Il y a 25 ans, tombait Thomas Sankara

Par Acheikh Ibn-Oumar

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Afrik

 

On trou­ve­ra par ailleurs

à l’adresse http://www.thomassankara.net/spip.php?article794 une tra­duc­tion de l’ensemble du pre­mier épi­sode de cette série consa­crée à Tho­mas et à son assassinat.

à l’adresse http://thomassankara.net/spip.php?article845 une inter­view de Sil­ves­tro Mon­ta­na­ro qui porte sur ce film

à l’adresse http://www.thomassankara.net/spip.php?article812 des pré­ci­sions de Sil­ves­tro Mon­ta­na­ro que nous avions reçues et qui avaient moti­vé l’interview ci-dessus.

EN LIEN :

Par Acheikh Ibn-Oumar, ancien ministre des Affaires étran­gères et ancien ambas­sa­deur tcha­dien aux Nations unies

Source : Afrik

Le des­tin tra­gique de Tho­mas San­ka­ra, comme celui de Patrice Lumum­ba, Amil­car Cabral et d’autres lea­ders afri­cains dont l’élan vision­naire fut pré­co­ce­ment bri­sé, sus­citent des ques­tion­ne­ments idéo­lo­giques, socio-his­to­riques et, natu­rel­le­ment, politiques.

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Acheikh Ibn-Oumar, ancien ministre des Affaires étran­gères et ancien ambas­sa­deur tcha­dien aux Nations unies

Il m’est dif­fi­cile d’oublier cette après-midi du 15 octobre 1987, à Oua­ga­dou­gou. C’était un peu avant 16 heures, heure locale. Tout bai­gnait dans une tor­peur inci­tant à la sieste. Nous étions six dans la vil­la où nous logions : trois de mes col­la­bo­ra­teurs, le cui­si­nier et le sous-offi­cier bur­ki­na­bé affec­té à notre ser­vice. Puis brus­que­ment, de brèves rafales d’armes auto­ma­tiques déchi­rèrent le silence. Quelqu’un remar­qua : « Ça vient de la direc­tion du Conseil de l’Entente (quar­tier géné­ral du CNR, Conseil Natio­nal de la Révolution) ! ».

Puis, le calme retom­ba. Un calme bien étrange. On pou­vait presque res­sen­tir la ten­sion que vivaient, à ce moment-là, tous les habi­tants de la ville. C’est que depuis quelques semaines, une sourde ten­sion poli­tique régnait au som­met de l’État et, ces der­niers jours, les rumeurs les plus alar­mantes par­cou­raient la ville. On par­lait de graves divi­sions chez les mili­taires et les intel­lec­tuels civils, de com­plots, d’épuration… Mais on ne savait pas encore que ces brèves rafales venaient de fau­cher le cama­rade Tho­mas et six membres de son staff.

Le pré­sident Gou­kou­ni et moi-même avions été reçus par Tho­mas San­ka­ra quelques jours aupa­ra­vant, dans le cadre de ses efforts pour ten­ter de recol­ler les mor­ceaux du Gou­vernent d’union natio­nale de tran­si­tion (GUNT), coa­li­tion de mou­ve­ments oppo­sés au pré­sident His­sène Habré.

Quelques minutes après que nous avons enten­du les tirs, l’officier de sécu­ri­té télé­pho­na à sa hié­rar­chie. « Il y a des sérieux pro­blèmes et on me demande de vous dire de ne sor­tir sous aucun pré­texte et de pas­ser la consigne à vos com­pa­triotes », nous annon­ça-t-il. Mal­gré ses efforts pour avoir un « ton de ser­vice », un désar­roi mal maî­tri­sé se lisait sur son visage. Dans une rue avoi­si­nante, le com­man­dant Lin­ga­ni, numé­ro 3 du direc­toire mili­taire et ministre de la Défense, pas­sa alors à toute vitesse au volant d’une jeep, hur­lant des ordres dans son talkie-walkie.

Rumeurs ouagalaises

Les coups de feu enten­dus et le va-et-vient de véhi­cules mili­taires ne lais­saient aucun doute. La crise poli­tique, qui cou­vait, venait de connaître un impor­tant déve­lop­pe­ment. Depuis plu­sieurs semaines, des milieux poli­tiques jusqu’aux “dolo­te­ries” et “alo­ko­dromes” (res­tau­rants en plein air), il n y avait qu’un seul sujet de conver­sa­tion. « Ça ne va pas du tout entre les diri­geants. Le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire dans son ensemble est divi­sé par des luttes d’influence entre fac­tions rivales », enten­dait-on en ville.

A cela s’ajoutaient deux signes annon­cia­teurs. Le pre­mier, le dis­cours lu par le repré­sen­tant des étu­diants à la céré­mo­nie du qua­trième anni­ver­saire de la DOP (Décla­ra­tion d’orientation poli­tique) et que tout le monde avait inter­pré­té comme un mes­sage de la frac­tion oppo­sée à Tho­mas San­ka­ra. Le second, la cir­cu­la­tion de tracts atta­quant vio­lem­ment l’un ou l’autre des hauts diri­geants et attri­bués tan­tôt aux par­ti­sans de Blaise Com­pao­ré, tan­tôt à ceux de Tho­mas San­ka­ra lui-même.

Si mes ren­contres avec les prin­ci­paux concer­nés n’avaient rien lais­sé paraître, mes dis­cus­sions avec cer­tains anciens cama­rades de la Fédé­ra­tion des étu­diants d’Afrique noire en France (FEANF) m’avaient per­mis de tou­cher du doigt de sérieuses contra­dic­tions internes.

D’abord, j’avais consta­té que les anciens de la FEANF, bien qu’engagés dans le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire, étaient repar­tis entre plu­sieurs orga­ni­sa­tions, créées au départ dans la clan­des­ti­ni­té, selon des pos­tures idéo­lo­giques, par­fois assez sur­réa­listes par rap­port aux besoins de la construc­tion natio­nale au Bur­ki­na. Ils par­laient ouver­te­ment des dévia­tions dans la « Révo­lu­tion ». Les uns acca­blant le « cama­rade Tho­mas », les autres le « cama­rade Blaise ».

Au niveau de ces intel­lec­tuels, la prin­ci­pale pomme de dis­corde était « la ques­tion du par­ti » d’avant-garde. On prê­tait à San­ka­ra et ses par­ti­sans la volon­té de vou­loir dis­soudre toutes les orga­ni­sa­tions qui étaient repré­sen­tées dans le CNR, au pro­fit d’une sorte de par­ti unique acquis à sa per­sonne, et de sup­pri­mer la réfé­rence à tout sys­tème de par­ti, pour confier le mono­pole de la mobi­li­sa­tion poli­tique aux Comi­tés de défense de la Révo­lu­tion (CDR), sur le modèle des comi­tés révo­lu­tion­naires libyens.

Au niveau mili­taire, la déci­sion de créer la FIMATS, une force d’intervention au sein du ministre de l’Intérieur, fut inter­pré­tée comme fai­sant par­tie d’un plan de mar­gi­na­li­sa­tion pro­gres­sive des offi­ciers de l’armée régu­lière, majo­ri­tai­re­ment acquis à Blaise.

Sankara, le « camarade qui s’était trompé », selon Compaoré

Ce 15 octobre 1987, le sus­pens ne dura pas long­temps. Vers 18h30, un très bref com­mu­ni­qué fut lu par une voix incon­nue, au nom d’un mys­té­rieux « Front Popu­laire » qui com­men­çait par : « Le régime auto­cra­tique de Tho­mas San­ka­ra vient de tom­ber ». Il y était ques­tion de « dévia­tion », de « ten­ta­tive de res­tau­ra­tion néo­co­lo­niale » par Tho­mas San­ka­ra et de la néces­si­té d’un « Mou­ve­ment de rec­ti­fi­ca­tion ». Le com­mu­ni­qué s’achevait par « signé Blaise Com­pao­ré ». Ce der­nier devait expli­quer, plus tard, au cours d’une inter­view, qu’il n’avait pas par­ti­ci­pé au drame qui s’était dérou­lé au Conseil de l’Entente et qu’il était chez lui, « en train de dormir »…

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Tho­mas San­ka­ra et son assas­sin, Blaise Campaoré

Une expli­ca­tion plus consis­tante, sous la forme d’un long dis­cours, fut lue à la radio des jours plus tard par Blaise Com­pao­ré lui-même. Il expli­quait que les erreurs s’étaient accu­mu­lées et qu’elles avaient conduit au « Mou­ve­ment de rec­ti­fi­ca­tion ». San­ka­ra n’était plus trai­té d’ « auto­cra­tique » et de « réac­tion­naire », mais de « cama­rade qui s’était trom­pé ». « Une sépul­ture digne de la place qu’il avait occu­pée lui serait construite ». Pour­quoi par­ler de « sépul­ture » ? C’est que San­ka­ra et ses cama­rades d’infortune avaient été enter­rés à la hâte, à même la terre. Cer­taines des par­ties de leurs corps affleu­raient même au niveau du sol !

La nuit de ce 15 octobre 1987 fut encore secouée par des coups de feu, net­te­ment plus nour­ris que ceux de l’après-midi. On apprit le len­de­main que c’était Pierre Oue­drao­go, le coor­di­na­teur des CDR qui fai­sait de la résis­tance chez lui, pen­dant plu­sieurs heures avant de se rendre.

La fin de l’omerta, le début d’une réflexion

L’écho, en Afrique et dans le monde, de l’annonce de l’assassinat de Tho­mas San­ka­ra fut immense. Jer­ry Raw­lings du Gha­na et Yowe­ri Muse­ve­ni d’Ouganda, rom­pant avec le sacro-saint prin­cipe de l’Organisation de l’unité afri­caine (OUA, l’ancêtre de l’Union afri­caine) de ne pas cri­ti­quer les chan­ge­ments internes aux Etats, condam­nèrent offi­ciel­le­ment l’événement et décré­tèrent un deuil natio­nal. Curieu­se­ment le colo­nel Kadha­fi fut com­plè­te­ment muet sur l’évènement.

Vingt cinq ans après, il n y a jamais eu d’enquête offi­cielle sur ce drame. Récem­ment encore, dans une inter­view à Jeune Afrique, le pré­sident Com­pao­ré se conten­ta de jus­ti­fier cette omer­ta par le fait que les révo­lu­tions connaissent sou­vent des sou­bre­sauts san­glants et que les drames non-élu­ci­dés ne sont pas l’apanage du seul Bur­ki­na Faso.

L’enquête pour faire toute la lumière sur les cir­cons­tances du drame est une néces­si­té, non pas pour punir des cou­pables, mais pour assai­nir l’ambiance poli­tique au Bur­ki­na, per­mettre à sa famille d’aller au bout de son tra­vail de deuil et don­ner à Tho­mas San­ka­ra la place qui lui revient dans l’Histoire bur­ki­na­bé et africaine.

Au-delà de cet aspect humain, le des­tin tra­gique de Tho­mas San­ka­ra, comme celui de Patrice Lumum­ba, Amil­car Cabral et d’autres lea­ders afri­cains dont l’élan vision­naire fut pré­co­ce­ment bri­sé, sus­citent des ques­tion­ne­ments idéo­lo­giques, socio-his­to­riques et, natu­rel­le­ment, poli­tiques. Ils méritent d’être trai­tés en pro­fon­deur, sans pas­sion, en vue d’en tirer des leçons et d’éclairer la lutte des géné­ra­tions mon­tantes pour l’émancipation et l’unification des peuples africains.


Témoignages sur l’assassinat de Thomas Sankara 

Cette vidéo est un extrait du 3eme épi­sode du film « Ombre Afri­caine » consa­cré au Libé­ria du jour­na­liste ita­lien Sil­ves­tro Mon­ta­na­ro dif­fu­sé sur la RAI3 en juillet 2009 dans la cadre des émis­sions « C’era una vol­ta 2009 ».

Cet extrait est consa­cré à Tho­mas San­ka­ra et à son assas­si­nat. Le film en entier en ita­lien est dis­po­nible à par­tir de la RAI et compte 3 épisodes

Les sous titres ont été réa­li­sés par Patri­zia Dona­del­lo et Anto­nio Mele.