Ce samedi 19 février de 11h à 13h au Cinéma Arenberg
Sixième séance du cycle de “Sensibilisation à l’analyse cinématographique”
Le temps éclaté ou la narration subjective
“Nuit et Brouillard” d’Alain RESNAIS — 1955 -
1954, les membres du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale inaugurent une exposition rue d’Ulm sur le thème “Résistance, libération, déportation”. Sans l’appui du lobby des grands Résistants, celle-ci aurait pu ne jamais ouvrir ses portes car on y démontrait “grâce à des documents originaux que les deux cent cinquante mille déportés, les soixante quinze mille fusillés reconnus, les victimes anonymes qu’on découvre encore chaque jour dans de nouveaux charniers, ont été frappés par une volonté déterminante qui n’aurait pu être appliquée avec une telle rigueur si les services de police allemande n’avaient pas trouvé auprès des agents de l’administration du gouvernement de l’Etat français de nombreuses complicités”. (Olga WORMSER)
Le succès public est tel que le Comité passe commande d’un court métrage à Argos Films.
“C’est un coup de téléphone, un soir, d’Anatole Dauman qui m’a proposé de tourner un court métrage sur les camps de concentration. Ma première réaction a été évidemment de dire que je n’avais jamais été moi-même déporté. Il me semblait que seul un metteur en scène qui a été déporté pouvait se charger de ça. C’était tout à fait au-delà de mes capacités. (…) Je crois avoir dit : ” Je connais un peu Jean Cayrol qui est un écrivain que j’admire beaucoup, qui est ami de Chris Marker, et qui travaille au Seuil. Et lui a été déporté. Si Jean Cayrol accepte de travailler dans ce projet, peut-être que je peux y réfléchir. Mais il me faut quelqu’un qui m’apporte une garantie d’authenticité”. (Alain RESNAIS)
RESNAIS signe son contrat en mai 1935. Jean Cayrol en décembre.
“Nuit et Brouillard est non seulement un film de réminiscences, mais aussi un film de grande inquiétude ! (…) Le souvenir ne demeure que lorsque le présent l’éclaire. Si les crématoires ne sont plus que des squelettes dérisoires, si le silence tombe comme un suaire sur les terrains mangés d’herbe des anciens camps, n’oublions pas que notre propre pays n’est pas exempt du scandale raciste. Et c’est alors que Nuit et Brouillard devient non seulement un exemple sur lequel méditer, mais un appel, un dispositif d’alerte contre toutes les nuits et tous les brouillards qui tombent sur une terre qui naquit pourtant dans le soleil et pour la paix.” (Jean CAYROL) Cet éclairage est évidemment partagé par Alain RESNAIS qui refuse de faire un film “monument aux morts”. Un film qui dirait que “maintenant qu’Hitler est abattu c’est fini, ça n’existera plus. On était en France en pleine guerre d’Algérie et moi je sentais que ça pouvait recommencer.” (Alain RESNAIS)
Le film se fera sur base des documents exposés rue d’Ulm, de plans tournés dans les ruines des camps en Pologne, et de contre-typages de documents filmés par les forces armées américaines, anglaises et russes à la libération des camps.
“Il existait une solidarité très forte et très étouffante des autorités militaires en Europe pour effacer les images d’archives, en tous cas pour ne pas les montrer. Je m’y suis heurté directement en faisant des demandes de visionnage. En Angleterre, j’ai été très vite bloqué, de même au service du cinéma des armées en France. On m’a montré des choses, mais pas intéressantes, très commémoratives, très officielles, des inaugurations de monuments aux morts, des cérémonies de ce genre. Les images que je recherchais disaient des choses qui allaient bien au-delà de toutes les versions officielles de l’histoire de la guerre, de l’occupation, de la résistance, de la déportation. ” (Alain RESNAIS)
Le film terminé “Il y a eu aussi tout de suite des accrochages avec la commission de contrôle, qu’on appelait “la censure”, qui m’a fait demander avant la sortie, de couper les scènes de la fin où on voyait des cadavres, parce que c’était trop violent. Et il y a eu un plan que je n’avais pas remarqué, qui est la fameuse histoire du képi du gendarme. Parce qu’il y a ce plan de trois secondes je crois, dans lequel on énumère différents camps, et à contre-jour — je dis tout de suite que nous, on ne l’avait pas vu, ça a été tout à fait inconscient- on aperçoit en effet un gendarme français du haut d’un mirador. (…) On a fait une transaction, c’est à dire qu’on a donné un coup de gouache sur le képi du gendarme, comme ce n’était pas notre intention de compromettre la gendarmerie, on s’en fichait. Mais je voulais garder le mot : “Camp de Pithiviers”, parce que c’était quand même important de montrer que la France avait organisé des points de départ pour les camps. “Camp de Pithiviers”, j’y tenais, pas au képi du gendarme. Et ils n’ont pas coupé dans la fin. Ils n’ont pas osé.” (Alain RESNAIS)
Cette première séance autour de “Nuit et Brouillard” se propose de décrire la genèse du projet et de questionner les problèmes éthiques inhérents à son sujet.
“Le cinéma est quelque chose d’extraordinaire qui peut filmer les choses, faire témoignage. Le seul ennui, c’est qu’il a fait témoignage entre 1914 – 1918 — grand témoignage, inoubliable, les débuts du cinéma- et la Seconde Guerre mondiale. J’ai peur que cela ne témoigne plus au-delà… Pour ce qui est de la Seconde Guerre mondiale, son vrai accident métaphysique, ce n’est pas la guerre elle-même, il y en a toujours eu, mais c’est les camps. Tomber sur Nuit et Brouillard au ciné-club du lycée Voltaire à dix ans, ce n’est pas tomber sous le charme de “Alors, monsieur Cinéma, vous avez été un petit cinéphile et vous vous êtes branlé sur Ava Gardner!”. Oui, mais après ! Et pas dans le même monde ! Ava Gardner me touche d’ailleurs plus aujourd’hui qu’à l’époque. Je suis tombé sur la capacité qu’avait le cinéma de dire : ceci a eu lieu. Et c’est tellement monstrueux, qu’en un sens, on est tranquille : “ça ne peut pas se reproduire.” Je ne le pense plus du tout. Je pense que cela va se reproduire. (…) J’entendis le commentaire désolé de Jean Cayrol dans la voix de Michel Bouquet et la musique d’Hanns Eisler qui semblait s’en vouloir d’exister. Etrange baptême des images : comprendre en même temps que les camps étaient vrais et que le film était juste (…) Je sentais que les distances misent par RESNAIS entre le sujet filmé, le sujet filmant, et le sujet spectateur étaient les seuls possibles. Nuit et Brouillard un beau film ? Non, un film juste. ” (Serge DANEY).
Avec des analyses de séquences extraites de “Nuit et Brouillard” d’Alain RESNAIS- 1955 -, de “Hollywood et la Shoah” de Daniel ANKER- 2004- , de “Auschwitz, 60 ans après” extrait de l’émission Arrêt sur images — Janvier 2005 -, et de “D‑Day to Berlin” de George STEVENS Jr — 1944/1994-
Texte joint : RIVETTE Jacques “De l’abjection”, in “Cahiers du cinéma” n°120, pp. 54 — 55 , juin 1971.
Lecture conseillée : LINDEPERG Sylvie, “Nuit et Brouillard, un film dans l’Histoire”, ed. Odile Jacob, 2007.
La séance introductive à “Nuit et Brouillard” sera précédée d’une projection et d’une analyse de “Guernica” d’Alain RESNAIS comme nous l’avions annoncé lors de notre précédente séance.
Prochaine séance : samedi 26 mars 2011.
PAF : 5 € *
* à partir de 7 cours suivis, une place au Cinéma Arenberg vous est offerte
Pour toute information : 02 512 97 21