Dont shoot ! Une exposition collective

Par le col­lec­tif Zin TV

Peut-on encore fil­mer ou pho­to­gra­phier la police sans se faire arrê­ter ? Nos droits fon­da­men­taux sont-ils en dan­ger ? Des images, des témoi­gnages et des réflexions sur notre liber­té d’ex­pres­sion menacée.

Conçu pour être iti­né­rante, l’ex­po­si­tion col­lec­tive Dont shoot ! se tien­dra à par­tir du 3 novembre 2018 au pia­no­fa­briek. Des images, des témoi­gnages et des réflexions sur notre liber­té d’ex­pres­sion en danger.

ZIN TV, le Col­lec­tif Kras­nyi, Fré­dé­ric Moreau de Bel­laing et la Ligue des Droits de l’Homme se sont asso­ciés afin de rendre visible des scènes de répres­sion poli­cière contre les migrants, contre les mou­ve­ments sociaux et contre les citoyens soli­daires… et de dénon­cer les mul­tiples ten­ta­tives de cri­mi­na­li­sa­tion d’i­ni­tia­tives soli­daires. Témoi­gnages d’une démo­cra­tie qui se dété­riore et qui perd len­te­ment ses droits fondamentaux.

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L’i­mage de l’af­fiche de l’ex­po­si­tion montre un indi­vi­du tirant à bout por­tant sur des migrants, cette image fait l’ob­jet d’une demande de retrait par la cel­lule com­mu­ni­ca­tion de la zone de Police Bruxelles CAPITALE Ixelles car ils y ont recon­nu un de leurs col­lègues. La demande fut moti­vée en vue de pro­té­ger la vie pri­vée de l’agent. En vue d’ob­tem­pé­rer avec la police, les orga­ni­sa­teurs de l’ex­po­si­tion ont aus­si­tôt bar­ré le visage du membre du per­son­nel de la Zone de police. L’i­dée n’est pas d’in­ter­ro­ger l’i­den­ti­té du per­son­nage mais sa fonc­tion, sur­tout lorsque le port d’un bras­sard est obli­ga­toire pour un poli­cier en civil afin de ne pas le confondre avec un civil ordinaire…

L’ex­po­si­tion artis­tique mon­tre­ra des images ayant sur­vé­cues aux ten­ta­tives de cen­sure sur le ter­rain, images d’une résis­tance pour la liber­té d’information.

Voi­ci une réflexion de ZIN TV sur le contexte de l’exposition.


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Lorsqu’un agent de la police fédé­rale sai­sit la camé­ra de ZIN TV, comme ce fut le cas le 15 octobre 2015 à Bruxelles, il laisse pour seule preuve de sa créa­ti­vi­té une carte mémoire vide. Toutes les don­nées de la carte mémoire ont été effa­cées… Fil­més au départ par une équipe de ZIN TV, les registres de ce jour-là conte­naient le dérou­le­ment d’une mani­fes­ta­tion sociale et d’une répres­sion poli­cière. Un poli­cier arra­cha la camé­ra des mains du camé­ra­man qui fil­mait et sans le vou­loir, le poli­cier filme le der­nier plan de la jour­née, et il s’exclame : « il faut effa­cer ces images ! ». Puis, il s’exé­cu­ta en accé­dant dans le menu de la camé­ra, recon­fi­gu­rant la carte SD avec la ferme inten­tion de ne lais­ser aucune trace de cette journée.
Par cet acte, le poli­cier s’est trans­for­mé en pirate, en un délin­quant et ses col­lègues en com­plices… Car il n’existe aucune inter­dic­tion géné­rale de pho­to­gra­phier ou de fil­mer les actions de la police.

Au départ, ces registres étaient sen­sés infor­mer sur les reven­di­ca­tions des mani­fes­ta­tions contre le trai­té de libre com­merce. Depuis que nous avons réus­si à recons­truire la carte SD, et récu­pé­rer une par­tie des images, les registres nous informent désor­mais sur les pra­tiques délic­tuelles d’un agent de police et deviennent éga­le­ment une pièce à convic­tion dans le pro­cès enta­mé par ZIN TV & ATTAC contre la police fédé­rale et se consti­tuent par­tie civile devant un juge d’instruction.

L’attention que des citoyens ou des jour­na­listes portent à l’action poli­cière devrait être consi­dé­rée comme nor­male par les forces de l’ordre sou­cieuses du res­pect des règles déon­to­lo­giques. En Bel­gique, sur le ter­rain, les poli­ciers main­tiennent sou­vent la confu­sion : « il est inter­dit de fil­mer », « vous n’avez pas de carte de presse », « vous devez flou­ter mon image »… Pire, dans le but d’intimider et de décou­ra­ger le citoyen à fil­mer l’action poli­cière, les agents des forces de l’ordre sai­sissent par­fois votre maté­riel de prise de vues et l’anéantisse où… s’en serve pour repé­rer les meneurs. Est-il de trop d’affirmer que si l’im­pu­ni­té règne sur ces pra­tiques nous bana­li­sons des pra­tiques fas­cistes ? Depuis quelques années, des cen­taines de cas sont recen­sées par la Ligue des Droits de L’homme, Obs­Pol, le Comi­té P dont la plu­part res­te­ront sans suite… Des mil­liers d’autres cas ano­nymes res­tés sans suite, par peur ?

Trois ans après l’arrestation d’une équipe de ZIN TV et de la des­truc­tion de ses images, le 2 octobre 2018, Die­go Dumont, membre de la pla­te­forme citoyenne de sou­tien aux réfu­giés, filme l’arrestation d’une ving­taine de migrants pié­gés dans le wagon d’un train dont les sor­ties ont été blo­quées par les poli­ciers, pour mieux les en extraire un à un. Die­go filme à dis­tance. Les poli­ciers fédé­raux vio­lentent Die­go sadi­que­ment, jusqu’au sang, lui confisquent son GSM-camé­ra et l’embarquent menot­té. Mani­fes­te­ment, il ne sert plus à rien de rap­pe­ler ses droits, de mon­trer sa carte d’identité… les poli­ciers n’en tiennent plus compte.

Ce soir-là, 29 per­sonnes étran­gères en séjour illé­gal ont été arrê­tées, 18 seront dépor­tées dans un centre fer­mé. En cette heure tar­dive, le quai de la gare de Lan­den res­te­ra déses­pé­ré­ment vide, quelques sil­houettes en uni­forme déam­bulent, une ombre vient pla­ner au des­sus de quelques taches de sang épar­pillées sur les dalles… Théo Fran­cken, secré­taire d’État fédé­ral à l’a­sile et à la migra­tion, est pré­sent sur les lieux. Il est accom­pa­gné d’un pho­to­graphe, à des fins élec­to­rales, le ministre se van­te­ra de la cap­ture des migrants, comme s’il s’agissait de dan­ge­reux cri­mi­nels. Il faut bien satis­faire l’électorat xéno­phobe qui pousse vers la clan­des­ti­ni­té et la pré­ca­ri­té des mil­liers per­sonnes dési­gnées comme des vec­teurs de la délinquance.

Plus tard, lorsque Die­go témoi­gne­ra de l’agression, il dira : “J’ai eu peur. Je me suis deman­dé où cela allait s’ar­rê­ter” en effet, il a rai­son : depuis trois ans, on fran­chit un seuil sup­plé­men­taire dans l’abus. En sui­vant cette logique, lors des pro­chaines étapes les poli­ciers ne se conten­te­ront plus de l’élimination des preuves.
Cinq jours après la mésa­ven­ture des migrants et de Die­go Dumont, le dimanche 7 octobre, entre 7h et 9h du matin, quatre familles — membres de la pla­te­forme Citoyenne de Sou­tien aux Réfu­giés — qui hébergent des migrants — ont été la cible de per­qui­si­tions de police. Portes et ser­rures for­cées, pla­quages au sol, man­dats d’amener, citoyens menot­tés… Des ménages belges ont été trai­tés comme des nar­co­tra­fi­quants, comme des cri­mi­nels pour avoir été soli­daires envers un public plus sou­vent vic­time de traite d’êtres humains que cou­pable de tra­fic d’êtres humains.

Deux jours plus tard, le 9 octobre à 1h du matin, ne sup­por­tant plus l’i­so­le­ment et les trai­te­ment inhu­mains infli­gés par notre poli­tique d’im­mi­gra­tion, un réfu­gié d’origine éry­thréenne se sui­cide au centre fer­mé pour étran­gers de Vot­tem. Après les 8 per­sonnes décé­dées en 2018 sur les routes migra­toires en Bel­gique, dont la petite Maw­da, après ce sui­cide, qui sera la pro­chaine vic­time de cette poli­tique ? Les jours passent, les vic­times aug­mentent… et nous devrions conti­nuer à vivre en toute nor­ma­li­té, en toute passivité ?

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La mémoire, la justice et la démocratie comme outils pour arrêter l’escalade.

Tout indi­vi­du a droit à la liber­té d’o­pi­nion et d’ex­pres­sion, énonce l’article 19 de la décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’Homme. L’interdiction de fil­mer la police, équi­vaut à une atteinte d’un de nos droits fon­da­men­taux démo­cra­tiques les plus essen­tiels. Bana­li­ser ce délit équi­vaut à souiller la mémoire de ceux qui sont morts pour ces droits. C’est tuer une deuxième fois la rédac­tion de Char­lie Heb­do, c’est oublier Nor­bert Zon­go, c’est pro­lon­ger l’autodafé des nazis en 1933… A la cen­sure ont tou­jours suc­cé­dé les inti­mi­da­tions, les déten­tions arbi­traires, les tor­tures, le sang, les balles, la mort… Les ravages lais­sés par le fas­cisme de l’Espagne de Fran­co ou le Chi­li de Pino­chet ont démon­tré qu’il est plus facile de détruire la culture que de la recons­truire par après en démo­cra­tie, on parle dès lors de vide cultu­rel… Une socié­té amné­sique et silen­cieuse, sans âme. En démo­cra­tie, pou­vons-nous être com­plai­sants avec les fascistes ?

C’est ain­si qu’en pleine démo­cra­tie, vers la mi-août 2018, Georges-Louis Bou­chez, délé­gué géné­ral du Mou­ve­ment Réfor­ma­teur (MR), sou­haite que la réfé­rence au natio­nal-socia­lisme soit sanc­tion­née afin d’é­vi­ter les amal­games. Si sa pro­po­si­tion devient une loi, toute per­sonne accu­sant Théo Fran­cken ou quelqu’un d’autre de nazi, sera sanc­tion­né car les accu­sés ne sont pas réel­le­ment nazis. Et cela, même si les diri­geants de la N‑VA ne semblent pas avoir de com­plexes à culti­ver une pro­mis­cui­té avec le pas­sé col­la­bo­ra­tion­niste nazi de la Flandre. Si le MR tente de pro­té­ger ses alliés d’ex­trême droite des amal­games qu’on leur colle, ils n’hé­sitent pas d’a­mal­ga­mer l’ex­trême gauche avec les régimes nazis… En effet, le 24 octobre 2018, le MR a dépo­sé une pro­po­si­tion de réso­lu­tion au Par­le­ment de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles afin, notam­ment, d’inscrire dans les manuels sco­laires la sen­si­bi­li­sa­tion aux dan­gers des régimes com­mu­nistes et à leurs crimes — “à l’instar de ce qui se fait pour le régime nazi” et inter­dire le sub­ven­tion­ne­ment “des asso­cia­tions niant, mini­mi­sant ou jus­ti­fiant les crimes com­mis par les régimes com­mu­nistes “. Bref, si le MR n’est pas à une contra­dic­tion près, l’important est peut-être de ne pas de dire ce qu’on est mais d’être ce qu’on fait.

Début sep­tembre 2018, alors qu’on pen­sait s’être débar­ras­sé pour de bon de la pen­sée fas­ciste, de l’apologie d’Adolf Hit­ler, de l’idéologie raciste et anti­sé­mite, un repor­tage de la VRT nous aver­tit sur les pro­jets nau­séa­bond de l’organisation ultra-natio­na­liste Schild & vrien­den. Le réa­li­sa­teur, Tim Verhey­den explique leur nature : « ils veulent un retour à la socié­té d’an­tan tein­tée d’un natio­na­lisme eth­nique. Ce sont ces prises de posi­tions, reliées à la glo­ri­fi­ca­tion d’Hit­ler, et à la manière dont ils incitent à la haine qui en font un groupe dan­ge­reux ». Un mois avant les élec­tions com­mu­nales, ces révé­la­tions tombent mal pour la N‑VA où des dizaines de membres de Schild & Vrien­den y sont actifs, ont des fonc­tions impor­tantes ou sont can­di­dats sur les listes du par­ti. Nor­mal, l’organisation a été consti­tuée afin d’« assu­rer la sécu­ri­té » lors des inter­ven­tions du secré­taire d’Etat Theo Francken.

Depuis 2014, le par­ti libé­ral fran­co­phone MR semble déter­mi­né à cou­vrir toutes les dérives de la N‑VA, son allié fédé­ral, dont la pré­sence de diri­geants d’extrême droite au sein du gou­ver­ne­ment montre à quel point la bana­li­sa­tion du fas­cisme a pro­gres­sé. Sans com­plexes, leurs diri­geants montrent l’exemple de cette bana­li­sa­tion. Ain­si, en juin 2013, Theo Fran­cken par­ti­cipe à un dîner avec notam­ment Dries Van Lan­gen­hove, le prin­ci­pal diri­geant de Schild & vrien­den et Bo De Geyndt, fon­da­teur de Géné­ra­tion Iden­ti­taire Vlaan­de­ren. Décembre 2016, Kar­li­jn Deene, conseillère com­mu­nale à Gand et col­la­bo­ra­trice directe de Geert Bour­geois, le ministre-pré­sident N‑VA de la Région fla­mande, par­ti­cipe à une fête de Noël orga­ni­sé par le Vrien­den­kring Sneys­sens, une ami­cale d’an­ciens nazis fla­mands du Front de l’Est où l’un des prin­ci­paux ora­teurs de la soi­rée fut Oswald Van Oote­ghem, un ancien offi­cier de la SS. Se sou­vient-on de la par­ti­ci­pa­tion de Théo Fran­cken à l’an­ni­ver­saire de Bob Maes, un ancien col­la­bo­ra­teur de l’oc­cu­pant nazi de notre pays durant la Deuxième Guerre mon­diale et fon­da­teur de la milice d’ex­trême droite VMO ? Se sou­vient-t-on qu’un autre diri­geant de la N‑VA, Ben Weyts, ministre fla­mand de la Mobi­li­té et des Trans­ports publics, était pré­sent à la même fête et y a tenu un dis­cours en son hon­neur ? Se sou­vient-on des décla­ra­tions de Jan Jam­bon mini­mi­sant la col­la­bo­ra­tion avec l’oc­cu­pant alle­mand en la qua­li­fiant d’ ”erreur” et qu’il faut prendre les choses avec du recul. « C’est plus facile à dire après. Les gens qui ont col­la­bo­ré avec les Alle­mands avaient leurs rai­sons. Moi, je ne vivais pas à cette époque-là ». Se sou­vient-on que la poli­tique migra­toire répres­sive de la N‑VA fut, en par­tie pra­ti­quée par le pré­dé­ces­seur de Theo Fran­cken, Mag­gie De Block, de l’O­pen VLD et alors ministre du gou­ver­ne­ment du socia­liste Elio Di Rupo ?

Détruire une mémoire est un acte bar­bare et il est consi­dé­ré comme tel par les lois qui régissent nos socié­tés modernes du XXIe siècle. En effet, ces lois tiennent compte des désastres his­to­riques qu’a lais­sé l’expérience fas­ciste en Europe et ailleurs. Jusqu’où doit-on aller pour expli­quer la gra­vi­té de la situa­tion ? Il y a pour­tant des signes : la répres­sion de la liber­té d’expression média­tique connait une forte aug­men­ta­tion depuis la for­ma­tion du gou­ver­ne­ment MR & N‑VA.

L’attentat du 13 novembre 2015 à Paris a déblo­qué 400 mil­lions d’euros sup­plé­men­taires en faveur de la sécu­ri­té et contre le ter­ro­risme à Bruxelles, s’ajoutant aux 9,2 mil­liards d’euros en maté­riel de guerre. Mal­gré l’arsenal déployé et la sécu­ri­té ren­for­cée en Bel­gique, cela n’a pas empê­ché les atten­tats du 22 mars 2016. C’est dans une socié­té endeuillée, encore sous le choc, qu’on nous parle de ren­for­cer la coopé­ra­tion trans­na­tio­nale, d’échange d’informations, de police maro­caine en patrouille chez nous dans les quar­tiers popu­laires, d’un aéro­port natio­nal comme celui de Tel Aviv, d’importer les méthodes mus­clées du FBI… Où est cet équi­libre entre sécu­ri­té et liber­té ? La sécu­ri­té publique se fait au détri­ment de nos liber­tés. L’État poli­cier se bana­lise. La liber­té se meure en toute sécurité…

Après que Paris ait été frap­pé par des atten­tats qui ont fait 130 morts et plu­sieurs cen­taines de bles­sés, à Bruxelles, le niveau d’a­lerte ter­ro­riste est pas­sé au niveau 4. Et c’est ici qu’apparaissent les chats pour aider la police : les lol­cats du bla­ckout bruxel­lois, sous le hash­tag #Brus­sels­Lo­ck­down, une ava­lanche de pho­tos de chats pro­duite par le jour­na­lisme offi­ciel en réponse à la demande de dis­cré­tion de la part de la police. Durant l’alerte qui affecte la capi­tale belge, les 22 et 23 novembre 2015, les félins enva­hissent Face­book et Twit­ter pour ne pas inter­fé­rer avec les “opé­ra­tions poli­cières en cours”. Com­pre­nez bien, les jour­na­listes offi­ciels s’auto-censurent, ils cessent d’informer sur l’état d’alerte en Bel­gique et pour com­bler le vide ils publient des images de chats… Le cha­ton comme figure iro­nique de la cen­sure par omis­sion, icône de l’innocuité… Les forces de l’ordre ont som­mé les médias de ne plus par­ta­ger “d’in­for­ma­tions via les réseaux sociaux”, comme si on devait se rendre à l’é­vi­dence que le tra­vail jour­na­lis­tique était incom­pa­tible avec les actions des forces de l’ordre.

Bruxelles, dimanche 27 mars 2016 : Quelques cen­taines d’hommes au crâne rasé, tatoués, blou­sons noir-jaune-rouge, visages mi cachés, fai­sant des saluts nazi, pié­tinent les fleurs dépo­sées en hom­mage aux vic­times des atten­tats en face des marches de la Bourse, ils frappent, ils bous­culent les citoyens en deuil… Ils sont escor­tés par la police.

Le same­di 2 avril 2016, en réponse à l’appel euro­péen lan­cé par Géné­ra­tion Iden­ti­taire de venir mani­fes­ter contre les “isla­mistes” à Molen­beek, un ras­sem­ble­ment anti­fas­ciste et anti­ra­ciste était cen­sé se tenir à la Bourse à 13h. Le déploie­ment poli­cier y fut plus impor­tant que celui des mani­fes­tants. La mani­fes­ta­tion a été inter­dite. Déguer­pis­sez ! Obtem­pé­rez ! Des arres­ta­tions vio­lentes de per­sonnes pour­tant au com­por­te­ment paci­fique. La police emporte bru­ta­le­ment des jeunes qui grattent une gui­tare, des simples pas­sants, ils encerclent les ter­rasses des cafés, contrôlent les iden­ti­tés, fouillent dans les toi­lettes, menottent avec des col­sons. Le pré­sident de la Ligue des droits de l’homme se fait arrê­ter, ain­si qu’un jour­na­liste de ZIN TV et 80 autres per­sonnes. Cette-fois-ci, c’est la police en civil qui filme.
Les mesures visant à pré­ve­nir les atten­tats sont récu­pé­rés pour asseoir un pou­voir tou­jours plus auto­ri­taire et arbitraire…

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Notre liberté de contestation et d’expression

La poli­tique impo­pu­laire du gou­ver­ne­ment Michel a connu depuis le début de son man­dat des contes­ta­tions sans cesse crois­sante, aus­si bien en ce qui concerne l’appauvrissement de la popu­la­tion que les coupes bud­gé­taires et autres mesures d’austérité prises dans le cadre de la stricte dis­ci­pline bud­gé­taire de la Com­mis­sion euro­péenne. La dette publique de la Bel­gique conti­nue à aug­men­ter, le relè­ve­ment de la TVA sur l’électricité est pas­sé à 21 %, l’âge de la pen­sion à 67 ans, suivent aus­si le tax-shift, une poli­tique d’immigration dis­cri­mi­na­toire et répres­sive, le main­tient en fonc­tion­ne­ment irres­pon­sable des réac­teurs nucléaires en fin de vie, le dés­in­ves­tis­se­ment de la SNCB, la limi­ta­tion du droit de grève…

Des­cendre dans la rue pour exi­ger plus d’investissements en emplois dans l’enseignement, dans le loge­ment social et dans le ser­vice public… Pro­tes­ter contre les mesures anti­so­ciales, anti-éco­lo­giques et anti-démo­cra­tiques du gou­ver­ne­ment et la poli­tique d’économies de la Com­mis­sion euro­péenne ne semble pas faire plier le gou­ver­ne­ment. Bien au contraire, ceux qui créent la crise pointent du doigt ceux qui défendent les vic­times de la crise. C’est le monde à l’envers. Les mou­ve­ments sociaux et les syn­di­ca­listes sont ciblés, cri­mi­na­li­sés et trai­nés en justice.

La poli­tique sécu­ri­taire et répres­sive du gou­ver­ne­ment MR & N‑VA s’inscrit dans la conti­nui­té de celle du gou­ver­ne­ment anté­rieur, la vio­lence ins­ti­tu­tion­nelle s’exerce de façon crois­sante, mêlant racisme d’État, isla­mo­pho­bie, répres­sion anti­syn­di­cale et poli­tique. La NV‑A contrôle le minis­tère de l’intérieur – donc la police, ain­si que le minis­tère de la défense et l’immigration, entre autres. Faut-il s’étonner qu’à l’intérieur de ces ins­ti­tu­tions publiques l’extrême droite y bombe son torse ? A tra­vers leurs poli­tiques répres­sives, ils cherchent à se rendre utiles auprès des sec­teurs patro­naux les plus réac­tion­naires, mon­trant leur vrai visage de néo­li­bé­raux conser­va­teurs. Ain­si, toutes les armes liber­ti­cides sont uti­li­sées pour mieux ins­tal­ler un sys­tème d’inégalités et de méga-pro­fits. Car, à l’heure de sa crise mon­dia­li­sée, le capi­ta­lisme ne pro­met plus rien à ceux qu’il écrase tou­jours plus et dont il craint les colères orga­ni­sées et convergentes.

Dans la Bel­gique du XXIe siècle, la vio­lence est doré­na­vant deve­nue banale. Comme il est deve­nu banal d’assister à la noyade mas­sive de mil­liers de migrants dans la médi­ter­ra­née, comme est deve­nue banale la pro­mis­cui­té entre les mil­liar­daires et le pou­voir poli­tique, comme il est banal que per­sonne ne s’offusque qu’un lob­byiste devienne ministre… Comme c’est deve­nu banal de répri­mer les mou­ve­ments sociaux et ceux qui les font exis­ter dans l’imaginaire col­lec­tif. Qu’il est banal d’être bla­sé, d’être cynique… pour­vu qu’on se dérobe à l’action collective.

Et la démocratie ?

Tous les méfaits de la démo­cra­tie sont remé­diables par davan­tage de démo­cra­tie, disait Alfred Ema­nuel Smith. Énon­cer les prin­cipes démo­cra­tiques c’est bien, encore faut-il les faire res­pec­ter. A cette fin, il convient de se mobi­li­ser le plus lar­ge­ment pos­sible contre la vio­lence d’État anti­so­ciale, anti­dé­mo­cra­tique et raciste. Il faut dénon­cer sans relâche, sans conces­sion, toutes les répres­sions contre toutes et contre tous. Il faut faire vivre la démo­cra­tie, c’est en son sein qu’un autre pro­jet de socié­té doit voir le jour. Il faut frei­ner ce capi­ta­lisme qui nous conduit vers le pire. Radi­ca­li­ser la démo­cra­tie sup­pose à la fois de trans­for­mer les struc­tures de pou­voir et d’établir une autre hégé­mo­nie que celle que nous vivons.

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Le cas de Jor­dan Croei­saerdt est plein d’enseignements à tirer… La SNCB engage des huis­siers de jus­tice pour inti­mi­der les che­mi­nots qui s’opposent au plan de restruc­tu­ra­tion du rail, et sur les piquets de grève, ils sont à l’affut de la moindre irré­gu­la­ri­té. Accu­sé de com­por­te­ment violent lors d’un piquet à l’entrée du siège de la SNCB, le 6 jan­vier 2016, Jor­dan reçoit une astreinte de 1700€ et trois mois de sus­pen­sion sans indem­ni­tés. Cette sanc­tion vise à créer un pré­cé­dent, à décou­ra­ger tous les futurs gré­vistes et limite dan­ge­reu­se­ment le droit à la contes­ta­tion sociale. Aus­si­tôt, Jor­dan intro­duit un recours. Le sus­pens a duré deux ans, deux ans de mobi­li­sa­tions en soli­da­ri­té avec Jordan.

Le 23 février 2018, l’audience au conseil d’État rend ses conclu­sions : « On voit ce qui a beau­coup fâché la par­tie adverse, c’est que le requé­rant ait pris la parole dans les médias et ait por­té atteinte à l’image des che­mins de fer belge. J’estime que la par­tie adverse a fait feu de tout bois pour adres­ser des reproches au requé­rant dont l’activité syn­di­cale semble jugée trop vive. Il n’y a cepen­dant pas d’éléments qui per­mettent d’affirmer que le requé­rant ait eu un com­por­te­ment abu­sif. Parce que c’est la seule ques­tion : Est-ce que le requé­rant a dépas­sé les limites de ce qui est accep­table ? » En mars 2018, la jus­tice donne rai­son à Jor­dan contre son employeur. Une vic­toire pour la démo­cra­tie qui en appelle d’autres.

D’où le besoin de créer des médias citoyens afin de rendre visible les luttes sociales et ain­si les faire exis­ter dans l’imaginaire col­lec­tif, pour rendre compte des reven­di­ca­tions du mou­ve­ment social et témoi­gner de la vio­lence exer­cée à son encontre. On com­prend mieux pour­quoi ils essayent de nous faire taire et veulent nous empê­cher de fil­mer. Ils ne savent pas qu’ils ne pour­ront pas nous en empê­cher, car nous avons de notre côté la raison.

Le Col­lec­tif ZIN TV

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