Santiago Alvarez, fragments de textes

Textes réunies par Ronnie Ramirez et traduits par Thierry Deronne.

Quelques extraits de la Revis­ta Cine Cubano

Si un jeune se pré­sen­tait devant vous et vous disait : “Je veux fil­mer, je veux créer en ciné­ma”, que lui conseilleriez-vous ?

S.A. : Je lui dirais : tu dois lire d’abord beau­coup de romans d’aventure et ensuite essayer de les vivre.”

“Je me sens plus jour­na­liste que cinéaste et plus révo­lu­tion­naire que jour­na­liste. Le jour­na­lisme ciné­ma­to­gra­phique n’est pas un genre mineur ni un sous-genre. Le déhié­rar­chi­ser, le mélan­ger, et ne pas prendre en compte son indé­pen­dance d’autres genres ciné­ma­to­gra­phiques, signi­fie­rait une erreur d’appréciation du conte­nu et de la forme. (…) L’usage des struc­tures de mon­tage per­met que l’actualité ori­gi­na­le­ment fil­mée se ré-éla­bore, s’analyse et se situe dans le contexte qui la pro­duit en lui confé­rant une plus grande capa­ci­té et une per­ma­nence qua­si illimitée.”

“Comme dit José Mar­ti le jour­na­liste tient tel­le­ment du sol­dat … Parce qu’en défi­ni­tive nous sommes char­gés d’offrir au monde d’aujourd’hui, ou se débattent des pro­blèmes fon­da­men­taux de vie ou de mort, de libé­ra­tion natio­nale ou d´impérialisme, une infor­ma­tion de cette lutte.”

“Le tra­vail docu­men­taire, je l’ai tou­jours réa­li­sé sans connaître préa­la­ble­ment ce qui va se pro­duire. La sur­prise est un élé­ment impor­tant de mes œuvres fil­miques. Tout est pris de la réa­li­té, sans scé­na­rios pré­fa­bri­qués ni res­sorts impor­tés. A part Now (qui est une recons­truc­tion a par­tir de pho­tos) toutes mes œuvres fil­miques sont sor­ties de la réa­li­té. Je ne fais jamais de scé­na­rio dans mes docu­men­taires. Le scé­na­rio est éla­bo­ré dans La salle de mon­tage, même si j’ai tou­jours une idée préa­lable de la struc­ture que va pos­sé­der le documentaire.”

“Le jour­nal d’actualités de l’ICAIC est un pro­duit essen­tiel­le­ment infor­ma­tif. Oui, mais pas uni­que­ment. Et bien que ce soit sa carac­té­ris­tique Il n’a pas à être négli­gé ni à se conver­tir en chro­nique socia­liste, en sui­vant La ligne conven­tion­nelle des jour­naux télé­vi­sés, qui est une suite de nou­velles ran­gées par sec­tions, sans lien. Ma pré­oc­cu­pa­tion n’a pas été de rendre indé­pen­dantes les nou­velles mais de les assem­bler pour qu’elles appa­raissent au spec­ta­teur comme un tout, comme une seule ligne dis­cur­sive. Ce sou­ci de “docu­men­ta­lur­gie” pro­duit une struc­ture déli­bé­rée pour atteindre l’unité, que j’appelle “mono-thé­ma­tique”, qui traite une thèse sous divers aspects, sous diverses contra­dic­tions. D’où le fait que cer­tains clas­si­fient notre jour­nal comme docu­men­taire. Comme disait Grier­son, “le docu­men­taire est le trai­te­ment créa­teur de la réalité.”

“Le mon­tage, c’est le plus impor­tant. Tout, même la vie, est com­po­sé de séquences, est un mon­tage ciné­ma­to­gra­phique. Cela dépend de l’imagination et de com­ment s’organisent les élé­ments. Voyez les dis­cours de Fidel. Ce sont les meilleurs exemples de ce qu’est un bon scé­na­rio. Fidel s’exprime comme s’il uti­li­sait des séquences ciné­ma­to­gra­phiques, il struc­ture des images rétros­pec­tives et pros­pec­tives, fait un mon­tage didac­tique, dyna­mique, moderne et com­mu­ni­ca­tif à la fois. C’est cela, pré­ci­sé­ment, le ciné­ma : un art de masses. Les pro­blèmes com­mencent quand les cinéastes oublient ce prin­cipe et en per­dant le temps et en font perdre aux autres.”

“Com­ment je fais un film ? Je ne me suis jamais arrê­té à déve­lop­per une théo­rie. La révo­lu­tion cubaine, la dyna­mique quo­ti­dienne de la révo­lu­tion, telles ont été les réfé­rences, (par­fois sans m’en rendre compte) de la forme et du conte­nu de mes docu­men­taires. Il existe une rela­tion très étroite entre ce que je fais et ce qui se passe dans mon pays.”

Je ne peux com­prendre com­ment quelqu’un peut tra­vailler sans contact avec son peuple ou avec le monde dans lequel il vit. San­tia­go Alvarez

“Mon tra­vail m’oblige constam­ment à confron­ter les réa­li­tés de mon peuple et aus­si celles de ceux qui sont contre mon peuple. D’une part je me sens impul­sé par ceux qui sont contre mon pays et contre la révo­lu­tion cubaine ; d’autre part par le pro­ces­sus de construc­tion que je vois se déve­lop­per dans ma patrie.”

“Confronter cette réalité”. 

Il ne s’agit pas d’une théo­rie. Je ne le sors pas des livres. Per­sonne ne vient vers moi pour en par­ler. Je bouge et je vais moi-même confron­ter cette réa­li­té. Tout artiste, tout intel­lec­tuel, tout per­sonne qui vit dans n’importe quel pays – pas seule­ment à Cuba – et qui est réel­le­ment inté­res­sée par les pro­blèmes de son pays sait que la meilleure manière de les obser­ver, de les sur­prendre, c’est de confron­ter les réa­li­tés de son propre pays.

Je voyage de la Havane vers l’Orient. Je connais mon pays d’est en ouest : les recoins de chaque ville, les rues, les gens, même l’air, parce que de temps à autre je voyage en héli­co­ptère et je regarde mon pays depuis le haut. On se rend alors compte des chan­ge­ments, de même que depuis le bas : nou­veaux bar­rages, nou­veaux che­mins – et ici j’utilise le vocable phy­si­que­ment, parce que mon pays suit, aus­si, de nou­veaux che­mins, spi­ri­tuel­le­ment et philosophiquement.

Évi­dem­ment tout cela influe sur mon tra­vail. S’il n’en était ain­si je serais une per­sonne insen­sible, jamais un artiste. Toute per­sonne qui se pro­clame artiste doit avoir une sen­si­bi­li­té. Celle que je peux avoir n’est en rien extra­or­di­naire. Cer­tai­ne­ment il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait que l’on reflète dans son tra­vail ce qui se pas­sé autour de soi.

Je ne peux par­ler par arti­fices. Je recrée la réa­li­té. Mais je ne suis pas une camé­ra, je ne pho­to­gra­phie pas sim­ple­ment la réa­li­té. Je crois qu’on doit se mettre dans les choses. Je ne crois pas dans l’objectivité de per­sonne ni de rien. L’objectivité est un faux pré­texte dont on se drape pour trom­per le peuple. Je suis tou­jours très sub­jec­tif. Je suis très partial.

Je res­sens une grande pas­sion pour mon tra­vail et pour mon pays. Je ne peux com­prendre com­ment quelqu’un peut tra­vailler sans contact avec son peuple ou avec le monde dans lequel il vit.

La relation du cinéaste du tiers-monde avec sa réalité

Un homme ou un enfant qui meurt de faim ou de mala­die de nos jours ne peut être un spec­tacle qui nous fait attendre le jour, demain ou après-demain, le faim et la mala­die dis­pa­raissent sous l’effet de la gra­vi­ta­tion. Dans ce cas l’inertie est com­pli­ci­té ; le confor­misme est inci­dence avec le crime.

D’où le fait que l’angoisse, le déses­poir, l’anxiété, soient des res­sorts inhé­rents à la moti­va­tion de tout cinéaste du Tiers Monde. Les craintes de ce que l’immédiateté, l’urgence, la dyna­mique d’un pro­ces­sus comme le notre et du monde en géné­ral briment, abîment les pos­si­bi­li­tés de créa­tion de l’artiste, craintes encore très éten­dues, sont d’une cer­taine manière des pré­ju­gés contre la pos­si­bi­li­té de créer des œuvres d’art qui peuvent être consi­dé­rées comme des armes de combat.

Dans une réa­li­té convul­sive comme la nôtre, comme celle que vit le tiers-monde, l’artiste doit se faire vio­lence pour être ame­né consciem­ment a une ten­sion créa­trice dans sa pro­fes­sion. Sans idées pré­con­çues, ni pré­ju­gées sur le fait de pro­duire une œuvre artis­tique mineure ou infé­rieure, le cinéaste doit abor­der la réa­li­té avec hâte, avec pas­sion. Sans se pro­po­ser de “rabais­ser” l’art ni de faire de la péda­go­gie, l’artiste doit com­mu­ni­quer et contri­buer au déve­lop­pe­ment cultu­rel de son peuple. Et sans ces­ser d’assimiler les tech­niques modernes d’expression des pays hau­te­ment indus­tria­li­sés, il ne doit pas se lais­ser empor­ter non plus par les struc­tures men­tales des créa­teurs des socié­tés de consommation.

Il serait absurde de nous iso­ler d’autres tech­niques d’expression externes au Tiers Monde et de ses apports pré­cieux et indis­cu­tables au lan­gage ciné­ma­to­gra­phique mais confondre avec l’assimilation de tech­niques d’expression avec des modes men­taux et tom­ber dans une imi­ta­tion super­fi­cielle de ces tech­niques, n’est pas a conseiller (et pas seule­ment dans le ciné­ma). Il faut par­tir des struc­tures qui condi­tionnent le sous-déve­lop­pe­ment et les par­ti­cu­la­ri­tés de chaque pays. Un artiste ne peut ni ne doit oublier cela en s’exprimant.

La liber­té est néces­saire à toute acti­vi­té intel­lec­tuelle, mais l’exercice de cette liber­té s’opère en lien direct avec le déve­lop­pe­ment d’une société.

Le sous-déve­lop­pe­ment, sous-pro­duit impé­ria­liste, noie la liber­té de l’être humain. Le pré­ju­gé est à son tour, un sous-pro­duit du sous-déve­lop­pe­ment ; il pro­li­fère dans l’ignorance. Le pré­ju­gé est immo­ral parce que les pré­ju­gés agressent injus­te­ment l’être humain. Pour ces mêmes rai­sons, sont immo­raux le confor­misme, la pas­si­vi­té, la bulle intellectuelle.
Arme et com­bat sont des mots qui font peur, mais le pro­blème est de se marier avec La réa­li­té, avec son pouls… et d’agir (comme cinéaste).

Ain­si on perd la peur face aux mots charges de conte­nu péjo­ra­tif, dans les­quels sou­vent le créa­teur s’aliène. Il faut récu­pé­rer des concepts de posi­tions face a la réa­li­té et a l’art qui se sont per­dues par des défor­ma­tions bureau­cra­tiques. La peur de tom­ber dans l’apologétique, voir l’engagement du créa­teur, de son œuvre comme une arme de com­bat en oppo­si­tion avec l’esprit cri­tique consub­stan­tiel à la nature de l’artiste, n’est qu’une peur irréelle et sou­vent per­ni­cieuse. Parce que les armes de com­bat pour nous sont autant la cri­tique dans la révo­lu­tion que la cri­tique vis-à-vis de l’ennemi puisqu’elles sont des varié­tés d’armes de com­bat. On ne peut par consé­quent “uni­la­té­ra­lisme” l’arme de com­bat. Ces­ser de lut­ter contre le bureau­cra­tisme dans le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire est aus­si néga­tif que de ces­ser de lut­ter contre l’ennemi par pho­bies phi­lo­so­phiques paralysantes.

Je ne crois pas dans le ciné­ma pré­con­çu. Je ne crois pas dans le ciné­ma pour la pos­té­ri­té. La nature sociale du ciné­ma demande une res­pon­sa­bi­li­té majeure de la part du cinéaste. Cette urgence du tiers-monde, cette impuis­sance créa­trice chez l’artiste pro­dui­ra l’art de cette époque, l’art de la vie des deux tiers de la popu­la­tion mon­diale. Dans le tiers-monde, il n’y a pas de grandes zones d’élite intel­lec­tuelle ni de niveaux inter­mé­diaires qui faci­litent la com­mu­ni­ca­tion du créa­teur avec le peuple. Il faut prendre en compte la réa­li­té dans laquelle on tra­vaille. La res­pon­sa­bi­li­té de l’intellectuel du tiers-monde est dif­fé­rente de celle de l’intellectuel du monde déve­loppe. Si on ne com­prend pas cette réa­li­té, on est hors d’elle, on est intel­lec­tuel a moi­tié. Pour nous cepen­dant Cha­plin est un hori­zon car son œuvre pleine de génie et d’audace a ému autant l’analphabète que le plus culti­vé, le pro­lé­taire comme le paysan.

“El mun­do”, 1968, revue (“Tri­con­ti­nen­tale”)

Entretien de Santiago Alvarez par Enrique Colina

Dans les deux entre­prises de tour­nage d’actualités qui exis­taient à Cuba avant La révo­lu­tion, n’existaient que des objec­tifs sans focale majeure que 75mm. Le texte qui accom­pa­gnait l’image de chaque actua­li­té avait son prix et l’on pre­nait bien soin de ne pas ins­crire le nom du spon­sor qui n’ait pas apporte son argent. Cette gri­saille infor­ma­tive n’allait pas au-delà du plan géné­ral au plan moyen, et le métrage était ven­du au peso. Les pre­miers plans ou close-up décou­verts et uti­li­sé par Grif­fith en 1915 coû­taient quelques pesos de plus a qui sou­hai­tait que son visage appa­rut sur les écrans cita­dins, ceux qui payaient disaient com­ment ils vou­laient que leur visage appa­raisse. Le contre-champ, aus­si vieux que le ciné­ma lui-même, était pra­ti­que­ment aboli.

Les pre­mières actua­li­tés que nous avons pro­duites ont été influen­cées par les JT tra­di­tion­nels. Ils n’étaient pas révo­lu­tion­naires au sens for­mel mais le conte­nu, oui. Ce n’est qu’après en avoir réa­li­sé une ving­taine que nous avons com­men­cées à cher­cher des formes nouvelles.

Dzi­ga Ver­tov n’a exer­cé aucune influence sur mes films, je ne l’ai décou­vert que plus tard. Évi­dem­ment l’expérience qu’il a vécu, une révo­lu­tion, fut simi­laire a celle que nous avons vécue.

Dans le dépar­te­ment d’actualités nous avons un groupe de cadreurs et j’ai tra­vaillé avec tous. (…) Je crois qu’une équipe de tra­vail, un tra­vail col­lec­tif est très impor­tant. Sou­vent j’ai tra­vaille avec deux ou cinq cadreurs en même temps. (…)

Nous, les réa­li­sa­teurs, nous ne sommes pas des étran­gers, nous sommes une par­tie du peuple, et nos films naissent d’une réa­li­té par­ta­gée. Si nous pen­sions que nous sommes un groupe pri­vi­lé­gié, sans doute ferions-nous des films qui ne com­mu­niquent qu’avec une mino­ri­té ou avec une groupe éli­tiste. (…) S’il y a un livre, ou une his­toire, ou une idée d’un des membres de l’ICAIC, on dis­cute entre tous et c’est notre conscience poli­tique qui dit si un film peut-être fait ou si l’idée est bonne, c’est la seule cen­sure que nous pra­ti­quons. On ne peut pas faire un film raciste et nous ne vou­lons pas employer nos res­sources a faire des films pornographiques.

E.C. Le jour­nal de l’ICAIC qui a main­te­nu une posi­tion d’avant-garde est tom­bé der­niè­re­ment dans la réité­ra­tion de thèmes en négli­geant à mon sens la spé­ci­fi­ci­té du carac­tère d’une infor­ma­tion fil­mique anti-conven­tion­nelle et sa pos­si­bi­li­té de péné­trer la réa­li­té sans la pres­sion de l’immédiateté requise par la dif­fu­sion quo­ti­dienne d’un jour­nal télévisé.

S. A. Par­fois l’immédiateté vient du carac­tère même de l’information. Et Il n’y a pas de rai­son valable pour ne pas la prendre en compte. Face à l’ennemi qui tire, seul un tir immé­diat est effi­cace. C’est une conven­tion qua­si inévi­table. Le rejet des conven­tions struc­tu­relles ou expres­sives, la recherche d’une effi­ca­ci­té fil­mique, poli­tique, la haine de la rhé­to­rique est notre devise. Mais cette devise ne doit pas recou­vrir un nou­veau dogme. (…) Il y a un seul mode réel d’être anti-conven­tion­nel, c’est celui d’aborder la révo­lu­tion et ses tâches depuis tous les angles, avec toutes les res­sources, sans renon­cer à aucune. (…) Main­te­nant les 58 édi­tions qui sont sor­ties depuis le début de l’offensive révo­lu­tion­naire ont eu la pré­oc­cu­pa­tion que tu décris : jour­naux télé­vi­sés mono­thé­ma­tiques, ou JT sans divi­sion ni com­par­ti­men­ta­tion de news… Pour­quoi ? Parce que pour pou­voir pro­duire mieux dans notre réa­li­té avec des news com­par­ti­men­tées d’une à trois minutes, cela devient plus dif­fi­cile que si tu dis­poses des neuf minutes qu’a com­mu­né­ment une actua­li­té heb­do­ma­daire à l’écran. Même comme cela ces neuf minutes sont trop courtes et limitent par­fois la pos­si­bi­li­té de déve­lop­per cor­rec­te­ment une idée déter­mi­née. Il y a une erreur dans la com­pa­rai­son que tu fais entre le jour­nal télé­vi­sé et le ciné­ma, parce que même si appa­rem­ment il y a une immé­dia­te­té requise pour l’élaboration quo­ti­dienne du JT, le pro­ces­sus sui­vi dans l’un et dans l’autre cas, com­pense par le carac­tère heb­do­ma­daire du jour­nal ciné­ma­to­gra­phique, le carac­tère quo­ti­dien des JT. Le pro­ces­sus indus­triel qu’on suit pour l’élaboration de la bande sonore du JT de ciné­ma, le rend plus dif­fi­cile que celui qu’on suit pour don­ner du “son” au JT de la télé­vi­sion. Dans celui-ci le nar­ra­teur est presque tou­jours dans une cabine et non sur “la bande optique” du jour­nal ciné­ma­to­gra­phique. Et si nous par­lons des pel­li­cules, réver­sibles et immé­dia­te­ment mon­tables dans le cas du JT quo­ti­dien, la nôtre est du néga­tif, et le pro­ces­sus à l’ICAIC est le même que pour les documentaires.

Par ailleurs nous avons intro­duit dans nos JT des struc­tures docu­men­taires dans le but de doter l’information d’un carac­tère per­ma­nent. La néces­si­té nous a obli­gés à cher­cher une forme nou­velle, dif­fé­rente des JT. Dans un pays, qui dis­pose de cinq cent ciné­mas et ou nous ne pou­vons tirer que 40 copies pour la dis­tri­bu­tion, Il est absurde qu’au bout de deux ou trois mois on fasse cir­cu­ler une infor­ma­tion qui per­du toute actualité (…)

E.C.: San­tia­go, au début de cette inter­view, tu expri­mais la néces­si­té d’une modi­fi­ca­tion dans le tra­vail de nos médias pour qu’ils répondent mieux aux besoins nou­veaux créés par le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire. Cepen­dant il n’est pas dif­fi­cile de véri­fier que les exi­gences ana­ly­tiques, réflexives et cri­tiques que l’offensive révo­lu­tion­naire a pro­po­sées (et conti­nue de pro­po­ser) pour que nos médias servent d’appui et d’aide à la trans­for­ma­tion de notre réa­li­té, n’ont pas été satisfaites.

S.A.: Nous croyons que les médias infor­ma­tifs de notre pays ont été à la traîne de cette exi­gence à laquelle tu te réfères. Sou­vent par inca­pa­ci­té, par peurs infon­dées et sur­tout, par imma­tu­ri­té et par igno­rance. J’estime qu’avec l’imagination et une vision cultu­relle et poli­tique majeure, on peut satis­faire de manière adé­quate ce besoin.

E.C.: Il existe une édi­tion du JT qui dépasse des 57 autres que j’ai pu regar­der. C’est celui consa­cré à la Jour­née Inter­na­tio­nal de la Femme : C’est inté­res­sant parce que géné­ra­le­ment la ten­dance de l’information est de se tour­ner vers l’aspect de la trans­for­ma­tion maté­rielle, en négli­geant La réper­cus­sion que celle-ci a dans La conscience et dans La conduite de hommes. Pour­quoi ne pas faire davan­tage de JT de ce type qui signalent la trans­for­ma­tion qu’opère notre socié­té entre ses membres et ses relations ?

S.A.: (..) Ce JT sur les femmes que tu cites en exemple s’est fait avec des camé­ras 16mm récem­ment acquises qui font moins de bruit et sont plus utiles pour ce type d’enquêtes. Ceci amène d’autres dif­fi­cul­tés car le maté­riel fil­mique 16mm doit être trans­fère en 35mm et cela prend du temps. (..)

Ceci ne veut pas dire que le free-cine­ma ou les inter­views soient le seul moyen pour appro­fon­dir un thème. De toutes manières, il y a cer­taines obli­ga­tions aus­si qui font que le JT ne peut maté­riel­le­ment tout abor­der… mais bon… on a des com­pa­gnons docu­men­ta­listes et ceux du ciné­ma-fic­tion qui pou­vaient appro­fon­dir davan­tage notre réa­li­té, même si cer­tains l’ont fait.

E.C.: Le JT détecte sans néces­si­té d’approfondissement exhaus­tif, un cer­tain type de trans­for­ma­tion, et extraire de l’obscurité un cer­tain évè­ne­ment impor­tant. Ce n’est pas l’exigence d’approfondissement d’un thème car il y a des limi­ta­tions maté­rielles qui l’empêchent et c’est une fonc­tion propre aux docu­men­taires. Mais dans le cas du JT sur le jour inter­na­tio­nal de la femme, il a détec­té un élé­ment qu’on n’avait pas trai­té anté­rieu­re­ment et il le met en relief. J’aimerais à pré­sent que tu me parles de la fonc­tion d’agitation et poli­tique du JT.

S.A.: Il y a peu Fidel a pro­po­sé la néces­si­té de nous orga­ni­ser mieux et plus (…) Sou­vent les limites sub­jec­tives dont il parle sont pré­sentes à l’heure de résoudre les pro­blèmes. On pour­rait résoudre les pro­blèmes, mais nous nous blo­quons men­ta­le­ment et nous ne les résol­vons pas, en reje­tant La faute sur l’impérialisme. Je crois que les médias infor­ma­tifs doivent nous inci­ter à une meilleure orga­ni­sa­tion, pour détec­ter des pro­blèmes, avoir un radar per­ma­nent pour loca­li­ser nos défi­ciences. (…) Le slo­gan ennuie les gens quand il est mal uti­li­sé, cela crée un blo­cage men­tal qui insen­si­bi­lise le des­ti­na­taire à un moment don­né. Il est impor­tant que le ton infor­ma­tif dans notre pays acquière une autre pers­pec­tive et une autre inten­tion. Nous sommes au moment où il faut chan­ger de ton. Nous devons uti­li­ser de nou­velles formes d’expression et avec elles, de nou­veaux contenus.

“Nous n’avons pas, mal­heu­reu­se­ment, de bombe ato­mique. Notre bombe, c’est le cinéma.

“Quand les médias seront vrai­ment aux mains du peuple, alors le ciné­ma sera aux mains du peuple. Il ne faut pas déses­pé­rer, enfin, s’il faut perdre patience ! En atten­dant il faut faire du ciné­ma avec les moyens dont on dis­pose, comme on peut, car on ne peut ces­ser d’être en contact avec le peuple. Et si on n’a pas de camé­ra, ni de pel­li­cule, qu’on fasse des pho­tos et des dia­po­si­tives et qu’on les pro­jette mais il faut com­mu­ni­quer avec le peuple d’une manière ou d’une autre, sans attendre de meilleures condi­tions, avec une sirène, un haut-par­leur, il faut aller dans la mon­tagne et aller dans la cam­pagne et pro­je­ter ce qu’on a. Le reste vient avec ce dyna­misme, dans le pro­ces­sus lui-même…”

“J’essaie d’utiliser le moins pos­sible la nar­ra­tion ver­bale. Le ciné­ma a son lan­gage propre qui bien qu’il n’exclut pas la parole ne dépend pas d’elle. Nous dis­po­sons de l’image, de la bande sonore (avec musique et effets) et même des silences pour nous expri­mer. Avec tout cela on peut tis­ser une nar­ra­tion. Le mon­tage, c’est le plus impor­tant. Tout, même la vie, est com­po­sé par séquences et est un mon­tage cinématographique.”


79 prin­temps (79 pri­ma­ve­ras) Réa­li­sa­tion : San­tia­go Alva­rez [Cuba, 1969, 25 min, 35 mm, VOSTF] — Bio­gra­phie de Ho Chi Minh, poète et homme poli­tique, consi­dé­ré comme le maître incon­tes­té du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire viet­na­mien. Ce docu­men­ta­riste enga­gé dans la révo­lu­tion cubaine réa­lise des films mili­tants pleins d’in­ven­ti­vi­té « uti­li­sant des élé­ments d’i­mages com­po­sites (pho­tos, archives télé­vi­suelles, col­lages, des­sins et cari­ca­tures, textes écrits), assem­blés grâce à un mon­tage très ori­gi­nal et dyna­mique, en rela­tion avec des bandes-son où les brui­tages et la musique tiennent davan­tage de place que le clas­sique com­men­taire idéo­lo­gique. » (Jean-Michel Frodon)

Conduite des textes de “79 printemps”

Ils ont atta­ché une corde à mes jambes

Ils m’ont atta­ché les bras…

Je donne toute ma vie à mon peuple

30 prin­temps

Par­ti­ci­pa à la fon­da­tion du Par­ti Com­mu­niste de France (1920)

35 prin­temps

À Can­ton (Chine) il fonde la Ligue des peuples Oppri­més d’Asie (1925).

40 prin­temps

À Hong-Kong fonde le Par­ti Com­mu­niste du Viet­nam (1930)

51 prin­temps

Fonde la Ligue de l’Indépendance du Viet­nam (1941)

55 prin­temps

Lutte contre les colo­nia­listes fran­çais et les fas­cistes japo­nais (1945 – 45). La révo­lu­tion d’Août et la Pro­cla­ma­tion de l’Indépendance.

Voix de Ho Chi Minh

“Com­pa­triotes, levez-vous!”

“Hommes et femmes, jeunes et vieux, si vous êtes citoyens viet­na­miens vous devez vous lever pour com­battre les colo­nia­listes fran­çais et sau­ver la patrie. Que ceux qui pos­sèdent des fusils, qu’ils les uti­lisent. Que ceux qui ont des sabres, qu’ils uti­lisent les sabres, et ceux qui n’ont pas de sabres, qu’ils uti­lisent des épées, des houes et des bâtons. Tous doivent se consa­crer à faire face aux colo­nia­listes et à sau­ver le pays.”

64 prin­temps

Vic­toire de Diên Biên Phu contre le colo­nia­lisme fran­çais (1954).

Ils ont com­men­cé à tuer pour vaincre

Et main­te­nant ils tuent parce qu’ils ne peuvent pas vaincre.

Qui pour­ra appré­cier ta gloire, printemps ?

Elles sont un creu­set, les peines qui trempent mon esprit

Et forge mon cœur d’acier pur.

76 prin­temps

Rien n’est plus pré­cieux que la liber­té et l’indépendance (1966) : Voix de Le Duan (sur le tes­ta­ment poli­tique de Ho Chi Minh)

“Nos fleuves, nos mon­tagnes, nos hommes res­te­ront tou­jours. Les yan­quis vain­cus, nous construi­rons une patrie dix fois plus belle. Peu importent les dif­fi­cul­tés et les souf­frances que nous apporte le futur, notre peuple est sûr d’obtenir la vic­toire totale. Les impé­ria­listes yan­kees devront se reti­rer, notre patrie sera réuni­fiée. Nos com­pa­triotes du nord et du sud s’uniront de nou­veau sous le même toit.”

On a bien vécu si une vie a été consa­crée à tra­vailler pour le peuple.