Le soulèvement du ghetto de Varsovie

EN LIEN :

L’as­so­cia­tion MEMORIAL98, qui com­bat contre le racisme, l’an­ti­sé­mi­tisme et le néga­tion­nisme a été créée en jan­vier 1998, lors du cen­te­naire de l’af­faire Drey­fus. Son nom fait réfé­rence aux pre­mières mani­fes­ta­tions orga­ni­sées en jan­vier 1898, pen­dant l’af­faire Drey­fus, par des ouvriers socia­listes et révo­lu­tion­naires pari­siens s’op­po­sant à la pro­pa­gande natio­na­liste et antisémite.

Lorsque les troupes nazies pénètrent dans le ghet­to de Var­so­vie le 19 Avril 1943, afin de le liqui­der, elles ne s’attendent pas a trou­ver 750 Juifs et Juives armé·es der­rière des bar­ri­cades, prêt·s à les combattre.

Enfer­mée et tas­sée entre des murs et des bar­be­lés depuis novembre 1940, la popu­la­tion du ghet­to a déjà chu­té de 450.000 à 70.000 per­sonnes en moins de 3 ans, en rai­son des dépor­ta­tions quo­ti­diennes vers le camp de mise à mort de Treblinka.

L’organisation juive de com­bat (OJC) qui pla­ni­fie et orga­nise l’insurrection a été ini­tiée par les mou­ve­ments de jeu­nesse pré­sents dans le ghetto.

Mais c’est tout le ghet­to de Var­so­vie qui se sou­lève et sou­tient les 750 combattant·es. Mal­gré les condi­tions dra­ma­tiques de leur lutte, des mil­liers de per­sonnes accu­lées se sont dres­sées et orga­ni­sées contre les nazis. Ces femmes et ces hommes se sont aus­si battu·e·s pour que leur mémoire nous par­vienne et nous ins­pire dans nos com­bats actuels.

Le 19 avril, date du début du sou­lè­ve­ment du ghet­to de Var­so­vie en 1943, sym­bo­lise l‘exter­mi­na­tion des Juifs d’Europe par les nazis. La révolte d’avril 1943 se pro­dui­sit dans les condi­tions ter­ribles d’un ghet­to déjà en par­tie vidé de ses habitants.

En effet, depuis le 23 juillet 1942, jour après jour, cinq à six mille per­sonnes étaient emme­nées par les nazis, du ghet­to vers la « Umschlag­platz »  ou « place du trans­bor­de­ment » puis dépor­tées vers le camp d’extermination de Treblinka.

L’enfermement du ghet­to de Var­so­vie, novembre 1940

Le début du ghetto

Le ghet­to de Var­so­vie a été ins­tau­ré le 12 octobre 1940, date qui cor­res­pon­dait cette année-là à la grande fête juive de Yom Kippour.

Les nazis, dans leur rage anti­sé­mite, uti­li­saient sou­vent les dates des fêtes reli­gieuses juives afin de pro­cé­der à des per­sé­cu­tions par­ti­cu­lières ou de mar­quer leur « connais­sance » du judaïsme.

Les nazis annon­cèrent à la popu­la­tion juive qu’elle devait démé­na­ger dans ce « quar­tier juif » exi­gu qui fut ceint de bar­be­lés. Le 16 novembre, on y trans­fère de force les Juifs, soit un tiers de la popu­la­tion de la ville, qui doivent se concen­trer sur sur 2,4% de sa super­fi­cie : 450 000 per­sonnes sont alors cou­pées du reste du monde.

L« Aktion » comme l’appelaient les nazis, de dépor­ta­tion vers la mort, débu­ta le 22 juillet 1942. Cette date cor­res­pon­dait au jour de Tish’a Beav, qui com­mé­more par le deuil et le jeûne la des­truc­tion du Temple juif de Jéru­sa­lem par l’armée romaine en l’an 70 de notre ère.

Chaque 22 juillet à Var­so­vie, une marche démarre du monu­ment de l’« Umschlag­platz », lieu d’où par­taient les convois de dépor­tés puis par­court l’ancien espace du ghet­to, dont il ne sub­siste stric­te­ment rien.

Elle se ter­mine devant le centre cultu­rel et de mémoire dédié à Emma­nuel Rin­gel­blum, héroïque his­to­rien du ghet­to et ani­ma­teur du réseau « Oneg Shab­bat » qui en pré­ser­va la mémoire. 

Une révolte préparée

La dépor­ta­tion des Juifs de Var­so­vie s’inscrivait dans le cadre de la plus vaste « Aktion Rein­hardt », orga­ni­sée par les nazis en Pologne occu­pée ; celle-ci inclut la construc­tion des camps d’extermination de Bel­zec (mars 1942), Sobi­bor (mai 1942) et Tre­blin­ka (juillet 1942).

Ce der­nier camp joue un rôle par­ti­cu­lier dans l’extermination des Juifs de Var­so­vie. 280 000 Juifs dépor­tés de la capi­tale polo­naise y seront assassinés.

L’Aktion de Var­so­vie prit fin tem­po­rai­re­ment le 21 sep­tembre sui­vant, à nou­veau durant le jour de la plus impor­tante fête juive, Yom Kippour.

Après cette grande dépor­ta­tion, le ghet­to de Var­so­vie est réduit à un camp de tra­vail où 36 000 Juifs sur­vivent offi­ciel­le­ment et où 20 à 25 000 clan­des­tins se cachent. Son sur­sis tenait d’une part à la pénu­rie de main‑d’œuvre gra­tuite dont l’administration nazie vou­lait dis­po­ser, et d’autre part à la néces­si­té d’une pause afin de recen­ser et d’expédier vers le Reich les biens volés dans le ghetto.

Quelques jours après le début de la dépor­ta­tion de juillet, la résis­tance juive s’unifia dans un « Bloc anti­fas­ciste   et se dote d’une branche armée, l’Organisation juive de com­bat (OJC), fon­dée le 28 juillet 1942. Cette démarche débou­cha plu­sieurs mois plus tard sur le sou­lè­ve­ment du ghetto

Les pre­mières opé­ra­tions de l’OJC furent diri­gées contre les res­pon­sables de la « police juive » et autres collaborateurs.

En jan­vier 1943, une seconde Aktion visant à liqui­der le reste du ghet­to fut inter­rom­pue par les nazis eux-mêmes au bout de quatre jours, face à la résis­tance et au fait que la popu­la­tion se cache dans un réseau sou­ter­rain creu­sé durant des mois.

Hein­rich Himm­ler, en dépla­ce­ment à Var­so­vie, ordon­na alors la des­truc­tion du ghet­to et de ses habi­tants. Au même moment le ghet­to de Cra­co­vie est liqui­dé en Mars 1943.

Le 19 avril 1943, cor­res­pon­dant cette année là au début de la fête juive de Pes­sah, les uni­tés SS char­gées de liqui­der le ghet­to sont repous­sées par les com­bat­tants. Ceux-ci ne dis­posent que de quelques revol­vers et gre­nades. Quand le mil­lier de sol­dats alle­mands pénètrent en force dans le ghet­to, les résis­tants les attendent  bar­ri­ca­dés dans leurs bun­kers et leurs caves. Au nombre de 1000 envi­ron, ils sont regrou­pés prin­ci­pa­le­ment dans l’Orga­ni­sa­tion des Com­bat­tants Juifs, (OJC, ZOB en polo­nais) com­man­dée par le jeune Mor­de­haï Ani­le­wicz, membre de l’organisation de jeu­nesse Hacho­mer Hat­zaïr.

Dès l’invasion de la Pologne par les nazis, Ani­le­wicz avait  rejoint avec des membres de son groupe l’est de la Pologne, pour aider à retar­der l’avance alle­mande. Après l’invasion de ces régions orien­tales de la Pologne par les armées de Sta­line, à la suite du pacte ger­ma­no-sovié­tique, les Sovié­tiques l’arrêtent et l’emprisonnent. Il est libé­ré peu de temps après, et retourne alors à  Varsovie

Face à l’insurrection, le com­man­dant alle­mand est rele­vé de ses fonc­tions, le géné­ral SS Jür­gen Stroop lui suc­cède. Il est lui-même est pris de court par la rébel­lion des « sous-hommes » ain­si que les nazis qua­li­fiaient les Juifs. Dès lors, les troupes SS vont incen­dier sys­té­ma­ti­que­ment les immeubles et pro­pul­ser du gaz dans les sou­ter­rains afin d’en délo­ger les résistants.

Ces der­niers vont tenir pen­dant un mois, mal­gré leur très faible niveau d’armement et de nour­ri­ture. Plus de deux mille SS, sou­te­nus par de l‘artillerie et des blin­dés, incen­dient le ghet­to, mai­son après mai­son. Les Juifs sont asphyxiés, car­bo­ni­sés, enter­rés vivants dans les abris où ils sont retranchés.

Six mille Juifs pré­sents dans le ghet­to trouvent la mort dans les com­bats ou se sui­cident. Sept mille sont fusillés sur place. Les autres sont dépor­tés. Une poi­gnée de mira­cu­lés échappe à la mort en s’enfuyant par les égouts.

Le 16 mai 1943, Stroop fait dyna­mi­ter la grande syna­gogue du ghet­to. Il annonce à Himm­ler : « Il n’existe plus de quar­tier juif à Varsovie. »

Mor­de­chaj Anie­le­wicz, com­man­dant de la Żydows­ka Orga­ni­zac­ja Bojo­wa (ŻOB, l’Or­ga­ni­sa­tion juive de combat)

Le tes­ta­ment de Mor­de­haï Anilewicz

La rébel­lion se ter­mine à la mi-mai. Mor­de­haï Ani­le­wicz se sui­cide le 8 mai avec une par­tie de la direc­tion de l’OJC ; il a 24 ans.

Le 23 avril 1943, il avait écrit dans une der­nière lettre :

« Les Alle­mands ont fui par deux fois du ghet­to. L’une de nos com­pa­gnies a résis­té 40 minutes et une autre s’est bat­tue pen­dant plus de six heures… Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est éga­le­ment une réussite…

Grâce à notre radio, nous avons enten­du une mer­veilleuse émis­sion rela­tant notre lutte. Le fait que l’on parle de nous hors du ghet­to nous donne du courage.

Soyez en paix, mes amis de l’extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d’un miracle et nous rever­rons-nous un jour. J’en doute ! J’en doute fort !

Le rêve de ma vie s’est réa­li­sé. L’auto-défense du ghet­to est une réa­li­té. La résis­tance juive armée et la ven­geance se maté­ria­lisent. Je suis témoin du mer­veilleux com­bat des héros juifs… »

Quelques jours plus tard, le 12 mai, Szmuel Zygiel­bo­jm, repré­sen­tant du mou­ve­ment ouvrier juif Bund dans le gou­ver­ne­ment polo­nais en exil à Londres, se sui­cide dans cette ville.

Il pro­teste ain­si contre l’inaction des gou­ver­ne­ments alliés, dûment aver­tis de la situa­tion en Europe de l’Est et notam­ment en Pologne.

Lui-même avait aler­té publi­que­ment sur l’extermination en cours.

Il lais­sa une lettre dont voi­ci des extraits :

« Der­rière les murs du ghet­to se déroule à pré­sent le der­nier acte d’une tra­gé­die sans pré­cé­dent dans l’Histoire. La res­pon­sa­bi­li­té du for­fait consis­tant à exter­mi­ner la tota­li­té de la popu­la­tion juive de Pologne retombe au pre­mier chef sur les exé­cu­tants ; mais, indi­rec­te­ment, elle rejaillit éga­le­ment sur l’humanité tout entière. Les nations et les gou­ver­ne­ments alliés n’ont entre­pris jusqu’ici aucune action concrète pour arrê­ter le massacre.

En accep­tant d’assister pas­si­ve­ment à l’extermination de mil­lions d’êtres humains sans défense – les enfants, les femmes et les hommes mar­ty­ri­sés – ces pays sont deve­nus les com­plices des cri­mi­nels […]. Mes cama­rades du ghet­to de Var­so­vie ont suc­com­bé, l’arme au poing, dans un der­nier élan héroïque. Il ne m’a pas été don­né de mou­rir comme eux, ni avec eux. Mais ma vie leur appar­tient et j’appartiens à leur tombe com­mune. Par ma mort, je désire expri­mer ma pro­tes­ta­tion la plus pro­fonde contre la pas­si­vi­té avec laquelle le monde observe et per­met l’extermination du peuple juif.

Je suis conscient de la valeur infime d’une vie humaine, sur­tout au moment pré­sent. Mais comme je n’ai pas réus­si à le réa­li­ser de mon vivant, peut-être ma mort pour­ra-t-elle contri­buer à arra­cher à l’indifférence ceux qui peuvent et doivent agir pour sau­ver de l’extermination – ne fût-ce qu’en ce moment ultime – cette poi­gnée de juifs polo­nais qui sur­vivent encore. Ma vie appar­tient au peuple juif de Pologne et c’est pour­quoi je lui en fais don… » (Londres, mai 1943)