À propos « du temps de cerveau humain disponible »

Par Patrick Le Lay

Retour sur les décla­ra­tions de Patrick Le Lay (TF1) le 9/07/2004

Patrick Le Lay vend « du temps de cer­veau humain disponible » 

Patrick Lelay, PDG de TF1, avait défrayé la chro­nique en juin 2004 à cause de pro­pos tenus sur la télé­vi­sion dans un livre inti­tu­lé « Les diri­geants face au chan­ge­ment » (Ed. du Hui­tième jour, 2004). Il y écri­vait notamment :

« Il y a beau­coup de façons de par­ler de la télé­vi­sion. Mais dans une pers­pec­tive ‘busi­ness’, soyons réa­liste : à la base, le métier de TF1, c’est d’ai­der Coca-Cola, par exemple, à vendre son pro­duit […] Or pour qu’un mes­sage publi­ci­taire soit per­çu, il faut que le cer­veau du télé­spec­ta­teur soit dis­po­nible. Nos émis­sions ont pour voca­tion de le rendre dis­po­nible : c’est-â-dire de le diver­tir, de le détendre pour le pré­pa­rer entre deux mes­sages. Ce que nous ven­dons à Coca-Cola, c’est du temps de cer­veau humain dis­po­nible. […] Rien n’est plus dif­fi­cile que d’obtenir cette dis­po­ni­bi­li­té. C’est là que se trouve le chan­ge­ment per­ma­nent. Il faut cher­cher en per­ma­nence les pro­grammes qui marchent, suivre les modes, sur­fer sur les ten­dances, dans un contexte où l’in­for­ma­tion s’accélère, se mul­ti­plie et se banalise…
[…] La télé­vi­sion, c’est une acti­vi­té sans mémoire. Si l’on com­pare cette indus­trie à celle de l’automobile, par exemple, pour un construc­teur d’autos, le pro­ces­sus de créa­tion est bien plus lent ; et si son véhi­cule est un suc­cès il aura au moins le loi­sir de le savou­rer. Nous, nous n’en aurons même pas le temps ! […] Tout se joue chaque jour sur les chiffres d’audience. Nous sommes le seul pro­duit au monde où l’on ‘connaît’ ses clients à la seconde, après un délai de vingt-quatre heures » 

(Patrick Lelay, dans « Les diri­geants face au chan­ge­ment », op. cit.)

Source (11/07/2004): acri­med

Notes

Dépêche AFP du 9 juillet 04, reprise notam­ment par Libé­ra­tion (10 – 11/07/04) : Patrick Le Lay, décer­ve­leur.


Patrick Le Lay, pour TF1, vend du Coca light à Télérama

Après avoir pro­po­sé une ver­sion « hard » (ou cynique) des mis­sions de TF1 — Lire : Le Lay (TF1) vend ” du temps de cer­veau humain dis­po­nible “[[Et un com­men­taire de ces décla­ra­tions : « Quand les cer­veaux ne pensent pas à la pub, TF1 sort son revol­ver ».]] -, Patrick Le Lay en pro­pose une ver­sion « soft » dans l’hebdomadaire Télé­ra­ma (n° 2852 — 9 sep­tembre 2004).

Autour de cet exer­cice de trans­po­si­tion péda­go­gique du pareil au même, un (petit) tin­ta­marre média­tique arro­sé au Coca Cola. Une cri­tique du média TF1 est ain­si trans­for­mée, déli­bé­ré­ment ou pas, en pro­duit média­tique. Rai­son suf­fi­sante, comme cela nous arrive sou­vent, d’observer le phé­no­mène et de prendre notre temps.

Trans­po­si­tion péda­go­gique du pareil au même

Exer­cice : « Ce que nous ven­dons à Coca-Cola, c’est du temps de cer­veau humain dis­po­nible ». Vous com­men­te­rez cette phrase dans un heb­do­ma­daire clas­sé à gauche.

Réponse : « Entre­tien avec Patrick Le Lay, pdg de TF1 — “Je recon­nais que cette for­mule était un peu cari­ca­tu­rale” », titre Télé­ra­ma.

Quelques extraits :

[…]
- Télé­ra­ma : Dans quel cadre avez-vous pro­non­cé cette phrase ? 

- Patrick Le Lay : Ce n’était pas une inter­view offi­cielle. Le Medef m’avait appe­lé en me disant : on inter­roge des diri­geants d’entreprise sur « Le chan­ge­ment et le mou­ve­ment ». Je ne me sou­viens plus pré­ci­sé­ment de cet entre­tien mais, comme sou­vent, j’ai dû par­ler deux heures à bâtons rom­pus et tenir ces pro­pos pen­dant la conver­sa­tion. Je ne recon­nais cepen­dant pas le métier de TF1 dans cette for­mule et je ne me retrouve pas dans les pro­pos qu’on me prête : on me trans­forme en mar­chand de cerveaux !

- Télé­ra­ma : Vous les avez pour­tant bien tenus, ces propos ? 

- Patrick Le Lay : Oui, sûre­ment. Je recon­nais que cette for­mule était un peu cari­ca­tu­rale et étroite. Mais, encore une fois, c’était une conver­sa­tion, et j’ai l’habitude de for­cer le trait pour faire com­prendre les concepts.

- Télé­ra­ma : Com­ment refor­mu­le­riez-vous la phrase ? 

- Patrick Le Lay : Le métier de TF1, c’est l’information et le pro­gramme (fic­tion, diver­tis­se­ment, sport, maga­zines de décou­verte). Nous sommes une grande chaîne popu­laire et fami­liale dont l’objectif est de plaire à un maxi­mum de gens pour réa­li­ser un maxi­mum d’audience. Nous y réus­sis­sons d’ailleurs plu­tôt bien, puisque depuis quinze ans, chaque année, nous enre­gis­trons entre 92 et 97 des 100 meilleures audiences. Evi­dem­ment, nous sommes une chaîne com­mer­ciale. Nous vivons de la publi­ci­té, mais ce sont nos clients qui mettent au point les spots que nous dif­fu­sons. En réa­li­té, que ven­dons-nous réel­le­ment à nos clients ? Du temps d’antenne. La loi nous auto­rise à en vendre 10 %, avec un maxi­mum de douze minutes de publi­ci­té par heure.

- Télé­ra­ma : Vous ven­dez aus­si une audience… 

- Patrick Le Lay : La logique de TF1 est une logique de puis­sance. Nous ven­dons à nos clients une audience de masse, un nombre d’individus sus­cep­tibles de regar­der un spot de publi­ci­té. Pour les annon­ceurs, le temps d’antenne ne repré­sente rien d’autre que des « contacts clients ». De l’attention humaine. En par­ti­cu­lier celle de la fameuse ména­gère de moins de 50 ans, lar­ge­ment déci­sion­naire dans les achats de pro­duits ali­men­taires, d’entretien ména­ger et de beauté.

Grand jeu concours : existe-t-il la moindre dif­fé­rence signi­fi­ca­tive, style mis à part, entre Le Lay 2 et Le Lay 1. Un atout ?

Un (petit) tin­ta­marre média­tique arro­sé au Coca Cola

Que signi­fie dès lors la décou­verte un peu tapa­geuse des évi­dences mar­chandes dont Patrick Le Lay est à la fois le pro­pa­gan­diste et le zéla­teur ? Quelques indices de ce que l’on peut pro­vi­soi­re­ment appe­ler un « léger malaise » 😉

Télé­ra­ma du 8 sep­tembre 2004 consacre sa « Une » à ce que le som­maire appelle « L’affaire Le Lay ». Outre l’entretien « exclu­sif », on peut lire un édi­to outra­gé de Marc Jézé­ga­bel sui­vi d’un article de Wero­ni­ka Zara­cho­wicz — « On achète bien les cer­veaux » -, ain­si que des décla­ra­tions de « per­son­na­li­tés de la poli­tique, des médias et de la pub ». 13 pages tout com­pris, publi­ci­tés incluses ! Dépê­chez-vous : tout cela, mais pub en moins, est encore sur le site Télé­ra­ma. A pro­pos, puisqu’on en parle, com­ment oublier le dos­sier que Télé­ra­ma consa­crait au prin­temps der­nier à la publi­ci­té et l’éditorial du même Jézé­ga­bel sur ce sujet ? Une ver­sion « ultra­light » du dis­cours de Le Lay ? Il fau­dra y revenir.

Comme il fau­dra reve­nir sur l’attitude du Monde qui la veille (du moins dans la région pari­sienne) de la paru­tion de Télé­ra­ma publiait un article de Daniel Psen­ny — « Patrick Le Lay s’explique dans “Télé­ra­ma” sur ses pro­pos contro­ver­sés », qui sem­blait s’inquiéter de la rare­té des réac­tions sus­ci­tées par les décla­ra­tions de Le Lay, omet­tant au pas­sage de men­tion­ner le silence de l’éditorialiste ano­nyme du Monde qui, pour­tant, prête son encre à toutes les révoltes qu’il juge légi­time. Et plus géné­ra­le­ment, le silence de la rédac­tion du Monde[[Sauf erreur, Le Monde s’était bor­né à publier le 17 juillet un article qui, sous le titre « Repères » (le lien est bio­dé­gra­dé en ser­vice payant) s’abritait der­rière des extraits d’un com­mu­ni­qué du Groupe 25 images et une (très judi­cieuse) tri­bune de Robert Gué­di­guian, publiée le 10 août sous le titre « Vive la télé­vi­sion ! » (le lien cor­res­pon­dant est, lui, aus­si com­mer­cia­le­ment biodégradé)]].

Quant à Libé­ra­tion, com­men­çons par consta­ter que ce quo­ti­dien ne dis­pose pas d’un droit d’accès équi­valent à celui du Monde sur LCI sous la forme de l’émission ani­mée par Edwy Ple­nel (« Le Monde des idées »). Mais peut-être n’est ce pas la seule rai­son pour laquelle Libé se montre plus constant et plus inci­sif que son confrère dans l’information sur TF1. Du moins dans les pages « Médias ». Car les édi­to­ria­listes-mai­son, spé­cia­listes de tout, semblent attendre encore un peu avant de se pro­non­cer… Quoi qu’il en soit, dans Libé­ra­tion du 9 sep­tembre, on peut lire un article inté­res­sant — « Com­ment Le Lay a tra­vaillé du cer­veau » — par Oli­vier Cos­te­malle, Raphaël Gar­ri­gos et Isa­belle Roberts, qui fait suite à deux « Rebonds » : celui d’Edouard Lau­ney — « TF1, Coca-Cola et neu­ro­mar­ke­ting », daté du 30 août 2004 — et celui de Jacques Kirs­ner — « Tra­fic d’organe audio­vi­suel » daté du 1er sep­tembre. A quoi il faut ajou­ter, deux inter­ven­tions de Daniel Schnei­der­mann : « TF1 et la résis­tance de la pluie », 27 août 2004, et « De vrais mor­ceaux de cou­rage à l’intérieur. Vite, ces liens ne sont pas encore bio­dé­gra­dés ! (lien péri­més depuis. — Note d’Acrimed, 09/03/2010) Ce qui n’est pas le cas du pas­tiche paru le 31 août : un cour­riel adres­sé par Le Lay au Pdg de Coca Cola, paru sous le titre « Les ven­deurs de Coca misent sur le docu­dra­ma ». Sous titre : « La nou­velle grille de TF1, telle qu’elle aurait pu être pré­sen­tée par son PDG ».

Nous ver­rons dans les jours qui viennent si le (petit) tin­ta­marre média­tique n’est pas — comme une quel­conque fausse agres­sion dans le RER D — le résul­tat d’un effet d’aubaine, avec en ce cas : trois petits tours, un peu de bruit et puis s’en vont.

Si les médias en lutte contre la pros­ti­tu­tion de leur acti­vi­té s’éveillent, cela devrait s’entendre : ils appel­le­ront à des actions de masse contre la concen­tra­tion des médias et pour la réap­pro­pria­tion démo­cra­tique de TF1. Sinon, il fau­dra le faire sans eux. Et c’est le plus probable…

A suivre…

Publié le 8 sep­tembre 2004 par Hen­ri Maler (ACRIMED)


Tribune : Quand les cerveaux ne pensent pas à la pub, TF1 sort son revolver

Publié le 11 juillet 2004 par Anto­nio Mol­fese (ACRIMED)

Quand on regarde la télé­vi­sion, on se demande par­fois si c’est la publi­ci­té qui inter­rompt les pro­grammes ou si ce sont les pro­grammes qui inter­rompent la publi­ci­té. Grâce à Patrick Le Lay, PDG de TF1, cette angois­sante ques­tion méta­phy­sique trouve enfin une réponse…

Petit com­men­taire de texte à par­tir d’une dépêche AFP du 9 juillet 2004, repro­dui­sant les pro­pos de M. Le Lay, extraits de l’ouvrage Les diri­geants face au chan­ge­ment (Ed. Hui­tième jour).

« Il y a beau­coup de façons de par­ler de la télé­vi­sion. »

Savou­reuse entrée en matière : M. Le Lay men­tionne pour com­men­cer la plu­ra­li­té des opi­nions pos­sibles sur la télé­vi­sion (ras­su­rez-vous, c’est la seule fois qu’une quel­conque ouver­ture d’esprit le tra­ver­se­ra). Peut-être pense-t-il (oui, peut-être) à la télé­vi­sion comme vec­teur de culture et d’éveil à la réflexion, ou comme ins­tru­ment d’information au ser­vice des citoyens, ou comme outil d’éducation popu­laire, ou enfin comme moyen de débat démo­cra­tique et politique.

On n’en atten­drait pas moins du PDG d’une grande chaîne de télé­vi­sion natio­nale, conscient d’atteindre des mil­lions de per­sonnes tous les jours, et donc res­pon­sable de l’effet de son média sur la conscience et la vie de ses conci­toyens. Après tout, M. Le Lay n’est-il pas celui qui a osé, il y a quelques années, s’insurger avec cou­rage contre la pre­mière dif­fu­sion de Loft Sto­ry sur M6, le cou­ra­geux ico­no­claste voci­fé­rant contre la télé-pou­belle, l’intellectuel en lutte contre la bêtise télé­vi­suelle, le mora­liste sou­cieux de res­pon­sa­bi­li­ser le monde de la télé­vi­sion, le pro­phète appel­lant de ses veux une « quête de sens » sur TF1 ? Patrick Le Lay, appa­rem­ment deve­nu huma­niste et hon­nête homme, aurait-il enfin ache­vé sa « quête de sens », et décou­vert le sens de la télé­vi­sion ? Rêvons un peu…

« Mais dans une pers­pec­tive “busi­ness”, soyons réa­liste … »

Mais la suite se charge immé­dia­te­ment de nous faire redes­cendre sur Terre, dans la vraie vie, dans la seule chose qui soit impor­tante et qui ait une quel­conque valeur, dans la seule manière de pen­ser pos­sible, loin des uto­pies ou des concep­tions inven­tives de la télé­vi­sion, loin de tout plu­ra­lisme : c’est-à-dire, bien évi­dem­ment, dans le « busi­ness », le fric, les sous, le blé, la thune.

Vous vous atten­diez à quoi ? « Soyons réa­listes », ne deman­dons pas l’impossible, n’essayons même pas d’exiger une télé­vi­sion capable de par­ti­ci­per à l’éducation, à l’information ou à la culture des gens. Il semble que « la quête de sens » de TF1 et de M. Le Lay est ache­vée ou plu­tôt, qu’elle n’a jamais com­men­cé : la télé­vi­sion ne sert bien sûr qu’à faire vendre et à s’insérer ain­si dans le cir­cuit éco­no­mique, et ses seuls objec­tifs sont ain­si le pro­fit, la ren­ta­bi­li­té maxi­male, le retour sur inves­tis­se­ment. On cherche encore toute trace de culture, d’intelligence ou de réflexion dans le sens de la télé­vi­sion selon M. Le Lay : la télé­vi­sion ne sert qu’à faire vendre.

Le sus­pense atteint ici son comble : faire vendre, mais quoi ?

« … A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son pro­duit ».

Appré­cions ici la stu­pé­fiante fran­chise de M. Le Lay. Il ne dit pas que la télé­vi­sion a besoin de la publi­ci­té pour vivre et finan­cer ses pro­grammes (argu­ment clas­sique). Il ne dit pas non plus que, TF1 étant une chaîne pri­vée, il est logique qu’elle fasse des pro­fits, et que la publi­ci­té est le prin­ci­pal moyen de ren­ta­bi­li­ser l’activité de la chaîne, sous la pres­sion de l’Audimat (argu­ment réa­liste). Il ne dit pas non plus que la publi­ci­té est l’un des prin­ci­paux métiers de TF1 (argu­ment néo-réa­liste), à côté de la pro­duc­tion de sous-chan­teurs type Star-Aca­de­my, de la vente des pro­duits déri­vés des émis­sions (CD, Tee-Shirts, etc.), de jour­naux télé­vi­sés dés­in­for­ma­teurs, d’émissions popu­listes, vul­gaires et anxio­gènes, de la fas­ci­sa­tion douce des esprits au ser­vice du Medef et de la droite au pou­voir. Non, il dit mieux que cela encore : « Le métier de TF1 est d’aider Coca-Cola » (ou toute autre marque) « à vendre son pro­duit » (argu­ment car­ré­ment surréaliste).

Il faut mesu­rer toute la por­tée de cette affir­ma­tion, dans la bouche du PDG de la plus regar­dée des chaînes fran­çaises : le seul métier de TF1, à la base, est de faire vendre des pro­duits com­mer­ciaux, rien d’autre. C’est ici que notre thril­ler méta­phy­sique trouve une pre­mière réponse : TOUT ce que dif­fuse TF1 ne vise, « à la base », qu’à faire vendre les pro­duits des grandes marques. Aux télé­spec­ta­teurs qui cherchent encore un sens à leur vie, et à TF1, M. Le Lay délivre fiè­re­ment, mais mal­gré lui, un extra­or­di­naire moyen de sor­tir enfin de la Matrice : les élu­cu­bra­tions réac­tion­naires de Jean Pierre Per­naut dans le JT de 13h00, les inter­mi­nables intrigues décé­ré­brées des « Feux de l’amour », l’hymne au capi­ta­lisme du « Maillon faible », la bêtise inson­dable du « Big­dil », le dis­cours asphyxiant de la « Méthode Cauet », les inter­ven­tions glauques de Raf­fa­rin et de Jup­pé devant un Patrick Poivre D’Arvor miel­leux et com­pa­tis­sant, la casse sys­té­ma­tique de la grève en temps de crise sociale par les micro-trot­toirs adres­sés aux usa­gers pris en otage, la béa­ti­fi­ca­tion de Nico­las Sar­ko­sy-Super­star-Dyna­mique-Sau­veur-de-la-droite-Seul-espoir-de-la-France-du monde-et-de‑l’univers, les imbé­ciles péri­pé­ties pré­cal­cu­lées de la Ferme, TOUT CELA A DONC UN SENS (et un seul) : faire vendre, « par exemple », du Coca-Cola !

En d’autres termes, TF1 n’est qu’un spot de pub géant et conti­nu, à peine inter­rom­pu de loin en loin par quelques émis­sions. Il ne fau­drait pas signa­ler les cou­pures publi­ci­taires (qui ne coupent rien, puisque tout est publi­ci­té), mais les cou­pures des pseu­do-pro­grammes insé­rés dans le flux per­ma­nent de publi­ci­té, cœur de métier de TF1. Bref, TF1 sert à faire vendre du Coca-Cola (entre autres).

Mais une nou­velle énigme sur­git alors : com­ment le fait-elle ? Quelle est la véri­table fonc­tion des émis­sions des­ti­nées au public ? Quels sont les moyens dont use TF1 pour aider si géné­reu­se­ment Coca-Cola (entre autres) à vendre sa bois­son fade et ses mes­sages intoxi­qués au jeu­nisme et à la sottise ?

« Or pour qu’un mes­sage publi­ci­taire soit per­çu, il faut que le cer­veau du télé­spec­ta­teur soit dis­po­nible. Nos émis­sions ont pour voca­tion de le rendre dis­po­nible : c’est-à-dire de le diver­tir, de le détendre pour le pré­pa­rer entre deux mes­sages. Ce que nous ven­dons à Coca-Cola, c’est du temps de cer­veau humain dis­po­nible »

C’est ici que M. Le Lay révèle d’un coup son véri­table visage. Pour faire vendre du Coca-Cola (ou du Mac-Donalds, du Bonux, du Paic-Vais­selle, du Raf­fa­rin, du Vol­vo, du Sécu­ri­taire, du Bana­nia, du vote FN, du Spon­tex, du Jacques Chi­rac, du Cif-WC, du Sar­ko­zy …), il faut bien évi­dem­ment « qu’un mes­sage publi­ci­taire soit perçu ».

Or, c’est là une chose dif­fi­cile, car les vraies gens ont plein de sou­cis dans la tête : ils n’arrivent pas à bou­cler leurs fins de mois, ils partent à la retraite à 66 ans pour tou­cher un misé­rable SMIC, ils sont au chô­mage ou ils ont peur d’y tom­ber, ils ne peuvent pas se payer des soins den­taires parce qu’ils sont trop chers, ils se demandent s’ils n’ont pas hon­teu­se­ment abu­sé de la sécu­ri­té sociale en deman­dant deux jours de congé parce que leur tra­vail les a exté­nués. Ou alors les vraies gens rêvent, ils vivent une belle his­toire d’amour, ils vont voir leurs amis, ils croient par­fois que quelque chose ne tourne pas rond dans cette socié­té, ils cri­tiquent le gou­ver­ne­ment, ils pensent même par­fois à lut­ter pour amé­lio­rer leurs condi­tions de vie, pour tra­vailler moins, vivre mieux, se culti­ver, s’épanouir dans un monde moins injuste…

Bref, les gens ne sont pas vrai­ment « dis­po­nibles » à entendre qu’ « Ariel lave plus blanc que blanc », qu’ « Always Coca-Cola », que « C’est pas la rue qui gou­verne », que « Mini­mir fait le maxi­mum » ou qu’ « Alain Jup­pé est le meilleur d’entre nous ». Les gens ne sont pas natu­rel­le­ment « dis­po­nibles », au grand déses­poir de M. Le Lay, pour se lais­ser intoxi­quer par des mes­sages stu­pides et insi­pides, flat­tant leurs plus bas ins­tincts, créant chez eux une com­pul­sion d’achat pri­maire, détour­nant leur regard des vrais pro­blèmes qu’ils ren­contrent dans leur vie, sus­ci­tant l’admiration pour le cou­rage du Maré­chal Raf­fa­rin ou le dyna­misme du for­cé­ment cha­ris­ma­tique Sarkozy.

Il est vrai que tout indi­vi­du pos­sède une rai­son, des sen­ti­ments, une per­son­na­li­té, une apti­tude à l’esprit cri­tique, et même une édu­ca­tion, obs­tacles into­lé­rables pour qui sou­haite vendre tout et n’importe quoi à n’importe qui. Qu’à cela ne tienne : si le « cer­veau » du télé­spec­ta­teur n’est pas natu­rel­le­ment dis­po­nible à ingur­gi­ter n’importe quoi, il va fal­loir le for­cer à le faire, par tous les moyens et à tout prix. En d’autres termes, il faut trou­ver un moyen effi­cace de para­ly­ser la réflexion, d’abolir le recul et l’esprit cri­tique, d’abaisser le seuil de tolé­rance à la vul­ga­ri­té et à l’obscénité, de faire voler en éclats toute trace de culture et d’éducation.

Mais com­ment ce pro­dige est-il pos­sible ? Grâce aux émis­sions de TF1, bien sûr : « nos émis­sions ont pour voca­tion de le rendre (le cer­veau) dis­po­nible : c’est-à-dire de le diver­tir, de le détendre pour le pré­pa­rer entre deux mes­sages ». La réflexion de M. Le Lay révèle ici son cynisme le plus cru : les émis­sions de TF1 visent à « diver­tir » le cer­veau du télé­spec­ta­teur. Diver­tir, c’est-à-dire détour­ner ce « cer­veau » de sa des­ti­na­tion ori­gi­nelle : pen­ser, éprou­ver des sen­ti­ments humains, cri­ti­quer, déci­der d’agir. Toute la pro­duc­tion audio­vi­suelle de TF1 ne vise donc qu’à affai­blir les résis­tances de l’individu à la sot­tise, à l’ignorance et à la vul­ga­ri­té. Toute émis­sion de TF1 est un ins­tru­ment de tor­ture céré­brale, une décla­ra­tion de guerre à l’intelligence, une insulte à l’esprit cri­tique. Toute émis­sion de TF1 ne vise qu’à « détendre » le cer­veau « entre deux mes­sages » publi­ci­taires. Après « le Big­dil », « Ariel lave vrai­ment plus blanc que blanc », après le JT de 13 heures « c’est vrai­ment pas la rue qui gou­verne », après « les feux de l’amour » « y’a vrai­ment bon Bana­nia », après « le Droit de savoir » « c’est fou ce qu’il y a d’insécurité en France », après « la méthode Cauet » on est prêt à rôter pour un Fan­ta et à se lever pour Danette, après le JT de 20 heures Alain Jup­pé est vrai­ment le meilleur d’entre nous et vive l’UMP…

Quand TF1 entend par­ler de cer­veaux, elle sort ses émissions…

Ain­si s’explique, de l’aveu même de son PDG, la voca­tion cen­trale de TF1 : dif­fu­ser des émis­sions ayant voca­tion à para­ly­ser le cer­veau des télé­spec­ta­teurs, pour le rendre dis­po­nible à entendre et à accep­ter n’importe quel mes­sage. TF1 veut for­mer l’homme nou­veau, l’homme idéal : stu­pide, hébé­té, creux, per­méable à n’importe quel mes­sage, n’importe quelle absur­di­té. Shoo­té à l’illusion et à la vul­ga­ri­té, le télé­spec­ta­teur idéal selon TF1 ne sait plus faire la part du vrai et du faux, il n’en a même plus le désir ni l’énergie : la véri­té ne l’intéresse plus. Pré­pa­ré à entendre n’importe quoi, il en vient à aimer son alié­na­tion, à fre­don­ner les musiques des pubs Coca-Cola, à trou­ver qu’Ariel lave vrai­ment plus blanc, à détes­ter la culture et la réflexion, à mépri­ser l’intelligence et à ido­lâ­trer Sar­ko­zy. Ce fai­sant, TF1 ne vend pas seule­ment « du temps de cer­veau humain dis­po­nible » à Coca-Cola, elle vend des cer­veaux dociles et dépo­li­ti­sés au Pou­voir, des cer­veaux dis­po­nibles à la pro­pa­gande la plus sour­noise, comme les cer­veaux amé­ri­cains dis­po­sés à entrer en guerre contre l’Irak hier. Comme les cer­veaux fran­çais aujourd’hui, plus inté­res­sés par la coupe euro­péenne de foot­ball que par les élec­tions euro­péennes et l’énième défaite élec­to­rale de Raf­fa­rin, plus inquiets de la gran­deur de la France que du taux de chô­mage, inertes devant la des­truc­tion des ser­vices publics, acquis au fata­lisme poli­tique selon lequel « on ne peut pas faire autre­ment ». Quand Goeb­bels, ministre de la pro­pa­gande nazie, enten­dait par­ler de culture, il sor­tait son revol­ver. Quand TF1 entend par­ler de cer­veaux, elle sort ses émissions…

Anto­nio Molfese