Thawra, “Révolution” !

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Bruxelles — octobre 2021

C’est le cri du cœur que la dia­spo­ra sou­da­naise scan­dait à l’u­nis­son à Bruxelles, en sou­tien à leurs frères et à leurs sœurs qui conti­nuent de se sacri­fier pour leur pays.

Notre révo­lu­tion conti­nue parce qu’ils ne sont pas encore tom­bés. Liberté.Paix.Justice.

Après le coup d’État du 25 octobre 2021, 3 mil­lions de per­sonnes se sont mobi­li­sées dans les rues de Khar­toum pour appe­ler à la paix et à la démocratie.

Les mili­taires et les mili­ciens ne repré­sentent pas la socié­té sou­da­naise et le peuple exige jus­tice. A Bruxelles, les mobi­li­sa­tions s’organisent en appe­lant à la soli­da­ri­té internationale.

 


Soudan : les comités de résistance : une révolution par la base

Un article de Hamad Gamal et Sarah Bachellerie / Sudfa

Les comi­tés de résis­tance, éga­le­ment appe­lés comi­tés de quar­tier, sont des acteurs cen­traux des mobi­li­sa­tions actuelles contre le coup d’Etat au Sou­dan. Ils sont la prin­ci­pale struc­ture d’auto-organisation de la révo­lu­tion Sou­da­naise. Quelles pers­pec­tives de démo­cra­tie directe offrent-ils pour le Soudan ?

Les comi­tés de résis­tance — éga­le­ment connus sous le nom de comi­tés de quar­tier — ont émer­gé comme un acteur cen­tral dans la lutte des Soudanais∙e∙s contre le pré­cé­dent régime isla­miste. Ils ont été le pivot du suc­cès de la révo­lu­tion de décembre 2018, qui a déra­ci­né le régime du dic­ta­teur Omar el-Béchir. De nom­breux acteurs poli­tiques parient que les comi­tés de résis­tance joue­ront un rôle cen­tral dans le pro­ces­sus de tran­si­tion démo­cra­tique dans lequel le pays est enga­gé. Ils ouvrent éga­le­ment de réelles pers­pec­tives de démo­cra­tie directe, « par la base », grâce à leur expé­rience de l’autogestion et leur implan­ta­tion locale.

Les comi­tés de quar­tiers : une conver­gence entre la soli­da­ri­té locale et la résis­tance politique

A l’origine, les comi­tés de résis­tance étaient de simples groupes de citoyens et citoyennes qui se sont for­més dans les quar­tiers de dif­fé­rentes villes au Sou­dan, afin de mettre en place par eux-mêmes les ser­vices de base qui man­quaient dans les quar­tiers, tels que l’électricité et l’eau, et d’améliorer les condi­tions et les ser­vices dans les écoles et les hôpi­taux (en ache­tant du maté­riel sco­laire ou médi­cal, en réno­vant les bâti­ments). Par exemple, en sep­tembre 2019, dans le vil­lage de Zuhal (Etat de Gezi­ra), les comi­tés de résis­tance ont lan­cé une cam­pagne de recons­truc­tion du puits du vil­lage ; dans le quar­tier Klak­la à Khar­toum, en jan­vier 2020, ils ont orga­ni­sé un grand net­toyage col­lec­tif des espaces publics alors que les ordures s’accumulaient dans la rue dans l’indifférence des pou­voirs publics. Dans la ville d’Al Obeid, en avril 2021, ils ont plan­té des arbres pour sou­te­nir la pro­duc­tion de gomme ara­bique qui fait la richesse éco­no­mique de la ville. Ces mou­ve­ments d’autogestion locale regroupent des habitant∙e∙s du quar­tier qui appar­tiennent à toutes les dif­fé­rentes classes d’âge et classes sociales, même si les jeunes hommes et femmes y sont par­ti­cu­liè­re­ment actifs.

En sep­tembre 2013, après la sépa­ra­tion du Sou­dan du Sud et la perte des res­sources pétro­lières de cette région, une grande crise éco­no­mique a frap­pé le Sou­dan du Nord, ce qui a déclen­ché un mou­ve­ment une révolte popu­laire. Les comi­tés de résis­tance se sont alors trou­vés aux pre­miers rangs de cette révolte, exi­geant la chute du régime. A par­tir de cette époque, les « comi­tés de résis­tance » sont deve­nus un acteur poli­tique impor­tant dans l’arène poli­tique sou­da­naise, au même niveau que les orga­ni­sa­tions poli­tiques et les syndicats.

Leur appa­ri­tion a pous­sé l’ancien régime, diri­gé par Omar el-Béchir, à concen­trer prin­ci­pa­le­ment la répres­sion sur ces comi­tés de résis­tance. Le régime a cher­ché à les déman­te­ler afin qu’ils n’étendent pas leur influence dans les quar­tiers où ils étaient actifs, par­fois en tant qu’organisations poli­tiques et par­fois en tant qu’associations de ser­vices sociaux et huma­ni­taires. L’important tra­vail de ter­rain réa­li­sé par les comi­tés de résis­tance leur a valu la confiance des habitant∙e∙s des quartiers.

Le rêve des citoyen∙ne∙s et militant∙e∙s des comi­tés de résis­tance était de recons­truire le pays par la base, en com­men­çant par l’échelle locale du quar­tier. Petit à petit, la confiance et le sou­tien que leur ont témoi­gné les habitant∙e∙s leur ont don­né l’enthousiasme d’étendre ce rêve à la nation toute entière. Ils ont lan­cé le hash­tag « Hanab­ni­ho », qui signi­fie « nous le recons­trui­rons », sous-enten­du le pays.

Une acti­vi­té poli­tique et sociale constante depuis la révo­lu­tion de 2019

Après la chute du régime en avril 2019, les comi­tés de résis­tance sont res­tés constam­ment actifs, essayant de pro­té­ger les acquis de la révo­lu­tion. Dans le même temps, ils ont essayé de recons­truire ce que le régime pré­cé­dent avait détruit, dés­in­té­grant le tis­su social et la vie cultu­relle dans les quar­tiers (notam­ment par la fer­me­ture des ciné­mas et des centres cultu­rels, et la mise en vente de leurs locaux). Les comi­tés de quar­tier ont éga­le­ment orga­ni­sé de nom­breux évé­ne­ments poli­tiques pour sou­te­nir les inté­rêts de la révo­lu­tion, dans l’objectif de construire un pays pour tout le monde, comme des céré­mo­nies de com­mé­mo­ra­tion des mar­tyrs dans chaque quar­tier, et la célé­bra­tion de la Jour­née inter­na­tio­nale des droits des femmes et des han­di­ca­pés. Par exemple, à l’occasion de la jour­née inter­na­tio­nale des droits des femmes le 8 mars 2020, les comi­tés de résis­tance du quar­tier d’Arkawit à Khar­toum ont mis en place cli­nique ouverte où toutes les femmes pou­vaient venir se soi­gner gra­tui­te­ment et faire gra­tui­te­ment des ana­lyses médi­cales, ain­si que des dis­tri­bu­tions de ser­viettes hygié­niques et des ate­liers de for­ma­tion sur le can­cer du sein.

Les comi­tés de résis­tance ont éga­le­ment orga­ni­sé des confé­rences sur l’avenir de la démo­cra­tie au Sou­dan, ain­si que des ate­liers d’auto-formation poli­tique. Ils ont par­ti­ci­pé à créer des syn­di­cats de femmes et d’étudiant∙e∙s, pro­fi­tant de l’espace de liber­té accor­dé par la révolution.

Au cours des deux der­nières années, alors que le pays en tran­si­tion était frap­pé par une infla­tion des­truc­trice, et en proie à des fluc­tua­tions démen­tielles de la valeur de la mon­naie (la livre sou­da­naise), les comi­tés de quar­tier se sont atte­lés à lut­ter à leur échelle contre la petite cor­rup­tion en consti­tuant des équipes d’« obser­va­teurs et obser­va­trices du mar­ché » qui veillent que les commerçant∙e∙s ne fassent pas mon­ter leurs prix en pro­fi­tant de la pénu­rie de cer­taines res­sources et pro­fi­tant ain­si de la misère des habitant∙e∙s. Sur les réseaux sociaux, on peut ain­si voir de plu­sieurs villes des pho­tos de jeunes gens qui campent dans les bou­lan­ge­ries pour véri­fier que les bou­lan­gers ne mono­po­lisent pas de stocks de farine dans l’espoir de vendre leur pain beau­coup plus cher les jours de pénu­rie. Dans le vil­lage d’Al-Hilalia (Etat de Gezi­ra), en octobre 2019, les comi­tés de résis­tance ont por­té plainte contre un bou­lan­ger qui ven­dait de la farine péri­mée à tout le quartier.

Sous le régime d’Omar El Béchir, les auto­ri­tés locales étaient regrou­pées dans les « comi­tés popu­laires » qui menaient des poli­tiques auto­ri­taires et carac­té­ri­sée par la cor­rup­tion, cher­chant à détruire toute forme de démo­cra­tie locale. Après la révo­lu­tion, les comi­tés de résis­tance ont ten­té d’empêcher que ce sys­tème se repro­duise par le simple trans­fert de pou­voir d’une auto­ri­té à une autre : cer­tains ont ten­té de détruire des papiers admi­nis­tra­tifs néces­saire à la prise de fonc­tion des nou­velles auto­ri­tés pour pro­tes­ter contre cet ancien sys­tème et exi­ger de nou­velles formes de démo­cra­tie locale.

Dans cer­tains cas, les comi­tés de résis­tance sont par­ve­nus à récu­pé­rer les biens com­muns arra­chés par le régime pré­cé­dent, telles que les places publiques qui avaient été ven­dues à des patrons et inves­tis­seurs proches du pouvoir.

Alors que le régime menait une poli­tique de divi­sion sur des bases racistes, les militant∙e∙s des comi­tés de résis­tance tra­vaillent au quo­ti­dien à créer du lien entre les habi­tants du quar­tier pour recons­truire un cli­mat social de paix.

Le fer de lance des mobi­li­sa­tions actuelles

Ces der­nières semaines, pen­dant les mobi­li­sa­tions de masse qui ont écla­té à la suite du coup d’état du 25 octobre 2021, les comi­tés de résis­tances sont appa­rus comme les acteurs prin­ci­paux dans l’organisation et la coor­di­na­tion des dif­fé­rents cor­tèges. Ils ont ain­si rem­pla­cé l’Association des Pro­fes­sion­nels Sou­da­nais qui avait joué le même rôle pen­dant la mobi­li­sa­tion de 2018. A la suite de la révo­lu­tion, c’est l’Association des Pro­fes­sion­nels qui a joué le rôle de repré­sen­tant de la socié­té civile dans le gou­ver­ne­ment de tran­si­tion, for­mé d’une coa­li­tion entre les civils et les mili­taires. L’expérience très déce­vante du gou­ver­ne­ment de tran­si­tion, qui a abou­ti au coup d’état actuel, a lar­ge­ment par­ti­ci­pé à décré­di­bi­li­ser l’Association des Pro­fes­sion­nels dans l’opinion publique sou­da­naise. Or aujourd’hui, si les comi­tés de résis­tances ont pu prendre la place de l’Association des Pro­fes­sion­nels, c’est parce qu’ils ont su obte­nir la confiance des révo­lu­tion­naires, une confiance que l’Association des Pro­fes­sion­nels comme les par­tis poli­tiques avaient per­du au cours des der­nières années.

Ain­si, à peine le coup d’état annon­cé, les comi­tés de résis­tances ont lan­cé un appel à mani­fes­ter pour s’y oppo­ser. Ils se sont acti­vés pour mobi­li­ser dans les quar­tiers et infor­mer les habi­tants de l’importance de par­ti­ci­per la mani­fes­ta­tion, dis­tri­buer des tracts dans leurs quar­tiers, des­si­ner des graf­fi­tis recou­vrant les murs des slo­gans et horaires et mani­fes­ta­tions. Ils ont éga­le­ment uti­li­sé les haut-par­leurs des mos­quées pour s’en ser­vir pour dif­fu­ser des dis­cours poli­tiques. Les veilles de mani­fes­ta­tion, ils construisent pen­dant la nuit des bar­ri­cades avec des briques et des objets de récu­pé­ra­tion afin d’entraver la cir­cu­la­tion des forces de l’ordre et de pro­té­ger les habitant∙e∙s du quar­tier des attaques des mili­taires et des milices. Cette stra­té­gie ingé­nieuse a lar­ge­ment prou­vé son effi­ca­ci­té dans la pro­tec­tion des manifestant∙e∙s.

Un ave­nir pour la démo­cra­tie au Soudan ?

En conclu­sion, bien que les comi­tés de résis­tance soient com­po­sés de citoyen∙ne∙s qui n’ont pas tous et toutes une expé­rience dans le monde poli­tique, ils s’organisent avec un grand pro­fes­sion­na­lisme, essayant de mettre en œuvre la démo­cra­tie dans leur manière de prendre les déci­sions. Ils s’organisent sans avoir recours à des chefs, seule­ment à des délégué∙e∙s qui se coor­donnent ensuite au niveau de l’arrondissement, puis encore au-des­sus, au niveau de la ville.  C’est cette démo­cra­tie interne qui leur a per­mis de res­ter unis et forts, et non pas divi­sés comme le sont les par­tis poli­tiques au Sou­dan. C’est éga­le­ment ce qui fait espé­rer à certain∙e∙s observateur∙ice∙s que les comi­tés de résis­tance sont un moyen de bri­ser le mono­pole des élites tra­di­tion­nelles des par­tis poli­tiques dans le champ de la poli­tique au Soudan.

Les Soudanais∙e∙s voient aujourd’hui que les comi­tés de résis­tances peuvent être une alter­na­tive aux par­tis poli­tiques qui ont échoué à créer un cli­mat com­mun d’action col­lec­tive pour trou­ver des solu­tions aux pro­blèmes du Sou­dan. Or, les comi­tés de résis­tances, grâce à leur struc­ture auto­gé­rée, se basent sur l’action locale menée par les habitant∙e∙s des quar­tiers ou des vil­lages, à laquelle tout le monde par­ti­cipe quel que soit son niveau d’expérience poli­tique : leur méthode ini­tie donc une réelle démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive au Sou­dan dans laquelle tout le monde a le droit de décider.

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