Refuser de servir dans l’armée est mon petit geste pour faire changer les choses

Par Oren Ziv

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Source : +972 maga­zine

Tra­duc­tion GD pour l’Agence média Palestine

Une ver­sion de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call.

Oren Ziv est un pho­to­jour­na­liste, membre fon­da­teur du col­lec­tif de pho­to­gra­phie Acti­ves­tills et rédac­teur pour Local Call. Depuis 2003, il docu­mente une série de ques­tions sociales et poli­tiques en Israël et dans les ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés, en met­tant l’accent sur les com­mu­nau­tés d’activistes et leurs luttes. Ses repor­tages se sont concen­trés sur les pro­tes­ta­tions popu­laires contre le mur et les colo­nies, les loge­ments abor­dables et autres ques­tions socio-éco­no­miques, les luttes contre le racisme et la dis­cri­mi­na­tion, et la lutte pour la libé­ra­tion des animaux.

Hal­lel Rabin a pas­sé 56 jours dans une pri­son mili­taire pour avoir refu­sé de ser­vir dans les FDI. Aujourd’hui, elle parle de son séjour der­rière les bar­reaux, de ses conver­sa­tions avec ses codé­te­nues et de l’occupation avec les jeunes Israéliens.

Il y a deux semaines, Hal­lel Rabin s’est pré­sen­tée devant le comi­té des objec­teurs de conscience de l’IDF, l’organe mili­taire qui décide si elle sera ren­voyée ou non en pri­son pour avoir refu­sé de ser­vir dans l’armée, et on lui a posé la plus étrange des ques­tions : « Accep­te­riez-vous de por­ter l’uniforme de l’armée s’il était rose ? »

« Je n’ai pas de pro­blème avec la cou­leur », a‑t-elle répon­du, « J’ai un pro­blème avec le port d’un uni­forme de l’armée — quelle que soit l’armée. » Objec­trice de conscience, Rabin était encore en pri­son mili­taire pour avoir refu­sé de ser­vir en rai­son de la poli­tique d’occupation de l’armée. Le 20 novembre, le qua­trième séjour de Hal­lel Rabin dans la pri­son mili­taire s’est ache­vé ; le len­de­main, l’armée lui a offi­ciel­le­ment accor­dé la libé­ra­tion qu’elle sou­hai­tait. Elle a pas­sé 56 jours der­rière les barreaux.

Rabin, 19 ans, du kib­boutz Har­duf, dans le nord d’Israël, a été empri­son­né pour la pre­mière fois en août après avoir com­pa­ru devant la com­mis­sion pour deman­der une déro­ga­tion. Elle a été jugée et condam­née à deux périodes d’incarcération dif­fé­rentes, notam­ment pen­dant le Rosh Hasha­nah, le Nou­vel An juif. À sa libé­ra­tion la semaine der­nière, Rabin pen­sait qu’elle allait ren­trer chez elle pour un bref séjour avant une nou­velle condam­na­tion. Mais lorsqu’elle a allu­mé son télé­phone, elle a reçu un mes­sage de son avo­cat, Adv. Asaf Weit­zen, qui l’a infor­mée que le comi­té avait accep­té sa demande et qu’elle allait être libérée.

Comme elle l’a dit à Orly Noy en octobre, Rabin a été éle­vée par une mère qui ensei­gnait l’instruction civique, et elle a com­men­cé à se poser des ques­tions sur la réa­li­té en Israël dès son plus jeune âge. À l’âge de 15 ans, elle savait qu’elle ne pour­rait pas s’engager dans l’armée, car cela va « à l’encontre de mes idéaux les plus fon­da­men­taux, et que je ne peux pas sou­te­nir des poli­tiques aus­si violentes ».

Moins d’une semaine après sa libé­ra­tion, Rabin doit encore s’habituer à la vie en dehors de la pri­son. Elle se réveille tous les jours à six heures, comme cela est exi­gé à l’intérieur, et répond aux cen­taines de mes­sages qu’elle reçoit régu­liè­re­ment du monde entier. Je l’ai ren­con­trée cette semaine à Har­duf pour une conver­sa­tion sur son refus de ser­vir dans l’armée, son temps pas­sé der­rière les bar­reaux et la pos­si­bi­li­té de par­ler de ce refus avec de jeunes Israéliens.

Com­ment vous êtes-vous retrou­vée en pri­son ? A quoi res­sem­blait votre refus ?

« Le jour de mon enrô­le­ment, je suis arri­vée à la base de conscrip­tion en sachant que j’allais aller en pri­son. C’était mon but, mais je ne com­pre­nais pas vrai­ment com­ment m’y prendre. J’ai com­men­cé le pro­ces­sus de conscrip­tion mais je ne savais pas vers qui me tour­ner [pour refu­ser]. Je me suis assis sur une chaise et j’ai pro­cla­mé à haute voix : « J’ai besoin que vous ame­niez quelqu’un qui sau­ra me dire quoi faire. Je suis une objec­trice de conscience et je dois aller en pri­son et je ne devien­drai pas un soldat.

« Fina­le­ment, une femme gen­tille m’a emme­née dans un bureau où j’ai signé un papier disant que je refu­sais de ser­vir. J’ai trou­vé amu­sant que mon but soit d’aller en pri­son, et qu’une fois là-bas, je serais au bon endroit ».

Rabin a d’abord été condam­née à sept jours et a été envoyée dans le quar­tier des femmes de la pri­son Six, une pri­son mili­taire du nord d’Israël. « Ce fut la jour­née la plus longue et la plus épui­sante de ma vie », raconte-t-elle. « Il m’a fal­lu trois jours pour com­prendre ce qui se pas­sait, com­ment répondre [aux auto­ri­tés de la pri­son], com­ment me dépla­cer. J’ai vite appris ».

Com­ment s’est pas­sé votre séjour en prison ?

« C’était une expé­rience folle. J’étais dans une cel­lule avec un offi­cier de la police des fron­tières, une femme qui a ser­vi à un check­point, deux femmes qui ont refu­sé de ser­vir comme opé­ra­teurs de sur­veillance, une femme qui avait atta­qué son com­man­dant, et un offi­cier de la police mili­taire qui a déser­té. Nous étions six au total.

La pre­mière ques­tion qu’ils m’ont posée était : « Pour­quoi êtes-vous ici ? » Je leur ai répon­du, avec hési­ta­tion : « Je suis objec­trice de conscience ». Ils ont immé­dia­te­ment com­men­cé à poser toutes les ques­tions connues : « Êtes-vous gau­chiste ? Êtes-vous pro-pales­ti­nienne ? Au cours de ma pre­mière condam­na­tion, j’ai appris à vivre comme une objec­trice de conscience. Chaque fois qu’il y avait un nou­veau groupe de filles ou que je retour­nais [en pri­son], le sujet sus­ci­tait la contro­verse et beau­coup de discussions ».

Les sol­dats et les com­man­dants en pri­son vous ont-ils par­lé de votre déci­sion de refuser ?

« Il n’y a pas un seul sol­dat qui n’ait pas enten­du mon his­toire. Même les com­man­dants étaient inté­res­sés. Un offi­cier m’a dit qu’il appré­ciait ma déci­sion et m’a même féli­ci­tée. C’est l’une des conver­sa­tions impor­tantes que j’ai eues – quelqu’un de l’intérieur du sys­tème a com­pris pour­quoi j’ai fait ce que j’ai fait et l’a apprécié.

« Je ne me suis bat­tu avec per­sonne en pri­son. C’était un entraî­ne­ment pour mon ego, pour ma capa­ci­té à avoir une conver­sa­tion, pour ma capa­ci­té à être socia­le­ment flexible. D’être dans une posi­tion dans laquelle les gens ne sont pas d’accord avec moi et dans laquelle je me sens mal à l’aise — presque mena­cé — mais d’être d’accord avec cela ».

Rabin a été libé­rée au bout de cinq jours et ren­voyée chez elle, où elle a pas­sé les deux semaines et demie sui­vantes. « Il faut plus de temps pour s’habituer à la mai­son. En pri­son, il y a de l’ordre dans tout, puis tout d’un coup, on est libé­ré. C’est dérou­tant », dit-elle. « Le plus dur quand on rentre chez soi, c’est de retour­ner en prison. »

Une vue de la pri­son mili­taire israé­lienne 6. (Oren Ziv)

Lorsqu’elle est retour­née à la base de conscrip­tion de Tel Has­ho­mer, elle a été condam­née à deux semaines de pri­son sup­plé­men­taires – une semaine pour refus de ser­vir et une autre pour absen­téisme. Comme les autres objec­teurs de conscience, elle a reçu après chaque séjour en pri­son une nou­velle convo­ca­tion à la base et a été condam­née à plu­sieurs reprises.

Com­ment avez-vous pas­sé le temps ?

J’ai lu huit livres, dont « Le fémi­nisme est pour tout le monde » [ de bell hooks] et « La non-vio­lence expli­quée à mes enfants » [de Jacques Seme­lin]. Mes amies Hil­lel et Tamar, éga­le­ment objec­trices de conscience, m’ont dit en plai­san­tant à moi­tié que mes devoirs consis­taient à trou­ver des simi­li­tudes entre le fémi­nisme et l’objection de conscience ».

Avant son troi­sième séjour en pri­son, Rabin a déci­dé de rendre public son refus avec l’aide de Mesar­vot, un mou­ve­ment de base qui ras­semble des indi­vi­dus et des groupes qui refusent de s’engager dans les FDI pour pro­tes­ter contre l’occupation. « Au début, j’espérais qu’il n’y aurait pas de bonne rai­son pour que je me tourne vers les médias. J’avais espé­ré être ren­voyé par le comi­té des objec­teurs de conscience. Je pen­sais que tout cela pren­drait fin après ma pre­mière condam­na­tion », explique-t-elle.

Avant même la date de son enrô­le­ment, Rabin a ten­té de s’adresser au comi­té des objec­teurs de conscience, qui a rapi­de­ment reje­té sa demande d’exemption. Pen­dant sa pre­mière période d’incarcération, elle a fait appel et a atten­du que l’armée lui com­mu­nique les rai­sons de son incar­cé­ra­tion. Les argu­ments ayant tar­dé à venir, elle a déci­dé de s’adresser aux médias. Après sa troi­sième incar­cé­ra­tion, Mesar­vot a orga­ni­sé une mani­fes­ta­tion de sou­tien à Rabin devant la base de conscrip­tion. Elle a été condam­née à 25 jours de pri­son. Entre la troi­sième et la qua­trième période d’incarcération, Rabin devait avoir sa deuxième audience devant le comi­té des objec­teurs de conscience de l’IDF.

Quelle était la dif­fé­rence entre la pre­mière et la deuxième commission ?

« La deuxième fois était plus longue, ils sont allés dans les détails. La pre­mière com­mis­sion m’a posé des ques­tions pour essayer de prou­ver que mon refus était poli­tique et basé sur l’objection de conscience plu­tôt que sur le paci­fisme [l’IDF a his­to­ri­que­ment fait une dis­tinc­tion entre les conscrits qui peuvent prou­ver qu’ils sont des « paci­fistes non poli­tiques » et ceux qui refusent de ser­vir pour des rai­sons que l’armée consi­dère comme « poli­tiques », comme une oppo­si­tion spé­ci­fique à l’occupation israé­lienne. Mal­gré les dif­fi­cul­tés que cela pose, les conscrits qui peuvent prou­ver qu’ils sont dans le pre­mier cas ont plus de chances de rece­voir des exemptions].

« Lors de la deuxième audi­tion de la com­mis­sion, ils m’ont deman­dé pour­quoi je ne por­tais pas mon uni­forme de l’armée. J’ai expli­qué que je venais de chez moi et qu’en tout cas j’avais refu­sé de m’engager comme objec­trice de conscience, ce qui explique pour­quoi je n’ai jamais reçu d’uniforme au départ. Même s’ils exi­geaient que je le porte, je ne met­trais jamais d’uniforme. Ils essaient de com­prendre si votre refus est poli­tique ou moti­vé par le paci­fisme, com­ment vous réagis­sez aux situa­tions de vio­lence et à quoi res­semble votre mode de vie ».

Qu’est-ce que vous avez dit ?

« J’étais mieux pré­pa­ré [la deuxième fois]. Cin­quante jours de pri­son, des conver­sa­tions quo­ti­diennes sur le sujet et des inter­views avec les médias m’ont aidée à m’expliquer.

« J’ai dit que je n’étais pas prête à par­ti­ci­per de quelque manière que ce soit à un sys­tème dont l’essence même est basée sur la lutte et l’oppression vio­lente. Je crois que cela doit chan­ger, et c’est ma façon de le faire. C’est mon petit geste. J’ai ajou­té que j’ai été végé­ta­rienne toute ma vie, que j’achète des vête­ments de seconde main et que je suis contre l’exploitation, le capi­ta­lisme et le sexisme ».

Avez-vous eu le sen­ti­ment que le comi­té a com­pris qu’un objec­teur paci­fiste qui s’oppose à la vio­lence sera aus­si contre l’occupation ?

« Cela les bou­le­verse. C’est dur pour eux. Ce sont quatre membres de l’armée et un pro­fes­seur d’éducation civique. Ils ont tous 50 ans ou plus et ont consa­cré leur vie à atteindre des postes éle­vés [dans les FDI], et je suis une jeune fille de 19 ans qui leur dit ‘ce n’est pas bien’. Je suis sûre que c’est per­son­nel­le­ment dif­fi­cile pour eux. Je ne m’engagerais pas dans l’armée suisse, mais je vis ici et je suis cen­sée ser­vir dans l’armée qui com­met ces actes. Je m’oppose à l’occupation parce qu’elle est vio­lente, oppres­sive et raciste ».

Lors de la deuxième audi­tion de la com­mis­sion, les membres ont mon­tré à Rabin une pho­to d’elle par­ti­ci­pant à la mani­fes­ta­tion de Mesar­vot devant la base de conscrip­tion, qui a eu lieu juste avant qu’elle ne soit empri­son­née pour la troi­sième fois. La pho­to la montre tenant une pan­carte sur laquelle on peut lire « Mesar­vot » [en hébreu, la forme fémi­nine de « refus »] et « Refu­ser l’occupation, c’est la démocratie ».

« Ils m’ont deman­dé ce que signi­fiait le pan­neau », dit Rabin. « J’ai répon­du qu’il est légi­time de s’opposer à des ques­tions qui sont deve­nues des sujets tabous — que s’y oppo­ser est démocratique. »

Les mili­tants de Mesar­vot ont dit à +972 qu’au cours des six der­niers mois, le comi­té des objec­teurs de conscience a ren­du beau­coup plus dif­fi­cile l’obtention d’une exemp­tion pour rai­sons de conscience ain­si que la trans­mis­sion d’explications lorsque les demandes de libé­ra­tion sont refu­sées. L’organisation espère que la libé­ra­tion de Rabin entraî­ne­ra un chan­ge­ment dans cette politique.

Pen­sez-vous qu’il soit pos­sible de par­ler aux ado­les­cents de l’occupation ?

« Ce n’est pas une ques­tion d’âge. Je n’ai pas besoin d’attendre que la moi­tié de ma vie soit der­rière moi pour me battre pour mes prin­cipes… ce n’est pas une mau­vaise chose que je dise tout haut qu’aller au comi­té des objec­teurs de conscience est une option légi­time et qu’il est pos­sible de pen­ser par soi-même. Même la pri­son n’est pas une mau­vaise chose. C’est épui­sant mais je n’en suis pas sor­ti avec un sen­ti­ment d’anxiété ou de vou­loir mourir ».

Quel genre de réponses avez-vous reçues après votre libération ?

« Beau­coup de gens ont ten­du la main depuis Israël et dans le monde entier. Cer­taines per­sonnes m’ont mau­dit. D’autres ont écrit que [mon refus] était une source d’inspiration et qu’il y a des ado­les­cents qui défendent ce qu’ils croient. Des Pales­ti­niens m’ont éga­le­ment écrit après que [mon his­toire] ait été publiée en Tur­quie. Un habi­tant de Tul­ka­rem a écrit qu’il appré­ciait mon geste et qu’il espé­rait qu’un jour nous boi­rions un café ensemble et par­le­rions de la vie ».