Le cynisme de Twitter et Facebook en bloquant les comptes de Trump

L’élite technologique s’arroge le droit du débat public

Source : Pagi­na 12

Tra­duit par ZIN TV

L’U­nion euro­péenne éla­bore depuis un cer­tain temps déjà un cadre juri­dique pour les ques­tions de liber­té numé­rique. Le prin­cipe est que ce qui est illé­gal dans le monde phy­sique l’est aus­si dans la sphère virtuelle.

Les réseaux sociaux tels que Twit­ter et Face­book ont lan­cé le grand net­toyage de nombre de ses comptes, à com­men­cer par celui du même et actuel pré­sident amé­ri­cain Donald Trump, plus 7.000 autres comptes affi­liés à la galaxie de conspi­ra­tion d’ex­trême droite pro-Trump, dont celui du groupe QAnon. Après avoir ouvert la porte à la poli­tique la plus basse et la plus méchante, les chaînes pré­tendent main­te­nant essayer d’empêcher un autre épi­sode violent comme l’in­va­sion du Capi­tole par les Trum­pers, et ce face à la date immi­nente de l’in­ves­ti­ture de Joe Biden.

Selon Twit­ter, une nou­velle attaque contre le Capi­tole était pré­vue pour le 17 janvier.

Cer­tains ont approu­vé le mou­ve­ment, tan­dis que d’autres l’ont consi­dé­ré comme un acte de cen­sure. En Europe, la chan­ce­lière alle­mande Ange­la Mer­kel a qua­li­fié cette déci­sion de “pro­blé­ma­tique”. En France, le ministre des finances Bru­no Le Maire s’est inter­ro­gé sur le fait que le fon­de­ment de la sus­pen­sion des comptes n’est pas un cadre régle­men­taire légal mais que “ce qui est cho­quant, c’est que c’est Twit­ter qui a déci­dé de fer­mer”. Bref, lais­ser l’é­lite tech­no­lo­gique faire et défaire à sa guise et quand cela lui convient, en dehors de toute réfé­rence à une norme natio­nale ou inter­na­tio­nale éla­bo­rée par les États et leurs élus.

La pra­tique du “Moi le Suprême” par les entre­prises mon­diales aux États-Unis n’est pas nou­velle et ne chan­ge­ra pas avec cette attaque contre l’es­sence démo­cra­tique. Jean-Luc Mélen­chon, lea­der de la France Insou­mise (à gauche), a rap­pe­lé que “le com­por­te­ment de Trump ne peut ser­vir de pré­texte au GAFA (Google, Apple, Face­book, Ama­zon) pour s’ar­ro­ger le pou­voir de contrô­ler le débat public. C’est exac­te­ment ce qui s’est pas­sé avec le Pinoc­chio-Pré­sident et Twitter.

D’autre part, Washing­ton applique depuis long­temps une sorte d’ex­tra­ter­ri­to­ria­li­té. Le droit éta­su­nien est uti­li­sé au-des­sus du droit natio­nal, quel que soit le pays dans lequel vous vivez. Les condi­tions d’u­ti­li­sa­tion de Google, de Face­book Apple et même des fran­chises des entre­prises éta­su­niennes font réfé­rence au droit des socié­tés ou au droit du siège social.

En retour, l’in­dus­trie numé­rique a béné­fi­cié, jus­qu’à pré­sent, de l’im­mu­ni­té juri­dique offerte par l’ar­ticle 230 de la loi sur la décence en matière de com­mu­ni­ca­tions. Si Trump est un Pinoc­chio sinistre et que, grâce à son armée numé­rique, il a mis en scène le pre­mier coup d’É­tat de l’ère moderne dans une démo­cra­tie occi­den­tale, ces réac­tions ont quelque chose de cynique. La régle­men­ta­tion euro­péenne ne dit rien ou presque sur la pro­tec­tion des inter­nautes contre l’es­pion­nage mas­sif auquel ils sont sou­mis chaque mil­li­se­conde de leur vie.

La for­tune de ces entre­prises pro­vient essen­tiel­le­ment de la conver­sion de don­nées volées en capital.

Cepen­dant, le débat est néces­saire et sou­lève d’autres ques­tions : pour­quoi serait-il “pro­blé­ma­tique” de fer­mer le compte Twit­ter d’un pré­sident qui a pré­pa­ré un coup d’É­tat en trois étapes (dénon­cer la fraude avant l’é­lec­tion, puis pré­tendre que son élec­tion a été volée et, au final, hui­ler un sou­lè­ve­ment civique) et non celui d’un isla­miste, d’ex­trême droite ou d’ex­trême gauche ? En France, des lois ont conduit à la sus­pen­sion des comptes You­Tube et Face­book de per­son­na­li­tés d’ex­trême droite telles qu’­Her­vé Rys­sen et Alain Soral.

L’U­nion euro­péenne défend sa métho­do­lo­gie car elle déve­loppe depuis long­temps un cadre juri­dique pour ces ques­tions de liber­té numé­rique. Il existe en effet une légis­la­tion euro­péenne qui est en cours d’a­dop­tion. Il s’a­git de la DSA (Digi­ta Ser­vices Act), la loi sur les ser­vices numé­riques, pro­mue par Thier­ry Bre­ton, le com­mis­saire euro­péen char­gé du mar­ché inté­rieur. Le champ d’ap­pli­ca­tion de la DSA ne concerne que les pays de l’U­nion euro­péenne. Par consé­quent, lorsque Trump a appe­lé ses par­ti­sans à enva­hir le Capi­tole, il l’a fait en s’a­dres­sant à son peuple et non à l’Eu­rope. Dans ce cas, la DSA aurait été inutile. Il en aurait été tout autre­ment lorsque Trump a invi­té les Fran­çais à se révol­ter contre leur pré­sident. Thier­ry Bre­ton est celui qui a le mieux tra­cé le pro­blème. Dans un article publié par le média en ligne Poli­ti­co, le com­mis­saire euro­péen a écrit que la prise de contrôle du “Capi­tole est le 11 sep­tembre des réseaux sociaux”.

Bre­ton ajoute le para­doxe visible dans toute cette situa­tion car, jus­qu’à pré­sent, les réseaux sociaux regar­daient ailleurs, comme si le Brexit, Trump et autres bar­ba­ries numé­riques ne les concer­naient pas. A cet égard, Bre­ton note qu’en clô­tu­rant le compte de Trump : “les pla­te­formes recon­naissent leur res­pon­sa­bi­li­té. Ils ne peuvent plus cacher leur res­pon­sa­bi­li­té envers la socié­té en arguant qu’ils n’offrent qu’un ser­vice d’hébergement”.

La loi euro­péenne sur les ser­vices numé­riques repose sur un prin­cipe et un ensemble de règles : le prin­cipe est que ce qui est illé­gal dans le monde phy­sique l’est aus­si dans la sphère numé­rique. Les règles fixées par les 27 pays de l’UE consistent à for­cer les pla­te­formes à appli­quer les lois natio­nales ain­si que les direc­tives euro­péennes. Ils doivent donc sup­pri­mer les conte­nus ter­ro­ristes, les inci­ta­tions à la vio­lence et tout conte­nu illé­gal (pédo­por­no­gra­phie, armes, etc.).

Entre jan­vier 2017 et jan­vier 2021, le pré­sident éta­su­nien a publié 23.234 tweets. La pla­te­forme lui per­met­tait d’in­sul­ter, d’at­ta­quer, de rabais­ser ses adver­saires, de se moquer des autres pré­si­dents, de pro­fé­rer des insultes raciales, de sou­te­nir les vio­lents de droite qui le vénèrent, d’an­ti­ci­per les annonces offi­cielles, de gou­ver­ner sur Inter­net, de dif­fu­ser un mon­tage dans lequel Trump bat­tait un jour­na­liste por­tant un masque de CNN et même d’ap­pe­ler à un sou­lè­ve­ment contre Emma­nuel Macron.

À l’ex­cep­tion des apôtres du numé­rique, les preuves ne man­quaient pas pour mon­trer que la liber­té d’ex­pres­sion n’est pas mani­pu­lée par les “médias de sys­tème” ou autres, mais par les pla­te­formes sociales. C’est là qu’entrent et sortent toutes les merdes que le mar­ché admet. Les réseaux ont auto­ri­sé Donald Trump à conce­voir un coup d’É­tat et, comme il est allé trop loin et que le sang coule dans le Capi­tole, ils sont sou­dai­ne­ment deve­nus les gar­diens de la galaxie. Les socié­tés sont hon­teu­se­ment vul­né­rables aux ten­ta­tions et à la bar­ba­rie des espaces numé­riques. L’a­tout n’a pas été l’ex­cep­tion pré­si­den­tielle mais la confir­ma­tion des capa­ci­tés de ce monstre aux mil­lions de têtes qui s’é­tend sans que, jus­qu’à pré­sent, per­sonne ne puisse trou­ver d’antidote.

C’est contra­dic­toire, mais tout comme per­sonne ne s’est occu­pé du droit de dif­fu­ser ou d’empêcher la pro­pa­ga­tion des déchets toxiques, Trump n’a pas non plus eu droit à son compte. Ils sont les maîtres du monde, sans la moindre ombre de contrôle démo­cra­tique. Le bou­ton de la liber­té se trouve au siège de Google, Face­book, Twit­ter, Ins­ta­gram et d’autres empires numé­riques, et non dans la rue ou dans les Assemblées.

Same­di der­nier, Twit­ter a sup­pri­mé un mes­sage du guide Suprème d’I­ran, Ali Kha­me­nei, décla­rant qu’il n’é­tait pas sage de faire confiance aux vac­cins amé­ri­cains ou bri­tan­niques contre le covid-19. L’é­pi­sode fou et hor­rible de Trump nous montre que, face au pire, la liber­té est entre les mains du pri­vé. Elle repose sur trois mots et un acro­nyme, qui sont les obli­ga­tions aux­quelles les uti­li­sa­teurs des ten­ta­cules numé­riques sont sou­mis : CGU, ” Condi­tions géné­rales d’utilisation “.