Entretien avec Orlando Fortunato (Angola)

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Pour avoir l'adhésion populaire, un film doit être enraciné dans la culture du peuple.

Image_2-113.pngOrlan­do For­tu­na­to de Oli­vei­ra est né le 20 mars 1946 à Ben­gue­la (Ango­la). Diplô­mé de la Catho­lic Uni­ver­si­ty of Ame­ri­ca (Washing­ton) en sciences géo­phy­siques, il se tourne vers le ciné­ma et réa­lise en 1978 son pre­mier film, Um Caso Nos­so. En 1981, il reprend des études de réa­li­sa­tion à la Lon­don Inter­na­tio­nal Film School et tourne plu­sieurs docu­men­taire. Mili­tant de la lutte de libé­ra­tion natio­nale, Orlan­do For­tu­na­to a tra­vaillé au labo­ra­toire natio­nal du ciné­ma ango­lais. Com­boio Da Cañ­ho­ca (2004) est son pre­mier long métrage de fiction.

Fil­mo­gra­phie

Um Caso Nos­so (1978), fic­tion (moyen métrage), 16mm, NB

Memo­rias De Um Dia (1982), docu­men­taire (60′), 35mm, NB

San Pedro Da Bar­ra, docu­men­taire (15′), 35mm, NB

Fes­ta d’Il­ha (1985), docu­men­taire (moyen métrage), 35mm, couleur

Com­boio Da Cañ­ho­ca (2004), fic­tion (90 min)

Entre­tien d’O­li­vier Bar­let avec Orlan­do For­tu­na­to (Ango­la) au Fes­pa­co, Oua­ga­dou­gou, février 1997

Quelle est la situa­tion du ciné­ma en Angola ?

Le ciné­ma pour nous est extrê­me­ment impor­tant : c’est la façon la plus simple de com­mu­ni­quer entre nous ! J’ai par­ti­ci­pé aux tout-débuts de ce ciné­ma, en 1975 : nous avions bien étu­dié les poten­tia­li­tés, l’im­por­tance du ciné­ma pour le déve­lop­pe­ment natio­nal, mais nous avons vite été confron­té à la dif­fi­cul­té de finan­cer nos films. Pour­tant, nous avons un fond de déve­lop­pe­ment, l’Ins­ti­tut natio­nal du Ciné­ma, comme le CNC fran­çais, afin de défi­nir un ciné­ma natio­nal, nous avons une ciné­ma­thèque natio­nale, et nous avons une mai­son de production.

Mais les dif­fi­cul­tés propres au ciné­ma afri­cain et le pro­blème d’u­ni­té natio­nale spé­ci­fique à l’An­go­la nous ont empê­ché de pro­fi­ter de ces atouts. Les poli­tiques inter­viennent trop, la ges­tion s’est faite néga­tive, le labo­ra­toire de ciné­ma est fer­mé, l’Ins­ti­tut natio­nal du Ciné­ma n’a aucune expres­sion, et la mai­son de dis­tri­bu­tion a été pri­va­ti­sée… Le pou­voir poli­tique a com­pris l’im­por­tance du ciné­ma, a vou­lu l’u­ti­li­ser, mais comme le déve­lop­pe­ment de la télé­vi­sion était plus rapide, il s’est concen­tré sur la télé­vi­sion, et dés­in­té­res­sé du ciné­ma. Aujourd’­hui, la télé­vi­sion en Ango­la ne montre que des dis­cours poli­tiques, dans une vision péda­go­gique : ce n’est pas un ins­tru­ment d’u­ni­té, ce n’est qu’un ins­tru­ment politique !

Qu’est-ce qui vous pousse à faire du cinéma ?

Je fais du ciné­ma parce que je pense que c’est un devoir, un devoir moral : c’est la façon la plus facile de com­mu­ni­quer avec les gens, et d’ex­pri­mer tout ce qui serait à dire et qui ne peut être dit !

Est-il encore pos­sible aujourd’­hui de faire du ciné­ma en Angola ?

Oui, c’est très dif­fi­cile, mais c’est pos­sible. Mais le ciné­ma n’est jamais une prio­ri­té, même quand le gou­ver­ne­ment fait du ciné­ma une arme de pre­mière ligne pour sa pro­pa­gande. Cela crée des dis­trac­tions mais rien d’autre. Le Por­tu­gal n’a pas de poli­tique cultu­relle, et ne sou­tient donc pas les films comme la France. Pour­tant, la pro­duc­tion fran­co­phone montre que la par­ti­ci­pa­tion de l’A­frique à la culture uni­ver­selle devient sa réa­li­té. J’es­saie de faire un film depuis dix ans, mais sans finan­ce­ment.… Avec la guerre, per­sonne ne veut inves­tir en Ango­la, et moi, il me faut le cou­rage moral de ren­con­trer moi-même les gens sus­cep­tibles de m’aider.

Si nous sommes capables de construire la paix, je pense que le ciné­ma ne sera pas une prio­ri­té mais aura sa place dans la poli­tique de déve­lop­pe­ment cultu­rel. La télé­vi­sion ne nous appar­tient pas : ce qu’on y voit n’est pas ango­lais mais por­tu­gais, français…

Le doute domine : per­sonne ne sait ce qui va arri­ver. Il y a beau­coup de vide, et le vide crée tant de pro­blèmes… Cela affecte notre per­son­na­li­té natio­nale cultu­relle, car durant les quinze der­nières années, nous avons été sujets à de réels bom­bar­de­ments : si vous allu­mez la télé­vi­sion le matin, ce sont les nou­velles bré­si­liennes ! Ils n’ont rien d’autre à mon­trer… Il y a tant de pro­blèmes à résoudre… Cette vision étran­gère a affec­té notre être, nos habi­tudes, notre lan­gage, nos habits, notre concep­tion des choses… Mais tout le monde com­prend le pou­voir du ciné­ma pour une réap­pro­pria­tion cultu­relle et une éducation…

C’est le rôle que vous lui voyez aujourd’hui ?

Les films ont à rela­ter nos iden­ti­tés natio­nales. Pour avoir l’adhé­sion popu­laire, un film doit être enra­ci­né dans la culture du peuple. Nos films doivent signi­fier quelque chose pour nous. Ce ne doit pas être un ciné­ma de diver­tis­se­ment pur et simple : nos pro­blèmes doivent être pris en compte, ana­ly­sés. Notre source de réflexion doit être celle du peuple. Tous les films que j’ai faits jus­qu’i­ci cor­res­pondent à cette ligne, de même que beau­coup de films en Afrique sont en phase avec les pré­oc­cu­pa­tions des Africains.

Où puis-je voir vos films ?

Vous pou­vez les voir en Ango­la ! J’ai tour­né tout ce qui s’est pas­sé en Ango­la. Et j’ai uti­li­sé les archives natio­nales du film, des archives por­tu­gaises, mili­taires… Le maté­riel est sélec­tion­né mais je ne peux pas l’u­ti­li­ser parce que l’An­go­la a une dette avec le labo­ra­toire éta­bli au Por­tu­gal, envi­ron 20.000 dol­lars, et nous ne les avons pas ! Au minis­tère por­tu­gais de la Coopé­ra­tion, on me répond que l’Ins­ti­tut natio­nal ne sait com­ment résoudre le problème.

Y a‑t-il des pers­pec­tives de col­la­bo­ra­tion avec les pays d’A­frique australe ?

Oui, le Mozam­bique bouge et nous avons le SADEC, une sorte de Com­mon­wealth, qui a un pro­gramme cultu­rel bien défi­ni pour l’au­dio­vi­suel. Il nous faut nous regrou­per, nous ne pou­vons pas faire cava­lier seul. Indé­pen­dam­ment du pro­blème de langue, c’est un vrai mar­ché poten­tiel, la par­tie la plus riche du conti­nent, avec de bonnes tech­no­lo­gies, les struc­tures, l’argent…

Pour faire des films hollywoodiens…

Oui, mais cela doit être ajus­té. On ne va pas les étouf­fer avec nos pro­blèmes, mais ils ont par exemple une ciné­ma­to­gra­phie très pauvre au niveau éducatif.

Quelle est votre situa­tion professionnelle ?

Je suis fonc­tion­naire de l’Ins­ti­tut du ciné­ma, en tant que réalisateur.

Vous dis­po­sez d’un budget ?

Non. L’an­cienne struc­ture avait fait pro­mis une aide au ciné­ma mais aucun film n’a été tour­né. Les deux films que j’ai fait en Ango­la ont été tota­le­ment faits en Ango­la : nous n’a­vions pas d’aide exté­rieure, nous avions un labo­ra­toire, on débor­dait de maté­riel, du bon… Tout cela est fou­tu aujourd’­hui : il faut tout repen­ser, tout recom­men­cer, mais j’ai aujourd’­hui le même état d’es­prit que j’a­vais avant ! Je ne peux pas faire mes films, mais je pense que je ne peux pas me mettre à la retraite ! Les col­lègues sont décou­ra­gés mais je pense que je dois me battre, parce que le ciné­ma ne peut pas mou­rir ! Mal­gré tous les pro­blèmes, il faut relan­cer le ciné­ma en Angola !

Il se fait des films sur l’An­go­la, pro­duits par d’autres pays ou ini­tia­tives de réa­li­sa­teurs étrangers.

Nous ne sommes sou­vent même pas contac­tés… L’An­go­la n’est pas ma pro­prié­té, mais je crois que nous sommes capables d’a­na­ly­ser nos propres pro­blèmes avec une vision qui sera plus inté­rieure. Les pro­fes­sion­nels existent !

PS : Orlan­do For­tu­na­to pré­pa­rait à l’é­poque de cet entre­tien un film à tour­ner au Zimbabwe.

Source de l’ar­ticle : afri­cul­tures