Le samedi 27 novembre de 11h à 13h au Cinéma Arenberg
Galerie de la Reine 26 — 1000 Bruxelles
Troisième séance du cycle de “Sensibilisation à l’analyse cinématographique”
Cours donné par Thierry Odeyn, professeur à l’INSAS
Le temps éclaté ou la narration subjective (VII)
De quelques emplois du flash back
“Smultronstället” (Les Fraises sauvages) d’ Ingmar BERGMAN — 1957 -
A 78 ans, le professeur Isaak Borg (Victor SJÖSTRÖM) va être couronné Docteur Jubilaire de l’Université de Lund. Il fait le voyage en compagnie de sa belle-fille (Ingrid THULIN) et, pendant le trajet, des bribes de sa jeunesse lui reviennent.
” Je vivais un conflit plein d’amertume avec mes parents. Je ne voulais ni ne pouvais parler à mon père. Mère et moi avions plusieurs fois cherché une réconciliation passagère mais il y avait trop de cadavres dans les placards et de malentendus empoisonnés (…) Je m’imagine qu’une des principales forces motrices des “Fraises sauvages” résidait précisément là. C’est moi que je représentais dans le personnage de mon père et je cherchais une explication aux douloureux conflits avec ma mère (…) Il me semblait comprendre que j’étais un enfant non désiré, grandi dans un giron froid, et que j’étais né en temps de crise — physique et psychique. “J’avais l’impression que certains enfants naissent d’utérus froids.” C’est cette réplique qui m’a incité à mettre la mère dans le film (…) J’avais alors 37 ans, j’étais coupé de toutes relations humaines et c’est moi-même qui coupait ces relations en voulant m’affirmer. J’étais quelqu’un de renfermé, un raté, bien qu’aillant du succès (…) A travers toute cette histoire ne passe donc qu’un thème avec d’infinies variations : les insuffisances, la pauvreté, le vide, l’absence de grâce… ” La force motrice des “Fraises sauvages” est donc une tentative désespérée de me justifier face à des parents mythiquement démesurés qui me tournent le dos — tentative vouée à l’échec.” (Ingmar BERGMAN)
Au contact du passé retrouvé, le professeur Borg fait le bilan amer de ses insuffisances. Il a perdu la femme qu’il aimait, son mariage a été malheureux, il retrouve cet échec chez son fils. Parti cueillir la consécration professionnelle de sa vie, son titre jubilaire, il prend conscience que le froid et la solitude ont jeté une ombre destructrice sur lui. Chaque retour en arrière, rêvé ou remémoré, est généré par un accident subi pendant le voyage. “Je me surpris à revivre en pensées les incidents de la journée. Il me semblait déjà discerner dans cette suite hasardeuse et embrouillée d’événements une étrange causalité” se confie-t-il à la fin du trajet, de son voyage intérieur vécu comme une quête de la connaissance de soi-même.
Si pour la première fois, avec “les Fraises sauvages” le cinéma matérialise le passé dans son épaisseur subjective, ces retours en arrière — déplacements dans le temps — ne brisent cependant pas encore le fil conventionnel de la narration — le voyage dans l’espace — .
BERGMAN demandera à SJÖSTRÖM, le “père” du cinéma suédois, — ” Il avait réalisé le film qui pour moi était le plus important des films et je vois clairement à quel point “la Charrette fantôme” a influencé mon travail jusque dans les détails.” — d’interpréter le rôle d’Isaak Borg. Il le fit avec une telle autorité que BERGMAN écrira “Victor SJÖSTRÖM s’était emparé de mon texte, il se l’était approprié, il avait misé sur ses expériences : sa souffrance, sa misanthropie, ses refus, sa brutalité, son chagrin, sa peur, sa solitude, son froid et sa chaleur, sa dureté et son ennui. Empruntant la forme de mon père, il occupa mon âme, IL S’APPROPRIA TOUT — et il ne me resta rien. Il fît ça avec la souveraineté et la passion d’un grand personnage. Je n’ai rien eu à ajouter pas même un commentaire, raisonnable ou irrationnel. “Les Fraises sauvages” n’était plus mon film, c’était celui de Victor SJÖSTRÖM.”
Avec des analyses de séquences extraites de “Smultronstället” (Les Fraises sauvages), de “Gycklarnas afton” (La Nuit des Forains) et de “Persona” d’Ingmar BERGMAN. Et de “Körkarlen” (La Charrette fantôme) de Victor SJÖSTRÖM.
Prochaine séance : Le 11 décembre 2010.
PAF : 5 € *
* à partir de 7 cours suivis, une place au Cinéma Arenberg vous est offerte
Pour toute information : 02 512 97 21