Interview de François Houtart sur la situation au Honduras

Au Honduras, les violations des droits humains se poursuivent et les États-Unis sont complices de cette situation.

Nous repro­dui­sons ici un entre­tien de Fran­çois Houtart.

Source : http://www.medelu.org/spip.php?article686

Inter­view de Fran­çois Hou­tart

par Gior­gio Truc­chi, jour­na­liste à Ope­ra Mundi

publié : le 17 décembre 2010, tra­duc­tion fran­çaise : Thier­ry Deronne

Le Hon­du­ras se débat en pleine crise éco­no­mique, sociale et poli­tique depuis le coup d’État qui a chas­sé du pou­voir le pré­sident Manuel Zelaya en juin 2009. Mal­gré l’image de “pays paci­fié et nor­ma­li­sé” que l’actuel gou­ver­ne­ment de Por­fi­rio Lobo tente de pro­je­ter inter­na­tio­na­le­ment, les orga­ni­sa­tions qui intègrent la Pla­te­forme des droits humains du Hon­du­ras conti­nue de dénon­cer les constantes vio­la­tions des droits de l’homme et ont ins­tal­lé une “com­mis­sion de la véri­té” pour éclai­rer les abus com­mis depuis du coup d’État.

francois_houtart.jpgFran­çois Hou­tart (pho­to), prêtre, socio­logue, membre du Conseil inter­na­tio­nal du Forum social mon­dial est éga­le­ment membre de la Com­mis­sion de la véri­té. Dans cet entre­tien don­né à Ope­ra Mun­di, il ana­lyse la déli­cate situa­tion que vit le Hon­du­ras. Le socio­logue belge est convain­cu qu’une conso­li­da­tion du pro­jet de refon­da­tion du FNRP (Front natio­nal de résis­tance popu­laire) pour­rait impli­quer une aug­men­ta­tion de la répres­sion et que le gou­ver­ne­ment des États-Unis n’est pas étran­ger à cette situa­tion. Selon lui, ce der­nier sou­haite se repo­si­tion­ner dans la région lati­noa­mé­ri­caine, le coup d’État au Hon­du­ras étant une pièce impor­tante de cette stratégie.

GT : Dix-sept mois après le coup d’Etat au Hon­du­ras, com­ment voyez-vous la situa­tion des droits de l’homme dans ce pays ?

F.H : Elle ne s’améliore pas. Elle empire même avec la dif­fi­cile situa­tion sociale et éco­no­mique. Nous savons que le coup d’Etat a été mené par une oli­gar­chie tra­di­tion­nelle oppo­sée aux pro­ces­sus de chan­ge­ments. Elle refuse de perdre ses pri­vi­lèges. A pré­sent qu’elle détient de nou­veau le pou­voir et qu’elle contrôle la poli­tique et l’économie, elle refuse toute autre avan­cée sociale. Tous ceux qui tentent de lut­ter sont vus comme des enne­mis à abattre. Il ne se passe pas de nou­velle semaine sans vic­times. Nous vivons encore une situa­tion très tendue.


GT : Quel est le rôle de la Com­mis­sion de la véri­té dans un contexte aus­si compliqué ?

FH : Les objec­tifs de la com­mis­sion sont d’enquêter sur les vio­la­tions des droits humains à par­tir du coup d’État, sur l’histoire de ce der­nier, ses consé­quences, sur les acteurs à l’origine de cet évé­ne­ment. Et fina­le­ment, d’enquêter sur le contexte géné­ral du pays car on ne peut com­prendre ces faits sans connaître la struc­ture sociale, éco­no­mique et poli­tique du Hon­du­ras. Tout ceci per­met­tra d’éclairer ce qui s’est réel­le­ment pas­sé et de mon­trer qui sont les véri­tables responsables.


GT : Récem­ment, le repré­sen­tant du Dépar­te­ment d’Etat nord-amé­ri­cain Phi­lip J. Crow­ley a décla­ré que “le thème des droits de l’homme n’est pas une condi­tion préa­lable au retour du Hon­du­ras au sein de l’Organisation des Etats amé­ri­cains (OEA)”. Quelle lec­ture faites-vous de cette déclaration ?

FH : Cela fait par­tie de la logique poli­tique des Etats-Unis. Ils ont condam­né le coup d’État comme méthode mais pas comme objec­tif : stop­per les pro­ces­sus de chan­ge­ment en cours. A pré­sent, ils veulent légi­ti­mer l’actuel gou­ver­ne­ment pour pour­suivre ses poli­tiques et don­ner l’apparence d’une nor­ma­li­sa­tion dans la région.

GT : Quel rôle a joué le coup d’Etat au Hon­du­ras dans la région ?

FH : Le Hon­du­ras était l’élément le plus fra­gile de l’ensemble des pays qui mènent des pro­ces­sus de trans­for­ma­tion. C’est donc un aver­tis­se­ment à tout le conti­nent et nous avons obser­vé des suites dans plu­sieurs pays. Lorsqu’un pays refuse de s’aligner sur les poli­tiques nord-amé­ri­caines et les oli­gar­chies locales, on observe des inter­ven­tions non plus mili­taires comme par le pas­sé, mais des désta­bi­li­sa­tions qui s’appuient sur de nou­velles méthodes et instruments.

GT : La ques­tion du rôle du pré­sident Oba­ma dans le coup d’État au Hon­du­ras est posée par cer­tains. Qu’en pensez-vous ?

FH : Quand on observe sa poli­tique exté­rieure, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une conti­nui­té avec la période anté­rieure. Le style peut dif­fé­rer, pas la sub­stance. Le cas du Hon­du­ras en four­nit une claire illustration.

GT : On dit aus­si que les Etats-Unis ont beau­coup de pro­blèmes au Moyen-Orient et qu’en ce moment l’Amérique latine ne consti­tue pas une priorité.

FH : Le conti­nent lati­no-amé­ri­cain conser­ve­ra tou­jours une grande impor­tance pour les États-Unis, le contrô­ler est néces­saire. Il est évident que les pro­ces­sus d’unité lati­noa­mé­ri­caine les pré­oc­cupe beau­coup. Comme les pré­oc­cupe éga­le­ment l’orientation de ces pro­ces­sus qui cherche à envi­sa­ger l’économie et la poli­tique au delà de l’économie capi­ta­liste et de l’économie de mar­ché. Il s’agit, pour les Etats-Unis, d’une menace à long terme pour la conti­nui­té du sys­tème et de leurs intérêts.

GT : Dans le cas du Hon­du­ras, est-ce un tel chan­ge­ment de sys­tème qui pré­oc­cupe le plus les États-Unis ?

FH : Pour une part, en effet. Mais le plus impor­tant est l’adhésion du Hon­du­ras à l’Alliance boli­va­rienne des peuples d’Amérique ( Alba). Du point de vue des Etats-Unis, il s’agissait d’un mau­vais signal pour d’autres pays de la región cen­tra­mé­ri­caine et c’est pour­quoi ils ont déci­dé d’intervenir.


GT : Le pro­ces­sus de for­ma­tion du FNRP au Hon­du­ras est inédit dans la région. Croyez-vous que le Front pour­ra atteindre l’objectif de refon­der le pays ?

FH : Il s’agit d’une résis­tance orga­ni­sée par des mou­ve­ments de base et c’est quelque chose de très inno­va­teur. Je crois qu’il pour­ra atteindre ses objec­tifs tant qu’il main­tien­dra l’unité de tous les sec­teurs et que tôt ou tard, il puisse trou­ver une tra­duc­tion dans le champ poli­tique pour pro­mou­voir des réformes struc­tu­relles de l’Etat.


GT : Une mon­tée en puis­sance du FNRP peut-elle impli­quer davan­tage de répression ?

FH : Cela ne fait pas de doute. Le gou­ver­ne­ment actuel croit que les gens vont se las­ser et que la résis­tance va dis­pa­raître peu à peu. Si cela ne se pro­duit pas, comme je le crois, il va s’écrire un scé­na­rio de vio­lence très préoccupant.


GT : Dans ce contexte, la pré­sence d’une Com­mis­sion de la véri­té revêt une impor­tance accrue ?

FH : Les tra­vaux ont déjà com­men­cé. Tous les membres ont par­cou­ru le pays pour recueillir des témoi­gnages et ana­ly­ser les avan­cées du processus.

Source :

http://operamundi.uol.com.br (ori­gi­nal portugais)
http://nicaraguaymasespanol.blogspot.com (ver­sion espagnole)

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