La culture et la RTBF

FACIR

En affi­chant un tel dés­in­té­rêt pour la culture, la télé­vi­sion de ser­vice public risque de se décrédibiliser.

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FACIR — pro­non­cé [fakir] — ras­semble plus de 800 musicien.ne.s, tous styles confon­dus. Ce groupe se donne pour mis­sion d’écouter la voix des musicien.ne.s et de la faire entendre auprès des poli­tiques et dans la sphère de la musique. FACIR se fait porte-parole des musicien.ne.s. FACIR les met au centre du débat et les repré­sente. FACIR cherche à com­prendre leur réa­li­té et ima­gine des condi­tions de tra­vail plus favo­rables. FACIR fait de la musique un com­bat com­mun. FACIR s’adresse à tou.te.s les musicien.ne.s, quel que soit le style musi­cal qu’elles.ils pra­tiquent. Autant les musiques ins­tal­lées que les réseaux under­ground sont invi­tés à se réunir autour de leurs droits. FACIR ouvre des pistes concrètes. FACIR pro­pose une nou­velle inter­pré­ta­tion du sta­tut d’artiste, des quo­tas plus éle­vés de musique locale en radio, des réflexions sur le rôle de la musique dans la socié­té, sur l’économie de la musique, sur la for­ma­tion des musicien.ne.s, sur la place des femmes dans la musique. FACIR dépasse les fron­tières. FACIR rayonne prin­ci­pa­le­ment à Bruxelles et en Wal­lo­nie, mais rogne les fron­tières belges, en incluant la Flandre et se posi­tion­nant au niveau euro­péen. FACIR est une zone d’engagement et d’inspiration, pour toute per­sonne qui aime pas­sion­né­ment la musique.

CARTE BLANCHE DU FACIR

Selon Jean-Paul Phi­lip­pot, l’ac­tuel direc­teur de la RTBF, « la culture n’est pas faite pour le prime-time » (Le Soir, 26 novembre 2014). Les grands médias sont-ils encore aujourd’hui des vec­teurs de culture, d’émancipation sociale, d’enrichissement intel­lec­tuel et de décou­vertes ? Qu’en est-il du ser­vice public, de notre télé­vi­sion, de notre radio, et à quel point reflètent-ils encore la richesse des créa­tions d’ici ? Après les coupes sombres du gou­ver­ne­ment fédé­ral opé­rées sur les bud­gets consa­crés à la culture et la recherche scien­ti­fique, nos diri­geants consi­dèrent-ils encore la culture comme un enjeu de socié­té ? Le FACIR, qui repré­sente les créa­teurs du sec­teur musi­cal de la FWB (www.facir.be), pose ces questions.

Les deux der­nières émis­sions cultu­relles qui accueillaient les artistes belges sur la télé­vi­sion de ser­vice public, « 50° Nord » et « Quai des Belges », étaient déjà relé­guées sur ARTE Bel­gique (ou redif­fu­sées tar­di­ve­ment sur la Une) à des horaires où l’audience ne pou­vait pas être miro­bo­lante. Un mois après l’annonce de leur sup­pres­sion défi­ni­tive pour des rai­sons bud­gé­taires (octobre der­nier), la RTBF n’a rien pré­vu de consis­tant pour com­pen­ser cette dis­pa­ri­tion. La créa­tion belge coûte trop cher, croit-on com­prendre, et un agen­da cultu­rel quo­ti­dien à la télé est inutile et impos­sible. Pen­dant ce temps, « The Voice » qua­trième sai­son ver­sion belge, sorte de karao­ké géant à la fran­chise mon­dia­li­sée, n’est pas vrai­ment inquié­té. Per­sonne ne semble avoir rele­vé ce para­doxe, et visi­ble­ment, on a du mal à s’entendre sur la défi­ni­tion de « décou­vreur de talents ».

« La RTBF consi­dère qu’elle doit iden­ti­fier, valo­ri­ser et por­ter tant la diver­si­té des opi­nions que la richesse des talents dans tous les sec­teurs d’activités en osant la fier­té… ». « La RTBF ose l’impertinence et reven­dique l’audace qui fait par­tie de notre sin­gu­la­ri­té belge, vou­lant voir le monde tel qu’il est, et sti­mu­lant la créa­tion et les pro­duc­tions ori­gi­nales. » On com­prend mal la lec­ture par la RTBF de son propre contrat de ges­tion quand elle décide d’arrêter les petits pro­grammes offrant une unique fenêtre aux créa­teurs belges, sans pour autant inquié­ter l’hyper-formaté « The Voice » de Ende­mol, met­tant en scène des chan­teurs ayant per­du tout contrôle sur leur image, leur pro­jet musi­cal et le choix de leurs propres chansons.

En affi­chant un tel dés­in­té­rêt pour la culture, la télé­vi­sion de ser­vice public risque de se décré­di­bi­li­ser. Comme le disait Pierre Jourde en 2008 : « La bêtise média­tique n’est pas un épi­phé­no­mène. Elle conduit une guerre d’anéantissement contre la culture. Il y a beau­coup de com­bats à mener. Mais, si l’industrie média­tique gagne sa guerre contre l’esprit, tous seront per­dus ».

Pour nous, auteurs, com­po­si­teurs et inter­prètes, une telle indif­fé­rence et une telle absence de sou­tien de nos ins­ti­tu­tions rend extrê­me­ment pro­blé­ma­tique la dif­fu­sion de tout pro­jet musi­cal. Com­ment faire exis­ter un pro­jet, com­ment dif­fu­ser un pro­jet, com­ment tou­cher un public, si même les médias de ser­vice public leur tournent le dos ? Le FACIR pointe ici du doigt une asphyxie pro­gram­mée de tout le sec­teur musi­cal, où créa­teurs, pro­duc­teurs, tour­neurs, stu­dios, tech­ni­ciens, salles, billet­te­ries, … sont condam­nés à une sur­vie pénible, ou à la dis­pa­ri­tion. Avec une telle poli­tique cultu­relle, la FWB se tire deux balles dans le pied : elle asphyxie un sec­teur éco­no­mique pour­tant por­teur de nom­breux emplois non délo­ca­li­sables, et empêche la construc­tion d’une iden­ti­té cultu­relle au-delà des Arno ou Stro­mae. Etrange cal­cul au moment où la nation belge est tel­le­ment fragilisée.

Ceci n’est pas nou­veau : Pierre Mer­tens le sou­li­gnait déjà il y a trente ans dans une bio­gra­phie consa­crée à Brel : « La Bel­gique sou­vent n’ap­pré­cie, ni n’im­pose, ni n’as­sume plei­ne­ment l’o­ri­gi­na­li­té de sa propre culture. Elle attend doci­le­ment le juge­ment que d’autres por­te­ront sur celle-ci… » Nous l’a­vons décla­ré dans le pré­am­bule à la charte consti­tu­tive du FACIR : en Bel­gique fran­co­phone, plus de 95% des biens cultu­rels que nous consom­mons sont impor­tés. Sans nous l’avouer, nous sommes ain­si deve­nus un pays cultu­rel­le­ment colo­ni­sé, un mar­ché « pas­sif » ; consom­mant des pro­duits fran­çais et anglo-saxons (à cet égard, il est bien symp­to­ma­tique de consta­ter que la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, pour sa fête en sep­tembre 2014, en est réduite à annon­cer comme têtes d’af­fiche Calo­gé­ro et Béna­bar, tro­phées de la varié­té franco-française).

Il est de bon ton d’affirmer que « notre pays regorge de talents », sans rien faire pour les sou­te­nir. Mais nous ne sommes pas dupes : nous assis­tons bel et bien au déman­tè­le­ment et au tor­pillage de la culture non seule­ment en Bel­gique, mais dans toute l’Eu­rope, au nom de la « rigueur bud­gé­taire », et de « la crise de la dette ». Aujourd’hui rien ne semble stop­per la folie néo-libé­rale, et ses vas­saux prêts à sac­ca­ger nos vies et la pla­nète pour accu­mu­ler leurs pro­fits insen­sés. Par­tout la culture, comme tous les biens com­muns, est bra­dée et trans­for­mée en mar­chan­dise. Or, la culture est jus­te­ment là pour inter­ro­ger, sti­mu­ler, faire rêver, inven­ter, et rem­pla­cer le modèle de la com­pé­ti­tion omni­pré­sente par l’émulation. Par­tout s’opère un nivel­le­ment par le bas dans la dif­fu­sion média­tique, avec un recul de la qua­li­té au pro­fit du passe-par­tout et du consen­suel. Ain­si, pen­dant que l’E­tat se désen­gage et appau­vrit les ser­vices publics, le « paque­bot » RTBF renonce à sa mis­sion éman­ci­pa­trice, ne recherche aucune concer­ta­tion réelle avec les créa­teurs, et res­semble de plus en plus aux médias privés.

Deux ans après sa créa­tion, le FACIR conti­nue à inter­pel­ler nos poli­tiques et nos ins­ti­tu­tions sur l’ur­gence d’une poli­tique cultu­relle auda­cieuse et cohé­rente. Le FACIR est éga­le­ment déter­mi­né à construire un réseau vivant de lieux de concert peu ou pas sub­si­diés, radios libres, médias dif­fé­rents pour pal­lier au man­que­ment abys­sal des ser­vices publics, et ain­si fédé­rer un nou­veau public.

Nous refu­sons de voir som­brer notre art et notre culture !

SIGNATAIRES (novembre 2014)

Fran­çois Cro­nen­berg, Michel Debrulle, Phi­lippe Del­haye, Karine Ger­maix, Joëlle Juvyns, Florent Le Duc, Gil Mor­tio, Clé­ment Nour­ry, Claude Semal, Phi­lippe Tas­quin, Toine Thys, et Ivan Tir­tiaux pour le Comi­té Exé­cu­tif du FACIR.