Un instrument de contrôle citoyen de la police est nécessaire

Par Mathieu Beys

Vous pou­vez écou­ter le pro­gramme de radio panik (avec en invi­té Mathieu Beys, un édu­ca­teur, un membre de la JOC) : Que font les jeunes face à la police ?

Quels droits face à la police ? Manuel juri­dique et pratique

Être infor­mé de ses droits, c’est bien. Agir pour les faire res­pec­ter, c’est mieux. Ce manuel contri­bue à ren­for­cer le contrôle démo­cra­tique de la police par celles et ceux qu’elle est cen­sée pro­té­ger et ser­vir. Pour en finir avec cer­taines légendes urbaines qui poussent au fata­lisme, nous vous invi­tons à vous acqué­rir dans les meilleures librai­ries cet indis­pen­sable ins­tru­ment d’in­for­ma­tion, qui est éga­le­ment un moyen pour pas­ser à l’action.

Juriste et licen­cié en his­toire (ULB), Mathieu Beys a été avo­cat au Pro­gress Lawyers Net­work avant de conseiller tra­vailleurs sociaux et étran­gers en séjour pré­caire dans une ONG. Il est aus­si char­gé d’exercices à l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Observatoire des vio­lences poli­cières de la Ligue des droits de l’Homme.

Voi­ci quelques extraits du manuel avec l’ai­mable auto­ri­sa­tion de l’é­di­teur Cou­leur livres.

droits-police.jpg

Mathieu BEYS, Quels droits face à la police, ISBN 978 – 2‑87003 – 654‑9 Ce livre est paru aux Edi­tions Cou­leur livres — www.couleurlivres.be Le livres est en vente chez votre libraire pré­fé­ré ou à défaut : • Cépages ave­nue Jean Vol­ders, 22 à 1060 Bruxelles • rue André Mas­que­lier, 4 à 7000 Mons. tél. : 00 32 65 82 39 44 ou en le com­man­dant par cour­riel : • commandes@couleurlivres.be • edition@couleurlivres.be Vous pou­vez consul­ter le site du livre : www.quelsdroitsfacealapolice.be


Parce qu’un ins­tru­ment de contrôle citoyen de la police est néces­saire (Page 25)

La manière dont la police est contrô­lée en Bel­gique est loin d’être idéale. En effet, pour le Comi­té des droits de l’homme de l’O­NU, “des doutes sub­sistent sur l’in­dé­pen­dance et l’ob­jec­ti­vi­té du Comi­té P et sur la capa­ci­té de ce der­nier à trai­ter dans la trans­pa­rence les plaintes por­tées à l’en­contre des fonc­tion­naires de police”[[2 Comi­té des droits de l’homme de l’O­NU, 18 novembre 2010, CCPR/C/BEL/CO/5, p. 4, point 15.]]. L’ONU ne fait donc pas vrai­ment confiance au Comi­té P pour contrô­ler la police. Et pour cause, son ser­vice “enquête” est com­po­sé en grande par­tie de poli­ciers tem­po­rai­re­ment déta­chés de leur service[[Comité contre la tor­ture de l’O­NU, 19 jan­vier 2009, CAT/C/BEL/CO/2, p. 5, § 11 : Comi­té contre la tor­ture de l’O­NU, Obser­va­tions finales, Bel­gique, CAT/C/BEL/CO/3, 18 novembre 2013, § 13.]]. Pour l’O­NU le Comi­té P et son ser­vice enquête devrait être com­po­sé “d’ex­perts indé­pen­dants recru­tés a l’ex­té­rieur de la police”[[Comité contre la tor­ture de l’O­NU, Obser­va­tions finales, Bel­gique, CAT/C/BEVCO/3, 18 novembre 2013, § 13.]] mais l’É­tat fait la sourde oreille et, pour le moment, on aurait bien du mal à y trou­ver un repré­sen­tant de la socié­té civile (méde­cin, avo­cat, ONG, citoyens, cher­cheurs, universitaires…).

Dans les pays anglo-saxons, le contrôle citoyen de la police (Citi­zen review) existe depuis belle lurette et son prin­cipe est tota­le­ment accep­té, y com­pris par la hié­rar­chie policiers[[The Inter­na­tio­nal Asso­cia­tion of Chiefs of Police, “Police Accoun­ta­bi­li­ty and Citi­zen Review. A Pro­ject Res­ponse Publi­ca­tion”, novembre 2000, www.theiacp.org/]], Des orga­ni­sa­tions de contrôle tota­le­ment indé­pen­dantes de la police ont été mises en place aux Etats-Unis dès les années 1970 pour ren­for­cer la police accoun­ta­biii­ty (l’o­bli­ga­tion pour la police de rendre des comptes au citoyen), Outre-Atlan­tique, la socié­té civile s’or­ga­nise pour assu­rer une aide juri­dique et Stra­té­gique de qua­li­té aux vic­times d’a­bus policiers[[Aux Etats-Unis, voir notam­ment le pro­jet de la Natio­nal Lawyers Guild, une orga­ni­sa­tion d’a­vo­cats qui four­nit conseils juri­diques et avo­cats aux vic­times d’a­bus poli­ciers, www.nlg-npap.org/

Au Cana­da, voir le Centre for Police Accoun­ta­bi­li­ty (C4PA), www.c4pa.ca]]. Sur le vieux conti­nent, le Conseil de l’Eu­rope féli­cite les “groupes mobiles d’as­sis­tance juri­dique” qui, en Rus­sie, sur­veillent les forces de l’ordre et aident les vic­times d’a­bus à obte­nir enquête et répa­ra­tion en justice[[Rapport de l’As­sem­blée par­le­men­taire du Conseil clé l’Eu­rope (Dick MARTY), Recours juri­diques en cas de vio­la­tions de droits de l’homme dans la région du Cau­case du Nord, 31 mai 2010, p. 10, n°12i]].

Et en Bel­gique ? On semble avoir deux guerres de retard. Les poli­ciers, par­fois encou­ra­gés par leur hié­rar­chie, semblent tota­le­ment aller­giques a l’i­dée d’être sur­veillés par les citoyens. Cer­tains n’hé­sitent pas à faire pas­ser pour des délin­quants ceux qui se risquent à les obser­ver, alors que pho­to­gra­phier ou fil­mer des poli­ciers en action ou en infrac­tion n’est abso­lu­ment pas inter­dit et que, juri­di­que­ment, les délin­quants seraient plu­tôt a recher­cher par­mi les agents qui inti­mident les jour­na­listes ou effacent les pho­tos ou films pris par des citoyens trop curieux à leur goût. Quand des Legal Teams, équipes d’a­vo­cats et d’é­tu­diants, ont été mises en place pour obser­ver l’ac­tion de la police lors de mani­fes­ta­tions alter­mon­dia­listes en 2001[[Annemie SCHAUS et Anne MAESSCHALK, “Les legal teams : quand les juristes des­cendent dans la rue”, Jour­nal du juriste, 25 juin 2002, pp. 1 et 9.]], cette ini­tia­tive a été très mal res­sen­tie par cer­tains poli­ciers qui ont ten­té de la criminaliser.

Un peu plus tard, l’i­ni­tia­tive de la Ligue arabe euro­péenne (AEL) pour sur­veiller les inter­ven­tions poli­cières suite à des inci­dents racistes récur­rents dans la région anver­soise a déchaî­né des réac­tions hys­té­riques peu habi­tuelles dans une démo­cra­tie. En 2002, son ini­tia­teur Abou Jah­jah était arrê­té par la jus­tice anver­soise quelques heures après que Guy Verhof­stadt. Pre­mier ministre de l’é­poque, ait décrit, depuis la tri­bune du par­le­ment, l’AEL comme une orga­ni­sa­tion cri­mi­nelle qui pour­rait être inter­dite en cas de besoin, sur base de l’ac­tion que la jus­tice “déci­de­ra d’en­tre­prendre dans les jours et heures qui viennent”[[Réponse a la ques­tion de Marc Van Peel sur “les émeutes à Anvers après la mort de Moha­med Achrak”, Ann. Ch., 28 novembre 2002, CRIV 50 PLEN 284, p.10]]. Rapi­de­ment relâ­ché, il fau­dra attendre 2008 pour que l’af­faire ne se dégonfle comme une bau­druche par un acquittement[[Voir Anvers, 20 octobre 2008, n°248, extraits sur www.juridat.be]], par ailleurs, la police incite de plus en plus les citoyens à dénon­cer la délin­quance et les faits sus­pects obser­vés dans leur quar­tier, à grand ren­fort de cam­pagnes et d’é­mis­sions télé­vi­sées Mais lors­qu’il s’a­git de faire le ménage dans ses propres écu­ries, l’aide du citoyen n’est plus du tout la bien­ve­nue. “Lais­sez Faire les ins­tances offi­cielles et cir­cu­lez !”, entend-on. Cer­tains poli­ciers — et poli­ti­ciens — ne semblent pas com­prendre qu’un contrôle citoyen est non seule­ment inévi­table (à l’ère du numé­rique, la moindre bavure publique est visible sur inter­net dans les heures qui suivent) mais indis­pen­sable dans une socié­té véri­ta­ble­ment démocratique.

(…)

Peut-on per­qui­si­tion­ner ma rédac­tion ou mon domi­cile si je suis jour­na­liste ? (Page 262)

OUI, il n existe aucune inter­dic­tion géné­rale de per­qui­si­tion­ner chez moi ou à ma rédac­tion pour y trou­ver des objets liés à des infractions.

MAIS, il est inter­dit d’or­ga­ni­ser une per­qui­si­tion ou une visite “concer­nant (les don­nées rela­tives (a mes) sources d’information”[[Cass., 2 juin 2010, P. 10.0247.F.]], même pour retrou­ver des docu­ments volés (ou issus d’une vio­la­tion du secret professionnel[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 5.]]) que j’ai uti­li­sés pour infor­mer le public. Cette inter­dic­tion existe même si je ne suis pas jour­na­liste pro­fes­sion­nel, dès que, je “contri­bue régu­liè­re­ment et direc­te­ment à la col­lecte, la rédac­tion, la pro­duc­tion ou la dif­fu­sion d’in­for­ma­tions, par le biais d’un média, au pro­fit du public”[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 6.]].

Excep­tion­nel­le­ment, les poli­ciers peuvent per­qui­si­tion­ner pour obte­nir des docu­ments iden­ti­fiant mes sources si trois condi­tions sont réunies :

1. ils ont un man­dat d’un juge d’instruction ;

2. les infor­ma­tions qu’ils recherchent sont d’une impor­tance cru­ciale pour empê­cher des infrac­tions consti­tuant une menace grave pour l’in­té­gri­té phy­sique d’une ou de plu­sieurs per­sonnes (par exemple, un atten­tat ter­ro­riste mena­çant des vies humaines) ;

3. les poli­ciers ne peuvent obte­nir ces infor­ma­tions “d’au­cune autre manière”[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 4.]].

Mon droit à la pro­tec­tion de mes sources pour­rait être vio­lé, par exemple si :

- on m’o­blige à révé­ler l’i­den­ti­té d’une per­sonne qui m’a don­né des infor­ma­tions confi­den­tielles sur la mau­vaise san­té finan­cière de sa boîte, sous peine d’a­mende si je refuse[[CEDH (GC), Good­win c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 39 – 46]] ;

- les poli­ciers viennent au jour­nal sans auto­ri­sa­tion d’un juge pour prendre des pho­tos per­met­tant d’i­den­ti­fier les auteurs d’un hold-up et menacent de m’ar­rê­ter si je ne les leur remets pas[[CEDH (GC), Sano­ma Uit­ge­vers B. V. c. Pays-Bas, 14 sep­tembre 2010, § 10 – 22 et 90 – 93.]] ;

- on per­qui­si­tionne dans mon bureau, au cabi­net de l’a­vo­cate de mon jour­nal et chez moi pour savoir qui m’a don­né des infos confi­den­tielles pour mon article : “Le ministre W. convain­cu de fraude fiscale”[[CEDH, Roe­men et Schmit c. Luxem­bourg, 25 février 2003, § 52 – 60]] ;

- on mobi­lise 160 poli­ciers pour per­qui­si­tion­ner en même temps chez moi, à mon bureau et chez d’autres jour­na­listes, pour savoir qui a per­mis des “fuites” sur cer­taines enquêtes met­tant en cause des hommes politiques[[CEDH, Ernst et autres c. Bel­gique, 15 juillet 2003, § 101 – 105 et 113 – 117.]] ;

- on m’ar­rête pen­dant 17 jours parce que je refuse de révé­ler aux juges l’i­den­ti­té d’un poli­cier qui m’a appris qu’une enquête sur un tra­fic d’armes avait été mani­pu­lée (la police aurait fait sem­blant de trou­ver les armes “par hasard” en inter­ve­nant pour une fuite d’eau)[[CEDH, Vos­kuil c. Pays-Bas, 22 novembre 2007, § 69 – 74.]].

Mon droit à la pro­tec­tion des sources n’est pas vio­lé, par exemple si :

- je dois four­nir à la jus­tice les images fil­mées d’une émeute, qui per­met­traient d’i­den­ti­fier les meur­triers d’un policier[[Comm. EDH, BBC c. Royaume-Uni, 18 jan­vier 1996. Déci­sion cri­ti­quable car, comme l’a plai­dé en vain la BBC, l’o­bli­ga­tion de trans­mettre les images non dif­fu­sées (rushes), entraîne l’as­si­mi­la­tion des jour­na­listes aux poli­ciers dans l’es­prit des per­sonnes fil­mées, ce qui est pré­ju­di­ciable pour leur sécurité.]] ;

- je dois four­nir des images tour­nées en camé­ra cachée parce qu’elles per­mettent d’i­den­ti­fier un abu­seur d’en­fants réci­di­viste dans un hôtel tenu par un pédo­phile euro­péen en Inde[[CEDH (décembre), Nor­disk Film c. Dane­mark, 8 décembre 2005.]].

(…)

Dans quel cas puis-je invo­quer le secret des sources jour­na­lis­tiques ? (page 313)

Je peux invo­quer le secret de mes sources si je “contri­bue régu­liè­re­ment et direc­te­ment à la col­lecte, la rédac­tion, la pro­duc­tion ou la dif­fu­sion d’in­for­ma­tions, par le biais d’un média, au pro­fit du public”[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources jour­na­lis­tiques, art. 2, 1°.]]. J’ai le droit de cacher mes sources même si je ne suis pas jour­na­liste pro­fes­sion­nel si, par ma fonc­tion de col­la­bo­ra­tion à un média quel­conque (jour­nal, livre, revue, rap­port d’une ONG, blog, site inter­net…), j’ai des infor­ma­tions per­met­tant d’i­den­ti­fier une source[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources jour­na­lis­tiques, art. 2, 2°. A l’origine,la loi limi­tait le droit de taire ses sources aux jour­na­listes pro­fes­sion­nels. Consi­dé­rant que “le droit au secret des sources jour­na­lis­tiques doit (…) être garan­ti, non pas pour pro­té­ger les inté­rêts des jour­na­listes en tant que groupe pro­fes­sion­nel, mais bien pour per­mettre à la presse de jouer son rôle de chien de garde et d’in­for­mer le public sur des ques­tions d’in­té­rêt géné­ral”, la Cour consti­tu­tion­nelle a annu­lé cette limi­ta­tion contraire à la liber­té d’ex­pres­sion et à la liber­té de la presse (arrêt n°91/2006 du 7 juin 2006, points B.12 à B.14).]].

(…)

Quels sources d’in­for­ma­tion puis-je cacher aux poli­ciers ? (page 314)

J’ai le droit de cacher et de refu­ser de com­mu­ni­quer “tout ren­sei­gne­ment, enre­gis­tre­ment et docu­ment” qui pour­rait per­mettre aux poli­ciers notam­ment de décou­vrir l’i­den­ti­té de mes infor­ma­teurs, la nature ou la pro­ve­nance de mes infor­ma­tions, l’i­den­ti­té de l’au­teur d’un texte ou d’une pro­duc­tion audio­vi­suelle ou le conte­nu des infor­ma­tions et des docu­ments eux-mêmes si ceux-ci per­mettent d’i­den­ti­fier un informateur[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 3.]]. Les poli­ciers n’ont pas le droit de me cui­si­ner dans le but de décou­vrir mes sources d’informations[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 5.]].

Je ne pour­rai jamais être pour­sui­vi pour avoir caché mes sources, même si j’ai des don­nées ou docu­ments qui ont été volés ou détour­nés par mes infor­ma­teurs (ou d’autres personnes)[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 6, qui exclut toute pour­suite sur base de CP 505. L’u­ti­li­sa­tion de docu­ments cou­verts par le secret de l’ins­truc­tion peut se jus­ti­fier, par exemple pour dénon­cer un scan­dale d’é­coutes télé­pho­niques illé­gales (CEDH, Dupuis et autres c. France, 7 juin 2007).]], ou si mes infor­ma­teurs (ou d’autres per­sonnes ont vio­lé leur secret professionnel[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 7, qui exclut toute pour­suite pour com­pli­ci­té sur base de CP 458 et 67]].

MAIS excep­tion­nel­le­ment, les poli­ciers peuvent enquê­ter sur mes sources si trois condi­tions sont réunies :

1. un juge leur a demandé ;

2. les infor­ma­tions deman­dées sont d’une impor­tance cru­ciale pour empê­cher des infrac­tions consti­tuant une menace grave pour l’in­té­gri­té d’une ou de plu­sieurs per­sonnes (par exemple, un atten­tat ter­ro­riste mena­çant des vies humaines) ;

3. les poli­ciers ne peuvent obte­nir ces infor­ma­tions “d’au­cune autre manière”[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 4.]].

(…)

Peut-on me mettre sur écoute si je suis jour­na­liste ? (page 337)

OUI, rien n’in­ter­dit en prin­cipe de me mettre sur écoute ou de sur­veiller mon ordi­na­teur si je suis journaliste.

MAIS dès que ces écoutes ou cette sur­veillance concernent “des don­nées rela­tives (a mes) sources d’information”[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 5.]], elle est en prin­cipe inter­dite. Les poli­ciers n’ont pas le droit de recher­cher, notam­ment, l’i­den­ti­té de mes infor­ma­teurs ou de dévoi­ler la nature ou la pro­ve­nance de mes infor­ma­tions, l’au­teur d’un texte ou d’un repor­tage audio-visuel, ou même le conte­nu des infor­ma­tions ou des docu­ments s’ils per­mettent d’i­den­ti­fier l’in­for­ma­teur. Ils ne peuvent pas non plus deman­der la liste de mes appels ou de mes e‑mails ou leurs des­ti­na­taires, ce qui leur per­met­trait de décou­vrir une source[[Cass., fr. 6 décembre 2011, n° 11 – 83970, www.courdecassation.fr/ A mon avis, ce constat s’ap­plique a for­tio­ri en Bel­gique où la loi sur le secret des sources est encore plus pro­tec­trice qu’en France.]]. Cette inter­dic­tion existe même si je ne suis pas jour­na­liste pro­fes­sion­nel, dès que je “contri­bue régu­liè­re­ment et direc­te­ment à la col­lecte, la rédac­tion, la pro­duc­tion ou la dif­fu­sion d’in­for­ma­tions, par le biais d’un média, au pro­fit du public”[[Loi du 7 avril 2005 rela­tive à la pro­tec­tion des sources des jour­na­listes, art. 2, 2° ; CC n°91/2006, 7 juin 2006, points B.12 à B.14.]].

Si les poli­ciers tombent par hasard sur ma conver­sa­tion en tant que jour­na­liste en écou­tant des sus­pects, leur écoule ne sera pas illé­gale s’ils prennent des pré­cau­tions pour pro­té­ger le secret des sources[[CEDH (déc.), Weber et Sara­via c. Alle­magne, 20 juin 2006.]]. Mais il est tota­le­ment inter­dit d’é­cou­ter dans le but de décou­vrir une source, par exemple un fonc­tion­naire des ser­vices secrets qui a “fuité”[[Loi du 7 avril 2005 pré­ci­tée, art. 5 ; CEDH, Tele­graaf Media et al. c. Pays-Bas, 22 novembre 2012, § 97 – 102.]].

(…)

Puis-je pho­to­gra­phier ou fil­mer l’ac­tion poli­cière ? (page 460)

En prin­cipe OUI parce qu il n’existe aucune inter­dic­tion géné­rale de pho­to­gra­phier ou fil­mer les actions de la police. Il est légi­time que des citoyens et jour­na­listes filment ou pho­to­gra­phient des inter­ven­tions poli­cières, que ce soit pour infor­mer ou récol­ter des preuves du dérou­le­ment des évé­ne­ments et ce n’est en prin­cipe pas une infraction[[Un trai­te­ment illé­gal de don­nées per­son­nelles, dont font par­tie les images per­met­tant d’i­den­ti­fier des per­sonnes, pour­rait l’être (LVP 39), mais le droit à la vie pri­vée du poli­cier est amoin­dri en cas d’u­ti­li­sa­tion jour­na­lis­tique ou assi­mi­lée (CPVP, Recom­man­da­tion n° 02/2007 du 28 novembre 2007 concer­nant la dif­fu­sion d’i­mages, § 23 – 25 ; LVP 3, § 3, a), b), c) et d)) et doit s’ef­fa­cer si l’in­té­rêt de la liber­té d’ex­pres­sion, de la liber­té de la presse ou du droit à l’in­for­ma­tion des citoyens est supé­rieur (CEDH 10 ; Const. 25). La liber­té d’ex­pres­sion com­prend la publi­ca­tion de pho­tos (CEDH (GC), Von Han­no­ver c. Alle­magne (n°2), 7 février 2012, § 103).]], Lorsque les poli­ciers filment une inter­ven­tion, eux-mêmes ou par des camé­ras de sur­veillance, il arrive que les scènes de leurs bru­ta­li­tés soient mal­en­con­treu­se­ment absentes du film ou indis­po­nibles pour des rai­sons techniques[[A pro­pos d’un mani­fes­tant frap­pé de manière tota­le­ment injus­ti­fiée, un tri­bu­nal note que “si la gen­dar­me­rie a elle-même fil­mé une par­tie de la mani­fes­ta­tion, et notam­ment l’ar­res­ta­tion du deman­deur, les cir­cons­tances mal­heu­reuses ont fait que les évè­ne­ments pré­cé­dant immé­dia­te­ment cette arres­ta­tion n’au­raient pu être enre­gis­trés, ce qui est assez trou­blant” (Civ. Liège, 26 juin 2001, JLMB, 2002, p. 1039 et ss.). Selon l’a­vo­cat d’une vic­time de vio­lences poli­cières qui a vision­né les images des camé­ras de sur­veillance du com­mis­sa­riat pen­dant le pas­sage de la vic­time : C’est curieux parce qu’on voit l’en­trée au comi­sa­riat, et puis on voit une autre camé­ra où on ne voit plus rien. Et, pen­dant treize minutes, de 18h29 à 18h42, il n’y a plus rien sur les camé­ras et on ne sait pas où sont pas­sées les images. des images qui, d’a­près moi, mon­tre­raient qu’il a été tabas­sé au com­mis­sa­riat (“Bruxelles : enquête contro­ver­sée sur une bavure poli­cière sup­po­sée”, rtbf.be, 6 mars 2013).]]. Comme le dit l’au­to­ri­té de contrôle de la police en France (une espèce d’é­qui­va­le­ni du Comi­té P), les forces de l’ordre “doivent consi­dé­rer comme nor­male l’at­ten­tion que des citoyens ou des groupes de citoyens peuvent por­ter a leur mode d’ac­tion. Le fait d’être pho­to­gra­phiés ou fil­més durant leurs inter­ven­tions ne peut consti­tuer aucune gêne pour des poli­ciers sou­cieux du res­pect des règles déontologiques”[[Commission natio­nale de déon­to­lo­gie de la sécu­ri­té (CNDS) en France, Avis du 5 avril 2006, sai­sine n° 2005 – 29, Rap­port annuel 2006, p. 32, http://cnds.defenseurdesdroits.fr/rapports/annuels, html/]].

MAIS dans cer­tains cas, les poli­ciers peuvent me deman­der de ne pas prendre d’images :

- pour pro­té­ger la vie pri­vée des per­sonnes arrê­tées (mais ça ne les auto­rise pas à m’empêcher de pho­to­gra­phier ou fil­mer toute intervention)[[LFP 35. “La dis­po­si­tion en ques­tion ne vise pour­tant pas à inter­dire à la presse de suivre et même de fil­mer toute inter­ven­tion poli­cière. Le fait de fil­mer l’in­ter­ven­tion de la police, n’est pas inter­dit non plus. Ce que la dis­po­si­tion tend expres­sé­ment à inter­dire, dans ce contexte, aux fonc­tion­naires de police c’est de sou­mettre inuti­le­ment des per­sonnes arrê­tées, détenues
ou incar­cé­rées à la curio­si­té publique” (Cir­cu­laire LFP, point 61.4),]] ;

- si c’est néces­saire pour “le main­tien de l’ordre public, la sécu­ri­té des per­sonnes, le res­pect du secret pro­fes­sion­nel ou la pro­tec­tion de la vie pri­vée” ou si leur chef leur en a don­né l’ordre[[Code de déon­to­lo­gie des ser­vices de police, art, 64 (AR du 10 mai 2006) ; LFP 35. La léga­li­té de l’ordre pour­rait être dis­cu­table et faire l’ob­jet d’une plainte, par exemple au chef de corps du ser­vice de police concer­né.]] (ils peuvent, par exemple, m’é­loi­gner d’une scène de crime pour lais­ser tra­vailler les enquê­teurs et pro­té­ger les vic­times des papa­raz­zis) ;

- s’ils pensent que leur droit a l’i­mage ou leur vie pri­vée serait vio­lé, par exemple parce qu’ils craignent des repré­sailles de la part de mal­fai­teurs si leur pho­to est dif­fu­sée[Comme le sou­ligne l’[Association des jour­na­listes pro­fes­sion­nels (AJP), on voit mal com­ment la publi­ca­tion de leur pho­to, sans men­tion­ner leur nom, per­met­trait à un caïd de se ven­ger alors que ce même caïd pour­ra tou­jours connaître, par exemple, le nom com­plet du juge qui l’au­ra condam­né (Jean-Fran­çois DUMONT, “Pho­to­gra­phier un poli­cier : le débat”, Jour­na­listes, n°111, jan­vier 2010, pp.4 – 5).]].