Des vautours en République Démocratique du Congo

par Renaud Vivien

Nou­velle vic­toire du fonds vau­tour FG Hemis­phere contre la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC), que fait la Belgique ?

21 décembre, par Renaud Vivien

Les fonds vau­tours (NDR : Ins­ti­tu­tions finan­cières qui rachètent à très bas prix les titres de la dette des pays pauvres. Dès que le pays débi­teur devient un peu plus sol­vable, les fonds vau­tours l’attaquent en jus­tice pour récu­pé­rer l’intégralité du prêt, majo­ré de péna­li­tés de retard) conti­nuent de faire des ravages dans les pays du Sud. La Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC) vient d’en faire les frais en per­dant un nou­veau pro­cès contre le fonds spé­cu­la­tif FG Hemis­phere devant la Cour de Jer­sey. Cette nou­velle sai­gnée était mal­heu­reu­se­ment prévisible.

En effet, FG Hemis­phere uti­lise tou­jours la même méthode, carac­té­ris­tique des fonds vau­tours : basé dans un para­dis fis­cal (dans le Dela­ware en plein coeur des Etats-Unis) comme la majo­ri­té des fonds vau­tours, FG Hem­pi­shere rachète en 2004 d’anciennes dettes déco­tées de la RDC datant des années 80 (d’une valeur réelle de 37 mil­lions de dol­lars) puis sai­sit la jus­tice anglo-saxonne (la Cour de Jer­sey) par­ti­cu­liè­re­ment pro­tec­trice des créan­ciers afin d’obtenir le rem­bour­se­ment de la valeur nomi­nale de cette dette, auquel s’ajoutent les inté­rêts de retard et autres péna­li­tés (pour un mon­tant total d’environ 100 mil­lions de dollars).

Ain­si, FG Hemis­phere a obte­nu le droit de se faire rem­bour­ser une dette de 100 mil­lions de dol­lars alors qu’il n’a débour­sé que 37 mil­lions de dol­lars. Et chaque jour, cette dette aug­mente de 27 500 dol­lars à cause des inté­rêts |1| ! Pour s’assurer du règle­ment de cette dette, le juge­ment de Jer­sey confère à FG Hemis­phere le droit de sai­sir une par­tie des futurs béné­fices de la joint-ven­ture GTL (Grou­pe­ment de Ter­ril de Lubum­ba­shi), qui compte par­mi ses action­naires le groupe de Georges For­rest et le gou­ver­ne­ment congo­lais via la Géca­mines, une entre­prise publique minière de la pro­vince du Katan­ga. Rap­pe­lons que FG Hemis­phere avait déjà obte­nu en 2008 le droit de sai­sir, pen­dant les quinze pro­chaines années, les recettes de la vente d’électricité à l’Afrique du Sud et qu’en février 2010, il était auto­ri­sé par la Cour d’appel de Hong Kong à sai­sir une par­tie des droits payés par la Chine à la RDC pour l’exploitation d’un gise­ment minier.

Et ce n’est pas fini puisque d’autres fonds vau­tours sont entrés dans la danse, récla­mant à la RDC plus de 452 mil­lions de dol­lars devant les tri­bu­naux |2| . Il y a donc fort à craindre que les fonds libé­rés par l’allègement de la dette congo­laise, inter­ve­nu après que les auto­ri­tés de Kin­sha­sa aient cédé à toutes les pres­sions des créan­ciers occi­den­taux, soient raflés par ces fonds vau­tours. Face à ces attaques, le gou­ver­ne­ment congo­lais vient de deman­der l’aide de la Faci­li­ta­tion afri­caine de sou­tien juri­dique, un orga­nisme créé en 2008 par la Banque afri­caine de déve­lop­pe­ment (BAD) pour notam­ment assis­ter les Etats atta­qués par les fonds vau­tours |3|. Ce nou­vel orga­nisme a le mérite de pro­po­ser une aide concrète aux pays vic­times de ces fonds spé­cu­la­tifs, en met­tant à leur dis­po­si­tion des avo­cats pour négo­cier avec ces fonds vau­tours et défendre les Etats devant les juges |4| .

Tou­te­fois, cette aide reste insuf­fi­sante face à l’ampleur du phé­no­mène. Les fonds vau­tours traînent actuel­le­ment en jus­tice une dizaine de pays afri­cains dans une cin­quan­taine de pro­cès et la crise mon­diale, qui fait cou­rir le risque d’une nou­velle crise de la dette au Sud, va très cer­tai­ne­ment accroître leur vora­ci­té puisqu’ils pour­ront rache­ter des créances impayées sur les pays en déve­lop­pe­ment à des mon­tants extrê­me­ment bas et ain­si accroître leurs gains.

Notons que ces attaques ne se limitent pas au conti­nent afri­cain. A titre d’exemple, l’Argentine est actuel­le­ment la proie de deux fonds vau­tours, Elliott Capi­tal et EM Limi­ted, qui tentent de sai­sir les fonds dépo­sés par l’État argen­tin auprès de la Banque des règle­ments inter­na­tio­naux (BRI), pour un mon­tant dépas­sant 1 mil­liard de dol­lars. Il n’existe pas non plus d’obstacle (pour le moment) à ce que les fonds vau­tours attaquent pro­chai­ne­ment les pays du Nord, compte tenu des pra­tiques spé­cu­la­tives sur leurs dettes. Dans ce contexte, d’autres mesures s’imposent pour mettre les fonds vau­tours hors d’état de nuire |5|.

Pour cela, il faut chan­ger les règles du jeu car l’activité des fonds vau­tours est (pour le moment) légale. Autre­ment dit, les pou­voirs publics doivent rendre leur acti­vi­té illi­cite en inter­di­sant pure­ment et sim­ple­ment la spé­cu­la­tion sur les dettes d’État, qui ne pro­fite qu’à une poi­gnée d’individus sans scru­pules. En atten­dant une ini­tia­tive inter­na­tio­nale de cet ordre, les par­le­ments au Sud et au Nord doivent immé­dia­te­ment adop­ter de manière uni­la­té­rale des lois pour limi­ter l’action des fonds vau­tours. La Bel­gique, qui a ouvert la voie en 2008 en pre­nant une loi ren­dant “inces­sible et insais­sis­sable” l’argent belge de la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, doit aujourd’hui étendre la por­tée de cette loi à tous les fonds (publics et pri­vés) éma­nant de la Bel­gique et plai­der au sein des ins­tances euro­péennes et inter­na­tio­nales pour la géné­ra­li­sa­tion de ce type de dispositif.

Enfin, la Bel­gique doit annu­ler tota­le­ment la dette congo­laise à son égard et plai­der pour que les autres créan­ciers de la RDC fassent de même. En effet, la dette publique exté­rieure de la RDC n’a pas été effa­cée. Elle s’élève encore à 3 mil­liards de dol­lars et risque d’augmenter pro­chai­ne­ment, notam­ment sous l’effet de la crise mon­diale, des condi­tion­na­li­tés impo­sées par les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales et des prêts léo­nins de la Chine. La réso­lu­tion du Sénat belge adop­tée le 29 mars 2007 demande que la Bel­gique annule toutes les dettes odieuses comme celle contrac­tée par la dic­ta­ture de Mobu­tu, et mette en place un audit des dettes des pays en déve­lop­pe­ment. Mais cette réso­lu­tion est res­tée lettre morte |6| . Que fait la Belgique ?

Notes

|1| http://www.bloomberg.com/news/2010 – 11-03/congo-u-s-controlled-venture-lose-100-million-vulture-fund-debt-claim.html

|2| http://www.lesafriques.com/actualite/les-fonds-vautours-reclament-452 – 5‑millions-de-dollars-a‑l.html?Itemid=89?articleid=26537

|3| Cette struc­ture vient de faire un don à la RDC de 500 000 dol­lars pour payer les hono­raires d’un cabi­net d’avocat.

|4| http://www.cadtm.org/Fonds-vautours-l-Afrique-riposte

|5| Lire le apport de la pla­te­forme Dette et déve­lop­pe­ment et du CNCD-11.11.11, “Un vau­tour peut en cacher un autre : ou com­ment nos lois encou­ragent les pré­da­teurs des pays pauvres endet­tés” (2009) http://www.cncd.be/spip.php?article667

|6| Renaud Vivien, L’annulation de la dette du tiers monde, cahier du CRISP (2010)
P.-S.

Cette carte blanche est parue sur le site en ligne du quo­ti­dien Le Soir le 20 décembre 2010 http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2010 – 12-20/nouvelle-victoire-d-un-fonds-vautour-contre-la-rdc-que-fait-la-belgique-809956.php