ViVe TV, quand la révolution se fait télévision

52 min, VO ESP sous-titres FR, jan­vier 2007

Réa­li­sa­tion & pro­duc­tion : Vive / Escue­la Popu­lar y Lati­noa­me­ri­ca­na de Cine

Source : “Causes tou­jours”, la revue tri­mes­trielle du GSARA. www.gsara.be

L’a­ven­ture col­lec­tive d’une télé­vi­sion de gauche dans un pays en révo­lu­tion : le Venezuela.

Le film zappe à tra­vers les pro­grammes de cette jeune télé­vi­sion publique et montre la par­ti­ci­pa­tion des coopé­ra­tives pay­sannes, com­mu­nau­tés indi­gènes, comi­tés de terre, conseils com­mu­naux… , appuyés par un col­lec­tif de cadreurs, de pre­neurs de son et de fonc­tion­naires d´État, dans la réa­li­sa­tion d´un rêve que la gauche ne croyait plus pos­sible : créer un média de masse révolutionnaire.

Dans le cadre de notre réflexion entre média et poli­tique, nous avons vou­lu mettre la lumière sur un exemple d’une télé­vi­sion qui fonc­tionne sur un autre sys­tème éco­no­mique. Nous avons contac­té Thier­ry Deronne, vice-pré­sident de Vive, une télé­vi­sion publique au Vene­zue­la, pour qu’il nous parle de cette expé­rience de télé­vi­sion dite “par­ti­ci­pa­tive”.

Il y a une ving­taine d´années, je dis­cu­tais avec Gui­do Wel­ken­huy­sen, cama­rade du GSARA, au cours du mon­tage d´un film sur la révo­lu­tion san­di­niste. “Révo­lu­tion­ner la télé­vi­sion, mais com­ment ?” me disait-il, “que faire quand un mon­teur doit mon­ter en un temps record ? Com­ment changes-tu cela ?”

En Europe, le désen­ga­ge­ment de l´État et l´imposition de la publi­ci­té comme source de finan­ce­ment font qu´il reste autant de dif­fé­rences entre la RTBF et RTL qu´entre une banque publique et une banque pri­vée. Le renon­ce­ment à la spé­ci­fi­ci­té du ser­vice public, erreur monu­men­tale de la gauche, nous a pri­vés d´un for­mi­dable outil. Au Vene­zue­la, où je tra­vaille depuis treize ans, un nou­veau type d´État naît à tra­vers la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive, les conseils com­mu­naux. Le ser­vice public est fécon­dé par la par­ti­ci­pa­tion citoyenne, par la mul­ti­pli­ca­tion de médias asso­cia­tifs libres (250 radios et télé­vi­sions, depuis la pre­mière élec­tion de Cha­vez en 1998) et par la démo­cra­ti­sa­tion d´un spectre radio-élec­trique jusqu´ici mono­po­li­sé par le pri­vé. Vive est une jeune chaîne publique qui réunit près de 700 tra­vailleurs, en majo­ri­té des femmes et des jeunes issus du milieu popu­laire. Elle émet 24 heures sur 24 pour 80 % de la popu­la­tion. Nous l´avons créée sur base de l´expérience acquise en créant d´abord des télé­vi­sions asso­cia­tives mais aus­si en tirant les leçons de l´Histoire.

Le temps, par exemple.

A Vive, faire un repor­tage sup­pose de récu­pé­rer le temps de la ren­contre. Deux jours de dia­logue, deux jours de tour­nage, deux jours de mon­tage. L´équipe du lun­di dif­fuse le lun­di sui­vant, et ain­si de suite. L´enquête par­ti­ci­pa­tive a repris ses droits sur la “news” volée à l´Autre, le temps de la par­ti­ci­pa­tion sur le temps de tour­nage, le mon­tage sur le for­ma­tage, la réflexion du spec­ta­teur sur le chaos des images.

Le tra­vail. Com­ment par­ler d´un “autre monde pos­sible” sans se débar­ras­ser d´abord de la divi­sion du tra­vail entre intel­los et manuels ? A Vive, une école per­met en per­ma­nence à chaque travailleur(euse) de se for­mer à toutes les étapes de la réa­li­sa­tion. Donc de par­ti­ci­per intel­lec­tuel­le­ment à l´ensemble. Y com­pris pour les uni­tés de trans­port, de net­toyage, de sécu­ri­té. Dans cha­cun des ate­liers de for­ma­tion sur­git la parole de travailleurs(euses) qui sup­por­taient mal la pas­si­vi­té du tra­vail et qui demandent aujourd’hui de pou­voir créer. Tous disent, ou presque, qu´il y a besoin de temps pour nouer le contact avec le peuple. D´autres, en petit nombre, s´en foutent. “Pour­quoi par­ler de télé­vi­sion com­mer­ciale ver­sus télé­vi­sion publique, puisqu´il n´existe qu´une télé­vi­sion ?” Cer­tains veulent louer une voi­ture plu­tôt que prendre l´autobus pour par­tir en repor­tage. Mais la plu­part ont com­pris que c´est en pre­nant l´autobus qu´on com­mence à connaître ceux qu´on va filmer.

Construire Vive, c´est aus­si lut­ter contre les indi­vi­dua­lismes, les volon­tés de pou­voir… Au sein de notre équipe, cer­tains pensent encore que leur auto­ri­té est un pri­vi­lège, que le véhi­cule peut être uti­li­sé à des fins per­son­nelles tan­dis que d´autres, à la base, ne l´acceptent plus. Il faut dia­lo­guer beau­coup, tirer les leçons, prendre les mesures qui s´imposent.

Et puis il y a la régio­na­li­sa­tion, la par­ti­ci­pa­tion qui sont aus­si au coeur de cette révo­lu­tion depuis neuf ans. Un de nos pro­grammes, VIVE mobile, nous mène par­tout dans les pro­fon­deurs du Vene­zue­la. Nous avons inven­té cette télé­vi­sion hors de la télé­vi­sion sous la pres­sion de l´organisation popu­laire. Manière de nouer des alliances pour le jour proche où la chaîne trans­met­tra les mul­tiples regards non de “jour­na­listes pros” mais de citoyen(ne)s armé(e)s de camé­ras à tra­vers ces régions.

En direct sur Vive, un cercle de pêcheurs prend la parole. La trans­mis­sion par fly-away, un saut tech­no­lo­gique conquis au bout de deux ans d´existence, per­met de lan­cer leurs mots en direct vers tout le pays. Ici, pas de jour­na­listes pour don­ner et reprendre la parole sans même savoir de quoi est faite la vie des pêcheurs. Non. Une femme du vil­lage, res­pon­sable de la coopé­ra­tive, lance la dis­cus­sion. La coopé­ra­tive et son rap­port à l´État. Les mai­sons encore à construire pour les pêcheurs, ren­for­cés par la loi de la pêche. Ce cercle qui dis­cute est une des formes typiques de Vive. “Ce n’est que d’une tech­nique que l’on peut déduire une idéo­lo­gie” disait Althus­ser*. Ce n´est pas seule­ment l´absence de modé­ra­teur trô­nant au milieu de l´image. C´est la parole libé­rée qui tourne et retourne, et s´élève len­te­ment, jusqu´aux déci­sions. Dis­tances res­pec­tueuses, citoyennes de la camé­ra. La télé­vi­sion du futur n´aura plus besoin de gros plan émo­tifs. On voit aus­si la mer der­rière ces pêcheurs. Sous leurs mots, la mer devient réelle : une mer de tra­vail. Demain des enfants exploi­tés par une entre­prise de pêche indus­trielle ten­dront vers nos mains des blocs de sel.

 

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