La Via Campesina dénonce l’achat d’actions de Monsanto par la Fondation Bill Gates

Par Hen­ry Saragih

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LVC

Hen­ry Sara­gih, coor­di­na­teur géné­ral de La Via Cam­pe­si­na à Jakar­ta, « La Via Cam­pe­si­na condamne ce détour­ne­ment de l’aide huma­ni­taire à des fins com­mer­ciales et cette pri­va­ti­sa­tion des poli­tiques alimentaires. »

 

La Via Cam­pe­si­na, un mou­ve­ment inter­na­tio­nal de pay­sans qui repré­sente les pay­sans, les tra­vailleurs agri­coles sans terre, les pêcheurs, les pay­sannes, les jeunes et les peuples autoch­tones, qui ras­semble 150 orga­ni­sa­tions venant de 70 pays sur cinq conti­nents, dénonce l’acquisition par la Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates d’ac­tions de la com­pa­gnie Mon­san­to. La Fon­da­tion a été créée en 1994 par le fon­da­teur de Micro­soft William H. Gates et exerce aujourd’hui une grande influence sur les poli­tiques mon­diales de déve­lop­pe­ment agri­cole. La Fon­da­tion concentre des cen­taines de mil­lions de dol­lars dans des pro­jets qui poussent pay­sans et agri­cul­teurs à uti­li­ser les semences et les pro­duits agro­chi­miques géné­ti­que­ment modi­fiés (OGM) de Mon­san­to. En août, la Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates qui gère un capi­tal de 33,5 mil­liards de dol­lars pour finan­cer les pro­jets phi­lan­thro­piques de la Fon­da­tion (dont Bill et Melin­da sont membres du conseil d’administration) a révé­lé qu’elle avait acquis 500.000 actions de Mon­san­to pour la somme de 23 mil­lions de dol­lars.

Selon Dena Hoff, pay­sanne à Glen­dive dans le Mon­ta­na et coor­di­na­trice de La Via Cam­pe­si­na pour l’Amérique du Nord « l’acquisition par la Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates de parts de Mon­san­to indique que l’intérêt que la Fon­da­tion apporte à la pro­mo­tion des semences de la com­pa­gnie ne tient pas uni­que­ment de la phi­lan­thro­pie mais plus d’un désir de pro­fit. La Fon­da­tion aide Mon­san­to à ouvrir de nou­veaux mar­chés, alors que Mon­san­to est déjà le plus grand semen­cier du monde. »

Depuis 2006, la Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates col­la­bore avec la Fon­da­tion Rock­fel­ler, pro­mo­teur fervent des OGM pour les pauvres du monde, afin de mettre en œuvre l’Alliance pour la révo­lu­tion verte en Afrique (AGRA) qui est entrain d’ouvrir le conti­nent aux semences OGM et aux pro­duits chi­miques ven­dus par Mon­san­to, DuPont et Syn­gen­ta. La Fon­da­tion a don­né 456 mil­lions de dol­lars à AGRA et, en 2006, a employé Robert Horsch, ancien direc­teur de Mon­san­to pen­dant 25 ans, pour tra­vailler à ce pro­jet. Au Kenya, envi­ron 70 % des béné­fi­ciaires d’AGRA tra­vaillent direc­te­ment avec Mon­san­to, près de 80 % des finan­ce­ments de Gates dans le pays ont trait à la bio­tech­nique et plus de 100 mil­lions de dol­lars de sub­ven­tions ont été accor­dés aux orga­ni­sa­tions du Kenya ayant des liens avec Mon­san­to. En 2008, quelques 30 % du fond de déve­lop­pe­ment agri­cole de la Fon­da­tion ont ser­vi à la pro­mo­tion ou au déve­lop­pe­ment de varié­tés de semences OGM.

En avril, la Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates et les ministres des finances des USA, du Cana­da, d’Espagne et de Corée du Sud ont pro­mis 880 mil­lions de dol­lars en vue de créer le pro­gramme mon­dial sur l’agriculture et la sécu­ri­té ali­men­taire (GAFSP) géré par la Banque mon­diale pour « abor­der le pro­blème de la faim et de la pau­vre­té dans le monde ». En juin le GAFSP a annon­cé qu’il don­nait 35 mil­lions de dol­lars à Haï­ti dans le but aug­men­ter l’accès des petits pay­sans aux « intrants agri­coles, à la tech­no­lo­gie et aux chaînes de dis­tri­bu­tion » (5) En mai, Mon­san­to a annon­cé qu’il fai­sait don de 475 tonnes de semences à Haï­ti devant être dis­tri­buées par l’Agence amé­ri­caine au déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal (USAID). L’administrateur

d’USAID est Rajiv Shah qui tra­vaillait pour la Fon­da­tion Gates avant d’être employé par le gou­ver­ne­ment d’Obama en 2009.

D’après Cha­vannes Jean-Bap­tiste du mou­ve­ment Papaye et coor­di­na­teur de La Via Cam­pe­si­na pour les Caraïbes, « Il est cho­quant pour les mou­ve­ments pay­sans d’apprendre que la Fon­da­tion Bill et Melin­da Gates a déci­dé d’acheter des actions de Mon­san­to tout en don­nant de l’argent pour des pro­jets agri­coles en Haï­ti. En fait, ils font la pro­mo­tion des semences et des pro­duits chi­miques de la com­pa­gnie. Les orga­ni­sa­tions pay­sannes en Haï­ti dénoncent cette poli­tique qui va à l’encontre des inté­rêts de 80 pour cent de la popu­la­tion haï­tienne, à l’encontre de l’agriculture pay­sanne – base de la pro­duc­tion ali­men­taire de notre pays. »

La Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates octroie éga­le­ment des fonds à l’initiative du gou­ver­ne­ment des USA Feed the Future, gérée par le gou­ver­ne­ment. Lors d’une audience d’un sous-comi­té du Congrès sur Feed the Future, le vice-pré­sident de Mon­san­to Gerald Stei­ner a décla­ré que « Feed the Future était une ini­tia­tive très inté­res­sante car elle tient compte des impé­ra­tifs du mar­ché dans lequel Mon­san­to et d’autres com­pa­gnies doivent opé­rer.… Nous vou­lons faire le bien dans le monde mais nous vou­lons aus­si satis­faire nos action­naires. » Stei­ner a men­tion­né le pro­jet de Mon­san­to de déve­lop­per du maïs résis­tant à la séche­resse pour l’Afrique, pro­jet qui est aus­si finan­cé par la Fon­da­tion Bill et Melin­da Gates.

Selon Dena Hoff, “Les fon­da­tions, quelques soient leurs bonnes inten­tions, ne devraient pas déci­der des poli­tiques agri­coles et ali­men­taires des nations et des peuples. La démo­cra­tie demande que la popu­la­tion civile bien infor­mée déter­mine ce qui est dans l’intérêt de la popu­la­tion de chaque nation. « Satis­faire ses action­naires » semble bien être le motif secret pour s’ingérer dans la san­té et le bien-être de la pla­nète et de ses habi­tants afin de faire du profit »

Ce n’est peut-être pas une coïn­ci­dence que Hugh Grant, pré­sident direc­teur géné­ral de Mon­san­to, ait acquis des parts de la com­pa­gnie pour la valeur de 2 mil­lions de dol­lars et Carl M. Casale pour la valeur de 1,6 mil­lions de dol­lars. « Grant et Casale ont empo­ché de jolies sommes en ven­dant des parts de Mon­san­to pen­dant des années » Ces achats ont pu être pro­vo­qués par l’annonce faite la semaine der­nière de la décou­verte du génome du blé, nour­ri­ture de base de deux tiers de la popu­la­tion de la pla­nète. « Pour Mon­san­to, une carte du génome du blé de qua­li­té pour­ra nous aider dans nos efforts dans le but de four­nir de meilleurs varié­tés de blé aux agri­cul­teurs. » dit Mon­san­to. En 2008 la Fon­da­tion Bill et Melin­da Gates a attri­bué la somme de 26,8 mil­lions de dol­lars à l’université de Cor­nell pour la recherche sur le blé et, en mai, la somme de 1,6 mil­lions de dol­lars aux cher­cheurs de l’université de l’état de Washing­ton pour déve­lop­per des varié­tés de blé OGM résis­tant à la sécheresse.

La Fon­da­tion Gate conti­nue à inci­ter les pauvres à uti­li­ser les pro­duits Mon­san­to, en dépit d’une accu­mu­la­tion de preuves sur les dan­gers éco­lo­giques, éco­no­miques et phy­siques dans la pro­duc­tion et la consom­ma­tion des récoltes et des pro­duits OGM. En juin, la cour suprême des Etats-Unis a jugé l’affaire Mon­san­to Co contre Geert­son Seed Farm, la pre­mière affaire sur des récoltes OGM. La cour suprême a recon­nu que la conta­mi­na­tion géné­tique de récoltes non OGM par des ADN de trans­gènes venant de plantes OGM, au moyen du vent ou des abeilles, était nocive et lourde de consé­quences pour l’environnement et les agri­cul­teurs. Selon le site web de la Fon­da­tion de Bill et Melin­da Gates, « AGRA et ses par­te­naires ont mis en cir­cu­la­tion plus de 100 nou­velles varié­tés de semences amé­lio­rées sur le conti­nent (afri­cain). »

La Via Cam­pe­si­na main­tient que la meilleure façon d’assurer une ali­men­ta­tion saine, de s’adapter au chan­ge­ment cli­ma­tique, de conser­ver les sols, les eaux et la forêt, de revi­ta­li­ser les éco­no­mies rurales est de mettre en œuvre des poli­tiques encou­ra­geant la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire et l’agro-écologie – les fon­de­ments en étant les semences natives. L’ONU estime que 75 % de la diver­si­té géné­tique des plantes du monde ont été per­dus au fur et à mesure que les pay­sans ont aban­don­né leurs semences natives pour uti­li­ser les varié­tés géné­ti­que­ment uni­formes pro­duites par les grandes mul­ti­na­tio­nales telles que Mon­san­to. L’homogénéité géné­tique rend les pay­sans plus vul­né­rables aux chan­ge­ments cli­ma­tiques brusques et à l’apparition de nou­veaux fléaux nui­sibles et rava­geurs, alors que la bio­di­ver­si­té des semences – avec des semences natives adap­tées aux dif­fé­rents micro­cli­mats, alti­tudes et sols – est fon­da­men­tale pour faire face au chan­ge­ment cli­ma­tique. Le fait de sau­ve­gar­der et replan­ter aug­mente l’agro-biodiversité et ren­force la plas­ti­ci­té géné­tique des récoltes (leur capa­ci­té à s’adapter rapi­de­ment à des condi­tions de chan­ge­ments crois­sants sur plu­sieurs générations).