ZIN TV : un projet média pour une vraie représentation et une diversité de regards

par Pluricité

Article publié dans Plu­ri­ci­té, n°21. Le bimestre de Car­re­four des Cultures ASL, Namur.

pro­pos recueillis pas Mikaël DOULSON • Retrans­crip­tion et rédac­tion : Cécile Dethier, Anne-Sophie VAN LIPPEVELDE, Mikaël DOULSON

Zin TV est une WebTV col­la­bo­ra­tive, acces­sible sur www.zintv.org. Ses acti­vi­tés se déploient de la for­ma­tion de citoyens-jour­na­listes à la pro­duc­tion et la dif­fu­sion de repor­tages vidéos, en pas­sant par la réflexion cri­tique. L’équipe de béné­voles couvre l’actualité natio­nale et inter­na­tio­nale, en met­tant l’accent sur les luttes sociales.

Recueil à par­tir d’un entre­tien réa­li­sé avec trois acteurs de Zin TV (Anne-Sophie Guillaume, Ron­nie Rami­rez et Maxime Kouvaras)

En tant que média citoyen, Zin TV se situe donc à l’intersection des médias alter­na­tifs et des mou­ve­ments sociaux. Zin TV sou­haite incar­ner un porte-voix audio­vi­suel démo­cra­tique et popu­laire mis à dis­po­si­tion des citoyens enga­gés et du monde asso­cia­tif. Dans ce sens, il a déve­lop­pé un modèle de com­mu­ni­ca­tion de par­ti­ci­pa­tion citoyenne.
En paral­lèle de ce tra­vail de ter­rain, Zin TV déve­loppe une réflexion conti­nue sur l’indépendance des médias, sur le rôle des médias dans la socié­té, et sur les leviers de trans­for­ma­tion sociale par l’action citoyenne.

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Zin TV est un pro­jet de média, qui passe par la par­ti­ci­pa­tion citoyenne notam­ment, ain­si que par l’accompagnement aca­dé­mique des citoyens qui ont des choses à dire. Nous ne nous défi­nis­sons pas comme médias alter­na­tifs. Car en règle géné­rale, tous les adjec­tifs qu’on ajoute au mot médias sont faits pour dis­qua­li­fier l’autre. Nous ne sommes pas non plus un nou­veau média, ni un petit média, etc.

Nous vou­lons construire une télé­vi­sion que nous allons réin­ven­ter à notre façon, avec notre propre iden­ti­té, en tenant compte de choses impor­tantes pour nous, comme la par­ti­ci­pa­tion citoyenne. Par exemple, la jeu­nesse aime­rait béné­fi­cier d’un effet miroir, pou­voir se recon­naître non pas comme un consom­ma­teur, mais comme un acteur ; les femmes aime­raient pou­voir se recon­naître non pas comme des objets ou des per­sonnes domi­nées, mais comme des actrices. Donc, nous tra­vaillons avec une série de com­mu­nau­tés, de col­lec­ti­vi­tés et d’associations qui dési­rent être actrices dans la socié­té et qui, pour toutes sortes de rai­sons, ne se retrouvent pas dans les médias mains­tream ou tra­di­tion­nels ; ou qui, lorsqu’ils s’y retrouvent, y sont folk­lo­ri­sées, ridi­cu­li­sées, voire cri­mi­na­li­sées, comme le sont par exemple les syn­di­cats. Nous tra­vaillons par­fois avec des syn­di­cats, en met­tant en avant leurs reven­di­ca­tions plu­tôt qu’en les mon­trant comme des pro­blèmes pour les usa­gers des trans­ports publics, par exemple.

Nous sommes par­tis d’un groupe de per­sonnes qui avaient envie de tra­vailler sur le ter­rain, avec des mou­ve­ments sociaux, des orga­ni­sa­tions de jeu­nesse et d’autres asso­cia­tions. Cha­cun avait ses propres expé­riences dans le domaine des médias ou des mou­ve­ments ; Ron­nie, par exemple, avait notam­ment une expé­rience avec des médias com­mu­nau­taires au Vene­zue­la. On a créé ce col­lec­tif avec la volon­té de mutua­li­ser toutes ces éner­gies et forces. Ça part de Bruxelles, mais il y a de plus en plus de connexions ailleurs, les col­la­bo­ra­tions s’élargissent. Nous avons entre autres mis en place tout un axe de cou­ver­ture de l’actualité des mou­ve­ments sociaux ; c’est quelque chose de néces­saire, pour nous. Nous déve­lop­pons aus­si des films docu­men­taires et, depuis peu, nous essayons de créer des émis­sions ; avec, tou­jours, l’envie de faire exis­ter un autre regard, une diver­si­té de regards ; c’est ça qui nous défi­nit, la pen­sée hété­ro­doxe, sans se déter­mi­ner en oppo­si­tion à d’autres médias. On ne se sent pas alternatifs.

On offre un autre regard, que nous consi­dé­rons comme étant plus libre, moins contrô­lé que dans les médias domi­nants, parce qu’on ne dépend pas d’intérêts liés à des finan­ce­ments. Bien sûr, l’enjeu du finan­ce­ment nous concerne aus­si, mais on cherche des voies pour garan­tir notre indépendance.

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Un média de service public

Zin TV a la voca­tion d’être un média de ser­vice public. Car un tel média doit créer des inter­sec­tions et tra­vailler à don­ner une image intel­li­gente de notre socié­té ; non pas une image lamen­table, comme on peut le voir lorsqu’on allume la télé, notam­ment quand y sont trai­tés les femmes ou les immi­grés. Pour nous un média de ser­vice public doit par nature tra­vailler avec l’intelligence col­lec­tive et valo­ri­ser des patri­moines intel­lec­tuels et poli­tiques de nos communautés.

Cela implique aus­si une res­pon­sa­bi­li­té. Nous construi­sons une rela­tion de confiance, avec les orga­ni­sa­tions avec qui nous tra­vaillons. Nous avons déjà eu l’occasion de « faire le buzz », par rap­port à cer­tains sujets, et d’avoir une visi­bi­li­té incroyable ; mais pour des rai­sons éthiques, on a refu­sé d’en pro­fi­ter, car on a esti­mé qu’il fal­lait res­pec­ter la per­sonne fil­mée. Par exemple, concer­nant l’attentat de Paris en novembre 2015, nous avons un réseau de béné­voles pour la cou­ver­ture de l’actualité des mou­ve­ments sociaux et notam­ment ; et une de ces béné­voles avait fil­mé la mère d’un des jeunes kami­kazes mort à Paris. C’est une inter­view que tous les médias dési­raient. Mais nous avons esti­mé que ce n’était pas dif­fu­sable en l’état, pour dif­fé­rentes rai­sons. C’est par rap­port à de telles choses et de telles manières qu’on doit construire des garde-fous, gar­der le cap.

Il y a une dia­lec­tique, dans notre tra­vail ; nous y sommes sans cesse en mouvement.

La ques­tion, c’est de savoir dans quelle direc­tion. Nous essayons sys­té­ma­ti­que­ment et conti­nuel­le­ment de nou­velles choses, de nou­velles formes, puisque nous tra­vaillons en inter­ac­tion avec la socié­té civile qui, elle aus­si, est en mou­ve­ment, pleine d’initiatives, avec les­quelles nous nous arti­cu­lons. L’agenda des mou­ve­ments sociaux, c’est notre agen­da. Par exemple, si demain, il y a une grève, nous serons contac­tés par les syn­di­ca­listes, pour que nous puis­sions les aider à visi­bi­li­ser leur action. Le rôle d’un média de ser­vice public, c’est de se mettre au ser­vice du public. Dans le même sens, un média est un inter­mède entre les dif­fé­rents acteurs de la socié­té. Et dans ce rôle d’intermède et de ser­vice au public, nous assu­mons notre sub­jec­ti­vi­té, notre par­ti pris.

Il s’agit aus­si, dans cet esprit, d’être un relai pour la parole de toutes les per­sonnes concer­nées. On peut aus­si noter que, si quelqu’un filme, on ver­ra à tra­vers son regard. Le cadre raconte ; et, au sujet de cette sub­jec­ti­vi­té assu­mée, on n’essaie pas de par­ler d’un équi­libre et d’une objec­ti­vi­té jour­na­lis­tique qui serait atteinte par le simple fait de don­ner la parole à deux par­tis. La sub­jec­ti­vi­té, c’est que cha­cun a une indi­vi­dua­li­té et ira sur le ter­rain avec sa manière de voir les choses – en étant à l’écoute du ter­rain, évi­dem­ment ; c’est une démarche documentaire.

C’est évident que lorsqu’on parle de média citoyen, on ne parle pas de tous les citoyens ; nous avons des affi­ni­tés, des envies ; nous sou­hai­tons être un moteur de trans­for­ma­tion de la socié­té. En sti­mu­lant et en fai­sant exis­ter, en don­nant une fenêtre pour que les orga­ni­sa­tions et mou­ve­ments sociaux puissent être connus et entendus.

Et c’est vrai que nous opé­rons un choix, au niveau de ces acteurs, nous choi­sis­sons ceux qui construisent une socié­té qu’on estime pro­gres­siste. Il y a donc un choix, au niveau des per­sonnes à qui nous don­nons la parole, et dans la manière dont on va construire cette parole.

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La ques­tion de l’information et du choix des sources

Sur notre site inter­net, il y a une rubrique qui pro­pose une série de médias citoyens, qui sont tous l’oeuvre de mili­tants sociaux, de gens qui cherchent des solu­tions, du sec­teur pro­gres­siste. C’est ça, notre source d’information, c’est en géné­ral là qu’on puise des articles magni­fiques, qu’on publie sur notre site inter­net ; avec cette source, que je consulte tou­jours en prio­ri­té, j’estime être l’homme le plus infor­mé du monde… On lit de temps en temps la Libre Bel­gique ou le Soir, mais ce n’est pas notre tasse de thé. On essaie de construire notre ima­gi­naire à par­tir de l’initiative de la popu­la­tion, des quar­tiers populaires,…

Ce que peut faire le citoyen, c’est de s’armer en méthodes de décryp­tage ; beau­coup de choses existent, pour ça ; sur le site de Zin TV, par exemple, il y a un grand nombre de sources qui peuvent ser­vir dans ce sens. Le prin­cipe du recou­pe­ment des infor­ma­tions, aus­si, est impor­tant. C’est en fait un tra­vail de jour­na­liste, mais c’est ce que nous deman­dons au citoyen, qu’il devienne lui-même jour­na­liste, en quelque sorte.

Nous regar­dons aus­si des films. Nous essayons de consti­tuer une biblio­thèque et d’échanger nos réfé­rences – c’est très impor­tant, de construire des réfé­rences com­munes ; on a tous nos propres ima­gi­naires – par exemple, Ron­nie est chi­lien et je suis grec. On a tous des sujets favo­ris ; on par­tage donc tout ça, et ça per­met des découvertes.

Au sujet de l’idée que le citoyen devrait deve­nir jour­na­liste, je trouve que c’est quelque chose d’essentiel ; et j’ajouterais que nous n’estimons pas que le jour­na­liste soit un être supé­rieur, capable de l’absolue véri­té, et d’être le seul com­mu­ni­ca­teur sur les réa­li­tés. Les gens les vivent, alors pour­quoi ne pour­raient-ils pas com­mu­ni­quer ce qu’ils vivent ?

Rap­ports et syner­gies avec les acteurs média­tiques ou sociaux

Au sujet de nos rela­tions avec les médias dits alter­na­tifs, il y a une recon­nais­sance entre nous. Nous sommes très contents d’être recon­nus par les asso­cia­tions de base, avec les­quelles nous fai­sons un tra­vail de fond ; ces gens, ce sont les citoyens orga­ni­sés, pas le citoyen comme figure abs­traite ; ce sont des gens qui ont eux aus­si pris l’initiative d’alimenter l’imaginaire col­lec­tif et ses actions et recherches de solu­tions. Nous nous met­tons en réseau avec des médias avec les­quels nous nous recon­nais­sons, c’est-à-dire avec qui nous trou­vons des points communs.

La mise en com­mun fonc­tionne bien pour la presse écrite. Concer­nant la télé­vi­sion, nous avons ten­té des alliances avec des struc­tures de télé­vi­sons com­mu­nau­taires, mais les choses ne sont pas faciles, nous ne vou­lons pas perdre notre iden­ti­té – sans vou­loir l’imposer. Notre démarche n’est pas hégé­mo­nique. Certes, on vou­drait bien qu’il y ait beau­coup d’autres Zin TV, autour de nous. Nous avons aidé d’autres à exis­ter, en leur prê­tant nos infra­struc­tures – on l’a fait avec Sans papier TV et Cam­pe­si­na TV. Nous fai­sons aus­si des for­ma­tions avec d’autres com­mu­ni­ca­teurs. Nous tra­vaillons même à l’occasion avec des jour­na­listes du monde ins­ti­tu­tion­nel qui voient par­fois en nous un espace de liber­té et d’expression.

Je pense que c’est impor­tant, aus­si, de par­ler des enjeux liés à l’enseignement ; l’éducation aux médias devrait en faire par­tie. Nous déve­lop­pons ce tra­vail avec des asso­cia­tions, des orga­ni­sa­tions de jeu­nesses mais petit à petit, nous nous connec­tons aus­si avec les écoles ; c’est vrai­ment une prio­ri­té. L’intégration de l’éducation aux médias dans l’enseignement devrait consti­tuer une reven­di­ca­tion impor­tante dans tout plai­doyer en rap­port avec la thématique.

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Modes de finan­ce­ment et indépendance

Concer­nant notre modèle éco­no­mique, nous redis­tri­buons l’argent qui rentre entre l’ensemble des per­ma­nents, à parts égales, et non en fonc­tion de leurs pres­ta­tions. Il y a dif­fé­rentes sources de recettes, dont un sub­side emploi via l’éducation per­ma­nente – en ce qui me concerne, ça m’a per­mis d’être enga­gée à mi-temps.

Zin TV est aus­si un lieu d’activités et de ren­contre et de ras­sem­ble­ment pour les acteurs des mou­ve­ments sociaux, les jeunes, ou encore des chercheurs.
Nous orga­ni­sons notam­ment des pro­jec­tions-débats. Nous rece­vons aus­si un sub­ven­tion­ne­ment de la cohé­sion sociale, qui nous per­met de déve­lop­per des ate­liers vidéos ; c’est ça aus­si qui a moti­vé la créa­tion de Zin TV, le fait de pou­voir dis­po­ser d’un moyen de dif­fu­sion des pro­duc­tions de ces ate­liers, dont on pense qu’elles amènent d’autres regards, sur toutes sortes de choses. Nous réa­li­sons aus­si des docu­men­taires finan­cés par des asso­cia­tions, ce qui contri­bue aus­si à faire vivre le projet.

Tout finan­ce­ment entraîne des risques. Mais heu­reu­se­ment, nous n’avons pas une obli­ga­tion de dif­fu­ser 24 heures sur 24, de sor­tir x actua­li­tés par jour. Nous pou­vons donc prendre le temps, et nous vou­lons pou­voir conti­nuer à le faire, pour pou­voir trai­ter les sujets sérieusement.

Il est clair que nous vou­lons être un média auto­nome ; et c’est la dis­pa­ri­té et la diver­si­té des ren­trées finan­cières qui font que, fina­le­ment, on tient sur nos deux pattes. On peut nous reti­rer un sub­side, on aura tou­jours par ailleurs des ren­trées à tra­vers des pro­duc­tions, des acti­vi­tés ou d’autres subventions.
Bien sûr, les finan­ce­ments peuvent ame­ner leur part de contraintes, sur­tout si ce sont des sub­sides – même si nous esti­mons que, actuel­le­ment, ils nous laissent notre liber­té ; nous sommes prêts à conti­nuer sans eux, puisque nous sommes enga­gés, mais ce n’est pas tenable à long terme. Nous cher­chons donc à nous finan­cer autant que pos­sible à d’autres sources, comme les pro­duc­tions. Plus géné­ra­le­ment, nous avons toute une réflexion sur ces ques­tions, sur des modes de fonc­tion­ne­ment, des garde-fous qui per­mettent de conser­ver l’éthique, de ne pas se lais­ser rat­tra­per par l’argent. C’est‑à dire des assem­blées géné­rales où nos acti­vi­tés sont abor­dées de manière cri­tique, où on s’assure de la trans­pa­rence des comptes ; ou encore, notre charte, qui nous inter­dit par exemple de nous allier à un par­ti poli­tique. Nous sommes donc indé­pen­dants, mais avec une sub­jec­ti­vi­té assu­mée ; nous met­tons clai­re­ment en valeur un autre modèle de socié­té, et d’autres pen­seurs, phi­lo­sophes, éco­no­mistes, etc. On invite par exemple Pierre Carles. Pour­quoi ne parle-t-on pas de Cor­rea, ici ? Parce qu’il n’y a pas une envie de chan­ger le sys­tème éco­no­mique ; nous, nous ne sommes pas pour ce modèle.

En ce qui me concerne, je pense que c’est impor­tant de pou­voir se conso­li­der et échan­ger des pra­tiques. En France, Bas­ta­mag et d’autres médias ont trou­vé des moyens de se finan­cer. Nous avons cer­tai­ne­ment des choses à apprendre, de la part de ces coor­di­na­tions de médias. Car nous res­tons dans des équi­libres pré­caires. La prio­ri­té est de se conso­li­der. Mais nous devons aus­si nous connec­ter, nous mettre en réseaux, c’est comme ça que nous arri­ve­rons à faire des choses plus intéressantes.

 

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