Retour probable de la gauche en Équateur

Par Ron­nie Ramirez

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Entre­tien réa­li­sé par Ron­nie Rami­rez, le 21 février 2021

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Entre­tien avec Romain Migus

Les résul­tats de la course à la pré­si­dence ont pla­cé le can­di­dat de la droite Guiller­mo Las­so au second tour avec 19,74% des voix en lisse avec le can­di­dat de la gauche Andrés Arauz qui s’im­pose avec 32,72%. Non sans contro­verse, des accu­sa­tions de fraude et décla­ra­tions convul­sives de part et d’autres ont sur­gi de tout part. Mal­gré les attaques et la dia­bo­li­sa­tion dont le par­ti de Rafael Cor­rea a été vic­time ces der­nières années, Arauz appa­raît comme le favo­ri. Son lea­der­ship s’est construit avec l’identité poli­tique de la révo­lu­tion citoyenne, en rup­ture avec le cycle de déman­tè­le­ment mis en place par Lenin More­no et la relance du pro­jet poli­tique que cer­tains ont qua­li­fié de “fini”.

Arauz a pro­mis de ver­ser une prime de 1.000 dol­lars à un mil­lion de familles pauvres, afin de relan­cer l’é­co­no­mie fami­liale en pleine pan­dé­mie et crise éco­no­mique. Il a annon­cé qu’il igno­re­ra l’ac­cord finan­cier conclu par le gou­ver­ne­ment actuel avec le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal. Arauz pro­pose un audit com­plet de la dette publique interne et externe, une réforme fis­cale pour que “ceux qui ont plus, paie­ront plus” et le rapa­trie­ment des capi­taux à l’é­tran­ger. Il pro­pose d’in­ver­ser le défi­cit fis­cal que les Équa­to­riens pauvres paient aujourd’­hui, avec une dimi­nu­tion des licen­cie­ments, des impôts et du bud­get public, ain­si qu’une nou­velle Consti­tu­tion. Suite au retrait de l’É­qua­teur de l’alliance pro­gres­siste des pays d’ALBA-TCP et du déman­tè­le­ment du siège de l’U­NA­SUR, par déci­sion de More­no, il vise à reprendre les alliances, ain­si que l’in­té­gra­tion régio­nale. La cam­pagne d’A­rauz s’est avé­rée payante, car basée sur des posi­tions clai­re­ment ancrées à gauche, évi­tant de se retrou­ver dans l’am­bi­va­lence dif­fuse du centre poli­tique, pola­ri­sant et en cana­li­sant le malaise social.

Frai­che­ment reve­nu de Qui­to, le jour­na­liste Romain Migus, prin­ci­pal ani­ma­teur du média en ligne Les 2 Rives et connais­seur enga­gé des pro­ces­sus sociaux et poli­tiques en Amé­rique Latine, nous livre son témoignage.

Avec un quart de votes pour le social-démo­crate Xavier Hervás et un autre quart pour l’éco-socialiste Yaku Per­ez, on pour­rait croire que la droite est en voie de disparition ? 

La droite néo­li­bé­rale tra­di­tion­nelle, repré­sen­tée lors de cette élec­tion par l’alliance entre le par­ti Creo (du ban­quier et can­di­dat Guiller­mo Las­so) et le par­ti Social-Chre­tien de Jaime Nebot a divi­sé ses voix par deux par rap­port à l’élection de 2017. C’est un véri­table revers mais qui s’explique sur­tout par des cri­tères plus émo­tion­nels qu’idéologiques. Ces élec­tions ont été tra­ver­sé par un fort rejet de la poli­tique de pola­ri­sa­tion liée à l’Histoire récente de l’Équateur. Une grande par­tie des votes d’Hervás et Yaku peut s’expliquer par une volon­té d’une par­tie de l’électorat de dépas­ser l’axe Cor­reisme-anti­Cor­reisme, ou plu­tôt État volontariste/néolibéralisme du pas­sé. Si le can­di­dat de la Révo­lu­tion citoyenne, Andres Arauz, a fait le plein des voix chez ses par­ti­sans, un grand nombre d’électeur ont choi­si des options poli­tiques appa­rem­ment neuves, ou ne s’inscrivant pas direc­te­ment dans ce sché­ma. Tou­te­fois, chez ces deux out­si­ders, on trouve aus­si des mesures éco­no­miques qui s’apparentent à la droite tra­di­tion­nelle comme la conti­nui­té de mesures d’austérité ou de décons­truc­tion de l’État équa­to­rien. Par­ler de dis­pa­ri­tion de la droite en Équa­teur est un peu osé. Disons qu’elle est en train de se renou­ve­ler. Si le choix des élec­teurs d’Hervás et de Yaku pour le 2e tour est encore une incon­nue, ces deux lea­ders ont expri­mé des posi­tions radi­ca­le­ment anti-Cor­reiste dans la fou­lée des résul­tats du 1er tour.

Arauz était un ancien ministre de Cor­rea, il a 36 ans et est appe­lé le “fils pro­digue” de la “Révo­lu­tion citoyenne”. Peux-tu me racon­ter ta ren­contre avec lui ? 

Ma ren­contre avec Arauz date, en réa­li­té, de 2014. Lors d’une mani­fes­ta­tion à Qui­to, un ami com­mun nous avait pré­sen­té. Déjà, à l’époque, mal­gré son jeune âge, j’avais été frap­pé par sa capa­ci­té d’homme d´État et sa grande connais­sance de cer­tains dos­siers éco­no­miques ain­si que par son humi­li­té. Lorsque je l’ai inter­viewé le jour de l’élection à Qui­to, ces deux qua­li­tés sont res­sor­ties, et m’ont rap­pe­lé ce sou­ve­nir de 2014. Il n’y a aucun doute qu’Andrés Arauz est en capa­ci­té de diri­ger l’Équateur. C’est un homme d’État, un tech­no­crate dans le bon sens du terme, qui a un véri­table plan de gou­ver­ne­ment et sau­ra le mener à bien. Après le trau­ma­tisme de la tra­hi­son de Lenin More­no, cer­tains ont peur d’un nou­veau coup de poi­gnard dans le dos de la Révo­lu­tion citoyenne. Ce ne sera pas le cas avec Arauz qui est un éco­no­miste très mar­qué à gauche.

Les élec­tions du second tour pré­vu pour le 11 avril connaît des sérieux rebon­dis­se­ments. Peux-tu nous expli­quer les dif­fé­rentes étapes de cette mau­vaise saga politico-judiciaire ?

Un son­dage de l’entreprise Per­files de Opi­nion mon­traient qu’à la veille des élec­tions, 58% des équa­to­riens jugeaient « mau­vaise » ou « très mau­vaise » la ges­tion du Conseil Natio­nal Elec­to­ral (CNE), l’organisme char­gé d’organiser les élec­tions. Cet orga­nisme n’est pas neutre. Sa pré­si­dente est membre de Pacha­ku­tik, le par­ti de Yaku Per­ez. Par­mi les auto­ri­tés élec­to­rales, on trouve aus­si des per­son­na­li­tés proches de la droite. Rap­pe­lons aus­si que le Tri­bu­nal des litiges élec­to­raux a ouvert une enquête contre quatre des cinq auto­ri­tés du CNE.

Alors que les résul­tats étaient très ser­rés entre Guiller­mo Las­so et Yaku Per­ez, le CNE a déci­dé de publier des résul­tats inter­mé­diaires pla­çant le can­di­dat de Pacha­ku­tik devant le ban­quier. Ce qui a, bien évi­dem­ment, entrai­né une ziza­nie et des soup­çons de fraude lorsque ce der­nier est repas­sé devant. Après avoir déci­dé de manière illé­gale un recomp­tage des voix lors d’une réunion entre deux can­di­dats (sur 16), le CNE est reve­nu sur cette déci­sion. Désor­mais, le pou­voir judi­ciaire est ren­tré dans la par­tie. Le par­quet vient d’ordonner la sai­sie de la base de don­nées du CNE. Or cette ins­ti­tu­tion de l’État est celle qui a per­mis l’instauration des per­sé­cu­tions judi­ciaires contre les Cor­reistes, avec des visées émi­nem­ment poli­tiques. Voir que le par­quet, res­pon­sable du Law­fare en Équa­teur, entend désor­mais s’immiscer direc­te­ment dans la course élec­to­rale et s’imposer à la volon­té popu­laire est très inquié­tant. Il va fal­loir conti­nuer de suivre avec atten­tion la situa­tion en Équa­teur, car c’est la démo­cra­tie qui est main­te­nant en jeu dans ce pays andin.