Notre chère constitution

ES st FR - 1 h 35 min

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Un documentaire enfiévré sur deux années incroyables, tout au long desquelles la Bolivie a été appelée à débattre d’une nouvelle Constitution.

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Notre chère consti­tu­tion, le che­min vers une autre Bolivie
(her­ma­na Constitución)

un film de Sole­dad Domin­guez, Boli­vie — 2010 — 1h01

Ce film est une chro­nique des moments vécus lors du pro­ces­sus de l’é­la­bo­ra­tion de la nou­velle Consti­tu­tion en Boli­vie depuis ses débuts à Sucre, jus­qu’à l’a­dop­tion du texte final à La Paz en 2009.

Proche des pro­ta­go­nistes, ce film est un docu­ment excep­tion­nel ou les témoi­gnages se suc­cèdent et pro­voquent une réflexion sur les luttes menées en faveur des reven­di­ca­tions des peuples his­to­ri­que­ment exclus.

Un docu­men­taire enfié­vré sur deux années incroyables, tout au long des­quelles la Boli­vie a été appe­lée à débattre d’une nou­velle Constitution.

Résul­tat : une for­mi­dable leçon d’engagement poli­tique par les plus dému­nis à tra­vers la construc­tion d’une démo­cra­tie inédite, pas­sion­née et tur­bu­lente. Un tout grand film…

et une col­la­bo­ra­tion avec Zin TV

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QUI DECIDE… ?

« Choi­sis­sez Dieu, votez non ! »… A San­ta Cruz, fief de l’opposition au pré­sident socia­liste Evo Morales, les Eglises évan­gé­liques se sont lan­cées dans une apo­ca­lyp­tique croi­sade : la nou­velle Consti­tu­tion ne serait qu’un paravent pour léga­li­ser l’avortement et auto­ri­ser le mariage homo­sexuel. Après d’autres, cette nième rumeur aura le don d’exacerber la cam­pagne. En réa­li­té, le texte pro­po­sé aux suf­frages des Boli­viens a une tout autre des­ti­na­tion : don­ner plus de pou­voir à la majo­ri­té indienne du pays (70 % de la popu­la­tion), conser­ver le contrôle de l’Etat sur les res­sources natu­relles (notam­ment gazières), et limi­ter la taille des exploi­ta­tions agri­coles (à 5.000 ou 6.000 hec­tares, quand même) de manière à mettre en œuvre une réforme agraire.

Peu importe. Une par­tie de l’opposition –atteinte dans ses inté­rêts de classes– n’aura plus qu’une seule stra­té­gie : fomen­ter des troubles san­glants dans les pro­vinces sous son contrôle –telles San­ta Cruz, Pan­do, Beni, Tari­ja et Chu­qui­sa­ca. Il faut dire que, depuis jan­vier 2006, l’élection d’Evo Morales et la for­ma­tion de son gou­ver­ne­ment ont per­mis aux couches tra­di­tion­nel­le­ment mar­gi­na­li­sées de la socié­té boli­vienne de par­ti­ci­per au pro­ces­sus de déci­sion. Un véri­table trem­ble­ment de terre qui a déclen­ché l’hostilité des puis­santes familles de pro­prié­taires ter­riens et de l’élite des affaires, les­quelles craignent de perdre des pri­vi­lèges dont elles jouissent depuis long­temps. Consé­quence : le pre­mier pré­sident indien (il est d’origine ayma­ra) de la Boli­vie se heurte constam­ment aux pro­vinces aisées qui reven­diquent leur indé­pen­dance et, sur­tout, la pos­si­bi­li­té de se par­ta­ger les richesses du pays sans avoir à les redis­tri­buer. De fait, au-delà du pro­jet de socié­té défen­du par Evo Morales, le conflit –qui oppose les hauts pla­teaux andins à majo­ri­té indienne aux pros­pères pro­vinces séces­sion­nistes peu­plées de Blancs– est essen­tiel­le­ment d’ordre racial.

DYNAMITE.

28 février 2008. Dès le début d’après-midi, la dyna­mite ne cesse de réson­ner place Murillo à La Paz, comme une preuve infaillible : désor­mais, les syn­di­cats des mineurs de Poto­si et d’Oruro se sont joints aux autres mou­ve­ments sociaux qui occupent la place dite des « Trois pou­voirs » (légis­la­tif, exé­cu­tif et reli­gieux). Cette pré­sence vise à éta­blir un « cer­co », sorte de siège, autour du Congrès natio­nal où se sont réunis en ses­sion extra­or­di­naire dépu­tés et séna­teurs boli­viens afin d’adopter la nou­velle Consti­tu­tion poli­tique de l’Etat (CPE) et de fixer la date du réfé­ren­dum. Motif offi­ciel du « cer­co » ? Faire adop­ter plus vite la nou­velle CPE –« le dia­logue » entre le gou­ver­ne­ment et l’opposition étant au point mort. Ven­dre­di à 7 heures du matin, au même endroit, Evo Morales vient de pro­mul­guer trois lois approu­vées la veille. Ces lois fixent les deux Convo­ca­tions natio­nales char­gées d’adopter la nou­velle CPE et d’interdire le sys­tème « lati­fun­dio ». Face à la place bon­dée –sur une estrade par­ta­gée avec son vice-pré­sident Alva­ro Gar­cia Line­ra, quelques-uns de ses ministres et les prin­ci­paux res­pon­sables syn­di­caux – , le pré­sident de Boli­vie pro­nonce un dis­cours exal­tant, entre­cou­pé par les accla­ma­tions de mil­liers de « coca­le­ros », de mineurs et de paysans…

« Le pays est au bord de la divi­sion » : cette décla­ra­tion n’est pas un euphé­misme, c’est peut-être le seul point d’analyse sur lequel tout le monde est d’accord, gauche et droite confon­dues. Preuve immé­diate : juste après le dis­cours de Morales, les jour­na­listes de la grande presse se font sor­tir de la place sous les cra­chats et par­fois les coups. « Presse ven­due ! Presse men­teuse ! », peut-on entendre au sein de cette grande caco­pho­nie. Et tan­dis que vers midi tous les mou­ve­ments sociaux fêtent « leur vic­toire » en s’apprêtant à quit­ter les lieux, l’opposition parle déjà de ce jour « fati­dique » et irré­ver­sible qui consti­tue pour elle « un atten­tat contre la démo­cra­tie ». L’Eglise s’en mêle éga­le­ment, la confé­rence épis­co­pale de Boli­vie jugeant que ce « cer­co » témoigne d’« une dépré­cia­tion de la vie et d’un exer­cice irres­pon­sable de la pres­sion ». Mais la palme de la décla­ra­tion la plus pro­vo­cante revient, comme de cou­tume, au pré­fet de Cocha­bam­ba, Man­fred Vil­la Reyes : « Le vice-pré­sident Gar­cia Line­ra a prou­vé qu’il cher­chait un bain de sang avec l’appui des mili­taires… vénézuéliens ».

Bref, tout indique que les affron­te­ments –comme le pays en a connus au cours de l’année 2007 à Sucre ou Cocha­bam­ba– recom­men­ce­ront de plus belle, avant la sanc­tion par les urnes.

Ain­si le 9 sep­tembre 2008, dans la ville de San­ta Cruz, dans l’est du pays, des étu­diants et des membres de l’Union des jeunes de San­ta Cruz, favo­rable à l’opposition, prennent d’assaut et pillent les antennes de ser­vices gou­ver­ne­men­taux, dont le Bureau local de la réforme agraire, ain­si que les sièges de deux médias. En l’espace de trois jours, les locaux de trois ONG –défen­dant les droits des popu­la­tions indi­gènes et pay­sannes– sont détruits et brû­lés. Leo­nar­do Tam­bu­ri­ni, direc­teur du Centre d’études juri­diques et de recherches sociales (une asso­cia­tion œuvrant à la pro­tec­tion des droits fon­ciers des agri­cul­teurs indi­gènes et des petits pay­sans) a décrit, sans fio­ri­tures, ces vio­lences : « Ils sont arri­vés à bord de quatre-quatre, en tout envi­ron 50 per­sonnes, des jeunes voyous, cer­tains d’entre eux saouls. Ils ont défon­cé la force d’entrée à l’aide d’un véhi­cule. Ils sont entrés, ont sac­ca­gé tous les docu­ments qu’ils ont pu trou­ver et y ont mis le feu. Ils ont bri­sé tout ce qui était en verre, on détruit des bureaux et des armoires, et se sont empa­rés de livres –près d’un tiers de notre biblio­thèque, qui contient des mil­liers de volumes. Ils les ont tous amas­sés dans la rue et y ont mis feu. Des piles de docu­ments retra­çant l’histoire du CEJIS, de son tra­vail en faveur du pro­ces­sus d’attribution de terres, de son sou­tien à l’Assemblée consti­tuante. Les trente ans d’existence du CEJIS ont été entiè­re­ment rava­gés et carbonisés ».

Deux jours plus tard, le 11 sep­tembre, la confron­ta­tion va tour­ner au mas­sacre : dans le dépar­te­ment du Pan­do lorsque, en route pour un ras­sem­ble­ment gou­ver­ne­men­tal, 18 per­sonnes –pour la plu­part des agri­cul­teurs indi­gènes et des petits pay­sans, ain­si que trois étu­diants– sont assas­si­nés par des tueurs soup­çon­nés d’être à la solde de Leo­pol­do Fernán­dez, tout à la fois gou­ver­neur de la pro­vince et chef d’entreprise, ayant fidè­le­ment ser­vi sous les pré­cé­dentes dictatures.

SENSATIONNEL.

Autant le dire. « Notre chère Consti­tu­tion » est un docu­men­taire tré­pi­dant et pas­sion­né, illus­trant com­bien est dif­fi­cile l’élaboration d’un ordon­nan­ce­ment vrai­ment démo­ca­tique de la socié­té, à for­tio­ri dans un pays divi­sé. Car l’élaboration de la nou­velle Loi fon­da­men­tale a failli pro­vo­quer une authen­tique guerre civile –les pro­vinces les plus riches (et les plus « blanches ») étant à deux doigts de faire séces­sion, encou­ra­gées en sous main par l’ambassadeur des Etats-Unis.

Car la nou­velle Consti­tu­tion, une fois adop­tée, devrait consti­tuer l’avancée la plus signi­fi­ca­tive que le pays ait connue en termes de droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels : le droit à un appro­vi­sion­ne­ment en eau, à la sécu­ri­té ali­men­taire, à la san­té, à l’éducation, au loge­ment, à la jus­tice sala­riale, au droit de grève et de créer un syn­di­cat. Elle inno­ve­rait dans plu­sieurs domaines clés, notam­ment la prise en compte de la popu­la­tion autoch­tone, la nature « plu­ri­na­tio­nale » du pays, l’affirmation des droits col­lec­tifs, le ren­for­ce­ment du rôle de l’État dans les poli­tiques éco­no­miques et le fait de pla­cer l’intérêt col­lec­tif au-des­sus des inté­rêts pri­vés. Dûment approu­vé, le texte devrait empê­cher la pri­va­ti­sa­tion de la ges­tion de l’eau ou que celle-ci fasse l’objet d’accords com­mer­ciaux. Il devrait éga­le­ment inter­dire le contrôle, par des socié­tés com­mer­ciales pri­vées, des ser­vices de base, des entre­prises de dis­tri­bu­tion d’énergie et du sys­tème de sécu­ri­té sociale. Ver­dict ? « Ici s’achève le pas­sé colo­nial. Ici prennent fin le néo­li­bé­ra­lisme et le “lati­fun­dis­mo”. Nous diri­ge­rons et nous gou­ver­ne­rons comme nous le demande le peuple boli­vien. Le peuple a refon­dé la Boli­vie ! ». On est le dimanche 25 jan­vier 2009. C’est un Evo Morales solen­nel qui salue, depuis le bal­con du palais pré­si­den­tiel à La Paz, la vic­toire du « oui » au réfé­ren­dum sur la nou­velle Constitution.

L’adoption de ce texte est en effet un moment déter­mi­nant pour l’histoire de la Boli­vie : depuis l’arrivée des conquis­ta­dors espa­gnols, il y cinq cents ans, la popu­la­tion indienne –pour­tant majo­ri­taire– a été pri­vée de la plu­part de ses droits. Au fil des siècles, ce sont les des­cen­dants des Espa­gnols, puis d’autres Euro­péens, qui ont mono­po­li­sé tous les pou­voirs, poli­tiques, éco­no­miques, cultu­rels, média­tiques, confis­quant au pas­sage les terres fer­tiles : deux tiers des terres culti­vables appar­tiennent à 1 % de la population…

Jean Flin­ker

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