Colloque : Quel son pour le cinéma aujourd’hui ? 1/3

De la salle de cinéma au portable, la diffusion du son : nouvel enjeu ?

11 décembre 2008 au Ciné 104

MODÉRATEUR : Franck Ernould, jour­na­liste spécialisé

GRAND TÉMOIN : Georges Prat, chef opé­ra­teur du son

 

Mots-clés

De la salle de ciné­ma au por­table, la dif­fu­sion du son : Nou­vel enjeu ?

OUVERTURE DU COLLOQUE

Jacky Evrard – Direc­teur du Ciné 104 à Pan­tin : Bon­jour. Je suis très heu­reux de vous accueillir pour la qua­trième fois consé­cu­tive au Ciné 104, et pour ces 9ème Ren­contres Art et tech­nique du Fes­ti­val l’Industrie du Rêve, « Quel son pour le ciné­ma d’aujourd’hui ? ». C’est une mani­fes­ta­tion que je connais bien, je le dis chaque année, puisque j’accompagnais déjà l’équipe voi­ci neuf ans, lors du lan­ce­ment de cette mani­fes­ta­tion, à Épi­nay. C’est un plai­sir de vous retrou­ver ici tous les ans, et je passe la parole à Anne Bour­geois, qui est la direc­trice artis­tique de cette manifestation.

Anne Bour­geois – Direc­trice artis­tique du Fes­ti­val l’Industrie du Rêve : Mer­ci Jacky de nous accueillir depuis quatre ans avec autant de cha­leur et de fidé­li­té. Mer­ci à vous tous, aux inter­ve­nants — dont cer­tains sont venus de loin, d’Angoulême même — mer­ci au public tou­jours fidèle du Fes­ti­val. Pour cette neu­vième édi­tion, nous avons vou­lu par­ler de la bande son. Je crois que c’est le pre­mier col­loque du genre uni­que­ment consa­cré au son dans sa glo­ba­li­té. J’espère que vous appré­cie­rez les inter­ven­tions, j’en suis même sûre !

Je vou­drais remer­cier nos par­te­naires, qui nous sou­tiennent depuis long­temps : le Conseil Régio­nal d’Ile-de-France, le Conseil Géné­ral de Seine-Saint-Denis, par­te­naire fidèle depuis 2000 — le dépar­te­ment est un bas­sin des indus­tries tech­niques du ciné­ma ; les Conseils Géné­raux du Val de Marne et de l’Essonne, et, évi­dem­ment, le CNC, sans lequel ce Fes­ti­val n’existerait pas, puisqu’il en est le par­rain depuis le début.

Je vou­drais remer­cier aus­si les indus­tries tech­niques qui nous sou­tiennent : Eclair et Télé­to­ta, repré­sen­tés par Chris­tophe Mas­sie, ain­si que la socié­té Piste Rouge cette année, repré­sen­tée par Bru­no Sez­nec, et toutes les indus­tries qui nous amènent, comme TSF, des aides en nature afin que le Fes­ti­val continue.
Je passe la parole à Bri­gitte Aknin avec laquelle nous avons conçu le col­loque, et qui va vous en dire plus sur le pro­gramme de ce matin et de cet après-midi.

Bri­gitte Aknin — Char­gée de mis­sion col­loque : Bon­jour à tous. Je tiens à sou­li­gner que, dans cette concep­tion, nos par­te­naires, Télé­to­ta, Piste Rouge et les inter­ve­nants, nous ont beau­coup aidés.

La dif­fé­rence par rap­port aux col­loques pré­cé­dents, c’est que les inter­ven­tions sont concen­trées sur une même jour­née. En quelque sorte, c’est un fil rouge que nous allons dérou­ler, toute la journée.

Je vous pré­sente, et je vous demande d’applaudir très fort notre grand témoin, Mon­sieur Georges Prat, qui par­ti­ci­pe­ra au col­loque toute la jour­née. Nous le retrou­ve­rons en début d’après-midi, quand nous repren­drons la séance. Il fera la liai­son entre les deux tables rondes, nous don­ne­ra ses impres­sions, son avis éclai­ré sur ce qu’il aura enten­du le matin.

La troi­sième table ronde, cet après-midi, est orga­ni­sée autour de deux réa­li­sa­teurs. Cédric Kla­pisch et Phi­lippe Gran­drieux seront là, avec leur équipe — mixeur, ingé­nieur du son, mon­teur son — pour des échanges concrets sur la bande son.
Le prin­cipe de ces Ren­contres, c’est de vous lais­ser un temps de parole. A l’issue de chaque table ronde, vous aurez une tren­taine de minutes pour poser les ques­tions de votre choix à nos inter­ve­nants. N’hésitez pas, le micro circulera !
Je vais enfin vous pré­sen­ter notre Maître des céré­mo­nies, qui va dérou­ler toute la jour­née ce fil rouge. C’est Mon­sieur Franck Ernould, jour­na­liste spé­cia­li­sé. Avec Franck, nous avons conve­nu qu’il y avait tel­le­ment à dire sur le son, que nous avons fait le choix de ne pas faire de table ronde en ouver­ture du col­loque, sur l’état des lieux : c’est lui qui nous le dresse, en s’appuyant sur son expé­rience et les dif­fé­rentes enquêtes qu’il a pu faire sur le sujet. Nous entre­rons immé­dia­te­ment après dans le vif du sujet, dans les pro­blé­ma­tiques du programme.
Je nous sou­haite une bonne jour­née ! Main­te­nant nous sommes tous dans le même bateau !

Franck Ernould

– modé­ra­teur : Mer­ci Bri­gitte.

Table ronde n°1

DE LA SALLE DE CINEMA AU PORTABLE, LA DIFFUSION DU SON : NOUVEL ENJEU ?

INTERVENANTS : Alain Besse, Res­pon­sable du sec­teur dif­fu­sion de la Com­mis­sion Supé­rieure Tech­nique de l’image et du son (CST) Chris­tophe Jan­ko­vic, Pro­duc­teur de Pri­ma Linéa Jean-Paul Lou­blier, Direc­teur de Dovi­dis et Mixeur Alexandre Mahout, Direc­teur des pro­duc­tions musi­cales de Euro­pa­cort Chris­tophe Mas­sie, Direc­teur géné­ral adjoint de Télé­to­ta Domi­nique Schmit, Consul­tant des labo­ra­toires Dol­by Bru­no Sez­nec, Direc­teur de Piste Rouge Eric Tis­se­rand, Ingé­nieur du son et Mixeur.

Franck Ernould : Bon­jour, et bien­ve­nue aux Ren­contres Art et Tech­nique du 9e col­loque du Fes­ti­val l’Industrie du Rêve « Quel son pour le ciné­ma d’aujourd’hui ? »
J’ai moi-même été ingé­nieur du son, essen­tiel­le­ment à l’image, pen­dant une quin­zaine d’années. J’écris main­te­nant sur le son dans dif­fé­rents maga­zines pro­fes­sion­nels fran­çais et anglo-saxons. J’ai du coup acquis un cer­tain recul et une double, voire une triple vision sur cer­tains aspects du métier et du son.
Quelle que soit la manière dont on envi­sage la situa­tion, il m’apparaît de plus en plus qu’en France, on est cultu­rel­le­ment beau­coup plus axé « image » que son. Nous avons eu beau­coup de peintres majeurs, mais peu de grands com­po­si­teurs. Charles Cros a inven­té l’enregistrement pho­no­gra­phique avec des rou­leaux, mais c’est Edi­son qui en a impo­sé sa ver­sion dans le monde entier, avec le gra­mo­phone et ses disques plats. Le ciné­ma a été inven­té en France, mais le ciné­ma sonore est venu des Etats-Unis. La radio, le télé­phone sont nés outre-Atlan­tique. Pierre Schaef­fer a inven­té la musique concrète, mais c’est l’électro-acoustique, dans tous les pays, qui s’est impo­sée ensuite sur ses traces.

On peut aus­si citer l’exemple du SECAM : un for­mat de télé­vi­sion d’une excel­lente qua­li­té d’image, mais pos­sé­dant un son médiocre, mono en modu­la­tion d’amplitude, comme les grandes ondes — là où nos voi­sins alle­mands ou anglais uti­li­saient le for­mat PAL, d’image à peine moins belle, mais d’un son FM de bien meilleure qua­li­té et per­met­tant la sté­réo. Il fau­dra attendre 1994, pour voir appa­raître la sté­réo à la télé chez nous, avec le NICAM. Bref, à la télé­vi­sion, le signal audio n’était pas bien ser­vi, ce qui a dû se réper­cu­ter sur les condi­tions de pro­duc­tion des bandes son de l’époque.

En France, on constate une domi­nante du regard sur l’écoute. Mes enfants, au col­lège ou à l’école, reçoivent un ensei­gne­ment musi­cal insuf­fi­sant et ne sont pas du tout inci­tés à pra­ti­quer la musique, alors que dans de nom­breux pays euro­péens, chaque école, chaque lycée, pos­sède son audi­to­rium, sa cho­rale, son orchestre. Une sen­si­bi­li­sa­tion pré­coce qui condi­tionne par la suite les rela­tions à l’univers sonore.

Mais ne soyons pas trop pes­si­mistes : le talent de nos ingé­nieurs du son « direct » au ciné­ma est recon­nu dans le monde entier. Nous avons gar­dé quelques noms célèbres dans le domaine des enceintes acous­tiques, de la sono­ri­sa­tion, de la hi-fi audio­phile ou des consoles numé­riques. Nous avons des luthiers célèbres, tout n’est pas perdu !

Au ciné­ma, il y a tou­jours de l’argent pour l’image. Sur le pla­teau, on peut refaire plu­sieurs fois la prise pour l’image ou la lumière, per­sonne ne s’y oppo­se­ra. Pour le son, c’est beau­coup moins évident : on n’ose pas for­cé­ment deman­der une nou­velle prise, alors que pour l’image on le demande plus faci­le­ment… Ceux qui ont déjà vu un pre­neur du son direct se battre pour impo­ser le silence sur le pla­teau, afin d’enregistrer trente secondes de son seul, savent de quoi je parle ! Et quand on arrive au mixage, le bud­get de pro­duc­tion du film est déjà dépen­sé ; il est hors de ques­tion de ral­lon­ger une durée de mixage ou de brui­tage, même si c’est jus­ti­fié. Nous y revien­drons pro­ba­ble­ment plus tard, mais les outils actuels servent plus sou­vent à « répa­rer » des élé­ments audio médiocres, qu’à gagner un ou deux degrés de qualité.

Les moyens ne sont pas tou­jours réunis pour créer une esthé­tique sonore, on cache sou­vent les défauts !

Heu­reu­se­ment, la géné­ra­tion des réa­li­sa­teurs de 40/50 ans semble beau­coup plus concer­née par les pro­blé­ma­tiques sonores et paraît par­fai­te­ment consciente de ce qu’un beau son peut « appor­ter » à l’image et au film. On voit sou­vent des pho­tos où le réa­li­sa­teur porte un casque pour écou­ter le son cap­té pen­dant la prise. Cer­tains conçoivent même leur scé­na­rio et leur décou­page en fonc­tion d’éléments sonores ! Cédric Kla­pisch — que nous aurons le plai­sir d’accueillir cet après-midi — en est un bel exemple : l’image de ses films est ren­for­cée par une vraie pré­sence sonore, aux élé­ments ori­gi­naux et recher­chés. Son équipe est moti­vée quand elle le voit se rendre en mon­tage son, en brui­tage, en mixage… Il y a d’autres réa­li­sa­teurs qui suivent ain­si toutes les étapes de la créa­tion sonore de leur film.
Avec la numé­ri­sa­tion, la « consom­ma­tion » de ciné­ma est en pleine évo­lu­tion depuis quelques années. Après la bana­li­sa­tion de la musique, qu’en est-il de celle de l’image ? Je suis ser­vi par l’actualité : hier, le maga­zine Télé­ra­ma a sor­ti un numé­ro dont la cou­ver­ture est consa­crée à « la vie numé­rique ». Le concept : aller voir dans des familles avec enfants — des gens d’une qua­ran­taine d’années, aisés sans être for­tu­nés — com­ment on regarde les images et l’on écoute les sons ? Le jour­na­liste a com­men­cé par comp­ter les écrans, au sens large : télé­vi­seur, bien sûr, mais aus­si moni­teur d’ordinateur, iPod, télé­phone por­table, console de jeux, ordi­na­teur por­table… Les résul­tats sont éton­nants. « Famille X : 3 enfants, 12 écrans ». « Famille Y : 1 enfant, 9 écrans, 3 consoles de jeux fixes ». N’oublions pas que cer­taines consoles de jeux peuvent lire des DVD, voire des Blu-ray. Les fron­tières sont floues. « Famille Z : 13 écrans, 2 consoles fixes ». Il y a des pho­tos à chaque fois. Cher­chez les enceintes, il n’y en a pas de visibles, ou ce sont celles des ordi­na­teurs, à 10 euros la paire. C’est inté­res­sant, ça fait peur aus­si, au niveau de la place du son par rap­port aux images.

Un autre ensei­gne­ment inté­res­sant de cet article : le frac­tion­ne­ment du vision­nage des films. L’acte d’écouter un disque ou de regar­der un film n’est plus for­cé­ment conti­nu. On peut com­men­cer un film sur le télé­vi­seur et (ou) le lec­teur de DVD du salon, le pour­suivre sur son ordi­na­teur por­table, et le ter­mi­ner sur l’iPod le len­de­main matin. Dans tous les cas, on est loin des condi­tions de réfé­rence : la salle, puisqu’on sait que les films sont mixés dans des audi­to­riums, dont les pro­prié­tés acous­tiques et les dimen­sions sont voi­sines de celles d’une salle d’exploitation.

À cette évo­lu­tion des modes de « consom­ma­tion » — je n’aime pas du tout ce mot, mais hélas il est de plus en plus appro­prié, les conte­nus cultu­rels deve­nant des mar­chan­dises, voire des pro­duits asso­ciés — vient se gref­fer une révo­lu­tion tech­no­lo­gique dans les méthodes de pro­duc­tion, en audio notam­ment. Le ciné­ma numé­rique en salle arrive à grands pas, mais l’ordinateur est omni­pré­sent dans la fabri­ca­tion des images — mon­tage, tru­cage, enre­gis­tre­ment — et des sons. Il y a, semble-t-il, de moins en moins d’argent consa­cré aux bud­gets tech­niques, même si les coûts des films res­tent stables ou aug­mentent. Du coup, on voit se créer beau­coup de petites struc­tures : il y a de plus en plus de petits audi­to­riums, équi­pés en numé­rique, pour beau­coup moins cher qu’avant, le ticket d’entrée a bais­sé. Ces pres­ta­taires arrivent-ils à main­te­nir une qua­li­té suf­fi­sante ? Quelle sera la dif­fé­rence entre un « petit » audi­to­rium, un audi­to­rium « moyen » et un « grand » audi­to­rium, au niveau du ren­du final du mixage du film ?

Com­ment, à par­tir d’un conte­nu « de réfé­rence », accom­pa­gner sa trans­po­si­tion vers des for­mats de qua­li­té infé­rieure, com­ment faire en sorte qu’il « perde » le moins pos­sible en pas­sant du 5.1 au Dol­by Sur­round, en sté­réo, en mono, sur Inter­net, sur l’iPod ?

C’est le thème de notre pre­mière table ronde. Les inter­ve­nants sont tous là, je les invite à prendre place sur scène. Dans l’ordre alphabétique :
Alain Besse, Res­pon­sable du sec­teur dif­fu­sion de la Com­mis­sion Supé­rieure Tech­nique de l’image et du son ( CST). Alain a contrô­lé un grand nombre de salles de ciné­ma dans sa vie, notam­ment celles du Palais du Fes­ti­val de Cannes. En ce moment, il tra­vaille d’arrache-pied sur des recom­man­da­tions pour le son en TVHD, la télé­vi­sion numé­rique haute défi­ni­tion, qui a com­men­cé récem­ment à dif­fu­ser ses pro­grammes, et qui apporte le son 5.1 à domi­cile. Ce qui est plus com­pli­qué à gérer qu’on ne le croit.

Chris­tophe Jan­ko­vic, est Pro­duc­teur pour la socié­té de pro­duc­tion Pri­ma Linéa. A son actif, pas mal de films d’animation : La peur du noir, U, Marie Caillou… Il est ame­né à gérer un grand nombre de sup­ports dif­fé­rents pour accom­pa­gner le par­cours de ses pro­duc­tions, de la salle au DVD.

Jean-Paul Lou­blier, est Direc­teur des audi­to­riums pari­siens Dovi­dis et mixeur. Il tra­vaille au ciné­ma et sur des télé­films. Cher­chez son nom sur Inter­net Movie Data­base, vous le trou­ve­rez, asso­cié à des cen­taines de films, et encore, il en manque.

Alexandre Mahout, Direc­teur des pro­duc­tions musi­cales de Euro­pa­corp, socié­té hono­ra­ble­ment connue dans la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique, et qui pos­sède aus­si une acti­vi­té musi­cale four­nie. Alexandre tra­vaille pas mal à la Digi­tal Fac­to­ry, où se trouvent de nom­breux stu­dios d’enregistrement. Il gère sou­vent plus de dix for­mats dif­fé­rents pour un même conte­nu de départ et nous racon­te­ra ça…

Chris­tophe Mas­sie, pré­sent avec une double cas­quette : Direc­teur géné­ral adjoint chez Télé­to­ta et Vice-pré­sident du « stock télé­vi­sion » à la FICAM — Fédé­ra­tion des Indus­tries tech­niques du Ciné­ma, de l’Audiovisuel et du Mul­ti­mé­dia — qui repré­sente envi­ron 10 000 sala­riés et 1 mil­liard d’euros de chiffre d’affaire par an.
Domi­nique Schmit est consul­tant pour les Labo­ra­toires Dol­by. Le for­mat Dol­by Digi­tal est majo­ri­taire sur le son mul­ti­ca­nal des copies de films pro­je­tées en salle. Domi­nique fait tout pour que le son issu du mixage du film « passe » le mieux pos­sible en salle. Il com­mer­cia­lise des outils divers et variés pour s’en assu­rer et le mesu­rer — notam­ment pour éta­blir des méta­don­nées qui suivent les don­nées audio. Dol­by entend bien être un acteur de poids dans la TVHD, et se lance aus­si sur le mar­ché des télé­phones por­tables. Domi­nique a un « scoop » pour nous.

Bru­no Sez­nec, est Direc­teur de Piste Rouge et mixeur. Sa socié­té pos­sède plu­sieurs audi­to­riums ciné­ma sur Paris et des salles de mon­tage à Angou­lême — inau­gu­rées récem­ment. Il tra­vaille beau­coup pour le ciné­ma d’animation : Kiri­kou et les bêtes sau­vages, U, Futu­ri­kon, Chas­seur de dra­gons, notam­ment avec Chris­tophe Jan­ko­vic de Pri­ma Linéa, ici pré­sent. Il assure aus­si pour ses clients des acti­vi­tés de conseil de post-pro­duc­tion audio.

Eric Tis­se­rand, ingé­nieur du son et mixeur a été nomi­né aux Césars pour L’ennemi intime. Il a cer­tai­ne­ment des choses à racon­ter sur le pas­sage d’un sup­port à un autre, et sur la façon dont il redé­couvre, par­fois, et pas pour le meilleur, son mixage en salle ou sur DVD.

Main­te­nant pro­cé­dons dans l’ordre : par­tons d’un son mixé dans un audi­to­rium, pro­je­té dans une salle de ciné­ma comme celle-ci par exemple. Ce sont des condi­tions « de réfé­rence », et pour­tant… Alain, tu as contrô­lé beau­coup de salles de ciné­ma, et même s’il y a des recom­man­da­tions, des valeurs à res­pec­ter, fina­le­ment, chaque salle est dif­fé­rente, et la notion de « réfé­rence » est un peu écornée…

Alain Besse – Res­pon­sable du sec­teur dif­fu­sion de la Com­mis­sion Supé­rieure Tech­nique de l’image et du son ( CST) – Je crois que c’est vrai sur toute chose : l’idéal n’existe pas. On essaie de l’atteindre ! Avant de par­ler de la salle de ciné­ma, je vou­drais appor­ter un com­plé­ment à pro­pos de l’article de Télé­ra­ma que tu citais. Je ferai une simple remarque : sur la télé­com­mande de notre télé­vi­seur, tout le monde sait où se trouvent les touches de réglage du niveau sonore, mais peu savent où se trouvent les réglages de l’image… C’est assez para­doxal : on ne s’occupe jamais de régler l’écran, on consi­dère qu’il est bien comme ça, qu’il n’y a rien à retou­cher. Alors que sur le son, tout le monde va se mêler de régler le niveau, les aigus, les graves, etc. Il y a une assez forte contra­dic­tion là-des­sus, qui est sans doute assez inté­res­sante à ana­ly­ser sur notre rap­port à l’écoute.
Pour en reve­nir à la salle de ciné­ma, l’idéal est théo­ri­que­ment de tra­vailler en 1/1, à l’échelle 1, de redon­ner au spec­ta­teur ce que le créa­teur, le mixeur a vou­lu faire, en toute trans­pa­rence. L’outil de dif­fu­sion d’une œuvre ciné­ma­to­gra­phique doit être le plus trans­pa­rent possible.

Pour se faire, on dis­pose d’un cer­tain nombre d’outils et de réfé­rences qui sont un héri­tage de nom­breuses expé­riences. La seule « vraie » norme exis­tante sur le son a été éta­blie dans les années 1940. C’était assez empi­rique à l’époque, mais on a quand même abou­ti à quelque chose qui a don­né satis­fac­tion depuis : on garan­tit des zones d’écoute. Il existe en France une norme concer­nant les carac­té­ris­tiques dimen­sion­nelles des salles de ciné­ma, appli­quées à toutes les salles. Cette norme défi­nit une zone d’écoute qui posi­tionne le spectateur/auditeur — autre contra­dic­tion d’ailleurs, au ciné­ma on parle tou­jours de spec­ta­teur, jamais d’auditeur, encore une pré­do­mi­nance de l’image sur le son — dans une situa­tion à peu près cohé­rente par rap­port aux sources sonores. Ce qui nous conduit à une autre dif­fi­cul­té fon­da­men­tale dans la repro­duc­tion sonore : l’immense majo­ri­té des recherches menées depuis 30/40 ans, notam­ment autour de la sté­réo­pho­nie, ont été cen­trées autour d’un indi­vi­du. On doit être à la pointe du tri­angle équi­la­té­ral avec les enceintes. Ce point d’écoute idéal est deve­nu, avec le mul­ti­ca­nal, une zone, le sweets­pot, mais, très clai­re­ment, on a peu réflé­chi aux pro­blèmes sou­le­vés par une écoute col­lec­tive. Garan­tir que celui qui se trouve au deuxième rang, à droite, et celui qui est assis dans le fond à gauche entendent la même chose, voient le même film, éprouvent les mêmes sen­sa­tions, n’est pas évident.

Là aus­si, on essaie de trou­ver des solu­tions indi­ca­tives pour aider les concep­teurs de salle, en liai­son avec ce qui s’est fait en pro­duc­tion, pour offrir au spec­ta­teur un son qui soit le plus proche pos­sible de ce qui a été créé. Ces régle­men­ta­tions concernent la posi­tion des enceintes acous­tiques iden­tique à celle qui est adop­tée en audi­to­rium de mixage, mais aus­si le res­pect d’un cer­tain nombre de concepts. Dans l’ordre des prio­ri­tés pour la repro­duc­tion sonore, la pre­mière condi­tion deman­dée à une salle de ciné­ma, c’est de garan­tir l’intelligibilité du mes­sage sonore. Comme je le dis sou­vent, d’un théâtre à un autre, l’acteur va adap­ter son jeu à l’acoustique du lieu, mais dans un film, la bande son est figée. On doit pou­voir pas­ser de Funès ou Jou­vet dans une salle de ciné­ma, sans rien chan­ger, ce qui demande des carac­té­ris­tiques acous­tiques particulières.

Il n’existe pas de norme, ni de loi, mais uni­que­ment des régle­men­ta­tions tech­niques pro­fes­sion­nelles. La seule norme exis­tante porte sur la courbe de réponse en fré­quence, l’ISO2969, courbe X, et courbe N (Aca­de­my pour le son mono — encore 10% de salles en France, et 25% en Dol­by Sté­réo ana­lo­gique matri­cé). On doit aus­si res­pec­ter un cer­tain temps de réver­bé­ra­tion, qui varie en fonc­tion du volume de la salle. Par rap­port à l’ensemble des autres lieux de dif­fu­sion — salle de concert de musique clas­sique, théâtre — la salle de ciné­ma est un milieu rela­ti­ve­ment mat. Rien d’étonnant, parce qu’une réver­bé­ra­tion exces­sive est l’ennemi de l’intelligibilité. Le trai­te­ment acous­tique d’une salle de ciné­ma est d’une impor­tance capi­tale pour le res­pect de l’œuvre. Enfin, le maté­riel de dif­fu­sion lui-même — ampli­fi­ca­teurs, enceintes acous­tiques — a sus­ci­té un cer­tain nombre de réflexions et de recom­man­da­tions. Il y en a eu voi­là 30 ans. Il serait néces­saire de les revoir aujourd’hui avec l’arrivée du ciné­ma numé­rique, où, gros­so modo, on amène la sor­tie de la console du mixeur direc­te­ment dans la salle de ciné­ma, sans enco­dage, sans matri­çage, sans aucun inter­mé­diaire tech­nique, sans consul­tant Dol­by qui effec­tuait un contrôle et une vali­da­tion lors de l’encodage du son mul­ti­ca­nal en Dol­by Digi­tal. Quand ce sont des mixeurs expé­ri­men­tés qui tra­vaillent, dans de bonnes condi­tions, il n’y a pas trop d’inquiétudes à avoir ; mais quand on voit arri­ver des mixages faits par­fois, pour cari­ca­tu­rer, dans des cui­sines, sur un Pro Tools ins­tal­lé sur la table de nuit de la chambre — ce qui peut se faire tech­ni­que­ment aujourd’hui, mais où dis­pa­raît toute notion de niveau de réfé­rence et d’alignement — on peut avoir des sur­prises désagréables.

Tout ça pour dire que c’est l’ensemble « maté­riel de dif­fu­sion, plus acous­tique de salles » qui est impor­tant. Si on se trouve, par exemple, dans une salle très réver­bé­rante, le pre­mier réflexe sera de des­cendre le niveau sonore de repro­duc­tion du film. Dans ce cas, on perd les équi­libres entre la voix, les ambiances, la musique et les rap­ports vou­lus par le mixeur et le réa­li­sa­teur ; on perd d’un coup 50 voire 80% du sens de la bande sonore. Ce qui me rap­pelle une anec­dote qui s’est dérou­lée à Cannes où je des­cends tous les ans pour la durée du Fes­ti­val, puisque j’ai la chance d’être res­pon­sable de l’ensemble de toutes les pro­jec­tions du Fes­ti­val. On fait des répé­ti­tions — Domi­nique Schmit est sou­vent pré­sent d’ailleurs – et par­fois des réa­li­sa­teurs ou des mixeurs nous demandent de des­cendre le niveau d’écoute de « 0,1, ou 0,2 », avec des dB de valeurs très faibles. On a l’impression qu’ils exa­gèrent un peu, mais on le fait quand même. Et par­fois, quand le niveau est des­cen­du de 0,2 ou 0,3 dB réel­le­ment — même pas 1 dB — sur une salle de 2500 places, on a vrai­ment une per­cep­tion acous­tique qui change, la per­cep­tion du film change, ce n’est plus le même. Ça m’est arri­vé plu­sieurs fois. Preuve que la notion d’alignement des niveaux est exces­si­ve­ment impor­tante pour garan­tir le res­pect de l’œuvre, sa compréhension.

Franck Ernould : Tout ce que tu as expli­qué sur les pro­prié­tés des salles de ciné­ma, en termes de dimen­sions, d’acoustique, d’équipement, on le retrouve dans tous les audi­to­riums de mixage, que ce soit, par exemple, chez Bru­no Sez­nec, ou chez Jean-Paul Loublier ?

Alain Besse : C’est l’objectif, effec­ti­ve­ment. Il doit y avoir une cor­res­pon­dance entre l’auditorium de mixage et la salle de cinéma.

Franck Ernould : Mais de plus en plus sou­vent, on voit des audi­to­riums qui n’ont plus de grands volumes. Si on mixe dans des audi­to­riums d’un volume insuf­fi­sant, on perd la repro­duc­ti­bi­li­té du mixage…

Alain Besse : C’est clair… La salle de ciné­ma, c’est la notion de spec­tacle col­lec­tif, à oppo­ser au visionnage/écoute indi­vi­duel. Qui dit col­lec­tif, dit dimen­sions impor­tantes. Il est évident que si le mixage se fait dans un auti­to­rium de « petit » volume, on va mixer différemment.

Évi­dem­ment, l’expérience, le savoir-faire du mixeur lui per­met­tront de pon­dé­rer un cer­tain nombre de choses. Mais il aura, quand même, une ten­dance à mixer « plus petit », que s’il était dans le grand audi­to­rium de la Digi­tal Fac­to­ry, qui est l’exemple même de ce qu’on aime­rait tous avoir ! Après, il y a des ques­tions de moyens, de place, de volume ; il ne serait pas évident de construire à Paris, aujourd’hui, un audi­to­rium de mixage de ces dimen­sions-là. Dol­by éta­blit des recom­man­da­tions et « homo­logue » des audi­to­riums — comme la CST d’ailleurs — dans le cadre des auto­ri­sa­tions d’exercice déli­vrées aux indus­tries tech­niques pour les audi­to­riums. Ils ont, comme nous, éta­bli des dimen­sions mini­males. Si un pres­ta­taire nous demande une auto­ri­sa­tion d’exercice, et que son audi­to­rium a des dimen­sions insuf­fi­santes, nous ne déli­vrons pas de qui­tus tech­nique, car nous consi­dé­rons que ce lieu ne per­met­tra pas de fina­li­ser conve­na­ble­ment une bande sonore de film de cinéma.

Domi­nique Schmit : Pour appor­ter un com­plé­ment sur les audi­to­riums, Dol­by ne donne son agré­ment que si les audi­to­riums rem­plissent un cer­tain nombre de cri­tères, notam­ment en termes de dis­tance de la console de mixage à l’écran, de répar­ti­tion des haut-par­leurs, d’équipements de mixage, console, etc. Quand un pro­duc­teur paye une licence pour uti­li­ser le son Dol­by sur son film, nous sommes là pour garan­tir que le résul­tat dans la salle de ciné­ma sera équi­valent à ce qui a été vali­dé, d’un point de vue artis­tique, dans l’auditorium de mixage.

Franck Ernould : Bru­no, à Piste Rouge, tu es donc dans les cri­tères, les normes, les recommandations ?

Bru­no Sez­nec : Je suis pile à la limite ! J’apporte une petite res­tric­tion à ce qui a été dit. On parle tou­jours de la petite taille d’un audi­to­rium. Par­lons aus­si de la grande taille : ce n’est pas tou­jours sym­pa­thique de mixer dans un très grand audi­to­rium. Clai­re­ment, pour avoir pra­ti­qué les deux, il m’est arri­vé aus­si de me plan­ter dans des grands volumes ; parce que, jus­te­ment, l’approche et l’appréhension du son ne sont pas for­cé­ment com­pa­rables à ce que sera la dif­fu­sion der­rière. Quand je vois une salle comme celle qui nous accueille ce matin — qui est sans doute l’une des plus com­mu­né­ment ren­con­trées au niveau du volume — un audi­to­rium pour­rait être plus grand. On peut donc inver­ser la pro­blé­ma­tique : quel va être le résul­tat si la salle est plus petite ?

Je crois qu’à un moment, il faut aus­si s’arrêter sur le fait qu’il y a des hommes tra­vaillant avec des outils, qu’ils connaissent par­fai­te­ment, et qu’ils sau­ront les uti­li­ser en fonc­tion de leurs expé­riences pré­cé­dentes. Parce qu’il n’y a que l’expérience qui puisse don­ner une idée du ren­du de ce qu’on mixe, dans un autre envi­ron­ne­ment : dans une salle plus grande, ça va faire ci, ça va faire ça, et même prin­cipe pour une salle plus petite ; du même coup, on remet un peu de pro­fes­sion­na­li­sa­tion au milieu de tout ça, sans s’arrêter sur le fait que seul l’outil inter­vient pour faire des choses qualitatives.

Franck Ernould : Parce que dans tes audi­to­riums de mixage, tu peux réa­li­ser aus­si bien le mixage d’un film Dol­by Digi­tal, que celui d’un pro­duit spé­ci­fi­que­ment dédié à la vidéo ?

Bru­no Sez­nec : Tout à fait ! Et le plus bel exemple dans ce domaine, c’est quand j’ai mixé Chas­seur de dra­gon dans mes audi­to­riums, qui ne sont pas ter­ri­ble­ment grands ni fran­che­ment petits…

Franck Ernould : Tu as une idée de leurs dimen­sions, de leur volume ?

Bru­no Sez­nec : envi­ron 50 m², en gros 4 m de hau­teur sous pla­fond. On est à un peu moins de 200 m³.

Franck Ernould : Un « petit » audi­to­rium ferait donc 200 m³, un moyen, 600 ou 700 m³, Alain Besse ou Domi­nique Schmit, com­bien en compte la Digi­tal Fac­to­ry, plu­sieurs mil­liers, j’imagine ?

Alain Besse : Je ne connais pas les valeurs par cœur, mais on est dans ces ordres de gran­deur-là. Bru­no, je me per­mets de t’interrompre quinze secondes… Nous avons dans la salle Miguel Ade­lise, ingé­nieur du son chez Télé­to­ta, qui est un des acteurs très impor­tants et très actifs sur le tra­vail des recom­man­da­tions pour la TVHD, évo­quées par Franck Ernould tout à l’heure. C’est une des pro­blé­ma­tiques que nous avons fré­quem­ment sou­le­vé dans les réflexions concer­nant la ges­tion de la dyna­mique, les écarts de son, à la télé­vi­sion, pour la TVHD 5.1 qui va arri­ver. Sur les décli­nai­sons de films — et là on a vrai­ment besoin de l’avis des mixeurs sur cet aspect-là des choses — on doit vali­der le mixage ciné­ma, sa ver­sion DVD, sa ver­sion télé­vi­sion 5.1, sa ver­sion 2 canaux, éven­tuel­le­ment sa ver­sion mono. Est-ce que tout ça peut se faire ou pas dans le même audi­to­rium ? Ça pose des pro­blé­ma­tiques, c’est un des sujets qui n’est pas encore tran­ché et qui va faire l’objet des débats à suivre sur cette ges­tion de la dynamique.

Bru­no Sez­nec : Je vais juste finir mon his­toire sur Chas­seur de dra­gon qui est typi­que­ment un film façon block­bus­ter, un gros truc, avec du son « qui envoie » comme on dit. Donc, appa­raît la pro­blé­ma­tique de se dire : « Bon, si on tra­vaille dans un envi­ron­ne­ment plus modeste, on risque de com­mettre des erreurs d’appréciation, d’interprétation quant au volume sonore, à l’action réel­le­ment phy­sio­lo­gique qu’on recherche sur le spec­ta­teur, par des pous­sées de basses ou d’aigus, etc ». Résul­tat : J’ai eu le plai­sir d’assister à une pro­jec­tion du film dans une très grande salle, et j’ai retrou­vé vrai­ment les sen­sa­tions que j’avais eues en le mixant dans mon audi­to­rium. Ce qui prouve très clai­re­ment qu’on peut adap­ter sa métho­do­lo­gie de travail…

En fait, je dirais que ce sont plu­tôt des notions de fatigue qui entrent en jeu. Sur des outils plus modestes la fatigue se fait sen­tir plus vite, parce qu’on est dans une écoute de semi-proxi­mi­té. Avec un niveau sonore fort, on a rapi­de­ment la sen­sa­tion de s’en « prendre plein la tête » tout le temps. Mais sor­ti de ce contexte — et du coup avec la pos­si­bi­li­té de l’adapter éven­tuel­le­ment — on retrouve quand même des sen­sa­tions assez iden­tiques. Ce qui lais­se­rait entendre aus­si que l’outil — à par­tir du moment où l’on a une approche pro­fes­sion­nelle des choses — peut s’adapter tota­le­ment au résul­tat final qu’on souhaite.

Chris­tophe Mas­sie — Direc­teur géné­ral adjoint de Télé­to­ta, Vice-pré­sident du « stock télé­vi­sion » à la FICAM : Je vais com­men­cer par la FICAM… tout le monde ici connaît. Autre­fois, il exis­tait des chambres syn­di­cales ou tech­niques : les labo­ra­toires d’un côté, les audi­to­riums de l’autre. Le regrou­pe­ment de toutes les acti­vi­tés tech­niques a mis fin à ce cloi­son­ne­ment, signe inté­res­sant par rap­port à notre dis­cus­sion. Les pro­fes­sion­nels se sont dit : plu­tôt que d’avoir affaire à des chambres syn­di­cales tech­niques, pro­cé­dons par type de pro­gramme. Nous avons donc une chambre « long-métrage » et une chambre « stock » qui est celle dont je m’occupe, et qui inclut notam­ment les fic­tions. Avec, à côté, une chambre « flux », pour répondre à une évo­lu­tion : nous ne sommes pas que des tech­ni­ciens, on tra­vaille aus­si pour un cer­tain type de programmes.

Pour en venir à Télé­to­ta — au nom de qui j’interviens ici — nous pos­sé­dons les audi­to­riums Audi­tel que beau­coup connaissent, ceux de Jack­son et, récem­ment, ceux de Post­mo­derne, ex-GL PIPA. Des audi­to­riums de tailles dif­fé­rentes (en tout 14 audi­to­riums). Nous avons en plus ce que nous appe­lons, dans notre jar­gon, des « stu­dios » (de plus petite taille), qui tra­vaillent sur des docu­men­taires, voire du doublage.

Quand nous avons pré­pa­ré ensemble cette jour­née, j’ai insis­té sur l’intérêt d’expliquer cette notion d’évolution. Ça fait vingt ans que je tra­vaille, d’abord dans le son. A une époque, avec Franck Ernould, on tra­vaillait sur des mixages de docu­men­taires, par exemple sur de l’opéra, au début d’Arte. On fai­sait un mixage, Franck savait de quoi il par­lait, moi aus­si, on fai­sait un beau pro­gramme… Ensuite, on tirait un PAD — Prêt A Dif­fu­ser — dans un autre ser­vice de Télé­to­ta, le labo­ra­toire. Un PAD qui allait être dif­fu­sé en SECAM, en tenant compte des normes, donc en mesu­rant les dif­fé­rents signaux. Et là, le tech­ni­cien du labo­ra­toire, avec ses normes, par­fois bais­sait le niveau audio, pour « ne pas écrê­ter ». Résul­tat : on livrait un opé­ra où l’on n’entendait plus les réci­ta­tifs… C’était un de nos pre­miers problèmes.

Ce pro­blème est tou­jours là… En tant que pres­ta­taires des indus­tries tech­niques, nous essayons d’offrir au pro­duc­teur, au réa­li­sa­teur, au mixeur les plus beaux outils pour faire les plus beaux pro­grammes : taille d’auditorium, puis­sance de consoles, dif­fé­rentes gammes de prix… C’est notre métier, on le fait depuis long­temps, on conti­nue à le faire. Par ailleurs, on a d’autres métiers où le rôle — que ce soit en termes de copies, de PAD ou autres — est d’apporter aux consom­ma­teurs — je n’aime pas ce mot non plus, mais il faut l’employer — les pro­grammes, selon le choix qu’il a fait de les regar­der : copie 35, PAD télé­vi­sion sur HDCAM ou HDCAM SR, avec le Dol­by E, mais aus­si la VOD, le DVD, y com­pris les VHS. On est donc tou­jours dans cette dua­li­té : com­ment répondre aux per­sonnes qui veulent faire des pro­grammes, avec une cer­taine exi­gence de qua­li­té, et com­ment trou­ver un com­pro­mis, avec les sup­ports que nous fabri­quons, pour appor­ter ces pro­grammes aux consom­ma­teurs, aux spec­ta­teurs. On navigue un peu entre le mar­teau et l’enclume, parce qu’on doit gérer au mieux cette ques­tion de trans­pa­rence. La trans­pa­rence, voi­là l’objectif ! On assiste — je le vois depuis quinze ans — à une dévia­tion. On s’écarte de cet idéal, car nous avons d’un côté des mixeurs, des réa­li­sa­teurs ou des pro­duc­teurs, qui veulent des audi­to­riums de plus en plus grands, de mieux en mieux équi­pés, avec de plus en plus de pistes à gérer ; et de l’autre côté, un son qui, fina­le­ment, doit être com­pa­tible avec de la VOD et, demain, avec le télé­phone. Cette dif­fi­cul­té d’obtenir la trans­pa­rence du son, je pense qu’elle inter­pelle un peu tout le sec­teur. La ques­tion à trai­ter dans cette table ronde, c’est : « Com­ment on fait ? » On nous demande de faire un son de plus en plus sophis­ti­qué, mais ce son doit être rame­né à des modes d’écoute de plus en plus simples.

Notre réponse concrète comme pres­ta­taire de ser­vice, est de dire : « Nous allons vous appor­ter les moyens de contrô­ler en audi­to­rium le son sur les dif­fé­rents sup­ports ». On rejoint le sou­hait de cer­tains mixeurs : don­ner les moyens – en mixage, et en repi­quage — de vali­der le son, ou plu­tôt les sons : salle, DVD 5.1, demain un sté­réo ou un Dol­by E qui sera cou­ché sur la HDCAM qui part en dif­fu­sion, et, de la même manière, en VOD. Ces dif­fé­rentes étapes, c’est du temps, de l’argent, mais c’est très impor­tant pour évi­ter les conflits entre un tech­ni­cien vidéo qui appel­le­rait par exemple un mixeur : « Ton son ne passe pas sur mon PAD ». Ça veut dire quoi : Ton son ne passe pas ? Il n’est pas bon, il y a des pro­blèmes de niveau, de dyna­mique ?… Toute la ques­tion de cette accep­ta­tion, c’est vrai­ment notre quo­ti­dien, dans l’industrie tech­nique. C’est cette pro­blé­ma­tique que j’aimerais appro­fon­dir avec vous.

Franck Ernould : Pas­sons la parole aux mixeurs… Eux sont les pre­miers confron­tés à ce sou­ci. Ils ont mixé un film, ça sonne d’une cer­taine manière, et ils le redé­couvrent ensuite pas mal modi­fié. C’est déjà le cas quand vous faites la tour­née des salles à la sor­tie d’un film. Cer­tains « anciens » m’ont fait part de cruelles dés­illu­sions dans des salles pour­tant bien connues et fré­quen­tées. Même décep­tion pour la ver­sion DVD, pour les PAD chez TF1, France 2, Canal+ ou Arte. Evi­dem­ment, chaque chaîne pos­sède son cahier des charges et ses propres cri­tères en matière de PAD. Jean-Paul, tu as beau­coup tra­vaillé pour le ciné­ma et sur des « télé­films de pres­tige » ces der­nières années. Je me sou­viens de ton repor­tage sur le télé­film Dali­da, que tu avais pas­sé au Forum du Son Mul­ti­ca­nal, dans un « petit » audi­to­rium à la SFP…

Jean-Paul Lou­blier — Direc­teur de Dovi­dis et mixeur : Je dirais plu­tôt, audi­to­rium « moyen ». J’ai pas­sé un cer­tain nombre d’années dans ce métier, d’abord au ciné­ma. A l’époque, le son des copies pro­je­tées en salle était cou­ché sur une piste optique mono, à côté des per­fo­ra­tions de la pel­li­cule. On tra­vaillait sur sup­port magné­tique en audi­to­rium, bien enten­du, mais nous assu­rions nous-mêmes, mixeurs, le report optique de notre mixage sur 35 magné­tique. On était donc liés à des normes. La pre­mière, c’était la fameuse courbe Aca­de­my, dont Alain Besse a par­lé tout à l’heure. Mais sur­tout, nous n’avions qu’un canal son. Les élé­ments sonores ne pou­vaient être pla­cés que dans le sens de la pro­fon­deur. Pas ques­tion d’envoyer quelque chose à gauche ou à droite, ça n’existait pas, l’enregistrement optique trou­vait vite ses limites. Il fal­lait savoir, qu’un coup de feu ou un coup de canon, devait se cali­brer de façon à ce qu’il puisse pas­ser, afin d’éviter sur la bande optique, ce qu’on appe­lait le « flash » à l’époque : le gal­va­no­mètre res­tait fixe, et ça pro­dui­sait un blanc. Là où il devait y avoir du bruit, on avait du silence ! On s’adaptait, et voilà !

Le son au ciné­ma a consi­dé­ra­ble­ment évo­lué, et quand on a vu arri­ver le sys­tème Dol­by Ste­reo, c’était une vraie révo­lu­tion. Quinze ans plus tard, on a même inven­té en France — Franck Ernould ne l’a pas rap­pe­lé tout à l’heure — le pré­cur­seur du for­mat DTS, le LC Concept. Ce sont les Amé­ri­cains qui l’ont impo­sé sur le mar­ché, ça arrive très sou­vent chez nous. Bref, grâce au Dol­by, le champ sonore s’est ouvert : on avait un centre à l’écran, on pou­vait envoyer des élé­ments à gauche, à droite, et même dans la salle, sur les côtés des spec­ta­teurs. Cette base tech­nique nous a per­mis de tra­vailler dif­fé­rem­ment nos mixages : les paroles au centre, mais la musique, les ambiances et d’autres effets pou­vaient se répar­tir de façon plus laté­rale, et ain­si don­ner un effet de lar­geur intéressant.

Autre aspect inté­res­sant avec le Dol­by : on avait en audi­to­rium les mêmes outils que ceux uti­li­sés en exploi­ta­tion. Les normes fixées à l’époque en audi­to­rium fai­saient qu’on se trou­vait comme dans cette salle de ciné­ma. J’avais eu l’occasion dans ce qu’on appe­lait les « grands audi­to­riums » de l’époque : Bou­logne-Billan­court, qui était énorme, 2000 m³ peut-être — c’était le seul où on aurait pu jouer au bad­min­ton sans pro­blème — avec ce para­doxe chez Jean Neny, le direc­teur tech­nique ; il avait tou­jours chaud, il ne met­tait jamais de chauf­fage. L’auditorium n’était donc pas chauf­fé, et c’était assez sur­pre­nant de consta­ter que le matin, on écou­tait un son, c’était bien — sur­tout l’été d’ailleurs — et le soir, on le réécou­tait, ce n’était plus le même ! La dif­fé­rence de tem­pé­ra­ture — on était peut-être pas­sé de 15° à 25° pen­dant la jour­née, voire 30°, le toit de l’auditorium était en tôle — don­nait des sen­sa­tions dif­fé­rentes. On avait donc pris l’habitude de réécou­ter les bobines déjà mixées le matin, mais pas le soir.

Bref, grâce au Dol­by, on a eu tous les grands audi­to­riums qui existent encore aujourd’hui, avec le même maté­riel qu’en exploi­ta­tion, les simi­li­tudes étaient grandes. En mixage ciné­ma, je pense qu’on ne peut pas des­cendre en des­sous d’un cer­tain volume, parce que sinon ça devient un peu déli­cat. Pour un film long-métrage, je consi­dère que 200 m³ repré­sentent un strict mini­mum pour mixer en toute tran­quilli­té. En revanche, pour le DVD ou la télé­vi­sion, on peut se per­mettre de tra­vailler dans des volumes un peu plus res­treints, à condi­tion qu’ils soient adap­tés en niveau et en acous­tique, qu’il y ait com­pa­ti­bi­li­té avec le lieu de dif­fu­sion. Évi­dem­ment, on ne peut pas adap­ter un audi­to­rium aux dimen­sions d’un salon chez les gens (d’un par­ti­cu­lier), mais on peut connaître cer­tains cri­tères et s’y adap­ter – quitte à ce que le mixeur aille écou­ter ailleurs, ou chez lui, ce que ça donne.

À l’échelle DVD ou télé­vi­sion, il faut faire atten­tion aux limites de dif­fu­sion qui nous sont impo­sées par les labo­ra­toires et les sys­tèmes de trans­port de signal uti­li­sés, que ce soit le Dol­by E ou autres. Si les limites sont res­pec­tées, si l’on s’y tient, il n’y a pas de pro­blème par­ti­cu­lier. C’est mon avis. On est tou­jours entre le mar­teau et l’enclume, entre le met­teur en scène et le film. Avec ceux qui tra­vaillent avec nous, on a tou­jours l’impression de faire Ben Hur, alors qu’en réa­li­té, ça finit, comme on dit vul­gai­re­ment, sur deux cas­se­roles posées de chaque côté d’un télé­vi­seur. L’objectif est de tra­vailler en fonc­tion de la fina­li­té du pro­duit — voi­là aus­si un mot que je n’aime pas — évi­ter de se voi­ler la face et savoir ce qu’on peut faire passer.

Autre aspect, qui n’a pas chan­gé au cours de mes qua­rante ans de car­rière : s’il y a du dia­logue, il est incon­tour­nable de le com­prendre ! Ça c’est la base. Si on ne veut pas le com­prendre, on le noie vrai­ment très faci­le­ment : il faut que ce soit une volon­té de mise en scène, qu’il n’y ait aucun qui­pro­quo pos­sible. Grâce au Dol­by Ste­reo, et au 5.1, on isole, tech­ni­que­ment, la piste des dia­logues sur une seule enceinte, la cen­trale. Les autres élé­ments sont le plus sou­vent envoyés à gauche ou à droite. C’est du mixage, voilà.

Franck Ernould : Ce qui est para­doxal, c’est qu’avec tous les pro­grès réa­li­sés ces vingt der­nières années au niveau du son mul­ti­ca­nal — et notam­ment au niveau des moyens de pro­duc­tion : consoles numé­riques, mul­ti­pistes numé­riques, puis sta­tions de tra­vail audio sur ordi­na­teur, avec des cen­taines de pistes à dis­po­si­tion, le vir­tuel qui s’impose par­tout, de l’image au son — on demande de faire pas­ser de plus en plus d’éléments dans des tuyaux de plus en plus petits… Eric, tu as sui­vi cette évo­lu­tion, tu as été confron­té à ce problème ?

Eric Tis­se­rand — mixeur : Oui, tout à fait. On est blo­qué par dif­fé­rents fac­teurs. Il faut adap­ter les mixages, notam­ment en les véri­fiant sur des sys­tèmes plus repré­sen­ta­tifs des dif­fé­rents maté­riels d’écoute, du télé­vi­seur à l’iPod. C’est bien, c’est une avan­cée. Selon le for­mat pour lequel on mixe, les balances, les équi­libres seront dif­fé­rents. On ne peut pas se conten­ter de « véri­fier », il faut aus­si, sou­vent, rééqui­li­brer les choses, modi­fier nos balances. Sinon, le tra­vail qu’on a effec­tué avec le réa­li­sa­teur — en par­tant de ses demandes artis­tiques — sera tota­le­ment défor­mé. On le sait tous, et il est essen­tiel de nous don­ner la pos­si­bi­li­té de retou­cher notre tra­vail initial.

Il y a un pro­blème de coût qui n’a jamais été pré­vu par les pro­duc­tions. Aujourd’hui, pour fina­li­ser un film, c’est com­pli­qué, tu en as par­lé, le son est un peu le parent pauvre du ciné­ma. Les fini­tions et les décli­nai­sons de for­mats ne sont pas bud­gé­tées. On a donc une bande sonore réa­li­sée pour être exploi­table au ciné­ma le mieux pos­sible, même si les réa­li­sa­teurs ne sont pas for­cé­ment satis­faits de ce qu’ils entendent en exploi­ta­tion sur l’ensemble de l’hexagone. Je tiens à le dire aus­si, la main­te­nance des salles n’est sou­vent pas assez régu­lière, pas assez pré­cise, en com­pa­rai­son des stu­dios pour les­quels on tra­vaille, qui sont véri­fiés par les consul­tants Dol­by à chaque nou­veau film : les niveaux, la bande pas­sante des enceintes, le maté­riel… La salle de ciné­ma lamb­da est véri­fiée, en France, au mieux une fois par an.

On se bat face à quelque chose qu’il est dif­fi­cile de faire accep­ter à un réa­li­sa­teur, qui nous fait confiance et sou­haite que le résul­tat de notre tra­vail soit le plus trans­por­table pos­sible, uni­que­ment dans les salles de ciné­ma. Il y a déjà là des choses à revoir.

Pour en reve­nir aux décli­nai­sons, il est capi­tal que ce tra­vail soit bud­gé­té, afin que nous puis­sions adap­ter notre mixage dans les meilleures condi­tions. Quand je fais la décli­nai­son d’un mixage « salle » pour la télé­vi­sion, je fais poser un télé­vi­seur devant moi, ins­tal­ler de petites enceintes, et je modi­fie toutes les balances de mon mixage, parce que je sais que la res­ti­tu­tion ne sera pas la même. Ensuite, comme le disait jus­te­ment Alain Besse, cha­cun tou­che­ra à la télé­com­mande de son télé­vi­seur. Mais si on envoie direc­te­ment aux chaînes le signal 5.1 issu de notre mixage, avec les com­pres­seurs et trai­te­ments d’antenne, on sera for­cé­ment déçu. La solu­tion est de s’adapter, elle a un coût et ça prend du temps pour le faire.
Franck Ernould : Chris­tophe est du côté de la pro­duc­tion. Tu es donc aus­si confron­té à des demandes de la part des chaînes, ou des édi­teurs de DVD. De quelle façon gères-tu ces demandes ? Arrives-tu à trou­ver des arran­ge­ments pour caser ces mani­pu­la­tions en fin de mixage salle, par exemple ?

Chris­tophe Jan­ko­vic – Pro­duc­teur, Pri­ma Linéa : Dans un pre­mier temps, je ne vais pas par­ler d’argent, au risque de vous déce­voir ! Parce qu’en fait, je ne crois pas qu’il s’agisse en par­ti­cu­lier d’un pro­blème d’argent et de bud­get — même si je suis en par­tie d’accord avec ce qui a été évo­qué sur la dif­fi­cul­té d’arriver en fin de course. Ce n’est pas tant que le son est mal ser­vi, c’est qu’il arrive en bout de course sur un film.

A mon avis, il existe plu­sieurs pro­blèmes, notam­ment parce qu’on se trouve à une époque-char­nière. Depuis ces trente der­nières années, les pos­si­bi­li­tés d’écoute dans le meilleur endroit, la salle de ciné­ma, n’ont ces­sé de se per­fec­tion­ner. Le tra­vail des réa­li­sa­teurs a donc consis­té à uti­li­ser cette richesse dans le spectre sonore et la spa­tia­li­sa­tion, pour pro­duire des bandes son de plus en plus nuan­cées, de plus en plus sub­tiles, etc.

Et il y a un pre­mier pro­blème : alors que la qua­li­té poten­tielle d’écoute du son s’est enri­chie, l’écoute dans d’autres cir­cons­tances s’est appau­vrie, me semble-t-il. On se retrouve à faire des sons aux petits oignons, alors qu’en fait, les spec­ta­teurs écoutent ça dans des salles de ciné­ma qui — je par­tage l’avis — sont beau­coup trop nom­breuses à pré­sen­ter des défauts au niveau de la res­ti­tu­tion sonore. Le nombre de sou­ris qui bouffent des haut-par­leurs est incroyable en France.

Alain Besse : On a mis des pro­duits toxiques dans les mem­branes, maintenant…

Chris­tophe Jan­ko­vic : Je ne sais pas si ça va être utile comme indi­ca­tion, mais il y a extrê­me­ment peu de salles dont la res­ti­tu­tion sonore est par­faite, même par­mi les meilleures, même à Paris, même dans le réseau Art et Essai. Je ne parle pas des ven­deurs de soupe qu’on peut avoir, notam­ment dans le Sud-Ouest — pour ceux qui com­prennent, je me per­mets là une allu­sion à un réseau dont je n’aime pas beau­coup la poli­tique. Je connais des salles clas­sées Art et Essai, dont le son est encore pro­je­té en mono. Alors ce son qui gagne en richesse et en qua­li­té en amont, dans l’auditorium de mixage, se retrouve à l’arrivée, ter­ri­ble­ment appau­vri. C’est cer­tai­ne­ment un vrai pro­blème d’argent, mais aus­si de logique de travail.

Nous avons démar­ré récem­ment dans le long métrage d’animation, avec Piste Rouge et Bru­no Sez­nec, nous nous sommes lan­cés ensemble dans ce sec­teur. On a mis en place des habi­tudes de tra­vail — je ne sais pas si c’est la bonne tech­nique, mais le réa­li­sa­teur tra­vaille sur les sons dans les meilleures condi­tions, le 5.1. Vous n’avez d’ailleurs pas évo­qué un sujet qui, selon moi, pose un autre pro­blème : le tra­vail en 24 ou en 25 images/seconde. Nous avons fait le choix du 24 images/seconde, puis de décli­ner le son pour les autres utilisations.
On n’a pas encore inclus l’iPhone dans les autres uti­li­sa­tions, il sera peut-être néces­saire d’y venir, mais on décline la sté­réo et le DVD, sté­réo et 5.1. A par­tir de ces pro­po­si­tions, on a de quoi faire face aux dif­fé­rentes demandes. Ces demandes, d’ailleurs, font rare­ment réfé­rence à des condi­tions sonores. Quand une télé­vi­sion nous demande quelque chose, ou quand on vend le film, on nous pré­cise si on veut le for­mat 16/9 ou 4/3, ou 1,66… Sur l’image, ou le sup­port Beta num, HDCAM SR, les cri­tères sont pré­cis, sur le son, beau­coup moins. On nous demande une bande antenne ; il y a deux ou trois endroits à Paris, notam­ment chez Télé­to­ta, qui en fabriquent sérieu­se­ment, mais à nos yeux, c’est pure­ment tech­nique. Cela dit, j’ai pu le remar­quer pour les publi­ci­tés que nous fai­sons aus­si, sur la bande antenne, tout d’un coup, cer­tains sons dis­pa­raissent. Peut-être y avait-il un pro­blème de niveau, mais on constate un chan­ge­ment lors de cette étape. Et j’ai la forte impres­sion que les dif­fu­seurs, les télés en régie finale, pra­tiquent aus­si des trai­te­ments et uni­for­misent tout. J’ai pu éga­le­ment le consta­ter sur l’image. Sur le son, il y a encore des éga­li­seurs et des com­pres­seurs au niveau de la régie finale. Dans ces condi­tions, avant même de savoir com­bien ça coûte, on règle quoi pour quoi ? On n’en sait trop rien… C’est vrai aus­si qu’on aime­rait bien avoir un sup­port unique, uniforme.

Chris­tophe Mas­sie : C’est un des grands chan­tiers qui est en cours aujourd’hui entre la CST et la FICAM : le tra­vail de nor­ma­li­sa­tion, avec édic­tion de normes tech­niques s’appliquant aux PAD. Ce chan­tier a com­men­cé voi­là un an, il est en train de se ter­mi­ner pour le son. A l’issue de ces tra­vaux, il exis­te­ra des normes com­munes régis­sant l’acceptation d’un PAD.

Par rap­port à ce qui vient d’être dit, il faut savoir qu’il y a eu récem­ment une consi­dé­rable aug­men­ta­tion du nombre de refus de PAD à cause du son. On a orga­ni­sé récem­ment une ren­contre à la Rochelle, CST/FICAM/TF1 et Arte : la part de refus pour le son est en train de deve­nir pré­pon­dé­rante pour tout ce qui est livrai­son de PAD HD. C’est le pro­blème aujourd’hui. Pour­quoi ? Le Dol­by E est quand même assez dif­fi­cile à manier. Ce n’est plus du tout une tech­nique, il intègre toute une dimen­sion sub­jec­tive. Miguel Ade­lise, qui tra­vaille à Télé­to­ta et col­la­bore à l’étude de la CST, a écrit récem­ment un article de trois pages sur le sujet dans Sono­vi­sion. Du coup on en arrive à se dire que c’est le mixeur qui devrait le faire. Mais le mixeur n’en a pas for­cé­ment les moyens, ni l’envie, ni le temps. Dans quatre semaines de mixage d’un film long- métrage — durée déjà limite — il est impos­sible de réser­ver deux jours à des fini­tions et au Dol­by E. Lan­çons la polé­mique : on peut peut-être réflé­chir différemment ?

On sort d’un sys­tème qui était somme toute assez simple, pour entrer dans un autre hyper com­pli­qué. On ne peut plus dire : « Il existe une norme pure­ment tech­nique d’acceptation des PAD », c’est ter­mi­né ! Autre­fois, on avait un SECAM qui était basique, unique et de l’optique, c’était facile. Aujourd’hui, il y a plein de manières de faire du son, du gros ou du petit, et de mul­tiples façons de l’écouter. Com­ment fait-on face à ça ? Il y a des mécon­ten­te­ments, parce que les tech­ni­ciens du son ne retrouvent leur son nulle part : ni en salle, ni à la télé, ni sur leur télé­phone por­table. Nous sommes avec des gens qui nous disent, tous les jours « tu tra­vailles mal ! ». Ça devient super compliqué.

En revanche, là où c’est inté­res­sant, c’est de se poser à nou­veau les bonnes ques­tions : qu’est-ce qu’on veut faire, à quoi ça sert, qu’apporte-t-on au final ? S’il n’y a pas de prise de conscience de la pro­fes­sion elle-même, les dif­fu­seurs remon­te­ront le niveau, chan­ge­ront le mixage et bien­tôt le mon­tage ou l’étalonnage. Ah, vous tour­nez de telle façon ? Mais vous savez — quand l’image passe en MPEG4, décompression/compression/décompression/compression — votre image qui était tra­vaillée sur­couche gra­phique après sur­couche gra­phique, ne « passe » pas dans les tuyaux du pres­ta­taire d’accès Inter­net. Eux veulent une image claire, RVB, propre, clean, pas com­pli­quée, du simple. Et c’est ce qui nous arrive main­te­nant, en image comme en son. D’un côté, on est en train de déve­lop­per des machines d’étalonnage numé­rique 2k, 4k, ça dure des semaines, et de l’autre, on nous dit : « Mais c’est quoi ton image là, il y a trois arrière-plans dif­fé­rents, c’est pas possible ».

On doit tous remettre notre métier sur l’ouvrage. Les clients nous disent : Ah, t’as pas la der­nière console avec 428 pistes ? J’ai pas vrai­ment recon­nu le bruit du troi­sième grillon en haut à gauche sur ton optique. On court chez SIS pour écou­ter. Mais vous pen­sez que celui qui écoute en VOD ou sur son iPod, va entendre, le troi­sième grillon à gauche ? Ensemble, on doit se dire : où on en est ?, et j’en reviens à ce que disait Franck : 12 écrans dif­fé­rents dans une même famille, mais peu de son. Quand on regarde la télé sur son PC, qu’est-ce qu’on entend ? Com­ment réagir, avec ce grand écart de plus en plus béant : entre un endroit très par­ti­cu­lier où l’on fait du son très poin­tu en pas­sant beau­coup de temps, et la réa­li­té des spec­ta­teurs qui regardent et écoutent les images et les sons qu’on fait, et qui est vrai­ment très dif­fé­rente ? Je suis un peu polé­mique… je passe la parole à Jean-Paul…

Jean-Paul Lou­blier : Tu fais ça très bien, d’ailleurs, la polé­mique ! Par rap­port à tout ce qui vient de se dire, il faut effec­ti­ve­ment par­ler de « pro­duit » : « A qui ce pro­duit est-il des­ti­né ? ». Si c’est pour la télé­vi­sion, il vaut mieux réa­li­ser l’aspect sonore dans un cadre télé­vi­sion. Si c’est des­ti­né au ciné­ma, dans un cadre ciné­ma. Mais il faut savoir qu’il est nor­mal que ce pro­duit ciné­ma passe aus­si à la télé­vi­sion. Ce qui implique de modi­fier la filière, pour ame­ner le pro­duit dans des condi­tions tech­niques normales.

Je me per­mets de dire en tant « qu’ancien » que l’image aus­si a consi­dé­ra­ble­ment évo­lué ; notre œil et notre cer­veau y sont d’ailleurs beau­coup plus sen­sibles. Il y a un vieil adage amé­ri­cain, qui date de l’optique et qui dit : « Pas plus de trois infor­ma­tions sonores en même temps ». Je pense que c’est assez juste. À cette époque, on tra­vaillait en mono. Si on avait la parole, c’était une chose, si on avait la musique, c’en était une autre ; il fal­lait encore pré­voir les ambiances, les effets… Il y avait des choix à faire : Savoir ce qu’on vou­lait faire écou­ter à un moment don­né. S’il y avait des effets, on avait plu­tôt ten­dance à les faire pas­ser en suc­ces­sion, plu­tôt que tous en même temps, où ça ne pas­sait pas du tout. Aujourd’hui, grâce aux nou­velles tech­no­lo­gies, les moyens sont réunis pour faire des effets extra­or­di­naires sur une bande sonore au ciné­ma. Mais je pense qu’on veut don­ner trop d’informations sonores en même temps, que le cer­veau n’arrive d’ailleurs pas tou­jours à suivre. Quand on apporte des infor­ma­tions sonores par rap­port à une action ou à un dia­logue, il y a des choix qui s’imposent : si ce que dit la per­sonne n’a pas vrai­ment d’intérêt, on peut char­ger d’un point de vue sonore, mais si elle dit « je t’aime ! » avec le regard qui va avec, ça veut dire qu’il ne faut peut-être pas l’écraser avec la voi­ture qui passe der­rière… Vous voyez ce que je veux dire !

Actuel­le­ment, il y a une accu­mu­la­tion d’informations. Le Pro Tools qui nous sert en audi­to­rium est pas­sé de 16, à 32, puis de 48 à 128 pistes, et par­fois on en a même deux pistes qui tournent en même temps ! Les mixeurs sont là pour gérer l’ensemble, mais il faut se poser des ques­tions, aller plus loin, remon­ter au scé­na­rio, à la réa­li­sa­tion. Si, par exemple, on décide de faire un pro­duit pour la télé­vi­sion aus­si bien à l’image qu’au son, on ne pas­se­ra pas sur le même sup­port. On ne fera pas du grand écran, on lais­se­ra tom­ber des choses, j’ai enten­du dire que ça va arri­ver sur le télé­phone. Que ver­ra-t-on alors à l’image, qu’entendra-t-on au son ? Nous devons com­men­cer à réflé­chir là-des­sus : com­men­cer par l’écriture du sujet, ensuite les choix à faire en décou­le­ront du point de vue technique.
Bru­no Sez­nec : Nous par­lons beau­coup du pas­sage du ciné­ma à la télé, qui est à la limite le moins dou­lou­reux. Grâce à l’évolution des tech­no­lo­gies, le pas­sage de la 5.1 à la sté­réo ne se maî­trise pas trop mal. On l’a tous fait en audi­to­rium, avec des télés, avec de petites enceintes, en com­pen­sant ici et là. Le vrai pro­blème va bien au-delà. On parle du télé­phone por­table, de l’ordinateur por­table, de ce genre de choses qui ont quand même des trans­duc­teurs gros comme des pièces d’un euro… Il y a là un vrai cli­vage, une vraie démar­ca­tion entre les deux, et je dirais, très gros­siè­re­ment, que par rap­port à une bonne écoute, sur un télé­phone, on va perdre envi­ron 80% des infor­ma­tions. J’y vois un gros risque au niveau de la pro­duc­tion, qui serait de dire : « Atten­dez, si 80% de ce qu’on fait est per­du, à quoi bon les mettre ? », . Ce qui va sus­ci­ter un nivel­le­ment par le bas et des bandes son assez mau­vaises, parce qu’on par­ti­ra du prin­cipe que ce sera, de toute façon, mal enten­du… Voi­là qui relance le débat : Faut-il avoir le cou­rage de pro­duire pour tel ou tel « bon » sup­port, en se pré­ser­vant d’aller vers des sup­ports qui ne sont, de toute façon, pas adap­tés ? C’est un peu aller chez Ikea avec une Fer­ra­ri, on ne ramène rien.

Il faut savoir arrê­ter de lut­ter : non à un gros film en 5.1 fait pour une salle de ciné­ma, sur un télé­phone por­table, le son ne sera jamais génial. Il y a deux aspects : le son utile, les paroles, com­prendre ce qui se passe, ce qui se dit, la musique, par rap­port aux thèmes, et le son dans sa dimen­sion sen­so­rielle, phy­sio­lo­gique, qui va pro­cu­rer un autre plai­sir, celui des infra-graves, des sen­sa­tions pure­ment phy­siques, à faire froid dans le dos ou pas. Quoi qu’on fasse, c’est là un pro­blème de trans­duc­teurs. À par­tir du moment où il y a une impos­si­bi­li­té de trans­crire ce qui a été fait en audi­to­rium — on ne pour­ra pas avoir ce plai­sir — il est inutile d’essayer de le réin­ven­ter, il y a là une vraie perte de temps. Comme nous par­lions d’argent, il faut peut-être se dire qu’il est super­flu de fabri­quer des pro­duits « inutiles » : consa­crons plus de temps à ce qui sera vrai­ment utile. Plus de temps sur les œuvres de ciné­ma, qui ne seront réser­vées qu’à une écoute ciné­ma, et un autre temps pour les œuvres télé­vi­suelles etc. C’est un grand débat, ça fabrique des dou­blons, mais j’attire l’attention que « bien pour tout le monde », ça veut dire, en fait, « mau­vais pour tout le monde »…

Franck Ernould : Alexandre, tu tra­vailles à la divi­sion musi­cale d’Europacorp. Tu es sou­vent confron­té aux pro­blèmes évo­qués depuis le début de cette table ronde. Chez vous, sur les films, il existe d’autres mixages que le clas­sique duo cinéma/télévision ?

Alexandre Mahout – Direc­teur des pro­duc­tions musi­cales de Euro­pa­corp : Oui, on décline en plus une ver­sion pour la VOD et une pour Inter­net. En strea­ming, les com­pres­sions sont dif­fé­rentes, il faut s’adapter. Effec­ti­ve­ment, on par­lait de 4 semaines de mixage et 2 jours de fini­tions : chez Euro­par­corp, depuis quelques années, on est plu­tôt sur 3 semaines 1/2 de mixage, et une vraie semaine de finitions.

Je suis un enfant de la sté­réo, je viens du disque, je suis un invi­té dans l’auditorium de mixage film. Je tra­vaille plu­tôt en stu­dio musique, et je livre mon mixage 5.1 à l’auditorium de mixage. La Digi­tal Fac­to­ry est un véri­table com­plexe de post-pro­duc­tion, on y fait de l’étalonnage image : cinq audi­to­riums ciné­ma, un audi­to­rium de brui­tage, un audi­to­rium de post-syn­chro­ni­sa­tion, un stu­dio musique avec un pla­teau d’enregistrement où je peux faire du rock ou du sym­pho­nique. Je livre mes musiques en 5.1, par exemple au grand audi­to­rium 4, — qui fait plus de 2000 m³- et quand on aime l’image et le son, c’est vrai que c’est agréable.
Je ne suis pas tech­ni­cien, j’ai écou­té atten­ti­ve­ment ce que vous avez dit, et la pro­blé­ma­tique qui revient tout le temps, cha­cun à sa manière, c’est « : Com­ment peut-on conci­lier le fait qu’on a des moyens tech­niques per­met­tant de tra­vailler avec de plus en plus de finesse, alors qu’il y a une mul­ti­pli­ca­tion des moyens de dif­fu­sion, de plus en plus sou­vent mobiles. Ce qui rend la qua­li­té par­fois médiocre : les enceintes d’un ordi­na­teur por­table, les écou­teurs de télé­phone por­table donnent sou­vent un son pour­ri. A quoi bon ?

Quand j’étais dans le disque, on me disait sou­vent — c’est peut-être un peu cli­ché, ça va peut-être faire bon­dir : « Si le mixage sonne sur un radio-réveil, c’est qu’on a très bien mixé ! ». On allait sou­vent écou­ter nos mixages dans la voi­ture, sur une cas­sette, pour voir si ça son­nait bien. Si c’était pas ter­rible, on retour­nait à la console. Parce que, fina­le­ment, on n’écoutera jamais son CD dans un grand stu­dio. C’est vrai que chez Euro­pa­corp, depuis trois ans et demi que je m’occupe des pro­duc­tions musi­cales, j’essaie de faire avan­cer l’idée de réa­li­ser des mixages adap­tés à chaque sup­port de dif­fu­sion. J’ai une anec­dote là-des­sus. On s’occupe aus­si de pro­jets hors musique de film : je pro­duis ain­si la musique des pro­chains indi­ca­tifs de l’UEFA, la coupe des clubs cham­pions 2009. Sur son cahier des charges, le dif­fu­seur demande vingt-sept mixages dif­fé­rents ! Enfin, pas tous dif­fé­rents, mais ce sont autant d’utilisations deman­dées. On a du strea­ming, en dif­fé­rents débits, de l’iPod, iPhone, etc. On est en stu­dio, on mixe, après je monte chez moi, je passe le mixage sur mon ordi­na­teur por­table, pour voir com­ment il sonne. Ce qui a été dit est très juste — il est pré­fé­rable de tra­vailler avec le sup­port de dif­fu­sion final. C’est assez amu­sant — c’est une contra­dic­tion d’ailleurs — d’être en stu­dio, à mixer sur du maté­riel incroyable, et de se retrou­ver quelques minutes après à écou­ter le résul­tat sur un iPhone, de reve­nir, de le modi­fier et de repar­tir sur un autre mixage pour autre chose.

Il faut évi­ter le nivel­le­ment vers le bas. Je ne pense pas qu’à l’avenir, les films soient uni­que­ment des­ti­nés à la salle de ciné­ma d’un côté, et exclu­si­ve­ment pour la télé ou l’iPhone, de l’autre. Ce serait dom­mage ! La norme devra être de pré­fé­rence sur la salle de ciné­ma. Je pense à une anec­dote qui m’a été racon­tée par des ingé­nieurs du son sur le film de Spiel­berg, Il faut sau­ver le sol­dat Ryan. Spiel­berg avait envoyé des émis­saires un peu par­tout en Europe pour véri­fier que les normes de dif­fu­sion étaient bien res­pec­tées dans les salles de ciné­ma. Nor­ma­le­ment, on passe les films à un niveau de 7 sur le lec­teur son, c’est la norme, mais sur ce film très dense d’un point de vue sonore, les exploi­tants avaient peur d’abîmer leur maté­riel et le pas­saient à 6 ou moins…

Alain Besse : Ces contrôles-là, on les fait régu­liè­re­ment. La CST est sou­vent sol­li­ci­tée pour les dis­tri­bu­teurs amé­ri­cains. Si le poten­tio­mètre n’est pas à 7, ce n’est pas tant pour pré­ser­ver le maté­riel qu’à la demande des spec­ta­teurs eux-mêmes.

Effec­ti­ve­ment, on n’a pas encore par­lé du spec­ta­teur, aujourd’hui. Mal­heu­reu­se­ment, il a pris la très mau­vaise habi­tude quand il regarde un film chez lui, de modi­fier sans cesse le niveau d’écoute, selon l’humeur de l’instant ou de son envie d’écoute. S’il regarde le Sol­dat Ryan chez lui, il va bais­ser le son pen­dant les vingt pre­mières minutes, durant les scènes de guerre, quitte à remon­ter le niveau par la suite, plus classique.

Alexandre Mahout : C’est vrai, il y a aus­si, peut-être, un cercle vicieux : les mixeurs, sachant que le son sera bais­sé en salle, ont à prio­ri ten­dance à for­cer un peu sur le niveau.

Domi­nique Schmit : Ce cercle vicieux n’a plus cours aujourd’hui. Nous, chez Dol­by, nous refu­sons de mas­te­ri­ser la bande sonore du film si le niveau n’est pas à 7 au mixage, en audi­to­rium. Depuis que cette déci­sion a été prise, on a vu les niveaux deve­nir plus raisonnables.

Je vou­drais juste rap­pe­ler que le ciné­ma est sans doute le seul sup­port qui offre une vraie plage dyna­mique, donc une créa­ti­vi­té pleine et entière. Il serait dom­mage de perdre ces pos­si­bi­li­tés créatives.

Je vou­drais reve­nir sur les salles de ciné­ma. On disait qu’il y a beau­coup de mécon­tents dans une salle de ciné­ma. Même si la salle répond aux normes, en courbe de réponse comme en niveau sonore, la sub­jec­ti­vi­té entre tou­jours en jeu, ain­si que la connais­sance du son. Les per­sonnes qui règlent les salles sont en géné­ral des tech­ni­ciens qui connaissent très bien leur tra­vail, mais ce ne sont pas des gens du son. Pour obte­nir une courbe, il y a dif­fé­rentes façons de pro­cé­der : la bonne et quinze mau­vaises. Très sou­vent, quand je suis envoyé dans une salle, à la demande d’un dis­tri­bu­teur ou d’un pro­duc­teur pour écou­ter ce qui se passe, je mesure : c’est bon, puis j’écoute : c’est hor­rible. Alors je refais, en géné­ral, avec dix fois moins de cor­rec­tions que ce qu’il y avait au départ.

Le son, influe sur la per­cep­tion du spec­ta­teur, parce qu’il ne sau­ra pas dire « : C’est mau­vais en qua­li­té », mais il dira « : C’est trop fort », dans le sens où il y aura de la dis­tor­sion par exemple. C’est pour cette rai­son que beau­coup de salles passent les films à un niveau rela­ti­ve­ment bas. Non parce que le niveau glo­bal du mixage du film était vrai­ment trop fort, mais parce que la qua­li­té de la chaîne de repro­duc­tion ins­tal­lée est mau­vaise, on entend de la dis­tor­sion. Les spec­ta­teurs qui ne connaissent rien à la tech­nique, com­prennent — quand il y a de la dis­tor­sion — que c’est trop fort. J’ai un exemple clas­sique : le petit magné­to­cas­sette, qui, pous­sé à fond, peut être enten­du de l’étage au-des­sus, parce qu’il y a 250% de dis­tor­sion pour 0,5 W !

C’est un fac­teur impor­tant : les tech­ni­ciens qui assurent la main­te­nance des salles ne sont pas tou­jours des experts en son, et mal­heu­reu­se­ment, les mixeurs