Longues vies et petites pensions

Plus de la moi­tié des femmes touchent moins de 1.000 euros de pen­sion par mois. Quand l’âge de la retraite a son­né, la vie des femmes rime trop sou­vent avec pré­ca­ri­té. Les retrai­tées se débrouillent vaille que vaille pour joindre les deux bouts.

L’eau est trop chère pour moi, je ne tire pas la chasse pour un petit pipi. Et je ne chauffe pas beau­coup mon appar­te­ment non plus pour éco­no­mi­ser sur mes charges. »  Lily, 72 ans, fait par­tie du Gang des Vieux en colère, un mou­ve­ment qui se bat pour que les (futur·es) retraité·es puissent vieillir dans la digni­té. Elle raconte com­ment elle se débrouille avec sa maigre pen­sion. Anne, 68 ans, membre de Vie Fémi­nine, doit de son côté faire atten­tion aux frais de soins de san­té. « Avant de prendre un ren­dez-vous chez le méde­cin, je demande com­bien la consul­ta­tion va me coû­ter. Et j’use mes lunettes tant que je peux, même si cela me fatigue. »  Se pri­ver, cal­cu­ler ses dépenses, les réduire, voi­ci le lot quo­ti­dien de ces deux femmes pen­sion­nées. Et elles ne sont pas les seules.

La débrouille à moins de 1.200 euros par mois

En Bel­gique, les femmes ont une pen­sion moyenne de 810 euros et les hommes de 1.245 euros. Une femme sur trois touche moins de 750 euros de pen­sion, alors que ce n’est le cas que d’un homme sur cinq, selon les chiffres du rap­port de mars 2019 du Ser­vice fédé­ral des pen­sions. Cet écart de pen­sion est une consé­quence « logique »  de l’écart salarial.

La situa­tion est d’autant plus pré­oc­cu­pante du fait de l’augmentation de l’espérance de vie. En Bel­gique, en 2018, l’espérance de vie à la nais­sance s’élève à 81,5 ans pour l’ensemble de la popu­la­tion, soit 83,7 ans pour les femmes et 79,2 ans pour les hommes, selon les chiffres de l’Office belge de sta­tis­tique. Les femmes sont par consé­quent davan­tage expo­sées à des risques de dépen­dance et à des coûts de soins de san­té importants.

Noël­la de Vie Fémi­nine témoigne : « Moi pour dimi­nuer les charges de l’eau, je lave mon linge avec une mini wash, je récu­père l’eau de la machine que je trans­vase ensuite dans des seaux. L’eau usée me ser­vi­ra pour la toi­lette. Je suis gênée, je n’oserais pas rece­voir quelqu’un à la mai­son. »  San­té, ali­men­ta­tion, élec­tri­ci­té, eau, etc. Tous les postes de dépenses sont au centre de leur atten­tion. Sans oublier la ques­tion cru­ciale du logement.
De plus en plus, le coût du loge­ment repré­sente près de la moi­tié du reve­nu, voire 70 % pour les per­sonnes les plus pré­ca­ri­sées. Pour celles qui ont la chance d’être pro­prié­taires, il faut par­fois renon­cer aux tra­vaux néces­saires à l’entretien de son bien ou faire un prêt. Il y a aus­si l’angoisse de voir un équi­pe­ment tom­ber en panne. Au vu des mon­tants de pen­sion actuels, beau­coup d’aînées ne peuvent pas accé­der à une mai­son de repos, pour laquelle il faut débour­ser au moins 1.200 euros par mois (les prix dépendent du type d’institution, de la caté­go­rie de chambre, ain­si que de la pro­vince…) Si elles perdent la pos­si­bi­li­té de pou­voir res­ter seules chez elles, ce sont alors leurs enfants – quand c’est pos­sible et si elles en ont – qui seront sollicité·es.

Le mythe de la mamie gâteau

« Je ne me sens pas pré­ca­ri­sée, je vis bien avec 1.200 euros par mois tout en étant pro­prié­taire. Mais c’est vrai que je ne pars jamais en vacances, et que je n’offre pas beau­coup de cadeaux à mon petit-fils. Je n’ai pas non plus inter­net ou de télé­phone por­table car cela coûte trop cher », confie Suzanne, une membre de Vie Fémi­nine qui vit dans le Bra­bant wal­lon. Les loi­sirs consti­tuent le pre­mier poste sacri­fié si on a une trop petite pen­sion. Avec le risque de plon­ger les femmes dans l’isolement social.
« Je trouve sou­vent une excuse pour ne pas rejoindre mes amies pour prendre un café et un petit gâteau avec elles », rap­porte Anne. « Pour me dépla­cer, je dois mar­cher ou prendre les trans­ports en com­mun, mais j’ai de gros pro­blèmes aux jambes et c’est dif­fi­cile de res­ter debout. Je reste donc chez moi le plus sou­vent », nous raconte Lily. S’habiller dans les maga­sins de seconde main, se laver à l’évier un jour sur deux, ne plus savoir mâcher cor­rec­te­ment tout en évi­tant d’aller chez la/le den­tiste pour chan­ger un bridge ou un den­tier, ne pas pou­voir se payer une pro­thèse ou des sou­liers ortho­pé­diques, se nour­rir grâce aux fri­gos soli­daires… La liste des res­tric­tions et des renon­cia­tions est longue pour celles qui sont à la pension.Une situa­tion qui n’est pas tou­jours com­prise par les jeunes géné­ra­tions, y com­pris les plus proches.

“On est vieilles peut-être mais pas encore séniles. Il faut arrê­ter de plu­mer les femmes !”

Anne-Marie, pen­sion­née et ancienne pré­si­dente de la CSC Seniors, témoigne : « Lorsqu’on garde ses petits-enfants, c’est un coût pour les nour­rir. Nos enfants ne s’inquiètent jamais de savoir si l’on peut assu­mer cela. Ce n’est pas évident à dire, et à vivre. Il faut réflé­chir à une autre modèle que celui de la mamie gâteau qui reçoit tou­jours ses enfants et petits-enfants. »
Des aînées bien remon­tées se sont ras­sem­blées au sein du mou­ve­ment citoyen Gang des Vieux en colère. Ces vieilles et vieux gang­sters battent le pavé pour reven­di­quer le relè­ve­ment du mon­tant mini­mal de la retraite à 1.600 euros net sans écart de retraite entre les femmes et les hommes.
Chez Vie Fémi­nine, le Congrès de 2010 a récla­mé l’autonomie finan­cière de toutes les femmes tout au long de la vie. La Charte des aînées de Liège de 2011 lutte contre la pré­ca­ri­té, elle est appuyée depuis 2013 par les aînées de Namur qui, ensemble, se posi­tionnent pour reven­di­quer une pen­sion mini­male de 1.500 euros pour une per­sonne seule. Lily, du Gang des Vieux en colère, le mar­tèle une der­nière fois : « On est vieilles peut-être mais pas encore séniles. Il faut arrê­ter de plu­mer les femmes ! »

Une double peine

Notre sys­tème de pen­sion se base sur des élé­ments du mar­ché du tra­vail comme son inten­si­té ou sa durée. Pour Pierre-Marie Sab­ba­di­ni, cher­cheur à l’UCLouvain, « toute dis­cri­mi­na­tion dans le monde du tra­vail a donc un impact sur la pen­sion. Les femmes s’interrompent le plus sou­vent pour des acti­vi­tés de soin, elles sont aus­si sous-repré­sen­tées dans les métiers qui per­mettent d’accéder à des salaires éle­vés, et elles consti­tuent 80 % des temps par­tiels. Les femmes sont donc péna­li­sées une deuxième fois puisque la pen­sion est basée sur le salaire. »
« L’âge de la pen­sion repré­sente la somme de toutes les inéga­li­tés. C’est une pho­to­gra­phie qui montre lesi­né­ga­li­tés, et on voit bien que ce sont les femmes qui payent », pour­suit le juriste. L’écart entre les femmes et les hommes s’aggrave donc à l’heure de la retraite.

Pour Gaëlle Demez, res­pon­sable Femmes CSC et CSC Seniors, le manque de prise en compte de la péni­bi­li­té du tra­vail des femmes est aus­si à poin­ter du doigt : « Les femmes ne savent pas tenir à temps plein sur toute une car­rière dans cer­tains domaines comme la grande dis­tri­bu­tion, l’aide ména­gère ou la petite enfance. Cer­taines péni­bi­li­tés, que l’on retrouve jus­te­ment dans les métiers exer­cés en majo­ri­té par des femmes, ne sont pas non plus prises en compte, comme le stress, la charge men­tale ou psychosociale. »