Violences masculines en période de confinement

Avec le confi­ne­ment, les femmes ont moins d’échappatoires face à un conjoint violent. La crise sani­taire rap­pelle que l’espace pri­vé n’est pas sécu­ri­sé pour les femmes. Sur le ter­rain, les asso­cia­tions adaptent leurs ser­vices pour res­ter au plus près de celles qui en ont plus que jamais besoin.

La crise sani­taire que nous vivons, comme nombre de crises avant elle, impacte plus for­te­ment les plus précarisé·es de la socié­té, dont les femmes forment les pre­miers rangs. En Chine et en Ita­lie, les vio­lences conju­gales ont aug­men­té avec les mesures prises pour contrer le coro­na­vi­rus. En Bel­gique, des asso­cia­tions de ter­rain ont adap­té leurs ser­vices pour res­ter au plus près des femmes mal­gré les mesures de dis­tan­cia­tion sociale. C’est le cas de Vie Fémi­nine qui a reçu l’autorisation de la Région wal­lonne pour effec­tuer des per­ma­nences sociales et juri­diques par télé­phone, alors que cela n’est pas pos­sible en temps dit nor­mal. Ces per­ma­nences ont éga­le­ment désor­mais lieu le week-end. Les réseaux sociaux et leurs mes­sa­ge­ries pri­vées per­mettent aus­si de prendre des nou­velles des femmes et de créer des solidarités.

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Urgence et échappatoire

« Nous avons très vite res­sen­ti l’urgence de res­ter pré­sentes auprès d’elles, indique Fati­ma Ben Mou­lay, res­pon­sable adjointe à Vie Fémi­nine Char­le­roi. Nous avons tout de suite reçu des mes­sages de femmes qui appré­hen­daient cette période de confi­ne­ment. Elles angois­saient à l’idée de devoir res­ter avec leur époux violent à la mai­son. Habi­tuel­le­ment, elles arrivent à se ména­ger des bulles d’air, par exemple en allant cher­cher les enfants à l’école ou quand le mari tra­vaille et qu’il n’est pas au domi­cile. Ce n’est plus pos­sible. Ce qui res­sort beau­coup des conver­sa­tions que nous avons avec elles, c’est qu’elles sont très angois­sées parce que leur conjoint ne res­pecte pas les consignes de sécu­ri­té. Les femmes que nous sui­vons prennent toutes leurs dis­po­si­tions pour ne pas conta­mi­ner leurs proches, alors que leur conjoint conti­nue à sor­tir et à voir des amis. Elles n’ont aucune vue sur ce que ces hommes font à l’extérieur. Elles passent leur temps à net­toyer leur mai­son et quand ils rentrent, elles doivent tout recom­men­cer, tout dés­in­fec­ter à nou­veau, c’est une charge men­tale en plus. Elles n’ont pas non plus l’espace de se révol­ter face à un conjoint violent. »

Préserver le lien avec les femmes

Fati­ma Ben Mou­lay pour­suit : « Nous avons reçu un mes­sage d’une des femmes que nous connais­sons. Son com­pa­gnon est deve­nu plus violent suite à la perte de son emploi avant la crise. Elle nous a pré­ve­nu ce matin qu’elle n’en pou­vait plus et qu’elle ne savait pas com­ment elle allait faire. Nous tra­vaillons vrai­ment à pré­ser­ver le lien avec toutes ces femmes. »

Ces espaces de dis­cus­sion servent d’échappatoires pour les femmes qui y échangent par exemple des conseils pour occu­per les enfants. « Elles sont très créa­tives, elles envoient des vidéos et des pho­tos. Cer­taines ont aus­si pro­po­sé de fabri­quer des masques pour le per­son­nel soi­gnant. Nous allons aus­si écrire ensemble des lettres de sou­tien que nous allons envoyer à des lieux pré­cis, notam­ment des centres pour per­sonnes por­teuses de han­di­cap. J’espère que nous pour­rons orga­ni­ser plus tard des ren­contres entre les femmes et les per­sonnes qui auront reçu les lettres », pré­cise Fati­ma Ben Moulay.

Pour les ani­ma­trices de Vie Fémi­nine habi­tuel­le­ment sur le ter­rain au contact des femmes, la pra­tique du télé­phone et des réseaux sociaux peut se révé­ler frus­trante. « Le télé­phone, cela n’est pas suf­fi­sant. Dans cer­taines situa­tions, il y a vrai­ment besoin d’un contact humain. Cette situa­tion com­plique les choses et éloigne les femmes à terme. Nous nous sen­tons impuis­santes. Les femmes les plus fra­gi­li­sées vont l’être encore plus. Il faut veiller à ce que ce confi­ne­ment ne signi­fie pas la rup­ture du lien social », s’insurge encore la responsable.

« J’ai peur de ne pas pouvoir appeler au secours »

À l’autre bout du télé­phone, Anne pleure. « Ne faites pas atten­tion », dit-elle. Anne est régu­liè­re­ment vio­len­tée par son conjoint. Baffes, gifles, coups de poing avec des clefs pour faire encore plus mal, elle égrène les actes de vio­lence qui consti­tuent son quo­ti­dien. Elle raconte aus­si ses péri­pé­ties dans les com­mis­sa­riats pour essayer d’être prise au sérieux, alors même qu’elle dis­pose de cer­ti­fi­cats médi­caux qui attestent des vio­lences subies. « Avec le confi­ne­ment, j’ai peur d’être à nou­veau vio­len­tée. J’ai peur qu’il me blesse fort, que je tombe mal par exemple, c’est déjà arri­vé, et qu’il me laisse là, par terre. Per­sonne ne vien­dra me cher­cher et m’aider. Il confisque aus­si sou­vent mon télé­phone. J’en suis à mon qua­trième télé­phone déjà. Il croit que je parle avec d’autres hommes. J’ai peur de ne pas pou­voir appe­ler au secours. Je dois ver­rouiller toutes mes appli­ca­tions, j’ai du mal à appe­ler mes parents », relate-t-elle.

Notre conver­sa­tion s’arrête brus­que­ment, Anne rac­croche. Son com­pa­gnon vient de ren­trer. Dans un contexte de vio­lences telles que celles que subit Anne, la vigi­lance des voisin·es peut être par­ti­cu­liè­re­ment pré­cieuse. Elles/ils ne doivent pas hési­ter à appe­ler la police (112), puisque les vic­times, elles, ne peuvent par­fois pas le faire elles-mêmes.

Les enfants aussi

Comme bien sou­vent dans les cas de vio­lences conju­gales, les enfants sont maltraité·es et utilisé·es par le conjoint violent pour mal­trai­ter les mères. En cette période de confi­ne­ment, cer­taines femmes sépa­rées expliquent quant à elles le chan­tage qu’elles subissent pour rece­voir des nou­velles de leurs enfants. Natha­lie témoigne : « Je n’ai pas mes trois enfants pour l’instant, il s’agit d’une garde par­ta­gée. Quand je ne les ai pas, je suis sans nou­velles d’eux pen­dant deux semaines. J’ai envoyé un sms au père pour avoir de leurs nou­velles, il refuse de m’en don­ner. Quand j’ai exi­gé qu’il m’en donne sinon je por­te­rais plainte, il m’a juste répon­du de ne pas oublier mon masque et mes gants, car il sait bien qu’il est inutile de se dépla­cer pour ça dans un com­mis­sa­riat, ni même de télé­pho­ner. D’ailleurs, je dirais quoi ? « Le père de mes enfants ne veut pas me confir­mer que mes enfants vont bien ? » Ils ont d’autres chats à fouet­ter en ce moment. J’ai une amie maman solo qui subit la même chose, le père refuse de don­ner des nou­velles des enfants quand ils sont chez lui. J’ai eu une autre amie dont le fils a trois ans ; là, le père refuse de le prendre, elle tra­vaille dans une usine qui n’a pas fer­mé pen­dant cette crise, elle est en contact avec de nom­breuses per­sonnes, elle est donc actuel­le­ment sous cer­ti­fi­cat car elle n’a pas d’autre solu­tion. La direc­trice de l’école lui a dit que c’est le père qui devrait gar­der le gamin – car en plus mon­sieur ne tra­vaille pas –, mais il n’y a évi­dem­ment aucun moyen de l’obliger et puis, elle se dit quand même sou­la­gée car quand il prend le gamin, elle ne sait jamais com­ment il va s’en occu­per, dans quel état il va reve­nir… Je me sens impuis­sante et dému­nie. Et je n’ai pas non plus envie de me plaindre, car je suis encore fort chan­ceuse com­pa­rée à d’autres dont la situa­tion est pire. »

Une vidéo insou­te­nable, fil­mée à Genève, cir­cule sur les réseaux sociaux. On y voit un homme dans son appar­te­ment devant sa fenêtre frap­per sa femme au sol avec un ordi­na­teur, devant les voisin·es impuissant·es qui hurlent. Le confi­ne­ment pour­rait encore durer plu­sieurs semaines.

Prise en charge compliquée

Les vio­lences risquent d’augmenter, et la prise en charge risque de se com­pli­quer. Inter­ro­gée le 17 mars par Les Gre­nades-RTBF, Josiane Coruz­zi, direc­trice de l’asbl Soli­da­ri­té femmes et refuge pour femmes bat­tues à La Lou­vière, s’inquiète : « Il faut bien enten­du conti­nuer de rap­pe­ler le numé­ro d’écoute sur les vio­lences conju­gales (0800 30 030), mais je me demande com­ment est-ce qu’elles vont pou­voir appe­ler à l’aide ? Les femmes vic­times de vio­lences conju­gales ont peur de leur agres­seur, elles ne vont donc pas pou­voir appe­ler ce numé­ro en sa présence. » 

Des ques­tions se posent éga­le­ment sur les capa­ci­tés d’accueil des mai­sons d’hébergement. Déjà sub­mer­gées, elles doivent adap­ter leurs ser­vices et tra­vailler avec du per­son­nel réduit à cause du coro­na­vi­rus. Pour­ront-elles accueillir des nou­velles arri­vantes en toute sécurité ?

Les cabi­nets des trois ministres fran­co­phones com­pé­tentes en la matière et les ser­vices spé­cia­li­sés de ter­rain se concertent en ce moment. Trois pistes sont pour l’instant sur la table : mettre en place une cam­pagne d’information large visant notam­ment à faire davan­tage connaître la ligne d’écoute ; ouvrir des héber­ge­ments d’urgence dans des locaux inoc­cu­pés – ce qui impli­que­ra aus­si des dis­po­si­tions sani­taires pour évi­ter la pro­pa­ga­tion du virus, à l’image de ce qui se fait avec les sans-abri ; et concré­ti­ser un ren­for­ce­ment de la ligne d’écoute pour qu’elle fonc­tionne 24h/24 et 7j/7 avec des professionnel·les formé·es, ce qui n’est pas le cas pour le moment. À Soi­gnies, les femmes d’un groupe de Vie Fémi­nine ont d’ores et déjà inter­pel­lé la com­mune pour que des gîtes vides puissent être mis à dis­po­si­tion des femmes vic­times de violences.

Les femmes réfugiées et les femmes précaires particulièrement touchées

Outre les vio­lences conju­gales, cer­taines femmes seront plus dure­ment tou­chées que d’autres par cette crise et le confi­ne­ment. Alors que l’Office des étran­gers a sus­pen­du l’enregistrement des demandes d’asile le temps de la crise, les femmes réfu­giées dans les centres sont tout par­ti­cu­liè­re­ment isolées.

Fati­ma Ben Mou­lay, res­pon­sable adjointe à Vie Fémi­nine Char­le­roi, explique : « Nous tra­vaillons avec le centre Feda­sil à Jumet. Nous y sui­vons plu­sieurs femmes et c’est très com­pli­qué en ce moment. Je pense notam­ment à une femme avec six enfants. Ils sont confi­nés dans une seule chambre. Ce n’est pas un centre fer­mé, c’est un centre ouvert, donc nous pou­vions y mener des acti­vi­tés. Ce sont des per­sonnes qui ont vécu de grandes vio­lences. Nous avons très peu de contacts avec elles en ce moment. »

D’autres situa­tions dra­ma­tiques sont rap­por­tées par les ani­ma­trices de Vie Fémi­nine. « Il y a une femme qui a une mala­die men­tale qui l’oblige à prendre des médi­ca­ments et à être sui­vie très régu­liè­re­ment, à gar­der une cer­taine rou­tine. Elle a une fille dont elle ne peut s’occuper que le soir – la jour­née, elle est gar­dée. La maman gérait bien cette situa­tion, mais cette rou­tine est cham­bou­lée avec le coro­na­vi­rus. Elle nous dit clai­re­ment qu’elle ne peut pas s’occuper de son enfant toute la jour­née, elle n’en est pas capable men­ta­le­ment, elle nous dit que cela la met en dan­ger et son enfant aus­si. Une autre nous dit qu’elle a vécu enfer­mée des années à cause de son mari violent qui la gar­dait sous contrôle, elle nous a expli­qué qu’elle refu­sait de se confi­ner pour ces rai­sons, cela réveille son traumatisme. »

Enfin, des angoisses spé­ci­fiques sont nées chez les plus pré­caires face aux maga­sins qui se vident.« Cer­taines n’ont pas les moyens de faire des stocks. On doit les ras­su­rer en leur disant que ce sont juste les gens qui paniquent », explique Fati­ma Ben Moulay.

Le numé­ro gra­tuit pour les vic­times de vio­lences conju­gales est le 0800 30 030. C’est une ligne d’écoute qui peut don­ner des conseils adap­tés à chaque situa­tion. Pour celles qui ne peuvent pas appe­ler, un chat est acces­sible sur le site www.ecouteviolencesconjugales.be.  En cas d’urgence, com­po­sez le 112.