Menacés pour avoir projeté le mot “FAIM”

Par Delight Lab

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El des­con­cier­to


Tra­duit par ZIN TV

Le map­ping comme forme de lutte et d’ex­pres­sion sociale au Chili

Les créa­teurs du stu­dio Delight Lab, qui réa­lisent des pro­jec­tions de lumières en faveur des reven­di­ca­tions sociales sur le bâti­ment Telefó­ni­ca, appar­te­nant à la socié­té mul­ti­na­tio­nale de télé­com­mu­ni­ca­tions Movis­tar, depuis le début de l’ex­plo­sion sociale du 18 octobre 2019, rap­portent qu’ils ont reçu des menaces et sont la cible de pira­tage et de censure.

Voi­ci leur déclaration

DÉCLARATION PUBLIQUE

Nous sommes Delight Lab, un stu­dio d’é­clai­rage audio­vi­suel avec plus de 11 ans d’ex­pé­rience dans le domaine de la culture et des arts. Notre tra­vail répond à une pro­fonde sen­si­bi­li­té artis­tique et huma­ni­taire et, en par­ti­cu­lier, aux crises sociales et envi­ron­ne­men­tales qui se pro­duisent au Chi­li et dans le monde. Nous avons vou­lu expri­mer de manière créa­tive, de façon paci­fique et silen­cieuse, une sen­si­bi­li­té uni­ver­selle uni­que­ment en uti­li­sant la lumière.
Nous n’a­vons aucune affi­lia­tion poli­tique, nous tra­vaillons indé­pen­dam­ment depuis les arts et c’est à par­tir de notre rôle de citoyens-artistes que nous avons réa­li­sé une série d’in­ter­ven­tions avec des pro­jec­tions de lumières, dont beau­coup ont été lar­ge­ment dif­fu­sées par les médias et les réseaux, notam­ment celles réa­li­sées sur la façade du bâti­ment Telefó­ni­ca au cours des der­niers mois.
En ce moment, nous vou­lons dénon­cer à l’o­pi­nion publique que nous sommes vic­times de menaces, d’in­ti­mi­da­tion, de pira­tage et de cen­sure : nous crai­gnons pour notre inté­gri­té phy­sique et nous deman­dons le sou­tien de la com­mu­nau­té cultu­relle et de tous ceux qui par­tagent les valeurs démo­cra­tiques et le res­pect des droits de l’Homme.

Voici le contexte.

1. Dimanche der­nier, le 17 mai, notre compte ins­ta­gram (la prin­ci­pale pla­te­forme de dif­fu­sion de nos tra­vaux) a été pira­té et son accès empêché.
Il a ensuite été sup­pri­mé, et nous avons donc dû créer un nou­veau compte.

2. Le lun­di 18, nous avons pro­je­té le mot “Hambre” (Faim), comme une façon de pro­mou­voir l’aide aux per­sonnes qui souffrent de cette crise au Chi­li. Le même jour, nous avons reçu une série de cour­riels, de mes­sages per­son­nels, d’at­taques et d’in­sultes par le biais des réseaux sociaux et même de comptes pri­vés. En outre, ils ont télé­char­gé des pho­tos de nous, qui com­pre­naient notre rou­tine, nos adresses et d’autres don­nées pri­vées. Nous ne repro­dui­rons pas ici le calibre des insultes et des gros­siè­re­tés reçues, mais ils nous ont aver­ti de “faire atten­tion” et que si nous conti­nuions à faire notre art, nous en subi­rions les conséquences.

A cela s’a­joutent les pro­pos inac­cep­tables du membre du Congrès Die­go Shal­per (RN-droite clas­sique), qui nous a trai­tés de “misé­rables” et a deman­dé que ceux qui se cachent der­rière les pro­jec­tions lumi­neuses fassent l’ob­jet d’une enquête et soient pour­sui­vis parce que nous répon­drions à une “idéo­lo­gie et un pro­gramme poli­tique, y com­pris la vio­lence”. Ces décla­ra­tions sont vio­lentes, ce n’est pas ce que nous fai­sons, et quel­qu’un pour­rait même les inter­pré­ter comme une inci­ta­tion à la per­sé­cu­tion et à l’in­ti­mi­da­tion dont nous sommes victimes.

3. Hier, mar­di 19 mai, alors que nous pro­cé­dions à une nou­velle pro­jec­tion du mot “Huma­ni­té”, des lumières blanches sont appa­rues d’un camion spé­cia­le­ment équi­pé et pro­té­gé par les cara­bi­niers, illu­mi­nant la zone de manière à rendre les mes­sages illi­sibles, dans un acte de cen­sure et d’at­teinte à la liber­té d’ex­pres­sion inacceptable.

Il est clair que cela est le résul­tat d’une opé­ra­tion pré­cé­dem­ment concer­tée qui met en dan­ger notre inté­gri­té phy­sique et viole nos droits, c’est pour­quoi nous intro­dui­sons un appel à la pro­tec­tion. En outre, elle réaf­firme l’im­pact social de ce que nous avons fait.

En tant qu’ar­tistes, forts de toute notre tra­jec­toire connue, le moins que nous puis­sions deman­der est que les auto­ri­tés assurent notre pro­tec­tion pour ce que nous fai­sons paci­fi­que­ment, sanc­tionnent les res­pon­sables et cla­ri­fient ces faits le plus rapi­de­ment possible.

Notre action artis­tique, loin d’être un crime, a été consi­dé­rée par la plu­part des gens (la presse en parle beau­coup) comme un acte huma­ni­taire et sen­sible du moment dif­fi­cile que nous vivons.

Octa­vio Gana & Andrea Gana / Delight Lab

San­tia­go, 20 mai 2020

Rappel des actions menées par Delight Lab

Il était 20h30 et le mot DIGNITÉ en toutes majus­cules était pro­je­té sur le bâti­ment Telefó­ni­ca — en forme de télé­phone. Il ne s’a­gis­sait pas d’une publi­ci­té de Movis­tar, mais d’une inter­ven­tion indé­pen­dante réa­li­sée same­di soir par le stu­dio d’art et de desi­gn Delight Lab. Ils ont choi­si le bâti­ment pour son empla­ce­ment et sa visi­bi­li­té afin d’ap­por­ter leur contri­bu­tion à tra­vers une branche si en vogue dans l’art contem­po­rain, le map­ping.

Ce sont les mêmes qui ont pro­je­té le visage de Cami­lo Catrillan­ca quelques jours après son assas­si­nat, accom­pa­gné d’un poème de Raúl Zuri­ta, sur un bâti­ment de la Pla­za Ita­lia. Lais­sez son visage cou­vrir l’ho­ri­zon, a‑t-on lu. En bas, des cen­taines de mani­fes­tants pro­tes­taient contre l’as­sas­si­nat de la com­mune mapuche, et l’ac­tion a été dif­fu­sée à tra­vers les réseaux. Plus tard, ils ont fait des pro­jec­tions sur la zone de sacri­fice de Ven­ta­nas et à Osor­no, où l’eau était conta­mi­née par le pétrole. “Nous nous consi­dé­rons comme des artistes et en même temps comme des pro­fes­sion­nels conscients, nous sommes donc moti­vés d’u­ti­li­ser à la fois notre créa­ti­vi­té et nos moyens pour sou­te­nir les causes sociales et envi­ron­ne­men­tales qui nous sont pro­po­sées. Nous uti­li­sons des images et des phrases qui cherchent à relier les gens à par­tir de leur essence, de la poé­sie, dans des contextes de conflit, en les sou­te­nant avec notre grain de sable, ou en l’oc­cu­rence, notre rayon de lumière”, expliquent-ils. La force des images parle d’elle-même.

En juillet de cette année, le visage du lea­der envi­ron­ne­men­tal Ale­jan­dro Cas­tro, qui a dis­pa­ru dans d’é­tranges cir­cons­tances après avoir été mena­cé par les forces spé­ciales, a été pro­je­té sur Ven­ta­nas, zone dite de “sacri­fice” à haute den­si­té de conta­mi­na­tion industrielle.

Et après la conta­mi­na­tion des eaux de la ville d’O­sor­no, au sud du Chi­li, par l’en­tre­prise ESSAL qui a fait cou­ler 1100 litres de pétrole dans la rivière Rahue, Delight Lab s’est ren­du dans la ville en août pour pro­je­ter des images des Gnen­ko, Esprits de l’eau, dans laquelle appa­raissent plu­sieurs che­ma­mulles, figures de bois pla­cées sur les tombes des anciens cime­tières mapuches, et qui reflètent l’es­prit de ceux qui ont été enterrés.