Projection film “il était une fois le salariat” dans le cadre du Festival d’ATTAC 2012
18h30 Botanique, Rue Royale 236 — 1210 Bxl
Débat avec Julien Dohet, historien, auteur du livre “Vive la sociale” et membre du “Collectif Ressort”.
Sujet du débat : “Capital contre travail, les gagnants et les perdants”.
Tarif adulte : 5 €
Tarif étudiant & senior : 4 €
Tarif sans emploi : 3€
Critique du film :
Le propos de la réalisatrice, Anne Kunvari, est de retracer l’histoire de la condition salariale depuis son émergence à la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, en deux volets d’environ une heure chacun. Le découpage est assez classique, un avant et un après-1975, date qui marquerait un basculement radical, un point de rupture dans la progression quasi linéaire des acquis sociaux. Les titres donnés aux deux parties, 1906 – 1975 : le temps de l’espoir et 1976 – 2006 : le temps du doute, sont d’ailleurs explicites quant aux intentions de l’auteure. Le XXe siècle aurait connu une première époque “glorieuse”, — les 70 premières années — ponctuée de nombreuses conquêtes sociales sous l’action du mouvement ouvrier principalement. La seconde, “piteuse”, serait marquée par la régression tous azimuts des droits sociaux.
Ce choix est en soi discutable. La “crise économique”, comme on l’a longtemps nommée, ne s’est pas accompagnée immédiatement d’un recul des droits sociaux, mais surtout d’une hausse spectaculaire du chômage. On ne le croyait pas durable et il fut, dans un premier temps, plutôt bien indemnisé. En outre, quelques conquêtes majeures marquent la période contemporaine avec, entre autres, les lois Auroux, le passage aux 39 heures puis aux 35 heures, les cinq semaines de congés payés. Même si ces acquis sont sans cesse menacés — mais n’en est-il pas toujours ainsi ? -, ils démentent en partie l’hypothèse d’une histoire linéaire.
Au fond, le choix d’une date n’est pas en soi crucial, mais il révèle dans le cas précis la volonté de plier la réalité autour du propos central, celui de la lutte des classes et de ses avatars, au prix de quelques définitions au ton professoral : “Au début de l’autre siècle [le XXe], la France est un pays de rentiers et de propriétaires. Les travailleurs sont ceux qui ne possèdent rien, seulement leurs bras à vendre…”
Le rôle du commentaire (servi par la voix étonnamment grave de la comédienne Miou-Miou) est d’ailleurs déterminant tout au long du documentaire ponctué d’interventions diverses. Les “spécialistes”, avec, pour le premier volet, le sociologue Robert Castel, l’historien Jean-Pierre Le Crom et surtout le spécialiste du droit du travail Jacques Le Goff, dont on peut apprécier l’effort de nuance dans l’analyse. Dans le second volet, les économistes Bernard Maris et Thomas Coutrot (d’Attac) entrent en piste et renforcent la tonalité “altercritique” du propos. Peu de place donc pour le débat, les seuls contradicteurs désignés étant les patrons, manière comme une autre d’opposer à la pensée unique une autre pensée unique.
Les autres invités, ouvriers, cadres et employés de plusieurs générations, sont convoqués là aussi comme témoins à charge d’un procès bouclé d’avance. Le montage — témoignages (paroles d’experts), texte off bâti comme un cours — donne à l’ensemble la consistance d’un propos bétonné, imparable, qui plonge le spectateur dans l’hébétude face à la catastrophe annoncée. Ce n’était pourtant pas le projet initial de la réalisatrice : “Le décryptage que j’effectue dans ce film a pour vocation d’aider les gens à réfléchir sur ce qui leur arrive aujourd’hui et à se projeter dans l’avenir”.
C’est peut-être la limite de ce genre de documentaires-réquisitoires. A force de vouloir démontrer, ils nous renvoient à notre propre impuissance. On pense notamment à Le chômage a une histoire, de Gilles Balbastre, construit selon le même principe et produisant les mêmes effets.
Bruno Lapeyssonnie
Alternatives Economiques n° 256 — mars 2007