Vers un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication plus juste et plus efficace.
Rapport final de la Commission internationale de l’UNESCO pour l’étude des problèmes de communication, publié en 1980. Cette commission, présidée par Sean MacBride et composée d’experts de 16 pays, s’est consacrée à l’étude de “l’ensemble des problèmes de communication dans les sociétés modernes”. Elle a analysé différents problèmes : le contrôle gouvernemental, la censure, le monopole et la commercialisation des médias, la domination culturelle, le pouvoir des sociétés transnationales et le simple droit d’informer.
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SEAN MACBRIDE et al. — Voix multiples, un seul monde. Communication et société aujourd’hui et demain. — Paris et Dakar. Publié conjointement par l’Unesco, les Nouvelles éditions africaines et la Documentation française. 1980. — 367 p.
Les livres qui provoquent dès leur parution un impact ou les livres attendus parce qu’on sait qu’ils susciteront une polémique se font de plus en plus rares. Le rapport MacBride en est. Pour bien saisir la valeur et la portée de ce livre, il faut connaître le contexte de son élaboration.
Le rapport MacBride a été ratifié par la commission « culture et communication » de l’Unesco le 14 octobre 1980, « dans une curieuse atmosphère d’unanimité contrainte » (Le Monde, 17 – 10-80). Il a donné lieu à trois projets de résolution de la part des trois groupes directement visés, l’Ouest, l’Est et les non-Alignés ; ces résolutions invitaient l’Unesco à poursuivre ses recherches sur la communication. Apparemment donc la victoire était importante : on avait enfin réussi à faire reconnaître la valeur déterminante des communications pour l’avenir des sociétés humaines, à faire reconnaître aussi que les communications engendrent des déséquilibres tout aussi puissants que les forces économiques. L’Unesco prenait désormais en charge tout ce secteur.
Mais ces trois résolutions avaient aussi l’allure d’éloges funèbres. Car, comme le soulignait un fonctionnaire de l’Unesco, on assista à un « bel enterrement ». Personne n’accepta de gaieté de coeur non seulement les conclusions mais l’ensemble du rapport. Ce livre est un chef-d’oeuvre de diplomatie tendancieuse qui n’épargne personne tout en prenant en considération le point de vue de chacun. Les Soviétiques lui reprochent d’être trop « imprégné de terminologie occidentale », traduisant mal la dynamique des communications en pays socialistes. Les Occidentaux se méfient des propositions avancées qui, selon eux, mènent à l’instauration de règles de contrôle qui choquent le principe fondamental de la liberté d’expression ; le représentant du Royaume-Uni l’a dans ce sens comparé à un « oeuf pourri ». Les non-Alignés regrettent le manque de mesures draconiennes permettant une refonte complète des circuits de communications. Etc. Bref le rapport ne satisfait personne, mais tous sont portés à en prendre la défense quand il est attaqué par un camp adverse.
Le rapport fait remarquer aux Soviétiques les dangers d’une manipulation systématique de l’information, aux Occidentaux le caractère relatif de la liberté de presse et aux non-Alignés la nécessité de délais dans l’établissement d’un « nouvel ordre de l’information ». En octobre dernier, hormis 151 éditoriaux scandalisés dans la presse américaine, le rapport passa en douce.
L’étape suivante, celle qui se prépare actuellement, risque par contre de susciter de dures confrontations. Sur la base des recommandations du rapport, l’Unesco entreprend l’étude de mesures concrètes pour l’établissement d’une meilleure circulation des informations. Et maintenant l’offensive prime, une offensive virulente qui fait fi des codes d’éthique les plus élémentaires, en particulier chez les Occidentaux. Ainsi, à la mi-février, l’Unesco a réuni une quinzaine d’organisations internationales de journalistes pour établir une charte de protection des journalistes en pays étrangers, en particulier dans des zones de conflits armés, une charte qui préviendrait les risques d’arrestation, d’expulsion et de persécution des journalistes. Dès avant l’ouverture de cette rencontre, le New York Times prenait l’initiative, accusant l’Unesco de vouloir établir une « censure éthique » (New York Times, 16 – 02-81). Et même si les participants ne purent s’entendre, les quatre grandes agences de presse occidentales bloquant tout consensus, les attaques se poursuivirent. C’est l’Unesco tout entier que l’on porte au banc des accusés : cette « internationale du mensonge qui patronne l’installation d’un système mondial de censure de l’information » (Revel, in L’Express, 14 – 03-81). On accuse désormais directement l’Unesco de vouloir protéger les dictatures du Tiers-Monde. La joute engagée après la reconnaissance officielle du rapport MacBride est loin d’être terminée.
L’Unesco cherche actuellement à redéfinir sa position dans le champ de la diplomatie internationale, favorisant l’expression des pays du Sud, bâillonnés partout ailleurs. Et les problèmes de communication constituent un objet de choix satisfaisant à la fois la vocation de l’Unesco et la reconnaissance de problèmes cruciaux. À la conférence de Nairobi en novembre 1976, le directeur général de l’Unesco fit part d’une préoccupation croissante de l’organisation quant aux problèmes de communication, soulignant que « la répartition des moyens de communication et de l’immense potentiel qu’ils représentent est à l’image de l’inégale distribution internationale de la puissance économique ».
Un an plus tard, on avait réuni seize « personnalités » pour former une Commission d’étude chargée de rendre compte de tous les problèmes de communication dans la société contemporaine. Sean MacBride, homme politique et journaliste, prix Nobel de la paix et prix Lenine de la paix, fondateur d’Amnistie internationale, s’entoura de collaborateurs de prestige, dont Elie Abel, ancien doyen de l’école de journalisme de Columbia, Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde, Elebe MaEkondo, directeur de l’agence Zaire Presse, Sergei Losev, directeur de Tass, Gabriel Garcia Marquez, romancier sud-américain fort connu, etc. Bref une équipe triée sur le volet de sommités mondiales et respectant un équilibre absolu des tendances.
Les travaux allaient se diriger dans quatre grandes orientations :
— L’analyse de l’état de la communication dans le monde actuel, et notamment de l’ensemble des problèmes de l’information ;
— L’analyse des problèmes relatifs à la libre circulation de l’information ainsi qu’aux besoins spécifiques des pays en développement ;
— L’analyse des problèmes de communication dans la perspective d’un nouvel ordre économique et des initiatives à prendre pour favoriser l’instauration d’un « nouvel ordre mondial de l’information» ;
— L’analyse du rôle de la communication pour faire prendre conscience à l’opinion des grands problèmes auxquels le monde se trouve confronté.
La première partie du rapport, essentiellement descriptive, passe en revue les nombreux systèmes de communication, de la communication interpersonnelle à la télématique, en repérant dans chaque système les disparités les plus flagrantes. La seconde partie dégage les principaux facteurs politiques et économiques qui font obstacle à l’instauration d’un ordre équilibré de la communication : défauts dans la circulation, perturbations de la diffusion, distorsion de l’opinion publique, obstacles à la démocratisation, etc. Cette lecture est précise et mordante. La dernière partie est consacrée aux cadres institutionnels et organisationnels de la communication, suivie d’une conclusion générale qui reprend les différents problèmes sous forme de 80 recommandations de changement.
Le rapport vise surtout à reprendre et prolonger les anciens principes politiques des lumières, liberté d’expression, droit à l’information, à les reconnaître comme un droit essentiel et à les ajuster aux développements technologiques affectant tous les secteurs d’échange à travers le monde. On redéfinit dès lors la démocratisation en l’interprétant comme « un processus continu de changement » qui doit impliquer une « participation sociale à tous les niveaux » grâce à un renforcement des capacités (agences de presse nationales fortes, production nationale de livres, de programmes de radiodiffusion, etc.). C’est une revalorisation explicite du pluralisme qui devrait contrebalancer l’homogénéisation technologique. Le rapport se termine par l’énoncé d’un concept ambigu, mal défini, « l’autodépendance collective », mais qui est donné comme « la pierre de touche du nouvel ordre mondial de l’information et de la communication ». À ce niveau on débouche dans le vide.
Le rapport MacBride a l’énorme avantage de résumer d’une manière fort adéquate et sans formalisation les problèmes actuels des communications. Il a pris en considération tous les aspects « visibles », les a sériés et leur a attribué des causes politiques directes. Il demeure le premier document de synthèse de tous les problèmes sociaux relatifs aux communications.
Mais, respectueux de son mandat diplomatique qui vise à une institutionnalisation et à l’encadrement assuré des processus de communication, le rapport manque d’une perspective historique qui tienne compte du développement des enjeux et de la nécessité d’un déplacement continuel des forces. L’équilibre proposé est celui d’une stabilisation quasi territoriale des rapports de communication et non pas un équilibre instable qui prenne en considération le processus historique. Car le ressourcement des communications provient aussi d’un jeu imprévisible dans le temps, fait de soulèvements populaires, de mouvements nationaux subits où désormais les communications sont directement impliquées. Le cas de la Pologne actuelle en est le meilleur exemple. L’engagement des communications dans les processus sociaux qui échappent aux intentions politiques n’est pas pris en considération par les auteurs. On veut bien redistribuer les forces mais toujours dans des ornières d’encadrement à partir de structures stables et éprouvées. L’effort de développement devra répondre à un ordre croissant d’institutionnalisation, dont l’Unesco et Amnistie Internationale seraient des modèles exemplaires…
Jean-Pierre Desaulniers
Département de communication Université du Québec à Montréal
Desaulniers Jean-Pierre. Sean Macbride et al. Voix multiples, un seul monde. Communication et société aujourd’hui et demain,1980.. In : Communication Information, volume 4 n°1,1981. pp. 156 – 158 / Persee