parle ici, main­te­nant, à cause d’un pro­ces­sus de sélec­tion sociale et non pas natu­rel. La sélec­tion sociale a lais­sé dans l’ignorance on ne sait com­bien de dizaines de mil­liers de jeunes supé­rieurs à nous tous. Ceci est une véri­té. Et celui qui se croit artiste doit pen­ser que, ici ou là, peuvent être res­tés sans le deve­nir un grand nombre de gens meilleurs que lui. Si nous n’admettions pas cela, nous serions hors de la réa­li­té. Nous sommes pri­vi­lé­giés, entre autres rai­sons, parce que nous ne sommes pas nés fils de char­re­tier. Ce que je viens de dire démontre l’énorme quan­ti­té d’intelligences qui ont été per­dues sim­ple­ment par manque d’opportunités.

Nous allons don­ner l’opportunité de s’exprimer à toutes ces intel­li­gences ; nous allons créer les condi­tions pour per­mettre que tout talent artis­tique, lit­té­raire ou scien­ti­fique, ou de n’importe quel autre ordre, puisse se déve­lop­per. Pen­sez ce que signi­fie la Révo­lu­tion qui per­met une chose pareille et qui, dès main­te­nant, dès la pro­chaine ren­trée, aura alpha­bé­ti­sé tout le peuple et, avec des écoles dans tout Cuba, avec des cam­pagnes de rat­tra­page et avec la for­ma­tion d’instructeurs pour­ra connaître et décou­vrir tous les talents, et cela, juste pour com­men­cer. tous ces ins­truc­teurs, à la cam­pagne, sau­ront quel enfant a une voca­tion et ils diront quel enfant peut être bour­sier pour l’amener à l’Académie Natio­nale d’Art mais en même temps, ils vont éveiller le goût artis­tique et le désir de culture des adultes, quelques essais qui ont déjà été faits démontrent la capa­ci­té que le pay­san et l’homme du peuple ont d’assimiler les ques­tions artis­tiques, d’assimiler la culture et de se mettre immé­dia­te­ment à pro­duire. Cer­tains com­pa­gnons ont été dans des coopé­ra­tives qui ont réus­si à avoir leur groupe théâ­tral. Et il a été récem­ment démon­tré avec les repré­sen­ta­tions don­nées en divers lieux de la Répu­blique et les tra­vaux artis­tiques réa­li­sés par des hommes et des femmes du peuple, l’intérêt du pay­san pour toutes ces choses. Voyez alors ce que cela signi­fie­ra quand nous aurons des ins­truc­teurs de théâtre, de musique, de danse dans chaque coopé­ra­tive et dans chaque ferme du peuple. En deux ans, nous pour­rons envoyer mille ins­truc­teurs de chaque matière, plus de mille pour le théâtre, pour la danse et pour la musique.

Les écoles ont été orga­ni­sées, elles fonc­tionnent et ima­gi­nez lorsqu’il y aura mille groupes de danse, de musique et de théâtre dans toute l’Ile, à la cam­pagne – nous ne par­lons pas de la ville, à la ville, c’est un peu plus facile — ce que cela signi­fie­ra du point de vue de l’extension de la culture car cer­tains ont par­lé ici de la néces­si­té d’élever le niveau du peuple, mais com­ment ? Le Gou­ver­ne­ment Révo­lu­tion­naire s’en est pré­oc­cu­pé et il est en train de créer les condi­tions pour que, dans quelques années, la culture, le niveau cultu­rel du peuple, se soit éle­vé de façon extraordinaire.

Nous avons choi­si ces trois branches mais on peut conti­nuer en choi­sis­sant d’autres branches et on peut conti­nuer à tra­vailler pour déve­lop­per la culture sous tous ses aspects. Cette école fonc­tionne déjà et les com­pa­gnons qui y tra­vaillent sont satis­faits de la pro­gres­sion du groupe de futurs ins­truc­teurs mais, en outre, on a com­men­cé à construire l’Académie Natio­nale d’Art et, à part, l’Académie Natio­nale des Arts Manuels. Cer­tai­ne­ment, Cuba va pou­voir comp­ter la plus belle Aca­dé­mie des Arts Manuels du monde entier. Pour­quoi ? Parce que cette Aca­dé­mie est située dans une des zones rési­den­tielles les plus belles du monde où vivait la bour­geoi­sie la plus luxueuse de Cuba, dans le meilleur quar­tier rési­den­tiel de la bour­geoi­sie la plus osten­ta­toire, la plus luxueuse et la plus inculte, soit dit en pas­sant, car, si dans aucune de ces mai­sons ne man­quait un bar, ses habi­tants ne se pré­oc­cu­paient pas, sauf excep­tion, de pro­blèmes cultu­rels. Ils vivaient d’une manière incroya­ble­ment luxueuse et cela vaut la peine d’y faire un tour pour voir com­ment vivaient ces gens- là mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est quelle extra­or­di­naire Aca­dé­mie d’Art on était en train de construire et c’est pour­tant ce qui res­te­ra de ce qu’ils ont fait car les élèves vont vivre dans des mai­sons qui étaient des rési­dences de mil­lion­naires. Ils ne vivront pas enfer­més, ils vivront comme dans un foyer et assis­te­ront aux cours à l’Académie.

L’Académie va être située au milieu du Coun­try Club où un groupe d’architectes et d’artistes ont fait les plans des construc­tions qui vont être réa­li­sées. Ils ont déjà com­men­cé, ils doivent ter­mi­ner au mois de décembre. Nous avons déjà trois cent mille pieds de cao­bas. Les écoles de musique, de danse, de bal­let, de théâtre et d’arts plas­tiques seront au milieu du ter­rain de golf dans une nature de rêve. Là va être située l’Académie des Arts avec soixante rési­dences autour et le cercle social à côté, qui com­prend des salles à man­ger, des salons, des pis­cines et aus­si un étage pour les visi­teurs où pour­ront loger les pro­fes­seurs étran­gers qui viennent nous aider. Cette Aca­dé­mie pour­ra rece­voir trois mille enfants, c’est à dire trois mille bour­siers et nous dési­rons qu’elle com­mence à fonc­tion­ner à la pro­chaine rentrée.

Et immé­dia­te­ment aus­si, com­men­ce­ra à fonc­tion­ner l’Académie Natio­nale des Arts Manuels avec d’autres rési­dences, un autre ter­rain de golf et d’autres construc­tions sem­blables. Ce seront des Aca­dé­mies Natio­nales. Cela ne veut pas dire que ce seront les seules écoles, loin de là, mais là iront les jeunes bour­siers qui ont mon­tré les plus grandes capa­ci­tés et cela ne coû­te­ra abso­lu­ment rien à leur famille. Les jeunes et les enfants y trou­ve­ront des condi­tions idéales pour se déve­lop­per. N’importe qui vou­drait être un enfant main­te­nant pour entrer dans l’une de ces Aca­dé­mies, n’est-ce pas ? Nous venons de par­ler de peintres qui vivaient seule­ment de cafés au lait, ima­gi­nez-vous quelles condi­tions très dif­fé­rentes il va y avoir main­te­nant et ain­si l’esprit créa­teur trou­ve­ra les condi­tions idéales pour se déve­lop­per : ins­truc­tion, loge­ment, nour­ri­ture, culture géné­rale… Les enfants com­men­ce­ront à étu­dier dans ces écoles dès l’âge de huit ans et rece­vront, en même temps que leur for­ma­tion artis­tique, une culture géné­rale. Est-ce que leur talent et leur per­son­na­li­té ne vont pas pou­voir ain­si se déve­lop­per pleinement ?…

Ce sont plus que des idées ou des rêves, ce sont déjà les réa­li­tés de la Révo­lu­tion. Les ins­truc­teurs que l’on pré­pare, les écoles natio­nales que l’on pré­pare, les écoles pour les ama­teurs qui seront aus­si créées. Voi­là ce que signi­fie la Révo­lu­tion et voi­là pour­quoi la Révo­lu­tion est impor­tante pour la culture. Com­ment pour­rions-nous réa­li­ser cela sans la Révo­lu­tion ? Nous allons sup­po­ser que nous crai­gnons que, « notre esprit créa­teur pres­su­ré par les mains des­po­tiques de la Révo­lu­tion Sta­li­nienne ne se fane » (rires)…

Mes­sieurs, ne serait-il pas mieux de pen­ser au futur ? Allons-nous pen­ser à la flé­tris­sure des fleurs quand nous semons des fleurs par­tout ? Alors que nous for­geons ces esprits créa­teurs du futur ? Qui n’échangerait le pré­sent, qui n’échangerait même son propre pré­sent pour ce futur ? Qui n’échangerait le sien, qui ne sacri­fie­rait le sien pour ce futur ? Et qui, ayant une sen­si­bi­li­té artis­tique, ne se trouve dans la dis­po­si­tion du com­bat­tant qui meurt dans la bataille, sachant qu’il meurt, qu’il cesse d’exister phy­si­que­ment pour fer­ti­li­ser , avec son sang, le che­min triom­phant de ses sem­blables, de son peuple ? Pen­sez au com­bat­tant qui meurt au com­bat, qui sacri­fie tout ce qu’il pos­sède, qui sacri­fie sa vie, sa famille, son épouse, ses fils, pour­quoi ? Pour que nous puis­sions faire toutes ces choses et qui, ayant une sen­si­bi­li­té humaine, une sen­si­bi­li­té artis­tique, ne pense que cela mérite de faire les sacri­fices qui sont néces­saires ? Mais la Révo­lu­tion ne demande pas le sacri­fice de génies créa­teurs, au contraire, la Révo­lu­tion dit : met­tez cet esprit créa­teur au ser­vice de cette œuvre sans craindre que son œuvre soit tron­quée. Mais si, un jour, vous pen­sez que votre œuvre peut être cen­su­rée, dites : cela vaut la peine que mon œuvre per­son­nelle soit cen­su­rée pour réa­li­ser une œuvre comme celle que nous avons devant nous. (applau­dis­se­ments)

Nous deman­dons à l’artiste qu’il pousse jusqu’au maxi­mum son effort créa­teur, nous vou­lons don­ner à l’artiste et à l’intellectuel les condi­tions idéales pour sa créa­tion parce que nous créons pour le futur. Com­ment pour­rions-nous ne pas vou­loir ce qu’il y a de mieux pour les artistes et les intel­lec­tuels d’aujourd’hui ? Nous vou­lons le plus grand déve­lop­pe­ment en faveur de la culture, et très pré­ci­sé­ment, en rai­son de la Révo­lu­tion car la Révo­lu­tion signi­fie pré­ci­sé­ment : plus de culture et plus d’art.

Nous deman­dons que les intel­lec­tuels et les artistes mettent leur grain de sable dans cette œuvre qui, en fin de compte, sera l’œuvre de cette géné­ra­tion. La géné­ra­tion à venir sera meilleure que la nôtre mais nous serons ceux qui l’auront ren­due pos­sible. Nous serons les for­ge­rons de cette géné­ra­tion future, nous, ceux de cette géné­ra­tion sans âge, où nous nous trou­vons tous : aus­si bien les bar­bus que les imberbes, ceux qui ont une abon­dante che­ve­lure comme ceux qui n’en n’ont pas ou qui l’ont blanche. C’est l’œuvre de nous tous, nous allons livrer une guerre contre l’inculture. Nous allons livrer une bataille contre l’inculture. Nous allons livrer une que­relle totale contre l’inculture, nous allons nous battre contre elle et nous allons essayer nos armes. Quelqu’un ne veut-il pas col­la­bo­rer ? Quel plus grand châ­ti­ment que de se pri­ver de la satis­fac­tion de ce que les autres sont en train de faire ? Nous disions que nous étions pri­vi­lé­giés. Pour­quoi avons-nous appris à lire et à écrire dans une école ? Pour­quoi sommes-nous allés dans un ins­ti­tut, une uni­ver­si­té, ou du moins, pour­quoi avons-nous acquis les rudi­ments d’instructions suf­fi­sants pour pou­voir faire quelque chose ? Ne pou­vons-nous pas nous appe­ler pri­vi­lé­giés du fait de vivre au milieu d’une Révo­lu­tion ? Peut-être ne dési­rions-nous pas nous ins­truire sur les révo­lu­tions avec grand inté­rêt et qui n’a pas lu avec une véri­table soif les his­toires de la Révo­lu­tion Fran­çaise ou les his­toires de la Révo­lu­tion Russe ? Qui n’a pas rêvé par­fois d’avoir été le témoin vivant de ces Révolutions ?

Moi, par exemple, lorsque je lisais quelque chose sur la Guerre d’Indépendance, je regret­tais de ne pas être né à cette époque et j’étais pei­né de n’avoir pas lut­té pour l’indépendance et de n’avoir pas vécu cette geste, car, nous tous, avons lu les chro­niques de notre Guerre d’Indépendance avec une véri­table pas­sion et nous avons envié les intel­lec­tuels et les artistes, les guer­riers, les com­bat­tants et les chefs de cette époque. Cepen­dant, nous avons eu le pri­vi­lège de vivre et d’être témoins d’une authen­tique Révo­lu­tion, d’une Révo­lu­tion dont la force se déve­loppe déjà hors des fron­tières de notre Pays, dont l’influence poli­tique et morale fait trem­bler et vaciller l’impérialisme sur ce conti­nent (applau­dis­se­ments), car la Révo­lu­tion Cubaine devient le fait le plus impor­tant de ce siècle pour l’Amérique Latine, devient l’événement le plus impor­tant depuis les guerres d’Indépendance du XIXe siècle, véri­table ère nou­velle de rédemp­tion de l’homme car, que furent ces guerres d’Indépendance, sinon la sub­sti­tu­tion à la domi­na­tion colo­niale de la domi­na­tion des classes domi­nantes et exploi­teuses dans tous ces pays.

Et donc, nous avons eu la pos­si­bi­li­té de vivre un grand fait his­to­rique, on peut dire qu’il s’agit du second grand fait his­to­rique qui a eu lieu dans les trois der­niers siècles en Amé­rique Latine et dont nous, les Cubains, avons été acteurs, sachant que, plus nous tra­vaille­rons, plus la Révo­lu­tion sera comme une flamme inex­tin­guible et plus cette Révo­lu­tion sera ame­née à jouer un rôle his­to­rique trans­cen­dan­tal. Et vous, écri­vains et artistes, vous avez eu le pri­vi­lège d’être témoins de cette Révo­lu­tion, quand une Révo­lu­tion est un fait aus­si impor­tant dans l’histoire humaine, cela vaut bien la peine de vivre une Révo­lu­tion, même si l’on en est seule­ment témoin.

Ceci aus­si est un pri­vi­lège, ain­si ceux qui ne sont pas capables de com­prendre ces choses, ceux qui se laissent trom­per, ceux qui se laissent confondre, ceux qui se laissent étour­dir par le men­songe, sont ceux qui renoncent à la Révo­lu­tion. Que dire de ceux qui ont renon­cé à elle et com­ment pen­ser à eux, sinon avec peine ? Aban­don­ner ce pays en pleine effer­ves­cence révo­lu­tion­naire pour aller s’enterrer dans les entrailles du Monstre Impé­ria­liste où ne peut exis­ter aucune expres­sion de l’esprit ? Ils ont aban­don­né la Révo­lu­tion pour aller là-bas, ils ont pré­fé­ré être des fugi­tifs, des déser­teurs de leur patrie, plu­tôt que d’être même un simple spectateur.

Et vous avez l’opportunité d’être plus que des spec­ta­teurs, d’être des acteurs de cette Révo­lu­tion, d’écrire sur elle, de vous expri­mer sur elle, et que vous deman­de­ront les géné­ra­tions futures ? Vous pour­riez réa­li­ser de magni­fiques œuvres artis­tiques du point de vue tech­nique, mais si on dit à un homme de la géné­ra­tion future, à un homme du siècle pro­chain qu’un écri­vain, un intel­lec­tuel de cette époque a vécu la Révo­lu­tion en dehors d’elle et ne s’est pas expri­mé sur elle, et n’a pas fait par­tie de la Révo­lu­tion, il le com­pren­dra dif­fi­ci­le­ment, alors que, dans l’avenir, il y aura tant et tant d’hommes qui vou­dront peindre la Révo­lu­tion, qui vou­dront écrire sur la Révo­lu­tion, qui vou­dront s’exprimer sur la Révo­lu­tion, com­pi­lant dates et infor­ma­tions pour savoir com­ment elle fut, ce qui se pas­sa, com­ment nous vivions…

Récem­ment, nous avons eu l’expérience de ren­con­trer une vieille de cent six ans qui venait d’apprendre à lire et à écrire et nous lui avons pro­po­sé d’écrire un livre. Elle avait été esclave, et nous vou­lions savoir com­ment un esclave voyait le monde quand il était esclave, quelles furent ses pre­mières impres­sions sur la vie, sur ses maîtres, sur ses com­pa­gnons. Je crois que cette vieille peut écrire des choses aus­si inté­res­santes que n’importe lequel d’entre nous sur son époque et il est pos­sible qu’elle puisse être alpha­bé­ti­sée en un an et, en plus, qu’elle écrive un livre à cent six ans. Voi­là ce qui arrive dans les Révo­lu­tions. Qui peut écrire mieux qu’elle ce qu’ont vécu les esclaves ? Et qui peut écrire mieux que vous sur le pré­sent ? Et com­bien de per­sonnes com­men­ce­ront à écrire dans le futur sans vivre cela, à dis­tance, en col­lec­tant des écrits ? D’autre part, ne nous pres­sons pas de juger notre œuvre, nous aurons des juges de reste. Ce qu’il faut craindre, ce n’est pas ce juge sup­po­sé, auto­ri­taire, bour­reau de la culture, ima­gi­naire, que nous avons éla­bo­ré ici, crai­gnez d’autres juges, beau­coup plus à craindre, crai­gnez les juges de la pos­té­ri­té, crai­gnez les géné­ra­tions futures qui seront, en fin de compte, char­gées de dire le der­nier mot !

Fidel Cas­tro Ruz

 

Declaration_aux_Intellectuels.pdf

Voi­ci l’au­dio (en espagnol)