CONFERENCE-DEBAT
Dans le cadre de la présentation du livre « Europe, Crimes et Censure au Congo » de Charles ONANA, la diaspora congolaise vous convie à la conférence-débat animée par celui-ci sur le rôle de l’Union Européenne dans la crise des Grands Lacs.
Orateur principal : Charles ONANA
Jeudi 29 novembre 2012 à 18h30
Auditorium Alfred Cahen, 1 rue de Defacqz – 1000 Bruxelles
Les documents secrets de l’Union Européenne révèlent comment Joseph Kabila a été imposé en 2006 aux Congolais
Dans son livre, le journaliste d’investigation Charles Onana publie des documents internes de l’Union Européenne très accablants. Un ouvrage qui met à nu la diplomatie de la respectable institution dans les Grands Lacs depuis une décennie. On y apprend surtout que la condition pour que Joseph Kabila reste au pouvoir était qu’il se taise sur l’action de Paul Kagame et des troupes rwandaises à l’Est du pays. Pour l’auteur, on ne peut pas comprendre la tolérance et la complaisance à l’égard de la fraude massive aux élections présidentielles de 2011 en RDC si on ne connaît pas le pacte conclu entre Joseph Kabila et « la communauté internationale » lors du scrutin de 2006.
Extraits du livre de Charles Onana :
1- Comment le commissaire Louis Michel va s’imposer dans le processus électoral en RDC et préparer son soutien à Joseph Kabila et à l’action de Paul Kagame en RDC
A Bruxelles, un homme veut absolument jouer les premiers rôles dans ce dossier. Il s’agit de Louis Michel, le commissaire européen. Au cours d’une réunion qui se tient dans son bureau le 4 octobre 2004 et qui va durer environ une heure et trente minutes, monsieur Michel est très nerveux et s’en prend au responsable de la direction des relations extérieures de la Commission, monsieur Thierry de Saint Maurice. Il lui reproche de conduire une politique hasardeuse, inefficace et coûteuse en RDC. Le discours de Louis Michel est approuvé par les membres de son cabinet, le directeur général pour de développement de la Commission, Stefano Manservisi, et les divers assistants qui participent à la réunion. Le vrai problème de Louis Michel est plutôt qu’il a le sentiment de ne pas être au cœur des initiatives de l’Union Européenne relatives au processus électoral congolais. Il veut être le chef d’orchestre des élections congolaises et cette réunion est l’expression de ses frustrations ou plus exactement de ses aspirations. Il réclame entre autre de pouvoir superviser le travail des observateurs électoraux, celui des chefs de mission, etc. Au milieu des débats, il prend la parole et annonce qu’en tant que commissaire européen, il refusera de donner des crédits à la direction des relations extérieures de l’Union Européenne s’il n’obtient pas « la responsabilité totale de l’opération » des élections au Congo. La menace est directe et brutale. En réalité, Louis Michel est à la fois proche de Joseph Kabila et de Paul Kagame. Il ne semble pas travailler uniquement pour le compte de l’Union Européenne. Parallèlement à ses intérêts personnels au Congo, il a un net penchant en faveur de Joseph Kabila et veut aussi défendre ou protéger l’influence rwandaise au Congo. On peut, dans ces conditions, comprendre l’énergie qu’il met à critiquer et à menacer ses collègues à Bruxelles. Louis Michel décide donc de se rendre régulièrement en RDC pour suivre lui-même l’évolution du dossier électoral. Entre le 27 et le 29 août 2005, il va s’enquérir de l’enregistrement des électeurs sur les listes électorales. Il se rend au nord du Katanga, une région riche en diamants, et au Kasaï Oriental, accompagné de l’abbé Apollinaire Malu Malu, président de la commission électorale indépendante (CEI). Il constate certes l’ampleur des difficultés sur le terrain mais retient seulement que la distribution des cartes d’électeurs est gratuite, que les Congolais veulent absolument voter et que les leaders politiques sont disposés à aller aux élections. A cette occasion, il rencontre presque tous les responsables des partis politiques congolais (Joseph Kabila, Jean-Pierre Bemba, Azarias Ruberwa, Anotine Guizenga et Etienne Tshisekedi). Il leur annonce que l’Union Européenne étudie la possibilité d’envoyer des observateurs au moment des élections. Il co-préside surtout avec l’abbé Malu Malu une réunion du Comité de pilotage du projet d’appui au processus électoral. Il achève son séjour à Kinshasa par un déjeuner de travail avec les présidents du sénat et de l’assemblée nationale. Pour lui, « le processus de transition est la seule voie possible pour le Congo ». Il n’y a pas, d’après lui, de « plan alternatif ». Mais tout le monde au sein de l’Union Européenne ne partage pas la position pour le moins tranchée, sinon partisane et très personnelle, de monsieur Louis Michel sur le dossier électoral congolais.
2- Contrairement à l’analyse de Louis Michel , une note du chef de la délégation européenne en RDC adressée à l’attention de madame Elisabeth Tison, chef d’unité à la délégation de la Commission Européenne en date du 12 octobre 2005 met en avant les problèmes relatifs au « blocage de la transition » : « Il est de plus en plus évident que les autorités congolaises usent de beaucoup de manœuvres dilatoires pour bloquer, de facto, le processus de Transition. a) S’agissant du processus électoral, si les opérations d’enregistrement en cours illustrent la volonté de la population d’aller vers les élections, il n’en va pas de même pour les dirigeants de la Transition qui ne sont pas pressés d’examiner la loi électorale. Au 10 octobre 2005, le nombre d’électeurs enregistrés dépassait 16 millions. Ce résultat est très satisfaisant compte tenu de la situation du pays et des nombreuses vicissitudes que le processus d’enregistrement a vécues. Il ne doit cependant pas faire illusion (…). Il semblerait surtout que les trois principaux dirigeants de la Transition congolaise ne soient pas du tout pressés d’aller affronter un scrutin dont l’issue est de plus en plus incertaine. Leurs bases politiques ne sont pas aussi sûres qu’ils le pensaient initialement lorsqu’ils se sont engagés dans le processus électoral, qu’il s’agisse du Katanga pour le président Kabila, de l’Equateur pour M. Bemba et du Sud-Kivu pour M. Ruberwa. b) Concernant le processus de brassage et d’intégration de l’armée, il convient en outre de déplorer les retards, maintenant très importants, avec lesquels la deuxième phase est lancée (…). Si le manque de moyens logistiques est l’alibi trouvé par les militaires pour ne pas acheminer les troupes vers les centres de regroupement, cette situation traduit surtout un manque de volonté politique qui, si la tendance n’était pas inversée rapidement, risquerait de menacer le processus électoral en cours ainsi que ses résultats. 2. Face à ces manœuvres dilatoires, la Communauté internationale, dans sa grande majorité, continue de se montrer extrêmement compréhensive. a) Ainsi la MONUC et le PNUD ont, trop rapidement épousé le point de vue du Président de la CEI de reporter la date du référendum, fixée initialement le 27 novembre, au 18 décembre 2005 (…). b) La plupart des membres de la Communauté internationale mettent trop souvent en avant, devant les dirigeants congolais, le retard intervenu dans l’adoption de la résolution 1621 du Conseil de sécurité des Nations Unies portant notamment sur la logistique du processus électoral en République Démocratique du Congo. Si ce retard très important (3 mois) est en effet regrettable, il conviendrait surtout de dénoncer toutes les manœuvres dilatoires que les dirigeants congolais utilisent. Ceux-ci, outre le souhait de rester plus longtemps au pouvoir avec tous les privilèges qu’il confère, semblent aujourd’hui sous-estimer l’impact des échéances du 31 décembre 2005, voire même du 30 juin 2006. Ils ont, en effet, tellement redouté l’échéance du 30 juin 2005 qui, s’étant bien déroulée, les amène à être très optimistes sur la manière dont se négocieront et le 31 décembre 2005 et le 30 juin 2006. Ils font le calcul, non sans raison, que la Communauté internationale continuera de les soutenir quoiqu’il arrive, tout en continuant à critiquer celle-ci en lui imputant l’essentiel des retards dans le processus de transition (…). 3. (…) la Transition congolaise demeure essentiellement une phase de maintien de la paix. Or, les étapes de ce processus, lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir le soutien et l’appropriation des dirigeants en place pour les mener à bien, doivent leur être imposées par la communauté internationale dans l’intérêt même de la population congolaise. Il me paraît à cet égard plus important aujourd’hui de nous rapprocher des vœux de l’immense majorité de la population, qui attend avec impatience d’aller aux élections, que de chercher à convaincre une classe dirigeante qui, quoi qu’elle dise, ne semble pas avoir d’autre perspective que de perpétuer le plus longtemps ses avantages d’autant plus qu’elle pense pouvoir compter sur l’apathie de la rue kinoise ainsi que sur la poursuite du soutien massif de la communauté internationale même au-delà de la Transition… »
3- A la veille de l’élection présidentielle, l’Union Européenne ne tient pas compte de l’avertissement de ses propres diplomates
Dans un rapport restreint du 5 mai 2006, le chef de la délégation européenne en RDC, monsieur Carlo de Filippi soulève d’importantes questions : «
Depuis le début de la transition, la communauté internationale n’a pas su ou pas voulu s’opposer aux manœuvres dilatoires des dirigeants congolais. De ce point de vue l’installation au pouvoir, suite à Sun City, des anciens belligérants s’est révélée être une erreur tant elle a favorisé, sur fond de méfiance réciproque : et les pratiques de corruption et de mauvaise gouvernance, et les manœuvres dilatoires et leur volonté de rester au pouvoir coûte que coûte. Si la communauté internationale, à travers le CIAT a paru, fin novembre 2005, vouloir enfin changer de ton vis-à-vis des dirigeants congolais, les choses ont malheureusement rapidement évolué suite au référendum constitutionnel du 18 décembre 2005. Alors que le risque de non respect de l’échéance du 30 juin 2006 se posait déjà, la communauté internationale, soudée en façade mais largement divisée en profondeur, a préféré agir en ordre dispersé dans la dénonciation des manœuvres dilatoires des dirigeants congolais qu’il s’agisse de la promulgation de la Constitution et de la loi électorale ou de l’intégration de l’armée et des discussions sur la gouvernance. Les dirigeants congolais depuis janvier 2006 ne prennent d’ailleurs plus de gants pour refuser tout dialogue avec la communauté internationale : de fait les réunions avec l’espace présidentiel et celles des commissions mixtes sont devenues rarissimes et le CIAT préfère diffuser des communiqués relativement complaisants sur les problèmes de la transition congolaise. Or depuis la promulgation de la Constitution de la IIIème République, le non respect de l’échéance du 30 juin 2006 constitue surtout un problème politique. Sur un plan juridique l’article 222 de la nouvelle Constitution permet en effet d’assurer la continuité des institutions de la transition au-delà du 30 juin 2006. Toutefois la marginalisation volontaire de l’UDPS, semble-t-il appuyée aujourd’hui par une partie de la hiérarchie catholique (Monseigneur Monsengwo), pourrait contribuer à compliquer cette nouvelle prolongation de la transition. Dans un contexte d’extrême fragilité du processus de transition marqué entre autre par l’insécurité croissante à l’Est de la RDC, notamment en Ituri où le regain des milices cache mal les ingérences croissantes de l’Ouganda, par les atteintes répétées aux droits de l’Homme perpétrées surtout par l’armée congolaise, qu’elle soit intégrée ou pas, par la méfiance croissante des membres de l’espace présidentiel qui se présentent, presque tous, à l’élection présidentielle, la moindre déstabilisation pourrait entraîner une cascade d’événements non souhaitables et difficilement contrôlables. Par exemple, Jean-Pierre Bemba se plaint ouvertement que les troupes de
Joseph Kabila, essentiellement la GSSP, n’ont pas été brassées, contrairement à la plupart de ses soldats. De plus, International Crisis Group souligne que le RCD, un des déçus probables du processus électoral en cours, pourrait être tenté de déstabiliser l’Est du pays »
4- Le diplomate fait savoir qu’il est dangereux pour une partie de « la communauté internationale » de soutenir ostensiblement Joseph Kabila
« Le nombre, sans doute trop important, des candidats qui se présentent soit aux présidentielles, soit aux législatives, devrait paradoxalement avantager Joseph Kabila. a) C’est le seul qui se dégage vraiment de la liste des 33 candidats aux présidentielles. Avec beaucoup d’habileté, il est en train de réussir plusieurs choses : apparaître comme un candidat ‘‘indépendant’’ seul contre tous, transcendant les clivages ethniques et politiques ; sa séparation, de façade, avec le PPRD, constitue une bonne opération politique de même que les rumeurs sur son futur mariage, en juin prochain, qui sera béni par le Cardinal Etsou ; accélérer la décomposition du MLC ; donner l’impression de venir en aide au RCD sur la question de Minembwe sans pour autant s’exposer publiquement à l’impopularité qu’une telle décision entraînerait ; favoriser un grand nombre de candidatures de complaisance qui se rallieront à lui juste avant le premier tour des présidentielles afin de provoquer un grand rassemblement, soit avant le deuxième tour, si un deuxième tour est nécessaire. De fait il existe une forte chance que Joseph Kabila soit élu au premier tour : non seulement ses partisans en sont convaincus, certains faisant même courir le bruit qu’il y aurait un risque à organiser un deuxième tour des présidentielles ; mais surtout lui-même, par son côté ‘‘force tranquille’’, donne l’impression que son élection constituera une simple formalité. En outre, l’attitude d’une partie de la communauté internationale accentue cette tendance en donnant l’impression qu’elle soutient Joseph Kabila. Ce comportement est extrêmement dangereux car l’opinion publique en RDC finit par en être convaincue ce qui risque de dénaturer un processus démocratique en offrant une fausse liberté de choix. De fait, certains acteurs bilatéraux membres du CIAT qui étaient jusqu’ici plutôt neutres par rapport au processus électoral, semblent maintenant vouloir changer d’attitude pour appartenir au ‘‘camp des vainqueurs’’… A l’opposé, l’actuel président de l’Union Africaine, Denis Sassou Nguesso, ferait tout pour compliquer la tâche de Joseph Kabila en incitant l’UDPS à participer au processus et en soutenant Jean-Pierre Bemba. b) S’agissant des législatives, la multitude des candidatures retenues par la CEI (9632) risque, sans grands partis vraiment structurés, d’accoucher d’un Parlement atomisé, donc faible et sans doute, à la botte de Joseph Kabila »
5- Le diplomate rappelle l’Union Européenne à son devoir de neutralité
La promesse des postes de haut niveau peut également favoriser des ralliements, Olivier Kamitatu étant de plus en plus convaincu d’être choisi par Joseph Kabila pour diriger le futur gouvernement issu des élections… Cette recomposition du paysage politique congolais ‘‘à la gabonaise’’ pourrait permettre d’aboutir à un certain consensus politique après les joutes électorales. Elle risque toutefois de donner l’impression à l’électeur congolais que son vote a été détourné d’où l’appel récent de Mgr Monsengwo à une certaine transparence dans le processus électoral, ‘‘le peuple et l’opinion nationale autant qu’internationale’’ ayant ‘‘le droit de savoir s’il a des candidats alimentaires qui sont de simples figurants ou prête-noms et dont la candidature ne sert qu’à induire l’électeur dans l’erreur’’. Cette approche risque également de rompre l’équilibre qui avait été voulu par les auteurs de la Constitution de la IIIème République en faisant du Parlement une simple chambre d’enregistrement, les décisions essentielles se prenant à la présidence. Devant le risque d’avoir un système démocratique dévié de ses objectifs, la communauté internationale, et surtout l’Union Européenne, doit rester très vigilante. Tout d’abord en s’assurant que le processus électoral en cours soit au minimum crédible, c’est-à-dire en faisant tout pour que ce processus évite essentiellement de ‘‘légitimer par avance’’ Joseph Kabila. Dans ce contexte, il conviendrait pour la communauté internationale : — de veiller au strict respect du calendrier fixé ; — d’afficher une stricte neutralité vis-à-vis des candidats aux législatives ainsi qu’aux présidentielles. Cette attitude sera difficile à observer vis-à-vis de certains candidats appartenant à l’espace présidentiel et qui sont incontournables si on veut maintenir un minimum de dialogue avec les dirigeants de la RDC. Elle sera encore plus difficile à observer de la part des Etats qui ont déjà publiquement manifesté leur préférence au point d’induire l’opinion publique congolaise en erreur ; — d’empêcher toute tentative de découplage entre législative et présidentielle, risque toujours possible si on finit par se rendre compte qu’il sera peut-être difficile d’organiser les élections législatives pour le 30 juillet 2006 ; l’entourage de Joseph Kabila est naturellement très favorable à ce découplage faisant même courir le bruit que si les élections n’ont pas lieu avant le 30 juin 2006, il risque d’y avoir des troubles à Kinshasa… ; — de veiller au respect d’une certaine déontologie en exigeant en particulier l’adhésion de tous les candidats à un code de bonne conduite lorsque les différentes campagnes électorales démarreront ; — de permettre à la Haute Autorité des Médias de jouer son rôle en matière d’égalité d’accès aux médias, de transparence et de respect absolu de la liberté d’expression ; — de poursuivre, sans compromission, l’objectif d’inclusivité du processus par exemple en essayant de convaincre l’UDPS à participer aux élections provinciales qui serviront à la désignation des sénateurs et gouverneurs ; — d’assumer une observation des élections qui soit performante ; — d’accélérer l’arrivée de la force européenne qui devrait constituer une assurance contre toute tentation de dérapage, d’où qu’elle vienne »
6- Un rapport secret envoyé au cabinet de Louis Michel le 16 février 2006 à 15h16 confirme le choix de Joseph Kabila par Paris et Washington.
Il y a en réalité deux positions au sein de ce qui est qualifié de « communauté internationale ». D’une part celle représentée par la France et les Etats-Unis qui soutiennent déjà la désignation, ou plus exactement le maintien, de Joseph Kabila au pouvoir et d’autre part celle de certains membres de la Commission Européenne qui souhaitent plutôt la tenue d’un scrutin libre et incontesté. Des négociations et des actions de lobbying se multiplient néanmoins à Bruxelles pour convaincre certains dirigeants congolais de se ranger derrière Joseph Kabila. Ses soutiens occidentaux se mobilisent beaucoup pour le rassurer de l’appui de la « communauté internationale » c’est-à-dire essentiellement celui de la France et des Etats-Unis. Le Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT), qui avait été mis en place pour servir de moyen de pression auprès des dirigeants congolais dans le but d’équilibrer le rapport de force politique, perd très vite de son autorité. Les grandes puissances, qui ont déjà pris parti pour Joseph Kabila, ne souhaitent plus l’intervention du CIAT, tout au moins, dans le processus portant sur l’élection du président de la République du Congo. Dans un rapport secret envoyé le 16 février 2006 à 15h16 au cabinet de Louis Michel par la délégation européenne à Kinshasa, il est écrit : « La France et les Etats-Unis continuent d’ailleurs d’estimer que le CIAT n’a pas pour fonction d’intervenir dans les affaires congolaises, surtout lorsqu’il s’agit de celles du chef de l’Etat ». On lit plus loin : « Dans ce contexte, la France qui visiblement pourrait avoir convaincu l’Allemagne, estime que les experts/techniciens travaillant sur le processus électoral devraient avoir un rôle limité et laisser l’aspect politique aux diplomates et aux ambassadeurs ». Si la volonté de placer Joseph Kabila en position de « vainqueur » des prochaines élections devient incontestable et irréversible, une question néanmoins demeure. On comprend parfaitement que les Etats-Unis continuent de soutenir Joseph Kabila et Paul Kagame au vu de leur politique dans les Grands-lacs. Mais le suivisme de la France est moins évident. Est-ce pour la France un alignement aveugle sur la position des Etats-Unis ou est-ce une erreur d’appréciation de la personnalité de Joseph Kabila et de la nature de ses liens plus ou moins serrés avec Kigali ? Une chose est certaine, le soutien de la France à Joseph Kabila n’a jamais placé cette dernière en position de force, ni au Congo ni au Rwanda. Chaque fois qu’il en a l’occasion, le président rwandais, Paul Kagame, s’évertue à invectiver les dirigeants français ou à les tourner en ridicule. Cet ancien maquisard à la culture sommaire et à la courtoisie limitée s’en prend pêle-mêle aux ministres et aux diplomates français sans que personne ne lui porte une réplique digne de ses amabilités. Jusqu’à présent, la « contre-offensive » française dans les Grands Lacs est restée faible, peu ambitieuse et totalement insignifiante face à l’agressivité et à la stratégie anglo-américaine. Le dictateur rwandais a même poussé le zèle jusqu’à bannir le français au Rwanda pour faire de l’anglais la nouvelle langue officielle du pays et à intégrer le Commonwealth, au détriment de la France qui semble plus que jamais résignée à subir les tacles de ses alliés en Afrique. En vérité, Jacques Chirac ne voulait pas d’un affrontement avec George Bush, ni sur le Congo ni sur le Rwanda. Eprouvé par la tension avec les Etats-Unis durant la guerre irakienne, dépassé par le déploiement militaire américain – notamment la force Africom – dans son pré carré, usé par son dernier mandat et acculé par le bouillant Nicolas Sarkozy qui cherchait à tout prix à entrer à l’Elysée, le chef de l’Etat français aspirait surtout à prendre une retraite tranquille. Il a finalement choisi d’être conciliant avec Washington, évitant un bras de fer inutile. Cette position transparaît clairement lorsque l’auteur du rapport secret souligne l’attitude de la France et des Etats-Unis : « Si le délai du 30 juin 2006 n’est pas respecté, ces pays n’hésiteront pas à faire ‘‘porter le chapeau’’ aux ‘‘experts’’ ainsi qu’au PNUD plutôt que d’avoir à reconnaître leur complaisance vis-à-vis des autorités congolaises et leur inertie au sein du CIAT. Fidèle à sa stratégie, la France veut faire primer le discours politique du ‘‘tout va bien Madame la marquise’’ sur la nécessité d’une pression sur les principaux dirigeants de la transition s’agissant de la réalisation dans un délai raisonnable, entre autres, des aspects techniques d’organisation des scrutins, de diffusion du matériel, de formation de personnel, du dépôt de candidatures, de leur dépouillement et des recours éventuels et occulte ainsi le temps nécessaire et incompressible de ces différentes étapes. Aider à la bonne réalisation de ces étapes dans les délais raisonnables, c’est permettre à la transition de se terminer dans les temps et sans heurts ! Il apparaît assez clairement que Kabila dicte sa ligne de conduite et possède ainsi un pied dans l’Union Européenne et que l’ambassade des Etats-Unis influence le CIAT à travers Bill Swing. Par ailleurs, au sein du CIAT, les Etats africains sont probablement influencés par la France et les Etats-Unis, tandis que la Chine et la Russie ne s’intéressent que de loin à la politique congolaise et/ou ne souhaitent pas faire de vagues ». Le processus électoral ira finalement à son terme, conformément aux volontés affichées au sein de l’Union Européenne. Pour s’en rendre compte, il suffit simplement de suivre ici les commentaires dithyrambiques exprimés par ses représentants officiels dès le premier tour du scrutin, qui voit Joseph Kabila arriver très largement en tête avec officiellement plus de 44% des suffrages. Javier Solana, Haut Représentant pour la Politique Étrangère et de Sécurité Commune de l’Union Européenne (PESC), exprime le premier sa satisfaction : « Je salue la tenue dans de bonnes conditions des élections présidentielles et législatives en République Démocratique du Congo ce dimanche 30 juillet. Je félicite le peuple congolais qui s’est rendu nombreux aux urnes et qui a pu s’exprimer, d’une manière générale, dans le calme et dans la dignité, exprimant sa détermination à construire un meilleur avenir pour son pays (…). L’Union Européenne reste fermement aux côtés de la population congolaise dans ces moments historiques et témoigne, entre autres par la présence de sa mission EUFOR, de son engagement en vue de voir aboutir les élections dans un esprit de réconciliation et de consensus national ». Louis Michel, Commissaire européen au Développement et à l’aide humanitaire, parmi les plus fervents partisans de Joseph Kabila, ne boude pas son plaisir : « Le 30 juillet 2006 les premières élections démocratiques et pluralistes depuis 40 ans se sont tenues en République Démocratique du Congo. Il s’agit de l’aboutissement concret d’un rêve qui pour les Congolais vient de très loin, une vraie opportunité de renouveau qui est maintenant à portée de main. Je voudrais sincèrement féliciter le peuple congolais qui a montré une maturité et une appétence pour la démocratie. Je suis heureux d’avoir misé, depuis 1999, sur le peuple congolais qui était fatigué de la guerre et des conflits et qui a eu la volonté d’aller vers la démocratie, un processus irréversible. (…) A présent nous exhortons la population congolaise et toutes les parties concernées à poursuivre leur participation pacifique à ce processus dans un esprit de réconciliation nationale et de respect de la démocratie et de l’Etat de Droit dans l’intérêt général du pays. La Commission européenne, premier bailleur de fonds du processus électoral, continuera d’apporter son soutien au peuple et à l’Etat congolais dans cette nouvelle phase »