Une imposture criminelle.

Danilo ZOLO

Une impos­ture criminelle.

La “guerre juste” d’Obama et du “fau­con” Hil­la­ry Clinton

Par Dani­lo ZOLO

Source : http://www.legrandsoir.info/Une-imposture-criminelle.html

Même une lec­ture rapide de la réso­lu­tion 1973 du 17 mars, avec laquelle a été déci­dée la « no-fly zone » contre la Libye, suf­fit pour trou­ver une vio­la­tion gra­vis­sime de la Charte des Nations Unies, outre celle du droit inter­na­tio­nal général.

Le vent de révolte qui souffle sur les pays du Magh­reb et du Mash­rek, de la Tuni­sie à la Libye, à l’Egypte, au Yémen et au Bah­rein, n’annonce pas un nou­veau prin­temps des popu­la­tions ara­bo-musul­manes. La liber­té, la démo­cra­tie, la jus­tice, un mini­mum de bien-être sont un rêve encore très loin­tain. Leurs enne­mis sont puis­sants. La guerre qu’ont déclen­chée, avant-hier, les alliés euro­péens, France et Grande-Bre­tagne avec les Etats-Unis contre la Libye, est la preuve de leur volon­té de mettre sous leur contrôle l’aire médi­ter­ra­néenne, tout le Golfe et, en pers­pec­tive, l’Afrique.

L’exaltation des droits humains, la garan­tie de la sécu­ri­té et de la paix sont pure rhé­to­rique, une énième san­gui­naire impos­ture après les agres­sions tra­giques contre l’Irak et l’Afghanistan, et après les mas­sacres que l’Etat d’Israël ‑allié très étroit des USA- a accom­pli et conti­nue d’accomplir contre le peuple palestinien.

Les Etats-Unis, cette fois dans une confu­sion ouverte avec leurs alliés et pro­ba­ble­ment à l’intérieur de leur propre admi­nis­tra­tion, essaient à grand peine de cacher leur voca­tion néo-colo­niale et néo-impé­riale sous l’habit de l’énième huma­ni­ta­rian inter­ven­tion. La vio­la­tion désin­volte de la Charte des Nations Unies et l’utilisation oppor­tu­niste du Conseil de sécu­ri­té des Nations Unies font la preuve, à la fin, de leur irré­pres­sible volon­té de puis­sance. Se répète à la lettre le modèle de l’agression cri­mi­nelle de l’OTAN contre la Ser­bie de 1999, vou­lue par le pré­sident Clin­ton pour la « libé­ra­tion » du Koso­vo. Il s’est agi là d’une inter­ven­tion « huma­ni­taire » qui a mas­sa­cré, du ciel, des mil­liers de per­sonnes inno­centes. Même une lec­ture rapide de la réso­lu­tion 1973 du 17 mars, avec laquelle a été déci­dée la « no-fly zone » contre la Libye, suf­fit pour trou­ver une vio­la­tion gra­vis­sime de la Charte des Nations Unies, outre celle du droit inter­na­tio­nal géné­ral. La vio­la­tion de la Charte est évi­dente si l’on pense que le com­ma 7 de l’article 2 sti­pule que « aucune dis­po­si­tion du pré­sent Sta­tut n’autorise les Nations Unies à inter­ve­nir dans des ques­tions qui appar­tiennent à la com­pé­tence interne d’un Etat ». Il est donc indis­cu­table que la « guerre civile » de com­pé­tence interne à la Libye n’est pas un évé­ne­ment dont puisse s’occuper mili­tai­re­ment le Conseil de sécurité.

En plus de cela, l’article 39 de la Charte des Nations Unies pré­voit que le Conseil de sécu­ri­té peut auto­ri­ser l’usage de la force mili­taire seule­ment après avoir asser­té l’existence d’une menace inter­na­tio­nale de la paix, d’une vio­la­tion de la paix ou d’un acte d’agression (de la part d’un Etat contre un autre Etat). C’est donc ici une seconde et abso­lue rai­son qui rend cri­mi­nel le mas­sacre de per­sonnes inno­centes que les volon­ta­ristes alliés euro­péens et les Etats-Unis s’apprêtent à faire en Libye. Et couvre de honte le gou­ver­ne­ment ita­lien enga­gé avec ses bases et ses avions mili­taires à contri­buer à répandre le sang d’un peuple dont il se décla­rait empha­ti­que­ment ami jusqu’à ces der­nières semaines. Cela n’a non plus aucun sens de se ser­vir — comme le fait à plu­sieurs reprises la réso­lu­tion 1973 du Conseil de sécu­ri­té — de la dite « res­pon­sa­bi­li­té de pro­té­ger » (Res­pon­si­bi­li­ty to pro­tect). Il s’agit de la très contes­tée réso­lu­tion 1674 du 28 avril 2006 du Conseil de sécu­ri­té. En cas de vio­la­tion grave asser­tée des droits humains de la part d’un Etat, le Conseil de sécu­ri­té ‑sou­tient-on- peut décla­rer qu’il s’agit d’une menace de la paix et de la sécu­ri­té inter­na­tio­nale. Et peut ain­si adop­ter toutes les mesures mili­taires qu’il juge oppor­tunes. Point n’est besoin de dépen­ser de nom­breuses paroles pour argu­men­ter que le Conseil de sécu­ri­té n’est pas com­pé­tent pour éma­ner de nou­velles normes de droit inter­na­tio­nal. Et il est aus­si évident que la « guerre civile » interne à la Libye ne repré­sen­tait pas et ne repré­sente tou­jours pas une menace de la paix et de la sécu­ri­té inter­na­tio­nale, comme du reste bien cinq membres du Conseil de sécu­ri­té (Alle­magne, Rus­sie, Inde, Chine et Bré­sil) l’ont impli­ci­te­ment sou­te­nu en refu­sant de voter en faveur de la réso­lu­tion. De plus, ceux-ci ont déplo­ré l’agression que France, Angle­terre et Etats-Unis ont déclen­chée contre la popu­la­tion libyenne au nom de la vigi­lance sur les droits humains.Tout comme la Ligue arabe a sou­te­nu que, de toutes façons, son objec­tif est de « sau­ver les civils pas d’en tuer d’autres ». Il est désor­mais évident que d’autres voies pou­vaient être prises pour la recherche d’une média­tion et pour une solu­tion du conflit.

Jusqu’il y a peu de temps nous étions convain­cus que les Etats-Unis avaient chan­gé de visage grâce au nou­veau pré­sident Barack Oba­ma. Mais nous sommes à pré­sent cer­tains que le visage ne suf­fit pas et qu’il peut même ser­vir de masque, comme le montrent la conti­nui­té de la guerre en Afgha­nis­tan, le silence consen­tant sur le désastre du peuple pales­ti­nien, le fer­me­ture man­quée — autant que pro­mise- de Guan­ta­na­mo. A pro­pos de droits humains.

Rien n’a chan­gé dans la stra­té­gie hégé­mo­nique des Etats-Unis et cela aura des consé­quences très graves jus­te­ment à l’égard du peuple libyen qu’on fait sem­blant de vou­loir sau­ver de la vio­lence d’un dic­ta­teur. Il est facile de pré­voir que la guerre ne ces­se­ra pas tant que Kadha­fi ne sera pas fait pri­son­nier ou tué (tout comme le lea­der ira­kien Sad­dam Hus­sein fût pen­du par la volon­té du pré­sident des Etats-Unis George W. Bush). Et il est tout aus­si facile de pré­voir que, la guerre finie, les Etats-Unis exer­ce­ront leur pou­voir pour se garan­tir le contrôle de la Libye ‑ou de la Cyré­naïque « Etat », comme ils contrôlent aujourd’hui mili­tai­re­ment et stra­té­gi­que­ment le Koso­vo- pour en exploi­ter les très riches res­sources éner­gé­tiques, comme cela s’est pro­duit en Irak.

C’est, et ce sera, la « guerre juste » de la Médi­ter­ra­née de Barack Oba­ma et du « fau­con » Hil­la­ry Clinton.

Dani­lo Zolo est pro­fes­seur de phi­lo­so­phie du droit inter­na­tio­nal à l’Université de Flo­rence et direc­teur du Jura Gen­tium Jour­nal, Rivis­ta di filo­so­fia del dirit­to inter­na­zio­nale e del­la poli­ti­ca globale

http://www.juragentium.unifi.it/it/

Edi­tion de mar­di 22 mars 2011 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/22-Marzo-2011/art6.php3

Tra­duit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.