Colloque : Quel son pour le cinéma aujourd’hui ? 3/3

De la cave à l’auditorium : quels statuts ? Pour quels métiers ?

11 décembre 2008 au Ciné 104

MODERATEUR : Franck Ernould, jour­na­liste spécialisé

INTERVENANTS : Phi­lippe Amou­roux, Mixeur, Sté­phane Brun­clair, mon­teur-son, Domi­nique Dal­mas­so, Mixeur Phi­lippe Gran­drieux, Réa­li­sa­teur Cathe­rine Jacques, Pro­duc­trice, Man­drake Film, Cédric Kla­pisch, Réa­li­sa­teur Jean-Paul Mugel, Ingé­nieur du son.

Mots-clés

De la cave à l’au­di­to­rium : Quels sta­tuts ? Pour quels métiers ?

Franck Ernould – modé­ra­teur : Bon­jour et bien­ve­nue au col­loque de la 9ème édi­tion du fes­ti­val l’Industrie du Rêve et à la troi­sième table ronde de cette jour­née qui a pour thème : De la cave à l’auditorium : quels sta­tuts ? Pour quels métiers ?

Nous allons reve­nir sur les deux tables rondes de ce matin, avec notre grand témoin, Georges Prat, que nous a pré­sen­té Bri­gitte Aknin, lors de l’ouverture du colloque.
Je vou­drais vous rap­pe­ler que les trois tables rondes sont enre­gis­trées et seront dif­fu­sées sur France Culture en jan­vier, dans l’émission Les sen­tiers de la créa­tion, de Lau­rence Cour­tois. Les actes du col­loque paraî­tront en 2009.

Nous avons la chance d’avoir deux réa­li­sa­teurs avec leurs équipes son. Nous serons donc dans le concret, ce qui nous per­met­tra cer­tai­ne­ment de revi­si­ter, sous un autre angle, les thé­ma­tiques abor­dées ce matin : De la salle de ciné­ma au por­table, la dif­fu­sion du son : nou­vel enjeu ? et la deuxième table ronde : Artistes son ou tech­ni­ciens du son : Quelles for­ma­tions ? Pour quel mar­ché du tra­vail ? Nous allons deman­der à Georges Prat, le grand témoin de la jour­née, ce que lui ins­pirent ces deux tables rondes.
Georges Prat : J’ai trou­vé la pre­mière table ronde vrai­ment très inté­res­sante, très dense. Elle sou­le­vait des pro­blèmes essen­tiels, qui n’existaient pas voi­ci quelques années. Comme l’a dit Jean-Paul Lou­blier : la piste optique mono et la courbe Aca­de­my des salles de ciné­ma ne posaient guère de pro­blèmes. L’arrivée du mul­ti­ca­nal avec le Dol­by Ste­reo a appor­té une spa­tia­li­sa­tion inté­res­sante, puis ç’a été l’explosion avec le 5.1, voire le 7.1 !

À titre per­son­nel, je ne suis pas contre, mais je me pose la ques­tion — peut-être par rap­port à un cer­tain type de ciné­ma que j’ai fait : « Qu’est-ce qu’on va mettre sur les 7 pistes ? ». Je pense que cer­tains films en ont besoin, mais on a peu par­lé de la concep­tion, de l’écriture du scé­na­rio, du point de départ du film. Je pense que cer­tains films se contentent par­fai­te­ment d’un gauche/centre/droit, les pistes arrière n’apportent rien, elles gêne­raient même par­fois : une ambiance sté­réo est rare­ment per­çue comme telle. Dans une grande salle de Cannes, quand on est à droite, on ne risque pas d’entendre les oiseaux du canal d’ambiance gauche…

Tout le monde reve­nait un peu sur ses bases tra­di­tion­nelles : ce qui était inté­res­sant. En tant qu’ingénieur du son, je n’ai jamais fait une prise de son pour moi, pour me faire plai­sir. Par rap­port au lien avec la mise en scène, le son, c’est bête ce que je dis, mais on fait par­tie d’une équipe. Ce matin, on a peu par­lé des comé­diens et des réa­li­sa­teurs. Je rends hom­mage aux comé­diens, ce sont les seuls qui res­tent à l’écran — sauf erreur tech­nique de cadrage, d’un pied de pro­jec­teur ou d’un micro dans le champ. Heu­reu­se­ment, l’œil du spec­ta­teur a ten­dance à regar­der vers le haut de l’image, sinon on dis­tin­gue­rait par­fois des rails de tra­vel­ling, ou quelques câbles élec­triques traî­nant au sol…

Franck Ernould : On nous a pré­dit qu’avec la télé­vi­sion haute défi­ni­tion, on ferait des décou­vertes dans les décors des émis­sions, des détails qu’on ne per­çoit pas du tout aujourd’hui…

Georges Prat : Un micro qui entre dans le champ, comme il bouge, va davan­tage se remar­quer qu’un câble statique…

Franck Ernould : On nous annonce aus­si ce matin qu’avec les conte­nus à vision­ner sur por­table, non seule­ment le son allait devoir pas­ser du 5.1 à la sté­réo sans trop de pertes, mais qu’on sim­pli­fie­rait aus­si l’image, pour qu’elle « passe » bien sur un petit écran.

Georges Prat : C’était une bou­tade… Les ver­sions DVD et VOD deman­de­raient presque déjà un trai­te­ment image, un mon­tage et un mixage spé­ci­fiques pour chaque ver­sion, avec écoute de contrôle. Sans trop de dégât, avec quelques retouches, on passe du film à la télé­vi­sion, en sachant que la qua­li­té de res­ti­tu­tion ne sera pas la même.
D’autre part, et c’est en cela que le ciné­ma est magique, je pense tou­jours à un spec­ta­teur qui voit le film. Quel­que­fois, ils sont des mil­liers, voire plu­sieurs mil­lions, chaque spec­ta­teur est dif­fé­rent ! Quand on tourne, je n’en connais aucun. Il faut alors du tra­vail en équipe, de la psy­cho­lo­gie et des astuces pour qu’il reste à l’écran un peu des émo­tions cap­tées à la prise de son, qui tou­che­ra, à des degrés divers, tous les spec­ta­teurs. Quand je res­sens ça, je remer­cie les comé­diens, je remer­cie le met­teur en scène qui a su ame­ner l’équipe à ce point.
S’il faut décli­ner un film dans toutes les ver­sions, est-ce que Law­rence d’Arabie arri­vant dans le désert par­vien­dra à exci­ter un pixel sur votre télé­phone por­table ? Je pose la ques­tion… C’est inso­luble, on ne peut pas faire la même œuvre pour des sup­ports mul­tiples. Mal­heu­reu­se­ment, un chan­ge­ment se pro­duit à l’heure actuelle, qui n’est pas tech­nique, mais sociétal.

Quand je vois des jeunes écou­ter de la musique dans le métro, ils changent très vite de mor­ceau. On écoute petit bout par petit bout. Je vois des jeunes écou­ter de la musique dans le métro, ou dans le train, des gens qui regardent des DVD sur leur ordi­na­teur por­table, tous « zappent » et ne res­pectent géné­ra­le­ment pas la conti­nui­té. On perd ce contact impo­sé avec l’œuvre dans la salle de ciné­ma : une fois la pro­jec­tion com­men­cée, on ne peut pas l’arrêter. On voit les images, le mon­tage, le son, conformes aux contrôles faits par le met­teur en scène, le pro­duc­teur ou les stu­dios, si on est dans le sys­tème amé­ri­cain. Ce qui m’inquiète dans cette mul­ti­tude de tuyaux, c’est qu’il faut les rem­plir… mais qui va contrô­ler les conte­nus qui y seront envoyés ? Les nou­veaux télé­phones por­tables pro­mettent de télé­char­ger un film — un but pure­ment com­mer­cial, de la valeur ajou­tée au « pro­duit ». Ce n’est plus vrai­ment un télé­phone, d’ailleurs, puisque l’usage pre­mier d’un télé­phone est de pas­ser et rece­voir des appels. C’est un peu inquié­tant, cette habi­tude qui va être prise, de regar­der un film dans n’importe quelles condi­tions : d’écouter du 5.1 dans le train avec un casque sté­réo. Ça pose un pro­blème pour tous ceux qui col­la­borent à la chaîne sonore : Pour qui, pour quoi allons-nous tra­vailler ? Est-ce pour la VOD, la salle ? Quelles conces­sions faire ?

Il y a un ren­ver­se­ment com­plet de la situa­tion, une prise de pou­voir des indus­triels sur les conte­nus. Franck, dans ton intro­duc­tion, quand tu as mon­tré le numé­ro de Télé­ra­ma, « La vie numé­rique », avec les treize écrans dans la mai­son d’une famille lamb­da — même au sens large, en incluant l’ordinateur, le por­table, la console de jeux, l’iPod, etc. — on s’aperçoit que les gens ont per­du le sens de la conti­nui­té tem­po­relle d’un conte­nu, mais aus­si la convivialité.

Franck Ernould : Il est vrai que la musique ou le ciné­ma deviennent peu à peu des « pro­duits asso­ciés » pour des ven­deurs de tuyaux numé­riques. Ain­si, voi­ci deux ans, un grand quo­ti­dien bri­tan­nique a offert avec son sup­plé­ment domi­ni­cal, l’album Tubu­lar Bells de Mike Old­field — un des albums les plus mar­quants de l’histoire de la musique pop/rock, sor­ti en 1974. À l’époque, il aurait été incon­ce­vable d’en faire un « cadeau Bonux ». Les four­nis­seurs d’accès haut débit Inter­net ont très bien sug­gé­ré — sans le dire tout en le disant — qu’on pou­vait, grâce à eux , télé­char­ger tout ce qu’on vou­lait. D’où le pira­tage à grande échelle que nous connais­sons aujourd’hui.

Pour la res­ti­tu­tion sonore d’un film, nous avons un idéal : la salle de ciné­ma. Le film a été mixé dans un audi­to­rium des dimen­sions d’une salle de ciné­ma, pen­dant des semaines. On s’aperçoit par la suite, que la façon de regar­der un film n’a rien à voir avec cet idéal. Ce qui est dom­mage, car les condi­tions tech­niques dans les­quelles sont pro­duits les films n’ont jamais été aus­si poin­tues, tant au niveau du son lui-même que de son assem­blage ou de son transport.

Georges Prat : J’ai aus­si appris, ce matin, qu’il y avait de plus en plus de refus des Prêts à Dif­fu­ser en TVHD par les chaînes, pour le son. Il fau­drait qu’il y ait une prise de conscience de la pro­fes­sion sur cette pro­blé­ma­tique. Je tra­vaille avec pas­sion, les outils s’apprennent et se dominent très vite, mais ce ne sont jamais que des outils. Une bêche, c’est fait pour retour­ner la terre. La pre­mière fois, on ne s’y prend pas bien, mais avec un peu d’expérience, tout le monde y arrive.

Il y a aus­si cette pro­blé­ma­tique d’élargissement du pay­sage sonore par la spa­tia­li­sa­tion. Évi­dem­ment, on peut mettre beau­coup plus d’informations. Avant, avec la mono, pas­ser un coup de feu, une ruade de che­val et une phrase de dia­logue, c’était une bouillie. Aujourd’hui, tout peut pas­ser, mais il faut res­ter modeste. Dans un film, beau­coup d’informations passent par l’audition, et ce sens est plus « lent » que la per­cep­tion visuelle. S’il y a trop d’informations, on va dis­per­ser. On aura une très belle forêt, avec de beaux oiseaux, mais on per­dra d’autres aspects importants.

On a aus­si par­lé ce matin d’acoustique, de niveau sonore, de nor­ma­li­sa­tion, mais une chose qu’on ne nor­ma­li­se­ra jamais dans la meilleure des salles — même une salle neuve — c’est le nombre de spec­ta­teurs. Et les spec­ta­teurs sont d’excellents absor­bants acous­tiques. Il y a donc tou­jours ce risque quand on mixe — je ne suis pas mixeur — qu’une salle pleine pré­sen­te­ra plus de déper­di­tions, dans cer­taines fré­quences. D’où la néces­si­té de faire une cote mal taillée… Et selon sa vie com­mer­ciale, un film passe vite d’écrans nor­maux aux « salles mou­roirs », pour moi un terme pas du tout péjo­ra­tif. Si on n’a pas vu, pour une rai­son x ou y, un film lors de sa sor­tie — par exemple, comme moi, quand je suis en tour­nage — ou qu’il ne passe pas en pro­vince, les séances de rat­tra­page le jeu­di à 11 heures à l’Épée de Bois ou à La Clef sont très pré­cieuses, même si ces salles ne consti­tuent pas, à tous les niveaux, le meilleur de ce que l’on peut pro­po­ser. Un film, il faut le voir la pre­mière semaine.

Au niveau de la chaîne sonore, on a sou­le­vé beau­coup plus de pro­blèmes tech­niques. Il fau­drait qu’il y ait une prise de conscience de notre pro­fes­sion, quand on pro­duit, réa­lise et dif­fuse un film.

La deuxième table ronde était aus­si très inté­res­sante. Le terme « consen­suel » ne convient pas, mais il y avait quand même beau­coup de choses qui reve­naient. Peut-être que les ensei­gne­ments dans les écoles sont un peu trop tech­niques, il est juste de dire que c’est sur le ter­rain qu’on apprend, qu’on découvre le côté bidouille. Sur un tour­nage, le son, ce n’est pas seule­ment un micro, une perche et un enre­gis­treur, c’est aus­si savoir cap­ter la sen­si­bi­li­té d’un comé­dien, savoir tis­ser des rela­tions, avoir une cer­taine com­pli­ci­té, et un met­teur en scène der­rière soi. J’ai enten­du qu’il était dif­fi­cile pour un ingé­nieur du son de deman­der le silence, à la fin d’une prise, pour prendre une ambiance ou un silence pla­teau, mais ça s’obtient faci­le­ment si le met­teur en scène le veut. J’ai tra­vaillé avec des met­teurs en scène, c’était un vrai bon­heur ; parce qu’avant que je demande quoi que ce soit, ils l’avaient déjà deman­dé, et ils ne quit­taient pas le pla­teau, ils vou­laient que les prises soient bonnes. Cette rela­tion avec le réa­li­sa­teur est fon­da­men­tale, il faut qu’il ait conscience de ce que le son appor­te­ra au film.

En revanche, je suis moins d’accord avec l’idée que la France aurait inven­té beau­coup de choses dans le domaine du son, mais sans avoir su les déve­lop­per et que les inven­tions seraient par­ties ailleurs. J’ai pas mal tra­vaillé en Ita­lie et à l’époque, pour avoir du son direct de qua­li­té, on n’engageait pas d’ingénieurs du son Ita­liens, mais Fran­çais. Je connais dans la salle des ingé­nieurs du son qui ont tra­vaillé en Espagne, au Por­tu­gal ou ailleurs… Nous avons en France une qua­li­té, une touche recon­nue dans la prise de son direct, alors que les outils sont les mêmes pour tout le monde : micro, perche, enregistreur.

La for­ma­tion semble un pro­blème plus com­plexe. On par­lait des sta­giaires qui ont dis­pa­ru au mon­tage : il n’y a plus ni trans­mis­sion, ni com­pa­gnon­nage. Même la sta­giaire qui met­tait les éti­quettes sur les boîtes, enten­dait ce qui se pas­sait, elle sen­tait le film naître .

Le son, aujourd’hui, c’est le trans­fert, sans erreurs, du conte­nu sur disque dur par un tech­ni­cien com­plè­te­ment déta­ché du film, qui en fait dix ou quinze dans la jour­née. Je crains que l’approche directe de la matière fil­mique ne dis­pa­raisse, alors que c’est un ter­reau tota­le­ment essentiel.

Franck Ernould : Ces trans­ferts de don­nées se font désor­mais de façon com­plè­te­ment muette, alors qu’avant, le repi­queur écou­tait for­cé­ment ce qu’il faisait…

Georges Prat : Oui, il sui­vait le film, et sou­vent c’était une per­sonne très impor­tante. J’ai fait un film voi­ci deux ans, le repi­queur lisait le scé­na­rio après avoir écou­té les élé­ments, il re-véri­fiait les élé­ments pour l’intelligibilité, phrase après phrase. Il lui arri­vait d’avoir des doutes (un petit vent dans les feuilles ou autre), et il me four­nis­sait ses réponses avant de tour­ner le len­de­main. Pour l’intelligibilité, il ne voyait pas du tout l’image, il avait donc une écoute par­ti­cu­lière. Ce retour qua­li­té est très ras­su­rant. Et à la fin du film, mon­tage effec­tué, le mixage n’a pris que deux semaines, alors que le met­teur en scène était exi­geant. Toutes les escar­billes avaient été évi­tées, car avoir quelqu’un comme ça der­rière soi me pous­sait à être plus exi­geant sur le tour­nage. C’était ras­su­rant aus­si pour le met­teur en scène. Le Direc­teur de la pho­to refu­sait les rushes muets et le met­teur en scène pré­fé­rait tout voir avec le son, dans l’ordre, sinon ça le perturbait.

Dans nos métiers, les stages de for­ma­tion conti­nue ne sont pas évi­dents. J’ai essayé d’en faire, il faut s’inscrire quatre mois à l’avance. En rai­son de la chasse aux heures, si on vous pro­pose un gros pro­jet, on va dire à l’AFDAS qu’on renonce… — sauf qu’il faut attendre un an pour refaire une demande. Du coup, j’ai raté deux for­ma­tions. Comme elles ont une cer­taine durée, peut-être pour­rait-on les éta­ler, sans en faire pour autant des for­ma­tions « constructeur » ?

Un autre rap­port qui s’est modi­fié au cours de ma car­rière, c’est qu’aujourd’hui on tra­vaille pour un « client » ; on uti­lise le mot « client » pour dési­gner un pro­duc­teur : Tiens, là, je viens de perdre un client ! Je trouve dom­mage la bas­cule client/consommateur.

Franck Ernould : Et le film devient un « produit ».

Georges Prat : Le film a tou­jours été un pro­duit. Je suis déso­lé ! La Sep­tième Com­pa­gnie, ou autres, ce sont des films qui ont un gros suc­cès, mais qui sont faits uni­que­ment pour un mar­ché local. Cette année, le cin­quième film au box-office en Ita­lie est un film qu’on ne ver­ra jamais en France.
Des films comme « Les gen­darmes » ont tou­jours exis­té, je ne renie pas du tout ce genre. Quand on tra­vaille sur une comé­die, on adapte ses méthodes. Chaque film est un pro­to­type, il faut savoir s’adapter à chacun.
Der­nière chose : on a pas mal par­lé de culture dans les for­ma­tions — avec le regret que les étu­diants n’aient pas plus de culture géné­rale. À chaque fois, on a pri­vi­lé­gié la culture musi­cale. En ce qui me concerne, je m’y oppose un peu. Ce n’est pas parce qu’on fait du son qu’on doit se can­ton­ner à la culture musi­cale. Il y a la pein­ture, d’autres formes artis­tiques, cha­cun en prend ce qu’il veut, mais à un moment don­né, dans votre tra­vail, ça va res­sor­tir. J’ai l’exemple d’un met­teur en scène avec lequel nous n’avons par­lé que de pein­ture… Peu après, je ren­contre le Direc­teur de la pho­to, qui me dit, un peu débous­so­lé : « On n’a par­lé que de musique ! »… Mais pour­quoi pas ? Par rap­port au film, il était beau­coup plus inté­res­sant de par­ler d’ambiance à tra­vers la pein­ture — ce qui n’avait d’ailleurs rien à voir avec le sujet du film. Les Direc­teurs de la pho­to s’attendent, le plus sou­vent, à ce qu’on leur parle de leur sen­si­bi­li­té pic­tu­rale. J’ai fait plu­sieurs films avec ce réa­li­sa­teur, je m’en suis très bien sor­ti. Cepen­dant, je pense qu’il faut une culture éclec­tique et élar­gie. C’est ça qui fait le bonus pour s’intégrer, sans pour cela per­cer, mais c’est un plus par rap­port à un tech­ni­cien lamb­da, qu’on trou­ve­ra toujours.
Franck Ernould : Mer­ci beau­coup, Georges.

La table ronde de cet après-midi a pour thème : DE LA CAVE A L’AUDITORIUM : QUELS STATUTS ? POUR QUELS MÉTIERS ? Elle se dérou­le­ra en deux temps.

Pre­mière partie

Autour de Cédric Kla­pisch et de son équipe

INTERVENANTS : Cédric Kla­pisch, réa­li­sa­teur, et son équipe : Phi­lippe Amou­roux, mixeur Sté­phane Brun­clair, mon­teur son Domi­nique Dal­mas­so, mixeur.

J’ai déjà eu l’occasion de croi­ser Domi­nique Dal­mas­so et Sté­phane Brun­clair, au cours de mani­fes­ta­tions pro­fes­sion­nelles où ils ont par­lé de leur tra­vail sur les films de Cédric. L’univers de Cédric, je le découvre trans­po­sé de film en film, avec des points com­muns, des différences.
Lorsque tu penses ton film, que tu l’écris, com­ment choi­sis-tu les tech­ni­ciens avec qui tu vas tra­vailler ? Image comme son ?

Cédric Kla­pisch — réa­li­sa­teur : Selon l’ambiance du film, for­cé­ment. Je pense qu’un film est une œuvre col­lec­tive, et qu’il est impor­tant que le réa­li­sa­teur en soit le centre. Ça peut paraître para­doxal, il y a un côté très per­son­nel dans la concep­tion d’un film, mais qui rejoint quelque chose de col­lec­tif. Pour moi, le ciné­ma est lié à cette contra­dic­tion — qui conti­nue d’ailleurs, quand on va voir un film. On voit l’œuvre d’une per­sonne qui s’adresse au plus grand nombre, à un public. Il y a tou­jours ce rap­port de l’unité à quelque chose de multiple.

C’est le cas dès la concep­tion d’une équipe. Quand j’ai fait L’Auberge espa­gnole puis Les pou­pées russes, j’ai deman­dé à Domi­nique Col­lin, qui est Chef opé­ra­teur, de tra­vailler sur ces films. Nous étions ensemble au lycée et j’avais avec lui un rap­port de com­pli­ci­té. Par com­pa­rai­son aux autres chefs opé­ra­teurs avec les­quels j’avais déjà tra­vaillé, je me disais que c’était peut-être plus inté­res­sant d’avoir ce rap­port-là, que d’avoir quelqu’un qui ait des notions plus tech­niques. À l’opposé, quand j’ai fait Peut-être — c’était un des pre­miers films qui fai­saient appel aux tru­cages numé­riques — j’avais besoin d’un Chef opé­ra­teur qui connaisse le nou­veau monde numé­rique. Phi­lippe Lesourd n’avait fait que de la publi­ci­té, c’était son pre­mier long métrage. Au niveau du son, c’est un peu pareil : il y a cette notion, qui est autant psy­cho­lo­gique que tech­nique. Il m’est appa­ru évident que ce soit Domi­nique Dal­mas­so qui mixe Les pou­pées russes, puisqu’il avait fait L’auberge espa­gnole. J’avais besoin d’une conti­nui­té qui ne soit pas tech­nique, mais psy­cho­lo­gique, du rap­port qui existe depuis long­temps entre nous. Et c’est pareil pour l’ingénieur du son tour­nage. C’est très dif­fi­cile de sépa­rer les notions tech­niques des notions humaines.

C’est un peu dans la conti­nui­té de ce que j’ai enten­du. Pour moi, le son a été révo­lu­tion­né plu­sieurs fois depuis dix ans, mais il y a une vraie révo­lu­tion de l’usage du son. Voi­ci encore pas très long­temps, tout le monde uti­li­sait un Nagra : ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a des choses comme ça qui sont dépas­sées, la tech­no­lo­gie a chan­gé, et en tant que réa­li­sa­teur, je sais l’importance du dia­logue que j’ai avec les tech­ni­ciens. Oli­vier Le Vacon et Fran­çois Wal­disch ont été les pre­miers ingé­nieurs du son avec les­quels j’ai tra­vaillé, et c’est vrai que c’est Oli­vier qui m’a expli­qué ce que c’était qu’un MS, par exemple. C’est impor­tant pour moi de savoir com­ment ça marche, et com­ment je vais pou­voir uti­li­ser ce savoir dans la mise en scène ; et du coup, me poser des ques­tions sur une sen­sa­tion mono oppo­sée à une sen­sa­tion sté­réo… Je pense que ce dia­logue humain avec des tech­ni­ciens, c’est quelque chose qu’il faut pour­suivre. Tous les ingé­nieurs du son devraient par­ler davan­tage avec le réa­li­sa­teur, ne serait-ce que leur faire écou­ter le son d’un HF, puis ceux des dif­fé­rents micros qu’ils uti­lisent — parce que les réa­li­sa­teurs ne connaissent pas les dif­fé­rences entre ces micros.

Franck Ernould : Tu as toi-même des connais­sances tech­niques sur le son ? Tu étais musicien ?

Cédric Kla­pisch : Non, je ne suis pas musicien…

Franck Ernould : Chan­teur, peut-être ?

Cédric Kla­pisch : Non, c’est une des grandes lacunes de ma vie, j’aurais aimé avoir plus de connais­sance en musique. Les connais­sances tech­niques, je les ai acquises au fur et à mesure auprès d’Olivier Le Vacon, Cyril Mois­son, les mixeurs avec qui j’ai tra­vaillé : c’est vrai qu’on est obli­gé d’apprendre ce qu’est le 5.1 par rap­port à la stéréo.

Franck Ernould : Com­ment ça s’est pas­sé lorsque Cyril Mois­son t’as décrit com­ment il vou­lait concré­ti­ser ses idées dans L’auberge espa­gnole, où la ville est consi­dé­rée comme un per­son­nage sonore du film, où des micros indé­pen­dants sont posés pour les ambiances syn­chrones, tan­dis que les acteurs sont au pre­mier plan ? C’est assez com­plexe techniquement…

Cédric Kla­pisch : C’est réflé­chi au niveau concep­tuel. Il m’en avait déjà par­lé avant le tour­nage, de cette his­toire de mise en place. Ce qui est com­pli­qué, dans le son, c’est que ce n’est pas juste une qua­li­té sonore qu’on recherche, c’est aus­si une qua­li­té de tra­vail. Sur L’auberge espa­gnole, j’ai beau­coup uti­li­sé l’improvisation : en fait, je ne peux uti­li­ser le même micro que si le texte est déjà écrit, comme dans Un air de famille, où, à la vir­gule près, on sait exac­te­ment qui va par­ler, à quel moment et dans quelle langue. De plus, dans Un air de famille, on était en stu­dio, le son était tota­le­ment maî­tri­sé, alors qu’à Bar­ce­lone, non seule­ment on ne savait pas qui allait par­ler, mais on igno­rait quelle voi­ture allait pas­ser à quel moment… Il y a tous ces aspects à prendre en compte. On choi­sit une per­sonne, une tech­no­lo­gie, une mise en scène : fina­le­ment, tout est réuni.

Franck Ernould : Tu y penses déjà lors de l’écriture du scénario ?

Cédric Kla­pisch : Oui, mais c’est très évo­lu­tif. J’ai tou­jours pen­sé que la mise en scène, c’est l’idée qu’Hitchcock en a don­née : avoir un rêve et l’appliquer ; ensuite, il disait ne pas pou­voir être là sur le tour­nage, tout était sto­ry­boar­dé, les tech­ni­ciens savaient ce qu’ils devaient faire. Moi, je suis tout le contraire. Le film s’invente seconde après seconde, jusqu’à la der­nière minute du mixage. Fina­le­ment les choses que j’ai dites au début du tour­nage s’avèrent tota­le­ment fausses et après je fais le contraire au mixage.

Franck Ernould : C’est comme ça sur tous tes films ?

Cédric Kla­pisch : Oui, je crois, c’est une méthode de tra­vail… Avant j’avais des scru­pules, que main­te­nant je n’ai plus. Je pense, d’ailleurs, que c’est une des choses que j’ai apprise de la Nou­velle Vague. C’est une des spé­ci­fi­ci­tés fran­çaises de dire « : On invente tout le temps ». On ne fait pas for­cé­ment aujourd’hui ce que l’on a écrit il y a un an. Dans Paris, le jour où il neige, je filme autre chose que ce que j’avais prévu !

Franck Ernould : La scène avec Romain Duris sur le bal­con est née comme ça ?

Cédric Kla­pisch : On atten­dait bête­ment que la neige tombe, et plu­tôt que d’attendre, on a filmé !

Franck Ernould : Une autre spé­ci­fi­ci­té fran­çaise est le son direct. Je crois que tu y prêtes une grande atten­tion dans tes films…

Cédric Kla­pisch : Oui, j’ai fait des décou­vertes en fai­sant L’Auberge espa­gnole. Notam­ment en Alle­magne et en Ita­lie où, contrai­re­ment à la France, les cultures de « consom­ma­tion », « d’écoute » d’un film sont très dif­fé­rentes. En France, on a la culture du son direct. Je crois que c’est aus­si un héri­tage de la Nou­velle Vague, fon­dé sur cette notion du temps pré­sent, de la spon­ta­néi­té. Du coup, on déve­loppe des astuces tech­niques extrê­me­ment sophis­ti­quées, pour répondre à la dif­fi­cul­té de la prise de son direct : le rap­port à la camé­ra — qui doit être peu sonore — la syn­chro­ni­sa­tion du son à l’image, etc. On a cette atten­tion qui est liée, je pense, à notre culture lit­té­raire. La culture fran­çaise, c’est Bal­zac, Zola, Flau­bert, une atten­tion au réel, alors que la culture anglo-saxonne, c’est plu­tôt dans la fan­tas­ma­go­rie et la fic­tion, au sens de Lewis Car­roll ou Sha­kes­peare… Quand on se penche sur les auteurs lit­té­raires anglais ou amé­ri­cains, on s’aperçoit qu’ils sont tou­jours plus éloi­gnés de la réa­li­té que les auteurs fran­çais. Il y a un trai­te­ment de la réa­li­té qui passe sur le son. Pour moi, le son, c’est ce qui donne la réa­li­té à un plan ; et la réa­li­té d’une image, c’est quel son lui est asso­cié. Le meilleur exemple, c’est de voir un clip : la bande son est une chan­son, il n’y a aucun son de ce qui est fil­mé, il y a une déréa­li­sa­tion de l’image, et toute la recherche du clip se fait sur le côté oni­rique, hors réa­li­té. Alors que très sou­vent, le tra­vail qu’on fait à la prise de son comme au mixage, c’est de don­ner une réa­li­té au plan, à l’acteur, à la situa­tion. Effec­ti­ve­ment, on fait vivre la ville ou pas, le grain de la voix ou pas, on l’éloigne ou pas, mais il y a des choix qui sont faits pour gérer la dose de réa­li­té dans une situation.

Franck Ernould : Dans Paris, le groupe de rock qui joue a été pris en direct ? Com­ment as-tu géré ça ?

Cédric Kla­pich : Jus­te­ment, voi­là une situa­tion qui a été très com­plexe à orga­ni­ser… J’explique la tam­bouille : avec Cyril Mois­son, l’ingénieur du son, on a pré­pa­ré un play-back des musi­ciens, quelques jours avant de tour­ner. On est venu sur le tour­nage avec l’idée d’utiliser le play-back, ou d’utiliser le son direct. Il nous ser­vait sur­tout à avoir un tem­po fixe d’une prise à l’autre. Fina­le­ment, il est impos­sible de savoir si le chan­teur est en play-back ou en direct ; au mixage on ne savait même plus. Il chan­tait avec une oreillette sur le play-back, il était donc par­fai­te­ment sur le même tem­po que ce qu’il avait enre­gis­tré aupa­ra­vant. Et au mixage, avec Cyril Holtz et Phi­lippe Amou­roux, on a choi­si phrase par phrase, mot par mot, ce qui était le mieux entre le play-back et la chan­son en direct. Par­fois, l’acoustique de la pièce était plus inté­res­sante ; par­fois, avec le play-back, le fait d’entendre plus la musique, devant les ambiances, était plus inté­res­sant. Si je me sou­viens bien, c’était vrai­ment plan par plan, assez mor­ce­lé, avec une mise en place très com­pli­quée, y com­pris pour l’acteur. J’avais choi­si quelqu’un qui était chan­teur et acteur, ce qui lui a per­mis, à chaque prise, d’être juste et dans le tem­po. Mais encore une fois, ces pro­blèmes humains et tech­niques se retrouvent jusqu’au bout de la chaîne…

Franck Ernould : Sté­phane, tu n’as pas tra­vaillé sur Paris, mais sur Les pou­pées russes et L’auberge espa­gnole. Tu avais racon­té, lors d’une jour­née de la CST, que tu étais arri­vé, pour la pre­mière fois sur Les pou­pées russes, à tenir toute la chaîne du signal en 24 bits, ce qui met­tait pra­ti­que­ment à genoux le maté­riel de l’époque…

Sté­phane Brun­clair — Mon­teur son : Oui, à l’époque on n’était pas pré­pa­rés à ça, on avait été sur­pris par l’ampleur des cal­culs deman­dés aux ordinateurs…

Franck Ernould : Quand Cyril Mois­son com­mence à mettre des micros par­tout sur le tour­nage, c’est toi qui les récu­pères après !

Sté­phane Brun­clair : C’était for­mi­dable, mais il fal­lait aus­si les gérer der­rière, c’est sûr que c’était un pro­blème… et nour­rir toutes ces pistes après, de toute façon.

Franck Ernould : Que ce soit lors des tour­nages à Paris ou à Bar­ce­lone, les films de Cédric pos­sèdent tou­jours des ambiances d’une ampleur et d’une qua­li­té remar­quables. C’était Cyril Mois­son sur ces trois films, d’ailleurs…

Sté­phane Brun­clair : C’est un vrai chal­lenge, dans ces villes très bruyantes, avec plein de problèmes.

Franck Ernould : Il a réus­si à en gar­der les aspects posi­tifs, sans les côtés para­sites. Mais toi, de ton côté, tu re-bidouilles aus­si ces élé­ments, ou tu les gardes vrai­ment tels quels ?

Sté­phane Brun­clair : Sur les sons directs, il y a eu tout un tra­vail de fait, mais la magie venait du fait qu’au départ, les sons directs étaient beaux ! La base était là ; après, on a construit des choses autour, mais l’essentiel c’était quand même la beau­té des sons directs, c’était une chance pour la bande son.

Franck Ernould : Et en mon­tage des sons additionnels ?

Sté­phane Brun­clair : On a créé pas mal de spa­tia­li­sa­tions autour, ce qui demande beau­coup de tra­vail, mais la struc­ture de départ était là, très belle.

Franck Ernould : Dans Paris, il y a une séquence de cau­che­mar, qui évoque la panne d’électricité dans L’auberge espa­gnole. L’occasion pour les mixeurs de se lâcher, de se lan­cer dans les spa­tia­li­sa­tions et les trai­te­ments les plus étonnants…

Cédric Kla­pisch : Oui ! Pour reve­nir sur ce qui a été dit pré­cé­dem­ment — sur les évo­lu­tions tech­no­lo­giques — la plu­part des sons qui m’impressionnent dans les films, sont des sons en mono. Pour moi, Jacques Tati est un maître abso­lu de la mise en scène du son, Jean-Luc Godard aus­si. Mon pre­mier long-métrage est en Dol­by Ste­reo, et puis il y a eu les évo­lu­tions avec le 5.1, et ça conti­nue d’évoluer. Je n’ai pas vrai­ment de dis­cours là-des­sus. Je n’ai pas une poli­tique de rem­plis­sage des canaux. Je me dis que Dreyer c’est très beau, parce que c’est en noir et blanc et qu’il n’y a pra­ti­que­ment pas de son, que Bres­son c’est pareil, et que Lynch c’est génial parce que c’est le contraire !

Je peux faire l’éloge de la sim­pli­ci­té comme celui de la com­plexi­té. On vit dans une époque com­plexe, toutes ces his­toires de zap­ping dont on par­lait, la dis­con­ti­nui­té de notre vie, les télé­phones por­tables et tout le reste… C’est vrai, mais ça fabrique une autre vie, et j’ai l’impression — quand je fais Paris, L’auberge espa­gnole ou Les pou­pées russes — que j’essaie de par­ler de ça. Alors, je me sers du 5.1 pour par­ler du bus qui passe en même temps qu’on parle, du télé­phone qui sonne en même temps qu’on regarde la télé­vi­sion, car c’est notre vie. Le 5.1 per­met très bien de dire tout ça. Et au mixage, depuis que j’utilise la spa­tia­li­sa­tion du son, c’est dans ce sens de la mul­ti­pli­ca­tion du monde qui nous entoure. On n’est pas en train de suivre un acteur, on est en train de suivre une ville et un acteur, de voir com­ment je décris un espace.

Quand on a fait Paris, on réflé­chis­sait aux emblèmes sonores de la ville de Paris. On s’aperçoit alors que l’ouverture de la porte pneu­ma­tique d’un bus, si vous deman­dez à un Pari­sien de fer­mer les yeux et de recon­naître le son, il vous répond « : C’est un bus ». Mais c’est un bus pari­sien : à New York, un bus n’a pas le même son. Il y a une acui­té qu’ont les gens pour savoir à quelle image ren­voie un son qui est énorme. Si vous cher­chez un son de fon­taine, vous en trou­ve­rez mille : des fon­taines à vasque, à jet d’eau… et chaque son cor­res­pond à un style de fon­taine. Dans les dif­fé­rents films que j’ai faits — en ville ou dans des endroits clos — quand on fai­sait une mise en scène sonore, on choi­sis­sait les sons qui pou­vaient pas­ser en même temps qu’un dia­logue. Tout ça pour reve­nir à l’évolution tech­no­lo­gique : j’essaie tout bête­ment d’utiliser le 5.1. C’est au moment de Cha­cun cherche son chat, puis de L’auberge espa­gnole, que j’ai fait de vraies ten­ta­tives. Sur L’auberge espa­gnole, quand on fai­sait des croi­se­ments de sons avec les auto­routes, c’était pour mon­trer la confu­sion qu’il y a dans la tête de Xavier : lui en voix-off en même temps que les sons des voi­tures qui passent de gauche à droite et d’avant en arrière ; on essaie que le rem­plis­sage des canaux ne soit pas que du rem­plis­sage. Ce sont des idées qu’on ne pour­rait pas faire pas­ser en mono.

Ce que je trouve exci­tant dans cette nou­veau­té tech­no­lo­gique, c’est de l’utiliser au pro­fit de la mise en scène. Aujourd’hui, on peut faire un film en mono, on peut faire un film en noir et blanc, mais per­son­nel­le­ment, je trouve ça dom­mage. Je pré­fère David Lynch ou James Gray, j’ai vu récem­ment La nuit nous appar­tient ; quand vous voyez ce que fait l’essuie-glace dans la scène de la pour­suite de ce film, le choix de l’essuie-glace est un élé­ment de mise en scène phé­no­mé­nal. Cet essuie-glace sus­cite une émo­tion. Ce qui est fort dans une mise en scène sonore, c’est d’utiliser la tech­nique qu’on a actuel­le­ment, de la gérer plan par plan, pour qu’elle nous conduise vrai­ment à une émo­tion nouvelle…

Franck Ernould : Domi­nique et Phi­lippe, quand vous mixez pour Cédric, vous voyez arri­ver brus­que­ment sur vos consoles plein de sons inté­res­sants, des ambiances tra­vaillées, des directs… mais il faut quand même les mettre en forme d’une manière qui serve le film. Com­ment gérez-vous ça ?

Domi­nique Dal­mas­so — mixeur : Pour la ges­tion des élé­ments, comme le disait jus­te­ment Cédric tout à l’heure, c’est un tra­vail col­lec­tif, et une pré­pa­ra­tion dès la prise de son. Sur L’auberge espa­gnole ou Les pou­pées russes,

Cyril Mois­son avait déjà tra­vaillé en mul­ti­ca­nal, le mon­teur son avait aus­si fait ses choix…

Franck Ernould : Tu m’avais expli­qué que vous com­mu­ni­quiez beau­coup entre vous, tout le temps…

Domi­nique Dal­mas­so : Oui, c’est vrai, mais c’est pas comme ça sur tous les films, et tous les réa­li­sa­teurs ne pro­voquent pas ce genre de ren­contres. Avec Cédric, on s’est vu avant L’auberge espa­gnole, et Les pou­pées russes. Cédric, j’imagine, pour Paris, que tu as aus­si réuni avant toute l’équipe. Avec Cyril, on avait évo­qué — avant le tour­nage — les prises de son sté­réo ou mul­ti­ca­nal, et on avait déci­dé d’utiliser cette stra­té­gie de prise de son, d’avoir un pre­mier plan et un deuxième plan, syn­chrones, mais dif­fé­rents. Je savais qu’au mixage, je retrou­ve­rais ces élé­ments. Sinon, le tra­vail est quo­ti­dien : on essaye, on écoute, on cherche, on pro­pose, on dis­cute. On ne s’engueule pas ! On est d’accord ou pas, mais on ne s’engueule pas. Et puis on abou­tit à un résultat…

Franck Ernould : Tu suis toutes les étapes du son ? Tu vas au mon­tage son, au mon­tage des directs…

Domi­nique Dal­mas­so : Non, je n’y vais pas for­cé­ment. On se parle beau­coup au télé­phone, ou en pro­jec­tion de tra­vail. Il y a une pre­mière pro­jec­tion lorsque le mon­tage image est à peu près en place, une autre pour la détec­tion, qui per­met de déci­der les scènes où le dia­logue est à refaire en post-syn­chro­ni­sa­tion ; on peut aus­si y déter­mi­ner quels sons addi­tion­nels on va créer. À ce stade-là, on parle beau­coup du mon­tage sonore. Il y a l’enregistrement des brui­tages, que j’essaie de faire le plus sou­vent pos­sibles, qui est un moment très impor­tant. Dans beau­coup de films, il y a un grand nombre de bruits rajou­tés — sur­tout dans ceux de Cédric — et c’est aus­si un moment où l’on se télé­phone pas mal avec le mon­teur son. Les idées peuvent venir d’un côté comme de l’autre : le mon­teur son va deman­der un brui­tage par­ti­cu­lier à tel endroit, et moi je l’appellerai pour lui dire « : Tiens, à tel endroit, ce serait peut-être pas mal si on met­tait tel ou tel son en piste arrière»… Dans L’auberge espa­gnole, par exemple, quand Xavier fait la course aux papiers pour avoir son Eras­mus… Et puis au mixage, c’est de la construc­tion. On essaye des choses, on recom­mence, ou au contraire, il arrive qu’une séquence marche toute seule… Pour en reve­nir à l’histoire du mul­ti­ca­nal, dans les films de Cédric ; pour ceux que j’ai mixés, il y a des par­ties qui sont com­plè­te­ment en mono. Quand il n’est pas néces­saire de mettre du son par­tout, on n’en met pas, tout simplement !

Franck Ernould : Même pas en sté­réo ? Que du central ?

Domi­nique Dal­mas­so : Même pas en sté­réo ! Je me sou­viens d’une séquence dans une chambre, avec le frère de Wen­dy, William… Il n’y avait pas néces­si­té d’introduire le monde exté­rieur avec une ambiance : il est là, dans sa chambre, il est inutile de mettre du son der­rière, devant, à gauche, à droite, ça n’a pas d’intérêt. Alors on n’en met pas, et puis voi­là ! Par contre, quand on a envie de créer le bor­del, alors là on y va !

Cédric Kla­pisch : Je vou­lais juste citer l’exemple — parce qu’il est assez mar­quant par rap­port à ce que tu disais — de col­la­bo­ra­tion, de tra­vail d’équipe… Dans L’auberge espa­gnole, le brui­teur par­lait avec Sté­phane Brun­clair, le mon­teur son, qui par­lait avec le musi­cien, et qui disait que la musique était com­po­sée de façon cohé­rente. Cha­cun s’envoyait les élé­ments en cours d’élaboration, sur disque dur. Le musi­cien devait connaître le bruit du TGV, au début du film, de façon à ce qu’au niveau des fré­quences, ce soit cohé­rent, et que le brui­tage passe sans pro­blème. Tous avaient la notion de fabri­quer une musique ensemble. Le mon­tage son, c’est une musique, la musique ne peut pas se faire contre, c’est pareil pour le bruitage.
Même chose pour la séquence de rêve dans L’auberge espa­gnole. À un moment, on entend un che­val qui passe : ce brui­tage a été don­né au musi­cien, de façon à ce que le tem­po de la musique soit cohé­rent avec les sabots, qu’il y ait un pas­sage de la réa­li­té à la musique qui se fasse en har­mo­nie. Il y a un énorme besoin de dia­logue entre tous ces acteurs.

Franck Ernould : Et c’est toi qui le super­vise de bout en bout, ou une fois que les choses sont lan­cées, ça se passe tout seul ?

Cédric Kla­pisch : C’est moi le lien. Sou­vent, j’ai besoin de dire : « Téléphone-lui ! »

Franck Ernould : Tu suis la post-pro­duc­tion du son de bout en bout…

Cédric Kla­pisch : À la fin, tout se cata­pulte. Sou­vent, je ne peux pas être tout le temps au brui­tage. Mais je sais que c’est dif­fé­rent quand je suis là ou pas. Les sons que j’obtiens sont beau­coup plus pré­cis. Si je dis que dans la cage d’ascenseur, il y a des sons de câbles, si je les demande à un brui­teur, ce sera très dif­fé­rent si je suis pré­sent. Tout ça donne des cou­leurs de sons, des cou­leurs de sen­sa­tions, c’est très tech­no­lo­gique, mais tout est lié, au fond, pour pro­vo­quer des sen­sa­tions. Plus c’est tech­no­lo­gique, plus on ne parle que de sen­sa­tions. C’est vrai aus­si en musique, où l’on ne parle plus de notes ni de mélo­dies, mais de sen­sa­tions ou d’ambiances sonores. C’est assez frap­pant : plus la tech­no­lo­gie avance, plus on est psy­cho­lo­gique dans les dialogues.

Franck Ernould : Phi­lippe, tu as mixé Paris avec Cyril Holtz…

Phi­lippe Amou­roux — mixeur : Oui, Cyril était le mixeur prin­ci­pal, j’étais co-mixeur. Je vou­drais reve­nir sur quelque chose que disait Cédric et qui est très impor­tant : avec lui, tous les acteurs du son : ingé­nieur du son, mon­teur son, brui­teur, mixeur, tra­vaillent ensemble. C’est rare, peu de réa­li­sa­teurs le font. C’est impor­tant que Cédric soit là, à chaque fois, par­tout, qu’il fasse par­ler tout le monde ensemble. Et au final, ça fait les plus belles bandes son.

Franck Ernould : Cédric, com­ment Cyril Holtz est-il arri­vé sur Paris ? Tu n’avais jamais tra­vaillé avec lui, et son tra­vail est vrai­ment multiforme…

Cédric Kla­pisch : Avec Phi­lippe et Cyril, on avait déjà tra­vaillé ensemble, sur Ni pour ni contre. Je ne me sou­viens plus com­ment on s’est ren­con­tré, avec Cyril. J’avais pen­sé à lui pour le côté thril­ler, sans doute.
Je vou­drais évo­quer un sou­ve­nir très mar­quant du mixage de Paris. C’était le der­nier jour, les der­nières heures, on a eu une dis­cus­sion incroyable… On était évi­dem­ment en dépas­se­ment, on empié­tait, il était deux heures du matin, tous très fati­gués, et l’on a abor­dé ce qui est presque le der­nier plan du film. La dis­cus­sion a com­men­cé à deux heures, on a dû la finir à cinq heures, parce que Phi­lippe Heiss­ler, le mon­teur son, avait pré­pa­ré tous les élé­ments pour accom­pa­gner la voi­ture dans laquelle se trouve Romain Duris, qui passe le péri­phé­rique, avec tout un trai­te­ment sonore en spa­tia­li­sa­tion. En réfé­rence à un plan que j’ai vu dans Soy Cuba, un film où il n’y a pas beau­coup de son de façon géné­rale, mais où il y a un moment où le son s’arrête com­plè­te­ment. Je me suis dit que ce serait bien d’essayer, sur le pas­sage du péri­phé­rique, que le son s’arrête com­plè­te­ment. Soit on uti­li­sait le mon­tage son, avec toute sa sophis­ti­ca­tion, plan par plan, soit on arrê­tait tout. Et l’effet obte­nu ain­si était tel­le­ment fort que fina­le­ment, on a tous eu peur. C’est pour ça qu’on en a par­lé pen­dant trois heures, alors qu’on était en dépas­se­ment et que ça reve­nait cher…

Aujourd’hui, beau­coup de gens me parlent de ce moment très sym­bo­lique, où quelqu’un qui est proche de la mort, tra­verse le péri­phé­rique. Le fait de mettre du son ou pas crée une impli­ca­tion très dif­fé­rente. Je vois à quel point on a eu rai­son de ne pas mettre de son, on a tout cou­pé pour le pas­sage du péri­phé­rique. Il y a une sorte d’arrêt qui met mal à l’aise les spec­ta­teurs, c’est pré­ci­sé­ment le résul­tat que je cher­chais. À ce moment-là du film, il y a une espèce de trou, dans lequel on tombe, une vraie image de la mort qui est le signi­fiant du film. Quand on uti­lise toutes les com­pé­tences des gens, on parle de sen­sa­tion, de poé­sie, de philosophie.

Franck Ernould : Des ques­tions dans la salle ?

Public : J’ai beau­coup appré­cié le son de L’auberge espa­gnole et Cha­cun cherche son chat, notam­ment pour le tra­vail sur l’ambiance sonore des villes. Pour avoir orga­ni­sé la Conven­tion de l’AES à Bar­ce­lone — expo­si­tion pro­fes­sion­nelle sur le son au niveau euro­péen — voi­ci quelques années, je suis mon­tée sur le toit de la Sagra­da Fami­lia, et j’ai retrou­vé exac­te­ment la même ambiance que dans le film. Com­ment avez-vous pro­cé­dé ? Vous avez fait des samples de son sur place ?

Cédric Kla­pisch : Au niveau de la mise en scène — et c’est pareil pour les images et pour les sons — je pars de l’observation. Je vois que la Sagra­da Fami­lia est en construc­tion depuis 150 ans, il y a des bruits de chan­tier. Quand je me dis qu’on va faire le por­trait de Bar­ce­lone, si on va à la Segra­da Fami­lia, je choi­sis que ce son soit audible. De la même façon que dans Cha­cun cherche son chat, on parle de la des­truc­tion du quar­tier de la Bas­tille, c’est audible aus­si, et j’essaie de jouer avec le bruit des grues et des gra­vats… ou comme, au tout début du film, on entend la bat­te­rie d’un voi­sin. Et c’est vrai que dans les ambiances pari­siennes — je par­lais du son du bus tout à l’heure — on entend un son de pia­no, de flûte… Là il y a un son de bat­te­rie, dès le pre­mier plan du film, si je me sou­viens bien. Et il s’avère que ce son de bat­te­rie devient un per­son­nage, plus tard, celui de Romain Duris, le voi­sin de la jeune fille, sujet prin­ci­pal du film. C’est le son de la ville, pen­dant un moment, et après c’est le son de quelqu’un. C’est avec ces petites choses-là que l’on joue. Le son de la grue, c’est le son de la grue, puis le son de l’église qu’on détruit à côté de l’immeuble où habite la jeune fille. Il y a une espèce d’évolution de ce qu’est le son dans l’image. J’essaie de faire en sorte qu’il y ait une liai­son entre la psy­cho­lo­gie du per­son­nage, l’acteur tel qu’il joue son rôle et le son, de la même façon dont je fais atten­tion au décor. Dans Paris, si je filme quelqu’un devant un mur, je met­trai le per­son­nage de Romain Duris plu­tôt devant du bleu, et le per­son­nage de Fabrice Luchi­ni plu­tôt devant du jaune. J’essaie de don­ner une signi­fi­ca­tion à ça, et fina­le­ment c’est pareil au niveau du son.

Public : C’est très réus­si, ce que je trouve frap­pant, c’est d’être par­ve­nu à bien mixer le tout. Entre prendre un son direct d’une ambiance de ville et arri­ver à le retrans­mettre à l’image, il y a une dif­fé­rence. En brui­tage, on sait bien que le « vrai » bruit d’un objet n’est pas for­cé­ment bon à l’image. Il faut trou­ver des astuces pour faire son­ner plus vraie une porte qui claque, par exemple… Chapeau !

Domi­nique Dal­mas­so : Sur le tra­vail de fabri­ca­tion de l’ambiance de L’auberge espa­gnole, je me sou­viens très bien d’un gros bou­lot. Pour recons­ti­tuer cette atmo­sphère, on avait énor­mé­ment d’éléments très dis­pa­rates, qu’on a beau­coup fait bou­ger, parce qu’on vou­lait suivre, à un moment, le ver­tige de Chloé — jouée par Judith Godrèche. On a fait beau­coup de pano­ra­miques pour accen­tuer cette impres­sion de vertige.

Sté­phane Brun­clair : Je vou­lais dire aus­si que c’est une chance pour nous, et je remer­cie encore Cédric aujourd’hui, de nous avoir don­né une semaine pour repar­tir à Bar­ce­lone, pour refaire des sons seuls. C’est très rare de pou­voir se le per­mettre. Cyril Mois­son avait beau­coup de tra­vail sur le pla­teau, il ne pou­vait pas assu­rer la glo­ba­li­té des sons seuls qu’il y avait à faire. C’était aus­si une chance pour nous de retour­ner sur place, et de prendre le temps d’enregistrer — notam­ment à la Segra­da Fami­lia, où nous étions retour­nés exprès pour reprendre de la matière et reve­nir avec un maxi­mum de sons. C’est très impor­tant de don­ner au mon­teur son la pos­si­bi­li­té, sur ce genre de film, d’accumuler des choses ori­gi­nales ; parce que sou­vent, on se retrouve très juste au com­men­ce­ment du mon­tage. Encore une fois, c’est rare !

Franck Ernould : Lors des réunions pré­pa­ra­toires de ce col­loque, nous avions dis­cu­té avec Laure Arto et Natha­lie Vidal — les mixeuses qui étaient pré­sentes à la deuxième table ronde de ce matin — sur l’impression qu’elles avaient, sou­vent, de tra­vailler sépa­rées des autres tech­ni­ciens et qu’en géné­ral, il n’y avait pas de volon­té de cohé­sion. On s’était deman­dé si la rai­son ne venait pas du sta­tut d’intermittent du spec­tacle, avec ses périodes de tra­vail intense, sans répit, où l’on ne peut pas prendre de pause pour aller voir ce que font les autres ; ce qui expli­que­rait qu’on arrive à cette seg­men­ta­tion des tâches, qui empêche toute com­mu­ni­ca­tion entre les dif­fé­rents tech­ni­ciens. Tout le monde trou­vait ça dommage…

Sté­phane Brun­clair : Je ne suis pas cer­tain que ce soit la seule rai­son… Je pense qu’aujourd’hui on est beau­coup trop dans la spé­cia­li­sa­tion des métiers, Georges Prat l’a dit très jus­te­ment tout à l’heure : nos métiers sont arti­sa­naux. Il faut pré­ser­ver cet aspect. À par­tir du moment où l’on essaie de trop seg­men­ter les tâches, trop spé­cia­li­ser les gens, on perd quelque chose. On est là dans une logique finan­cière d’optimisation des coûts — évi­dem­ment, c’est impor­tant, la finance,il faut bien faire les films, mais on risque alors de s’écarter de l’essentiel. Il faut gar­der ce côté artisanal.

Domi­nique Dal­mas­so : La volon­té du réa­li­sa­teur est un aspect extrê­me­ment impor­tant. Il y a sou­vent des films dont le mixeur n’est pas choi­si alors que le tour­nage est ter­mi­né ! Les équipes son ne sont pas for­cé­ment consti­tuées avant le tour­nage, alors que c’est capital…

Franck Ernould : Ce n’est pas la règle ? Je me fai­sais des illu­sions alors… Sté­phane, tu pos­sèdes ton propre maté­riel de mon­tage son ? Sous quel statut ?

Sté­phane Brun­clair : Ça rejoint le pro­blème dont on parle… On a trop ten­dance encore aujourd’hui à nous impo­ser des lieux et des outils, je pense que ça repré­sente un cer­tain dan­ger. Les tech­ni­ciens sont habi­tués à uti­li­ser cer­tains outils. En règle géné­rale, pour le son, comme c’est assez lourd au mon­tage, on a ten­dance, pour sim­pli­fier, à pos­sé­der nos propres outils. C’est vrai­ment le côté arti­sa­nal : on est maître de notre ordi­na­teur, on sait ce qu’il y a dedans, on bri­cole, au sens noble du terme. Il faut lais­ser la pos­si­bi­li­té aux tech­ni­ciens de s’exprimer avec leurs outils, mais on a du mal à faire pas­ser ce mes­sage dans les pro­duc­tions, c’est un peu dommage.

Pareil, pour les lieux de tra­vail : de plus en plus on nous impose de tra­vailler dans tel endroit, dans telles condi­tions — pas for­cé­ment les meilleures.

Franck Ernould : Dans quelles condi­tions, justement ?

Sté­phane Brun­clair : Dans des salles qui ne sont pas faites pour le son ! Sou­vent, on se retrouve dans un bureau fait pour accueillir un ordi­na­teur et écrire un scé­na­rio, pour­quoi pas, mais pas pour faire du son. Il n’y a pas de trai­te­ment acous­tique, pas d’isolation, on ne sait pas ce qu’on entend. Je me suis déjà retrou­vé dans des lieux où si je bou­geais de 30 cm, je per­dais 6 dB sur des voix. Une chute de moi­tié, c’est énorme ! Je ne savais pas du tout ce que je fai­sais… Alors dans ce cas, on tra­vaille en aveugle. Je m’étais construit un lieu chez moi pour faire des véri­fi­ca­tions — mais tout le monde n’a pas la pos­si­bi­li­té de le faire. Je trouve scan­da­leux, quelque part, de louer aux pro­duc­tions des lieux qui ne sont pas adap­tés. Ce sont des lieux récents, qui ont une renom­mée, mais il y a quand même des pro­blèmes à sou­le­ver par rap­port à tout ça.

Franck Ernould : Tel que ça fonc­tionne, tu ne pour­rais pas dire « : Le mon­tage son de ce film, je veux le faire chez moi ! » ? Tu ne pour­rais pas impo­ser ça ?

Sté­phane Brun­clair : Tout dépend de la rela­tion qu’on a avec le réa­li­sa­teur… Cédric laisse une grande liber­té. Il laisse aux gens la pos­si­bi­li­té de s’organiser comme ils l’entendent, avec la contrainte de res­ter dans le bud­get. Le but est quand même d’être cohé­rent, en pré­ser­vant sa liber­té. Ce n’est pas uni­que­ment une ques­tion d’argent, mais, avant tout, de volon­té. D’autres pro­duc­tions pour­raient nous lais­ser plus de liber­té, ça ne leur coû­te­rait pas plus cher. Il ne faut pas vou­loir trop cana­li­ser les gens dans une cer­taine direc­tion, je pense que c’est dangereux…

Franck Ernould : Et au mixage, qui choi­sit les lieux ?

Phi­lippe Amou­roux : La pro­duc­tion nous demande où l’on veut mixer, mais les lieux sont tou­jours les mêmes, il n’y en a pas énor­mé­ment. On se retrouve un peu dans les mêmes audi­to­riums : le fameux trio SIS/­Join­ville-Bou­lo­gne/­Jack­son, quand tout va bien.

Franck Ernould : Cédric, te fais-tu par­fois l’avocat de l’ingénieur du son, du mon­teur son ou du mixeur auprès de la pro­duc­tion pour lui don­ner plus de liber­té, plus de moyens, comme cette semaine de prise de son sup­plé­men­taire à Bar­ce­lone, alors que le tour­nage était terminé ?

Cédric Kla­pisch : Il y a tout le temps des pro­blèmes de cet ordre-là. En tour­nage, sou­vent, avec Cyril Mois­son, j’ai besoin d’aller dans son sens. On a par­lé de la scène musi­cale de Paris, au niveau de la mise en place, l’enregistrement préa­lable du play-back, sa dif­fu­sion sur le pla­teau, la prise de son sur le pla­teau de tour­nage, avec plein de micros pour les musi­ciens et une oreillette pour le chan­teur — si on veut que ce soit bien fait, ça coûte cher ! Il y a un coût, dont il faut dis­cu­ter avec le direc­teur de pro­duc­tion, et bien sûr, il faut que je sois là, et pas juste Cyril qui dise « : J’ai besoin de ça ». Ensuite c’est une dis­cus­sion avec la pro­duc­tion, avec le direc­teur de pro­duc­tion qui choi­sit, dans la volon­té de mise en scène, s’il a le bud­get ou pas pour le faire. C’est tou­jours un cal­cul : entre la volon­té artis­tique et les moyens, on balance entre les deux.

C’est tou­jours le cas ! Il y a un autre exemple : dans Les pou­pées russes, quand Romain Duris est dans la boîte de nuit et qu’il y a une espèce de dis­cours sur les enceintes qui dif­fusent les graves, c’était assez com­pli­qué à fil­mer. C’est un cas de figure où le com­po­si­teur de musique doit être en har­mo­nie avec le brui­teur, la prise de son, ce qui exige de réunir beau­coup de gens pour obte­nir la cohé­rence de l’effet sonore. Et même dans ces condi­tions — je ne sais pas si tu te sou­viens, Domi­nique — le mixage avait été très com­pli­qué. On uti­li­sait beau­coup le cais­son des graves, or d’une salle de ciné­ma à une autre, ça peut très bien pas­ser ou pas du tout. Dans ce cas pré­cis, on est obli­gé de faire des com­pro­mis, sur une méta­phore qui est clai­re­ment liée aux bat­te­ments du cœur, en essayant de mettre en rap­port les bat­te­ments du cœur avec les bat­te­ments de graves des infra basses, de voir com­ment cette idée peut pas­ser tech­ni­que­ment. Par cette entrée-là, on arrive vrai­ment aux limites de la technique…

Franck Ernould : Nous arri­vons au terme de cette pre­mière par­tie… Mer­ci à Cédric Kla­pisch et à son équipe.
En guise de tran­si­tion, nous accueillons main­te­nant Laurent Zei­lig — César du meilleur son 2008 pour La Môme — qui est membre fon­da­teur et Pré­sident de l’AFSI – Asso­cia­tion Fran­çaise du Son à l’Image. Il avait appris qu’un col­loque se pré­pa­rait, il nous a envoyé un mail — ce qui m’a per­mis de décou­vrir l’existence de cette asso­cia­tion. Elle pos­sède un site Web, www.afsi, extrê­me­ment inté­res­sant, où de nom­breux pro­fes­sion­nels du son s’expriment sur des forums, et pas seule­ment du son à l’image. Peux-tu nous pré­sen­ter l’AFSI ?

Laurent Zei­lig — AFSI : Nous avons mon­té l’Association Fran­çaise du Son à l’Image voi­ci deux mois, en octobre 2008. On regroupe et on fédère tous les inter­ve­nants du son à l’image, de la prise de son au mixage, en pas­sant par le mon­tage son. Nous accueillons aus­si des gens du broad­cast et de l’ENG – repor­tage, actua­li­tés. Je recon­nais d’ailleurs cer­tains membres pré­sents dans la salle…

Nous com­men­çons des ate­liers, des confé­rences, des débats. Par exemple, la semaine pro­chaine — grâce à Gérard Lamps et Jean-Paul Lou­blier qui étaient là ce matin — nous avons un ate­lier sur le trai­te­ment des paroles, qui est ouvert à tous les membres de l’AFSI. Le mois sui­vant, on a pré­vu des ate­liers sur la tech­no­lo­gie des HF et le multicanal.

Beau­coup de choses sont à faire, beau­coup de dis­cus­sions à avoir ensemble. C’est, à l’origine, le but de l’Association : que tout le monde puisse dis­cu­ter, trans­mettre des savoirs, dans l’idée que les gens du direct dis­cutent et échangent leurs connais­sances avec ceux du mon­tage son et du mixage.
Nous avons déjà dépas­sé la cen­taine de membres, nous rece­vons tous les jours de nou­velles adhé­sions, et nous vous atten­dons tous, les bras ouverts, pour gros­sir le nombre des adhé­rents. Nous accueillons aus­si des par­te­naires, nous allons tra­vailler avec les entre­prises du milieu, et nous accueillons donc aus­si toutes les entre­prises qui vou­draient par­ti­ci­per à cette aventure…
Franck Ernould : Et sur les forums du site Web de l’AFSI, on lit des contri­bu­tions signées William Fla­geol­let, Ste­ven Ghou­ti, Fran­çois Groult… dans beau­coup de domaines, de l’état des lieux des audi­to­riums au mon­tage son, on apprend plein de choses. Mer­ci Laurent !

Deuxième par­tie

Autour de Phi­lippe Gran­drieux et de son équipe sur La Vie nouvelle

INTERVENANTS : Phi­lippe Gran­drieux, Réa­li­sa­teur, Cathe­rine Jacques, Pro­duc­trice, Man­drake Films Jean-Paul Mugel, ingé­nieur du son.

Franck Ernould : L’idée de cette deuxième par­tie est de par­ler du film : de sa concep­tion, de la place du son et de la façon de le concré­ti­ser ; en somme de créer le film tel qu’il nous arrive en salle, tel qu’on le désire et qu’on l’apprécie. Le ciné­ma de Phi­lippe Gran­drieux est excep­tion­nel. « La vie nou­velle » est pré­sen­tée comme « une expé­rience sen­so­rielle » : j’aime beau­coup cette idée, de s’évader d’un ciné­ma d’approche tra­di­tion­nelle, d’aller s’immerger dans un autre monde, où les lois habi­tuelles n’ont plus cours. Même s’il reste des sons directs dans le film, des bruits, qui prennent par­fois une impor­tance incroyable, il y a des séquences où on s’évade dans un autre monde sonore. Pour ceux qui n’ont pas vu le film, l’image est très éla­bo­rée, défor­mée, extra­or­di­naire. Au son, c’est pareil, on est sans cesse déso­rien­té, il faut se lais­ser faire. Phi­lippe, com­ment ça se passe, quand tu pars dans un film comme La vie nou­velle ? L’histoire existe, mais le trai­te­ment que tu en fais est très personnel.
Phi­lippe Gran­drieux — réa­li­sa­teur : J’ai l’impression que rien n’est sépa­ré… Le son et l’image, qu’il n’y a pas, comme ça, des étapes… C’est un seul geste. Il s’agit de le por­ter. Le ciné­ma est l’accomplissement de ce geste. Ensuite, qu’il y ait du son, de l’image, de la lumière, des cadres, des acteurs, des décors, une his­toire, un scé­na­rio, des pro­duc­teurs… Cette place-là, sur­tout, est déci­sive, parce qu’elle per­met au geste d’être joué, enten­du. Je crois que rien n’est sépa­ré, pas décou­pé. Il n’y a pas de cor­po­ra­tisme, dans le ciné­ma, ou s’il y en a un, c’est que le ciné­ma est affai­bli. Quand Artaud parle du ciné­ma, il ne parle pas d’un ciné­ma, qui s’organise dans des savoir-faire… Il est dif­fi­cile de remon­ter la pente vers quelque chose qui nous fera entendre où est, pré­ci­sé­ment, la ques­tion du son.

Bri­gitte Aknin — Char­gée de mis­sion col­loque : Je vou­lais pré­ci­ser que votre venue est moins due au hasard que celle de Cédric Kla­pisch. Pour­quoi ? Parce que lors de la pré­pa­ra­tion de ce col­loque, plu­sieurs per­sonnes, du CNC aux ingé­nieurs du son, nous ont par­lé de vous, comme de quelqu’un qui met­tait en avant le son. Tous les réa­li­sa­teurs de ciné­ma s’intéressent au son, tra­vaillent avec le son. Bien sûr, comme vous le pré­ci­sez, c’est un geste. Quand on voit vos films, comme dit jus­te­ment Franck : c’est une expé­rience sen­so­rielle, mais c’est d’abord et avant tout le son. Dès le scé­na­rio ! C’est pour ça que Cathe­rine Jacques, votre pro­duc­trice, est à côté de vous : on s’est dit qu’aujourd’hui, en France, quelqu’un qui va accor­der plus d’importance au son dans l’écriture dans la manière de le pen­ser, a beau­coup plus de dif­fi­cul­té pour trou­ver de l’argent, parce qu’on ne peut pas lire le son, on n’a pas cette culture en France. Voi­là une autre façon de vous par­ler du son…

Phi­lippe Gran­drieux : Ce que j’essaie de vous dire, peut-être mal­adroi­te­ment, c’est que le film com­mence dès qu’il est pen­sé. Le ciné­ma ne s’exécute pas, ne se réa­lise pas. Il n’y a pas de phase dis­tincte où on le ferait, on le pen­se­rait, on l’écrirait, on le pro­dui­rait. Il est là, le film. La ques­tion du son, elle est déci­sive, mais comme celle du rythme de l’écriture, de la façon dont les scènes arrivent, de la manière dont le film se met, petit à petit, à être à l’intérieur de vous-même, pour qu’après on puisse juste l’entendre. C’est ça que j’essaie de vous dire… Bien sûr que le son, c’est déci­sif à plein d’égards, par le tra­vail avec Jean-Paul Mugel ou d’autres ingé­nieurs du son. Mais je pense qu’il fau­drait qu’on l’entende dans un pro­ces­sus plus large, dans un che­min plus large.

Si dès le début de l’écriture du film, on écrit « : 1 — exté­rieur jour, cui­sine de Paul » — je fuis. Le ciné­ma ne me paraît plus pos­sible, quand j’entends ça. Il y a un écœu­re­ment abso­lu dans cette manière de pen­ser la façon d’écrire le film, de se sai­sir du film. C’est abject, l’intérieur cui­sine de Gérard. Alors on voit tout le bazar, l’intérieur cui­sine, le déco­ra­teur qui va vous dire « : Mais alors, com­ment on fait pour que ça ait du sens, cette cui­sine ? », on met­tra la petite pen­dule… Tout va avec ! Après, on a un ciné­ma affai­bli, à genoux : sans puis­sance poé­tique, sans désir, sans éner­gie, sans vita­li­té, sans bru­ta­li­té, sans sau­va­ge­rie. Un ciné­ma qui n’existe pas, qui accom­plit sa petite besogne régu­lière de racon­ter la petite his­toire, avec le mini­mum d’émotions garan­ti. C’est inadmissible.

C’est dif­fi­cile pour moi de venir par­ler comme ça, parce que le ciné­ma demande autre chose, un autre geste. Je n’ai pas la pré­ten­tion de l’accomplir, mais je pense que c’est juste plus grand. C’est plus grand quand on tra­vaille avec Jean-Paul ou avec Cathe­rine. Je vais vous lais­ser parler…

Franck Ernould : Jean-Paul, tu inter­viens à quel moment du film ?

Jean-Paul Mugel — ingé­nieur du son direct : J’interviens pen­dant le tour­nage. Je peux pas­ser lors du mon­tage, je me tiens au cou­rant, mais sou­vent je suis sur un autre tour­nage, je ne suis pas libre au moment du mixage. Avec Phi­lippe, je vais racon­ter un peu com­ment ça se passe… Il est très spé­cial en tour­nage. D’abord, il fait lui-même le cadre de ses films. Il a besoin de se mettre en situa­tion. La musique de la Vie Nou­velle avait été écrite avant, par le groupe Étant Don­nés ; il fal­lait lui mettre la musique super fort sur le pla­teau. Il tour­nait comme un lion en cage sur le décor, et puis d’un coup, il disait « : On y va ! » Il pre­nait la camé­ra et il tour­nait. Moi, je ne pou­vais pas faire le son, je n’aurais enre­gis­tré que la musique ! Donc j’attendais, je le lais­sais faire trois, quatre prises qui ne pou­vaient pas être dans le film, mais la ten­sion mon­tait, le jeu des comé­diens évo­luait, et à un cer­tain moment, je lui disais « : Ça y est, Phi­lippe, je crois qu’on peut y aller, on peut faire une prise en cou­pant la musique ». Et là, on arri­vait à faire du son. Lui me fai­sait confiance pour arri­ver à ce que je vou­lais avoir au niveau du son. C’est une méthode de tra­vail très spé­ciale. Je sais que d’autres ingé­nieurs du son ont été com­plè­te­ment per­dus à l’idée de ne pas pou­voir tra­vailler comme d’habitude, ils pre­naient cette exi­gence comme une attaque per­son­nelle. Alors que je voyais que c’était la manière dont Phi­lippe vou­lait appro­cher son travail.

Cathe­rine Jacques — pro­duc­trice : C’est effec­ti­ve­ment très spé­cial, par rap­port à la norme. On se dit qu’on doit faire du son « : Chut, silence, moteur, ça tourne ! », c’est ça le ciné­ma, appa­rem­ment. Avec Phi­lippe, ça ne se passe pas ain­si, et pour­tant il y a de l’image, du son, cha­cun fait son tra­vail, Jean-Paul Mugel fait le sien, comme ingé­nieur du son. La dif­fé­rence, c’est qu’avant de par­tir dans la grande aven­ture, quand Phi­lippe parle du geste, il s’agit d’un geste unique, tout le monde ensemble. Et ça, on l’a bien com­pris, on est tous d’accord — que ce soit moi, la pro­duc­trice ou le sta­giaire régie. Quand on va sur le film, le pre­mier jour, à la pre­mière minute de tour­nage, on fait tous le même geste, et si on réus­sit ce geste, on réus­sit le film.

Ce que disait Jean-Paul, c’est qu’il n’attend pas que Phi­lippe fasse sa musique, son cirque, tout ce qu’on veut, on s’en fout, ça n’a aucune impor­tance. Moi, je mange des M&Ms quand je fais des devis, ça m’aide. Phi­lippe, lui, a besoin d’écouter de la musique quand il tourne ! Peu importe… Seule­ment, Jean-Paul fait son son, et Phi­lippe sait que Jean-Paul fait son son, comme il sait que son opé­ra­teur fait son image, sa scripte fait son bou­lot, bref que tout le monde fait ce qu’il a à faire. Et le soir, on sait qu’on a tour­né ce qu’on avait à tour­ner, on reprend le len­de­main, et c’est comme ça qu’on filme. C’est une danse, on est joyeux, on est heu­reux, on vit plei­ne­ment ; on n’est jamais autant vivant que quand on est en tour­nage avec Phi­lippe Gran­drieux. Ce n’est pas spec­ta­cu­laire, dans l’idée qu’on a de faire un film. Si quelqu’un arrive sur le tour­nage, il ver­ra qu’on court beau­coup, que ça bouge, mais on tra­vaille ; il n’y a rien d’extraordinaire.

Et pour répondre à la ques­tion sou­le­vée tout à l’heure, je ne suis pas une pro­duc­trice de bande sonore. Du tout ! Je pro­duis plu­sieurs films, plu­sieurs types de réa­li­sa­teurs. Avec Phi­lippe, c’est comme ça que ça se passe. Quand je lis son scé­na­rio, quand il me raconte une his­toire, je vois et j’entends déjà tout. C’est indis­so­ciable. Je ne suis pas en train de me dire « : Oh là là, il va fal­loir que je pro­duise la bande son, que je trouve plus d’argent pour ça ». Ce n’est pas ain­si que ça marche. Il me raconte une his­toire, après il fait tout pour être à peu près prêt, à avoir envie de faire son film, et quand il est vrai­ment au point, je trans­cris avec des chiffres, je l’appelle, il vient s’asseoir à côté de moi, on regarde ça ensemble, on se regarde dans les yeux, on tape et on fait. C’est aus­si simple que ça. Il n’y a pas de ques­tion­ne­ment sur l’importance rela­tive du son, de l’image, des cos­tumes, du maquillage, du décor, du cham­pagne qu’on va boire le soir si on en a envie… Tout est aus­si impor­tant, et ça ne fait qu’un.

Brig­titte Aknin : Drôle de façon de par­ler du son !