Que les droits de l’homme ne soient pas à usage néocolonial

Alerte au nouvel usage des droits de l’homme

par Daniel Feier­stein (Ensei­gnant d’UBA et de l’Untref. Vice-pré­sident de l’International Asso­cia­tion of Geno­cide Scholars).

Source : http://www.elcorreo.eu.org/?Que-les-droits-de-l-homme-ne-soient-pas-a-usage-neocolonial

Entre le 4 et le 6 avril a eu lieu le « 3ème Forum Régio­nal de Pré­ven­tion du Géno­cide », dans la ville de Berne. Ces Forums sont une ini­tia­tive des gou­ver­ne­ments de la Suisse, de l’Argentine et de la Tan­za­nie, dont l’objectif est de créer un réseau de repré­sen­tants éta­tiques qui pro­meuvent des stra­té­gies de pré­ven­tion de la vio­lence éta­tique de masse. L’initiative a com­men­cé en 2008 à Bue­nos Aires et elle a conti­nué en 2010 à Aru­sha en Tanzanie.

La liste de par­ti­ci­pants au Forum euro­péen inclut les pays orga­ni­sa­teurs, l’ensemble des États euro­péens, les repré­sen­tants des Nations Unies (Fran­cis Deng, rap­por­teur spé­cial sur la « Pré­ven­tion du Géno­cide », et Edward Luck, rap­por­teur spé­cial sur la « Res­pon­sa­bi­li­té de Pro­té­ger »), la « Cour Pénale Inter­na­tio­nale » et le « Haut com­mis­sa­riat aux Droits de l’homme », entre autres. Quatre uni­ver­si­taires inter­na­tio­naux avons été invi­tés en qua­li­té de conseillers, dont deux (Yehu­da Bauer et moi ) ont par­ti­ci­pé à la séance inaugurale.

Les bom­bar­de­ments actuels de l’OTAN en Libye ont trans­for­mé l’intervention mili­taire en l’un des sujets fon­da­men­taux de la discussion.

Cette dis­cus­sion illustre un chan­ge­ment fon­da­men­tal dans la nou­velle uti­li­sa­tion du dis­cours des droits de l’homme à par­tir du XXIe siècle depuis la perte de légi­ti­mi­té de la « guerre contre la ter­reur », à par­tir de l’embourbement en Irak et en Afgha­nis­tan. Ces trans­for­ma­tions ont ame­né le Dépar­te­ment d’État des Etats-Unis à construire une nou­velle légi­ti­ma­tion pour ses inter­ven­tions, ini­tia­tive expri­mée dans des rap­ports dont res­sortent « Pre­ven­ting Geno­cide » (2008) et « Mass Atro­ci­ties Res­ponse Ope­ra­tions » (2010). Dans les deux, sous la logique « d ’arrê­ter les géno­cides et autres crimes atroces » est mis en avant l’usage du concept de la « Res­pon­sa­bi­li­té de Pro­té­ger », sur­gi comme poli­tique des Nations Unies en 2005, devant l’analyse cri­tique de l’échec du Conseil de Sécu­ri­té et les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales pour pré­ve­nir les géno­cides en ex-You­go­sla­vie et au Rwan­da. Bien sûr, les deux rap­ports iden­ti­fient la « sou­ve­rai­ne­té natio­nale » comme l’obstacle principal.

Les pro­mo­teurs de cette poli­tique ont assu­mé lors de la confé­rence un dis­cours de défense hys­té­rique des droits de l’homme, ce qui a sem­blé contras­ter avec le peu de sou­ci pour les mêmes vio­la­tions dans des lieux qui ne leur semblent pas aus­si urgents (Sri Lan­ka, Colom­bie, Tchét­ché­nie, Bah­reïn ou Yémen). Dans cette ligne se sont trou­vés Edward Luck, Gareth Evans (uni­ver­si­taire aus­tra­lien, pré­sident de « Inter­na­tio­nal Cri­sis Group ») et Diane Orent­li­cher (Bureau des Crimes de guerre des EU). La défense des opé­ra­tions mili­taires en Macé­doine, au Koso­vo et en Irak montrent le carac­tère du pro­jet, accom­pa­gné avec fer­veur dans le cas de la Libye par la « Cour Pénale Internationale ».

Oppo­sé à cette logique, mon inter­ven­tion a posé la pré­ven­tion du géno­cide comme d’un pro­ces­sus com­plexe, basé sur la jus­tice et sur l’éducation, remar­quant que ce n’est pas le moment de l’anéantissement, le plus adap­té pour agir, mais la confron­ta­tion avec des actions préa­lables comme les pro­ces­sus de stig­ma­ti­sa­tion, ou le har­cè­le­ment qui sur­viennent actuel­le­ment dans des pays euro­péens à l’égard des popu­la­tions gitanes, arabes, musul­manes ou afri­caines. D’autre part, j’ai mis en oppo­si­tion à la pro­po­si­tion inter­ven­tion­niste l’expérience de pré­ven­tion de l’Unasur dans trois cas avec un risque de vio­la­tions mas­sives et sys­té­ma­tiques des Droit de L’Homme : Boli­vie, Hon­du­ras et Équa­teur. En Boli­vie et en Équa­teur, une rapide inter­ven­tion diplo­ma­tique a réus­si à faire avor­ter des ten­ta­tives de coups d’État ou de séces­sion. Au Hon­du­ras, l’intervention a sem­blé avoir échoué par la défec­tion du gou­ver­ne­ment d’Obama, qui a légi­ti­mé les élec­tions convo­quées par les put­schistes, ava­li­sant un régime qui conti­nue de pour­suivre ses adver­saires et les journalistes.

Ma pos­ture a été arti­cu­lée avec celle de la repré­sen­ta­tion offi­cielle argen­tine et avec plu­sieurs par­ti­ci­pants afri­cains. Bal­tha­zar Habo­ni­ma­na, du Burun­di, a avan­cé qu’un plus juste modèle de dis­tri­bu­tion de la richesse était l’élément fon­da­men­tal de pré­ven­tion du géno­cide dans la région des Grands Lacs. Deux modèles se dis­putent la construc­tion de la com­pré­hen­sion et de la confron­ta­tion avec le géno­cide. Et la lutte pour les droits de l’homme s’est mise à être un outil de plus de la dis­pute géo­po­li­tique, uti­li­sée pour jus­ti­fier l’interventionnisme dont les autres légi­ti­mi­tés (lutte pour la liber­té, l’antiterrorisme) se trouvent mises en ques­tion dans la popu­la­tion euro­péenne ou étasunienne.


La Confé­rence a rele­vé plu­sieurs questions :

– La ferme déci­sion des pou­voirs hégé­mo­niques de trans­for­mer la défense des droits de l’homme en outil puis­sant de légi­ti­ma­tion de l’intervention néo­co­lo­niale. Implique un virage his­to­rique dans la posi­tion des États-Unis, avec la ten­ta­tive de réorien­ter le dis­cours des DD.HH.

– La néces­si­té d’homologuer les vio­la­tions des DD.HH. sur un concept déten­du et ouverte (crimes contre l’humanité ou crimes atroces), comme la manière de garan­tir que la légi­ti­ma­tion au nom des droits de l’homme peut être uti­li­sée dans tout les cas. Cela requiert de relé­guer le concept de géno­cide (plus pré­cis et strict), en cher­chant à uni­fier toutes les sen­tences dans tous les juge­ments de la pla­nète sous un concept com­mun et en fai­sant pres­sion sur les tri­bu­naux (actuel­le­ment argen­tins ou cam­bod­giens) qui n’acceptent pas cette homo­lo­ga­tion. De cette façon, les vio­la­tions pas­sées (le géno­cide de l’ittihadisme turc, le géno­cide nazi, l’ex-Yougoslavie, le Rwan­da) jus­ti­fie­raient les inter­ven­tions pré­sentes (Koso­vo, Irak, Libye) aus­si dif­fé­rents que soient les cas,

– La résis­tance à ces poli­tiques-ci pro­vient du sud, ayant son axe dans l’articulation poli­tique du Bré­sil et de l’Argentine (rap­pe­lons que le Bré­sil s’est abs­te­nu au Conseil de Sécu­ri­té devant la réso­lu­tion pour inter­ve­nir mili­tai­re­ment en Libye) accom­pa­gnés par l’ensemble de l’Unasur. La Confé­rence a démon­tré que cette alliance a un fort poten­tiel pour s’articuler avec des États afri­cains, même si la situa­tion du conti­nent pré­ci­té est plus com­plexe et que son uni­té et sa démo­cra­ti­sa­tion, à peine un projet.

Pági­na 12. Bue­nos Aires. Le 24 avril 2011.

Tra­duit de l’espagnol pour El Cor­reo par : Estelle et Car­los Debiasi

El Cor­reo . Paris le 24 avril 2011.