Filmer la police est un droit : deux policiers jugés coupables de vol d’usage.

ZIN TV

Nous atten­dions ce juge­ment depuis 5 ans, il a enfin été ren­du. Les 2 poli­ciers qui avaient sai­si la camé­ra de notre équipe de repor­ters en octobre 2015 ont été jugés cou­pables de vol d’u­sage. Cette déci­sion du tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Bruxelles est impor­tante car elle confirme notre droit sans équi­voque de fil­mer l’ac­tion policière.

 

Le juge­ment de notre pro­cès a enfin été ren­du. Pour rap­pel, les faits se sont dérou­lés le 15 octobre 2015. En par­te­na­riat avec ATTAC, ZIN TV réa­li­sait un repor­tage sur la mani­fes­ta­tion paneu­ro­péenne contre les trai­tés de libre échange TTIP et CETA. Par­mi nos repor­ters, Tho­mas Michel et Maxime Lehoux étaient en charge de cou­vrir l’encerclement du Conseil euro­péen. Alors que les poli­ciers nassent les mani­fes­tants et mal­gré s’être pré­sen­tés aux poli­ciers comme une équipe de tour­nage, ils se font embar­quer et arrê­ter admi­nis­tra­ti­ve­ment. Lorsqu’ils sont relâ­chés quelques heures plus tard, Tho­mas reprend le tour­nage immé­dia­te­ment après être des­cen­du du bus. C’est là, que leur camé­ra est sai­sie par un des poli­ciers qui la trans­met à son supé­rieur pour vision­ner les images. Ce der­nier décide de les effa­cer. En sai­sis­sant cette camé­ra et en refor­ma­tant la carte mémoire, ces poli­ciers poli­ciers ont com­mis un acte illé­gal et ont détruit en quelques secondes une jour­née de travail.

En jan­vier 2017, après une plainte dépo­sée auprès du comi­té P, celui-ci avait réagi affir­mant qu’un poli­cier ne peut pas sup­pri­mer ou impo­ser la sup­pres­sion d’images à une per­sonne qui filme l’action poli­cière (jour­na­liste ou non): “En ce qui concerne la sai­sie et la sup­pres­sion des images de la camé­ra, l’enquête a per­mis de rele­ver un dys­fonc­tion­ne­ment tant orga­ni­sa­tion­nel qu’individuel, qui a mené le chef de corps de la zone de police Bruxelles Capi­tale-Ixelles à dif­fu­ser à l’ensemble de son per­son­nel une ins­truc­tion géné­rale rela­tive à la ges­tion des per­sonnes pri­vées de liber­té. Y figure notam­ment une fiche pré­ci­sant qu’un poli­cier ne peut pas sup­pri­mer lui-même ou impo­ser la sup­pres­sion des images à la per­sonne les ayant réa­li­sées”, avait com­men­té le Comi­té P.

Le 14 novembre 2017 débute l’action en jus­tice de ZIN TV et ATTAC Bruxelles qui se joignent pour por­ter plainte contre ces poli­ciers et se consti­tuer par­tie civile devant un juge d’instruction. Les incul­pés étant néer­lan­do­phones, le par­quet a deman­dé que l’affaire soit jugée par la chambre du conseil néer­lan­do­phone. Le par­quet deman­dait un non-lieu pour l’une des poli­ciers et un ren­voi en cor­rec­tion­nel pour son col­lègue avec pour motif de s’être intro­duit dans un sys­tème infor­ma­tique et avoir effa­cé les don­nées, en l’occurrence nos images.

La déci­sion a été ren­due le ven­dre­di 22 février 2019 et les deux poli­ciers sont fina­le­ment ren­voyés en cor­rec­tion­nelle pour vol d’usage et pour avoir effa­cé illé­ga­le­ment des don­nées vidéo.

Le 17 décembre 2021 a eu lieu l’audience publique devant le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel, der­nière étape avant le pro­non­cé du jugement.

La juge rap­pelle qu’il n’est pas inter­dit de fil­mer la police en action mais sur­tout qu’en aucune cir­cons­tance, des poli­ciers ne peuvent sai­sir une camé­ra ou en effa­cer le contenu.

C’est donc le jeu­di 28 jan­vier 2021 que le juge­ment a été ren­du public. La juge recon­naît que la camé­ra a bien été sous­traite des mains de notre repor­ters, même si les faits se sont dérou­lés sans vio­lence. Selon le tri­bu­nal, il était évident que les deux jour­na­listes n’a­vaient pas consen­ti à ce que leur camé­ra soit confis­quée, et l’ins­pec­teur ain­si que l’ins­pec­teur en chef le savaient, car les jour­na­listes avaient clai­re­ment expri­mé leur mécon­ten­te­ment. La juge a condam­né avec des mots fermes l’acte illé­gal que consti­tue la sai­sie de cette camé­ra. Elle a rap­pe­lé qu’il n’est en géné­ral pas inter­dit de fil­mer la police en action mais sur­tout qu’en aucune cir­cons­tance, des poli­ciers ne peuvent sai­sir une camé­ra ou en effa­cer le conte­nu. Le tri­bu­nal a rete­nu comme fac­teur aggra­vant le fait que les per­sonnes qui ont com­mis ces faits soient des poli­ciers. Il est donc prou­vé pour le tri­bu­nal que la camé­ra a été mani­pu­lée par les poli­ciers avec l’in­ten­tion de véri­fier ce qui a été fil­mé mais il sub­siste par contre un doute pour la juge sur le fait que les images aient été endom­ma­gées ou effa­cées de manière inten­tion­nelle par l’ins­pec­teur en chef qui était éga­le­ment jugé pour. Compte tenu de l’ab­sence d’an­té­cé­dents judi­ciaires des deux poli­ciers, du délai rai­son­nable qui est dépas­sé après 5 ans de pro­cé­dure, que ces poli­ciers aient dû subir une enquête en interne et que le fait d’être confron­tés au tri­bu­nal est une peine en soi, la juge leur a accor­dé le béné­fice de la sus­pen­sion du pro­non­cé de la condamnation.

Depuis quelques années, nous assis­tons à une inten­si­fi­ca­tion et un élar­gis­se­ment de la répres­sion à l’égard des mou­ve­ments sociaux. Si les vio­lences poli­cières ont tou­jours tou­ché les quar­tiers popu­laires, les témoi­gnages qui font état d’abus, de dis­cri­mi­na­tions et de bru­ta­li­tés de la part des forces de l’ordre se mul­ti­plient. Il est donc plus que néces­saire de rap­pe­ler que fil­mer l’action poli­cière est un droit fon­da­men­tal. Or sur le ter­rain les policier.e.s main­tiennent sou­vent la confu­sion, ou tentent de dis­sua­der les citoyen.ne.s de fil­mer leurs actions. Ces inti­mi­da­tions mettent en dan­ger le droit d’informer et la liber­té d’expression. Par ailleurs, ces images sont essen­tielles pour appor­ter la preuve d’une infrac­tion com­mise par les fonc­tion­naires de police et pour aler­ter l’opinion publique sur la réa­li­té de la vio­lence exer­cée par l’État chaque jour.

Nous invi­tons donc, sur base de ce juge­ment toute per­sonne qui pho­to­gra­phie ou filme les actions (ou dérives) de la police à ne pas se lais­ser inti­mi­der par d’éventuelles menaces injus­te­ment pro­fé­rées. Il s’agit là d’un droit inal­té­rable et la police agit illé­ga­le­ment lorsqu’elle s’y oppose, sai­sit la camé­ra ou pire encore quand elle force la sup­pres­sion de don­nées sur un sup­port tel qu’une camé­ra, un appa­reil pho­to, un smart­phone, etc. Le fait d’être pho­to­gra­phié ou fil­mé durant une inter­ven­tion ne devrait pas consti­tuer une gêne pour des agents de police n’ayant rien à se reprocher.

Une image de Riennepress pour Il faut tuer TINA