La grue soulève donc les morts à la verticale, comme des pantins désarticulés, comme la vision brumeuse d’une torture d’un autre temps. Pourtant nous ne sommes pas dans un film de fiction ou de science-fiction, nous ne sommes pas au Moyen-Âge, nous sommes à la frontière de l’Europe, à seulement deux cents kilomètres de ses terres, en octobre 2016. Ce qui fait l’objet d’une dépêche lapidaire dans la presse — « Dix-sept personnes on été retrouvées sans vie dans des canots de migrants par des ONG en opération de sauvetage » — est d’une violence extrême. Sans même penser à l’agonie qui a dû mener des jeunes femmes et hommes à crever au fond d’un canot pneumatique rempli d’essence et d’eau de mer au beau milieu de la Méditerranée.
Antonin Richard,
Ce matin la mer est calme – Journal d’un marin-sauveteur en Méditerranée,
éditions Les Étaques, 2020, p.117 – 118
Une librairie est un lieu de passage, certes.
Des visages inconnus franchissent le seuil de la porte, et se transforment en autant de clients potentiels par un de ces tours de magie dont personne ne connaît vraiment le secret.
Mais parfois, viennent aussi d’autres figures.
Un ami, un membre de la famille, un chat, un enfant, un singe de l’espace… un éditeur.
Et vous voilà en train de converser de tout et et de rien.
De livres, et d’autres choses.
De la vie avec ou sans virus.
De la vie d’avant, de celle d’après.
De ces vie qu’on sauve, et de celles qu’on oublie.
Et c’est, bien souvent, au milieu de ce genre d’échanges plus ou moins intéressants, plus ou moins comiques, souvent futiles malgré l’apparente gravité et le ton concerné, que vous êtes interrompus par un client.
Ce jour-là, c’était un 13 mars, Cédric Guérin débarquait à Par Chemins avec quelques titres sous le bras gauche et un bonnet sur la tête.
Parmi ces bouquins, il y en avait un au titre poétique : /Ce matin la mer est calme//./
Et vous appreniez que son auteur, Antonin Richard, serait à Bruxelles dans les semaines à venir.
Lille n’est pas très loin de notre capitale, et, malgré un énième confinement, certains êtres bougent encore.
Et même : pensent encore.
Écrivent aussi, pour sortir de l’effroi, de la sidération.
Écrivent, avec rage, lucidité, avec détermination.
Comme une manière de fuir, de s’affranchir, ou de lutter ?
Comme pour prolonger le voyage, et donner sens aux gestes posés ?
Une façon de se remémorer, de transmettre, de témoigner.
Un journal, comme cette forme d’expression qui donne toute sa place à l’action, au cœur de l’urgence, dans cette zone frontière où mort et vie se bousculent avec l’énergie du désespoir.
Lignes mouvantes d’un jeune pilote de canot rapide aux prises avec les contradictions meurtrières produites par nos sociétés aux limites de l’Europe, recueillies dans un bouquin qui donnent le goût de résister.
C’est à découvrir le récit de cette expérience qu’Antonin Richard convie son lecteur.
Et c’est à partager cette rencontre que le Steki et Par Chemins vous convient. |