Hommage à Malcolm X

21.02 2015 /
14h30 Pianofabriek. Rue du Fort, 35, 1060 Saint-Gilles
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Le 21 février 1965, notre frère Mal­colm X – de son nom musul­man El-Hajj Malik El-Sha­bazz, est tué par balle. Il avait à peine 39 ans, dont près du tiers consa­cré à se battre pour la digni­té des Noirs et de tous les peuples oppri­més par le racisme colonial.

De nom­breux mou­ve­ments mili­tants s’en réclament , plus comme un sym­bole qu’en réfé­rence à la poli­tique qu’il a menée. Pour notre part, nous sommes convain­cus que Mal­com X peut nous appor­ter énor­mé­ment pour réflé­chir à une stra­té­gie anti­ra­ciste et déco­lo­niale adap­tée a nos condi­tions spécifiques.

Un des plus grands his­to­riens afri­cains, Cheik Anta Diop, affirme dans son livre “Nations nègres et culture” : je cite : ” Il faut insis­ter sur la néces­si­té pour un peuple de connaître son his­toire. Il ne s’a­git pas de créer de toutes pièces, une his­toire plus belle que celles des autres, de manière à doper mora­le­ment le peuple pen­dant la période de lutte, mais de par­tir de cette idée évi­dente que chaque peuple a son histoire”

Avec la Par­ti­ci­pa­tion de Dema, On Sait Jamais, Soi­resse Njall Kal­vin, Amzat Bou­ka­ri, Jean-Charles Coovi Gomez, Manu Scor­dia, Fille De Bar­ba­rie, Abou Meh­di, Chu­ky, Offi­ciel Bboy, Sole­dad Kal­za ( Julie JAROSZEWSKI ) MANZA
You­ness Mer­nis­si Sla­me­teo Aco­nit DE LA Mort(AKKAD le gar­dien du monde per­du ) Et de nom­breux autres a confirmer

Nous réapproprier Malcolm, par Sadri Khiari 


Nous publions ci-des­sous, avec l’aimable auto­ri­sa­tion des édi­tions Amster­dam, l’introduction du der­nier livre de Sadri Khia­ri, « Mal­colm X. Stra­tège de la digni­té noire », en librai­rie à par­tir de ce 15 février.

Mal­colm est une icône. Un mythe. C’est le cas en France comme ailleurs. Recon­nu par de larges franges de la gauche radi­cale, son pres­tige s’étend dans les quar­tiers popu­laires aux popu­la­tions issues de l’immigration noire, arabe et musul­mane, bien au-delà des seuls milieux mili­tants. D’une cer­taine manière, la séduc­tion qu’il exerce peut être com­pa­rée à l’envoûtement que sus­cite « le Che » par­mi les Blancs. Comme lui, il n’échappe pas non plus à une cer­taine ins­tru­men­ta­li­sa­tion, voire à la marchandisation.

En géné­ral, quand une per­son­na­li­té fait consen­sus, il est bon de s’en méfier. De s’interroger ensuite sur les rai­sons de cette una­ni­mi­té. Moins célèbre sûre­ment que Mar­tin Luther King, Mal­colm n’a pas le même « usage » que ce der­nier. King est le pape. Au-des­sus de la mêlée. On n’a pas le droit de ne pas l’aimer. King est bon. Il a fait un rêve. Il est mort. King est une valeur uni­ver­selle. Plus, il est le concept même d’universel. Comme Gand­hi et les autres saints de la poli­tique. Il repose au Pan­théon du Pan­théon. Peu y entrent. Man­de­la n’en est pas loin mais il prend son temps avant de nous faire ses der­niers adieux. Man­de­la a vrai­ment une bonne bouille. Avec ses che­veux tout blancs, on dirait un vieux sage afri­cain dans un conte pour enfant catho­lique ou de gauche. Il sou­rit et il a une colombe blanche sur la tête. J’aimerais en avoir un dans mon jar­din. Man­de­la, ce qu’on aime chez lui, c’est qu’il a été com­mu­niste et qu’il ne l’est plus. Il a été un par­ti­san de la vio­lence et y a renon­cé. Sur­tout, il a fait la paix avec les Blancs de son pays. Grand sei­gneur, il leur a par­don­né vingt-cinq années de cachot. Il est d’autant plus admi­rable qu’il a libé­ré le monde blanc du ter­rible régime d’apartheid qui le souillait et rap­pe­lait trop les heures néfastes du colo­nia­lisme. Pre­to­ria fai­sait tâche dans le pay­sage de la bonne conscience occi­den­tale. Elle jetait un soup­çon de racisme sur les anciennes puis­sances colo­niales. État ou indi­vi­du, il était incon­ve­nant de sou­te­nir offi­ciel­le­ment le pou­voir afri­ka­ner. En dehors de quelques grou­pus­cules nazis et iden­ti­taires blancs, seule Israël s’y auto­ri­sait. Mais Israël n’a pas besoin d’excuses puisque tout le monde, y com­pris les tri­bus d’Amazonie, doit des excuses à Israël. Pour l’éternité . Le monde doit beau­coup à Mandela.

Mal­colm ce n’est pas pareil. Même mort, il n’accédera jamais au Pan­théon du Pan­théon. Mais on lui doit beau­coup aus­si. Il a prou­vé que même le pire de ces salauds de racistes anti­blancs pou­vait voir la lumière. Ne s’est-il pas lui-même rap­pro­ché de Mar­tin Luther King ? Enfant ter­rible de l’antiracisme, il serait ren­tré au ber­cail, peu de temps avant sa mort. Mal­colm est celui auquel le Blanc a pardonné.

En fait, ce que je dis là n’est vrai qu’en par­tie. Mal­colm n’ira pas au Pan­théon du Pan­théon, mais il n’ira pas non plus au Pan­théon. Mal­colm est beau­coup trop noir pour ça. Lui, ne fait pas consen­sus chez les « non-racistes » mais seule­ment chez les anti­ra­cistes décla­rés. Et encore ! On lui sied gré de s’être « repen­ti » à la fin de sa vie, on le remer­cie d’avoir été assas­si­né. Mais, quand même, il n’est pas fiable. Trop noir, je l’ai dit ; pro­ba­ble­ment trop musul­man aus­si. Je vais être plus pré­cis : En France, Mal­colm fait consen­sus dans les franges les plus mili­tantes de l’antiracisme blanc et dans l’ensemble de l’antiracisme non-blanc. Dans cette mesure, il faut donc aus­si s’en méfier. En véri­té, Mal­colm, on ne lui demande que d’être un sym­bole. Mal­colm est la bonne conscience radi­cale de la lutte anti­ra­ciste. J’aime Mal­colm donc je suis radical.

On se réclame de Mal­colm… mais on s’inspire de Mar­tin Luther King. On le cite, mais on n’oserait pas pro­non­cer ou écrire des phrases aus­si fortes et inci­sives que les siennes. Mal­colm mord à pleines dents dans la viande rouge du Blanc. Nous, on va chez le den­tiste. Mal­colm est une réfé­rence à laquelle on ne se réfère pas. On a du mal, en effet, à voir le rap­port entre la poli­tique de celui-ci, dans ses varia­tions, et la poli­tique de ceux qui s’en réclament en France. Le Black Pan­ther Par­ty (BBP) sus­cite les mêmes dis­po­si­tions. Je res­pecte les morts et les déte­nus poli­tiques mais je me dois de le dire, ce qui fait fan­tas­mer chez les mili­tants des Pan­thers, c’est leurs vestes en cuir noir. Ce sont sur­tout les gau­chistes qui fris­sonnent d’émotion à la pen­sée du BBP. Mar­xistes, léni­nistes, maoïstes, le fusil en ban­dou­lière, ouverts à des alliances mul­ti­co­lores : c’est comme ça qu’on les voit et pour ça qu’on les aime. Et aus­si, on appré­cie beau­coup qu’ils se soient fait mas­sa­crer par le FBI.

Mal­colm, donc, on s’en réclame tout en pra­ti­quant la poli­tique de ceux-là mêmes qu’il n’a jamais ces­sé de dénon­cer. Enten­dons-nous bien, je n’affirme pas qu’il serait judi­cieux d’appliquer en France la poli­tique de Mal­colm X, si tant est qu’il ait eu une poli­tique homo­gène et constante. Je suis convain­cu par contre que l’une des pré­oc­cu­pa­tions prin­ci­pales de Mal­colm X, au moins à par­tir de 1963, a été de pen­ser une stra­té­gie poli­tique et de la mettre en œuvre. Je pré­tends éga­le­ment que cette réflexion stra­té­gique et l’esprit qui l’a ani­mée peuvent être riches d’enseignements pour nous aus­si bien dans ses cer­ti­tudes, dans ses hési­ta­tions avouées que dans ses points aveugles et ses limites. Or, dans les mou­ve­ments indi­gènes (J’emploie la notion d’indigène non pas bien sûr dans le sens lit­té­ral du terme mais dans celui que lui a don­né le Par­ti des indi­gènes de la répu­blique. En réfé­rence au régime de l’indigénat qui astrei­gnait les popu­la­tions des colo­nies fran­çaises à un sta­tut racia­li­sé d’exception, la notion d’indigènes de la répu­blique met en lumière les conti­nui­tés colo­niales qui can­tonnent les Fran­çais issus de l’immigration colo­niale à un sta­tut de sous-citoyens.) en France, rares sont ceux qui s’attachent à Mal­colm X au-delà du sym­bole. Disons même que, de manière géné­rale, il n’y a pas de dis­cus­sions stra­té­giques. Ce qui est bien dom­mage. « Le lea­der noir amé­ri­cain, a dit un jour Mal­colm, manque d’imagination. C’est son plus grave défaut. Il n’a pas de pen­sées, de stra­té­gie que déter­mi­nées par l’homme blanc, son appro­ba­tion, ses conseils . » Cela nous res­semble beaucoup.

En France, me semble-t-il, Mal­colm a acquis la noto­rié­té qui est la sienne grâce au film de Spike Lee. Il est même fort pro­bable que beau­coup ne le connaissent qu’à tra­vers ce film. Les plus inté­res­sés auront peut-être lu l’autobiographie dont il est ins­pi­ré. C’est là qu’on touche la rai­son prin­ci­pale de l’attrait qu’il exerce : n’importe quelle per­sonne issue de l’immigration peut s’identifier sans peine au par­cours de Mal­colm. Si l’on omet, bien sûr, sa tra­jec­toire poli­tique. Et si l’on ne se recon­naît qu’imparfaitement dans la vie de Mal­colm, on a tou­jours un oncle, un cou­sin, une cou­sine, qui s’est heur­té aux mêmes obs­tacles que celui-ci. Mal­colm a été un enfant pauvre, pauvre et noir, vic­time de toutes les vio­lences du racisme. Par­ti­cu­liè­re­ment doué, il se cogne la tête contre le mur de la ségré­ga­tion raciale. Sans plus d’espoir, il renonce alors à une sco­la­ri­té qui s’annonçait brillante. Il ne croit plus en rien. Il s’anéantit dans la drogue et la délin­quance et connaît les rigueurs de l’enfermement car­cé­ral. En pri­son, il « rentre dans le dîn » qui lui dit tout ce qu’il est et insuffle de l’espoir dans le déses­poir. C’est la pre­mière rédemp­tion. Mais il se trompe encore, car il choi­sit le mau­vais « dîn » ou, en tout cas, une ver­sion alté­rée de la juste foi. Embar­qué dans la Nation of islam (NOI), il dit des tas de choses justes sur nous et, sur­tout, sur les Blancs, des choses que tous nous avons envie d’entendre sinon de dire. Mais il en fait trop, peut-être. Il en fait tel­le­ment qu’on a presque peur d’éprouver tant de joie à l’écouter. On est donc sou­la­gé lorsqu’il prend son indé­pen­dance, recon­naît le « vrai islam » et renonce à prê­cher la haine du Blanc. C’est la deuxième rédemp­tion. J’ai quelques scru­pules à pour­suivre mais je vais le faire : Mal­colm est assas­si­né par les forces du Mal. Il va au para­dis. Des héros. Des hommes de bien. C’est la troi­sième rédemp­tion. Fin du roman. Ain­si, si tout, dans la pre­mière par­tie de sa vie, nous rap­proche, les deux épi­sodes sui­vants nous emportent éga­le­ment. Mal­colm est l’archétype clas­sique de celui qui n’a rien que la mouise, et qui par la force de sa volon­té force le des­tin à lui sou­rire. C’est le Pur – comme nous tous, au fond – qui l’emporte sur l’Impur. Il meurt mais ses idées sub­sistent. Son élan fon­da­men­tal est le nôtre.

À tra­vers Mal­colm X, nous recon­nais­sons ce que nous sommes et nous recon­nais­sons nos espé­rances. Chaque indi­gène par­tage un peu de sa fier­té retrou­vée et recouvre sa digni­té. Le por­trait de Mal­colm X accro­ché à un mur incite à la résis­tance. Et à ce titre, la figure mythique de Mal­colm X est essen­tielle. L’ironie dont j’ai fait preuve est mal­ve­nue. Quand bien même, de Mal­colm X, on ne retient que le roman de sa vie, c’est déjà beau­coup. Il n’en demeure pas moins que ce serait encore mieux si l’on en rete­nait aus­si l’apport et les inter­ro­ga­tions poli­tiques qui étaient les siennes. Car, s’il a long­temps, trop long­temps, accor­dé sa confiance et obéi à Eli­jah Muham­mad (Eli­jah Muham­mad est alors le Guide de la La Nation of Islam (NOI). Cette orga­ni­sa­tion, connue aus­si comme Black Mus­lims, a été fon­dée vers 1930 par Wal­lace D. Fard, un ven­deur ambu­lant de Détroit qui dis­pa­rait mys­té­rieu­se­ment en 1934. Eli­jah Muham­mad (1897 – 1975), de son vrai nom Eli­jah Pool, fils d’un prê­cheur bap­tiste de Géor­gie, sera son suc­ces­seur et diri­ge­ra cette orga­ni­sa­tion jusqu’à sa mort. L’idéologie déve­lop­pée par la NOI est un syn­cré­tisme mêlant le natio­na­lisme noir sépa­ra­tiste et racia­liste à une ins­pi­ra­tion isla­mique à bien des égards fort éloi­gnée du dogme musul­man. Petite orga­ni­sa­tion jusqu’à la fin des années 1950, la NOI par­vien­dra à conqué­rir une audience de masse, notam­ment dans les ghet­tos noirs des grandes villes indus­trielles du Nord, grâce à l’activisme et au cha­risme de Mal­colm X. En 1975, l’un des fils d’Elijah, Warith Deen Muham­mad, pren­dra les rênes du mou­ve­ment ; il adop­te­ra l’islam sun­nite ortho­doxe et rejet­te­ra le natio­na­lisme noir, sus­ci­tant la séces­sion d’un cer­tain nombre de diri­geants his­to­riques de l’organisation par­mi les­quels Louis Far­ra­khan, qui repren­dra l’héritage idéo­lo­gique de la Nation of islam au sein d’un nou­veau mou­ve­ment du même nom.), Mal­colm a pen­sé sa parole, il a pen­sé son action, il a pen­sé sa poli­tique. C’est bien sûr encore plus le cas dès lors que germent ses pre­miers doutes et qu’il per­çoit les limites de la démarche de la NOI. Sa pen­sée s’emballe avec la rup­ture et il ne ces­se­ra plus de for­mu­ler de nou­velles idées, de les tes­ter, de tâton­ner, de les modi­fier, au risque d’ébranler ses par­ti­sans. Mal­colm, je l’ai cité plus haut, blâme les autres diri­geants noirs de man­quer d’imagination stra­té­gique et de s’en remettre à leurs conseillers blancs plu­tôt que de pen­ser par eux-mêmes. Son cer­veau à lui, au contraire, est tout entier occu­pé à réflé­chir la stra­té­gie. Il ne passe pas son temps à geindre, à s’indigner, à hur­ler sa colère, à dire « on en a marre » – autant de manière d’interpeller les Blancs, de leur confier la solu­tion du pro­blème, de crier sa propre impuis­sance. Non, Mal­colm ne conteste pas, il se bat.

Mal­colm est trop réa­liste pour renon­cer à la lutte. « Com­ment se débar­ras­ser du singe qui est cram­pon­né à notre dos ? », s’interroge-t-il de façon lan­ci­nante ; com­ment les Noirs peuvent-ils se libé­rer eux-mêmes de l’oppression qui les accable depuis tant et tant de siècles ? À par­tir de cette ques­tion qui est aus­si une exi­gence fon­da­men­tale, il tente de défi­nir un hori­zon qui lui paraît acces­sible, de dis­cer­ner les moyens et les étapes qui peuvent y conduire ; il pèse les rap­ports de forces et leurs dyna­miques res­pec­tives ; il intègre les confi­gu­ra­tions locales à la situa­tion natio­nale et celle-ci au contexte mon­dial ; il ana­lyse les formes et les mou­ve­ments de la conscience noire, ses seuils et ses poten­tiels ; il estime l’adversité, consi­dère ses mani­fes­ta­tions avouées et celles qu’enveloppe le masque de l’amitié ; il iden­ti­fie les alliances sou­hai­tables et le conte­nu poli­tique qui les ren­dra pos­sibles ; il éva­lue les conjonc­tures, les moments de l’affrontement et ceux du contour­ne­ment, les voies directes et les che­mins de tra­verse. Mal­colm pense aus­si l’organisation, non comme un simple pro­blème tech­nique mais comme une dimen­sion de l’équation stra­té­gique à résoudre, déter­mi­née elle-même dans sa forme et ses méca­nismes par les choix stra­té­giques éta­blis. Ses réflexions sur ces ques­tions, les solu­tions qu’il a for­gées, les écueils aux­quels il s’est heur­té, les limites qui étaient les siennes, sont notre héritage.

Encore faut-il savoir en tirer pro­fit. Pen­ser nous-mêmes de manière auto­nome ce qu’il a dit, écrit ou fait. Ne pas craindre d’insulter sa mémoire, de l’interpréter, de le tordre si néces­saire. L’honorer, c’est par­fois le tra­hir si lui être fidèle, c’est pour­suivre son combat.

Il est inté­res­sant de noter com­ment Mal­colm intro­duit ses inter­ven­tions publiques. Après les remer­cie­ments d’usage, son dis­cours du 16 février 1965 – mais je pour­rais en citer d’autres – com­mence ain­si : « Si je suis ici, c’est pour par­ler avec vous de la révo­lu­tion noire, en marche sur cette terre, des formes qu’elle prend sur le conti­nent afri­cain et de son impact sur les com­mu­nau­tés noires. Non seule­ment ici, en Amé­rique, mais aus­si aujourd’hui en Angle­terre, en France, et dans toutes les anciennes puis­sances colo­niales. (…) Afin que vous et moi connais­sions la nature de la lutte dans laquelle vous et moi sommes enga­gés, nous devons connaître les dif­fé­rents élé­ments qui entrent en jeu, au niveau local et natio­nal, mais aus­si sur le plan inter­na­tio­nal . » Mal­colm est obsé­dé par « ce que nous devons faire » et il ose des réponses, fussent-elles pro­vi­soires. Il ébauche une « ligne d’action » et sai­sit chaque occa­sion pour la défendre.

Ce petit livre n’a qu’une pré­ten­tion modeste. Il se veut une intro­duc­tion aux pro­blé­ma­tiques stra­té­giques déve­lop­pées par Mal­colm X au cours de la période, sans doute la plus fruc­tueuse, qui sépare sa rup­ture avec la NOI de ce 21 février tra­gique où il nous a quit­tés. Je suis convain­cu en effet que l’expérience du mou­ve­ment noir amé­ri­cain et, plus par­ti­cu­liè­re­ment, les leçons et les ques­tion­ne­ments qu’en a tirés Mal­colm, peuvent être d’un grand inté­rêt pour nos propres com­bats en France. Bien plus que l’expérience des luttes anti­co­lo­niales dans les anciennes colo­nies. Avec les Noirs amé­ri­cains, nous avons en par­tage une his­toire et un pré­sent, une his­toire qui est tou­jours notre pré­sent. Celle d’un trans­fert for­cé dans les métro­poles impé­riales déter­mi­né par la colo­ni­sa­tion de nos pays d’origine et celle d’un enra­ci­ne­ment, sous le sta­tut de races infé­rieures, dans ces mêmes métro­poles. Nous sommes des « colo­ni­sés de l’intérieur », des indi­gènes de la répu­blique, comme nous disons en France. Une condi­tion que résume le slo­gan : « Si nous sommes ici, c’est que vous étiez là-bas. »

Qui­conque observe, non pas avec des yeux de socio­logue badin mais avec ceux des mili­tants noirs, la condi­tion noire aux États-Unis, y décou­vri­ra, comme gros­sie à la loupe, la condi­tion de l’immigration colo­niale et des quar­tiers popu­laires en France. Une telle affir­ma­tion cho­que­ra ou fera sou­rire de ma naï­ve­té mili­tante un Blanc acquis au mythe de la puis­sance inté­gra­trice du fameux « creu­set répu­bli­cain ». La Répu­blique fran­çaise aurait cette ver­tu imma­nente de fondre l’étrangeté dans le com­mun. Ça traîne un peu par­fois, mais ça finit par se faire. La Grande Révo­lu­tion fran­çaise n’a‑t-elle pas abo­li les dis­tinc­tions sta­tu­taires et autres « pri­vi­lèges » ? La Répu­blique n’a‑t-elle pas abo­li l’esclavage puis la colo­ni­sa­tion ? Les Ita­liens, les Espa­gnols, les Polo­nais ne font-ils pas par­tie de la nation ? Tout le monde aujourd’hui n’est-il pas citoyen, à éga­li­té devant la loi, sou­mis, ajoute le gau­chiste, au même exploi­teur capi­ta­liste ? N’est-il pas indé­cent de com­pa­rer les souf­frances ter­ribles des Noirs amé­ri­cains avec les dis­cri­mi­na­tions, certes injustes et déso­bli­geantes, que subissent nombre d’immigrés et leurs enfants ? Je ne m’encombrerai pas, ici, à répondre à ces argu­ments qui n’en sont pas. Je l’ai fait ailleurs, d’autres l’ont fait avant et après moi, en par­ti­cu­lier dans la lit­té­ra­ture mili­tante. Ce que l’on y trouve, notam­ment, et ce depuis des décen­nies, ce sont des mots d’ordre, des slo­gans, des pro­tes­ta­tions, des reven­di­ca­tions, des témoi­gnages, des récits de batailles, des frag­ments d’analyse, des esquisses de stra­té­gie, toutes ces choses aux­quelles peu prêtent atten­tion et qui suf­fisent, en véri­té, à éta­blir la proxi­mi­té des condi­tions noire aux États-Unis et indi­gène en France. Je risque une phrase : nul besoin pour com­prendre une socié­té d’analyser les res­sorts de sa repro­duc­tion ; il suf­fit d’écouter les résis­tances et les luttes qu’elle sus­cite, en son inté­rieur et en son exté­rieur, pour consta­ter qu’aux États-Unis et en France ce sont les mêmes pré­oc­cu­pa­tions, les mêmes ques­tion­ne­ments, les mêmes colères, les mêmes solu­tions qui sont pen­sés, mis en pra­tique, « praxis tés » si j’ose dire, par les Noirs amé­ri­cains et les indi­gènes de l’Hexagone. Le même enne­mi aus­si : le Blanc. Le même allié-contraint : le Blanc.

Que l’on pense bien sûr aux reven­di­ca­tions d’égalité sociale ou d’égalité dans la citoyen­ne­té – c’est-à-dire in fine dans l’accès au pou­voir poli­tique -, que l’on pense éga­le­ment aux reven­di­ca­tions liées à la recon­nais­sance cultu­relle ou aux mul­tiples formes de recon­nais­sance sociale, de recon­nais­sance de la digni­té humaine, du droit au res­pect ou à l’honneur ; que l’on pense bien sûr aux batailles contre l’omniprésence poli­cière dans les ghet­tos ou les quar­tiers popu­laires, au pro­blème des pri­sons comme dis­po­si­tif cen­tral de contrôle et de subal­ter­ni­sa­tion, aux luttes contre la ségré­ga­tion urbaine et plus lar­ge­ment spa­tiales, et l’on ne pour­ra que conve­nir de leur conver­gence des deux côtés de l’Atlantique. Que l’on pense, encore, aux dif­fé­rentes approches qui animent les résis­tances, celles qui se réclament de l’intégration et celles qui s’y opposent, celles qui cherchent à tout prix la mixi­té raciale dans ses formes d’organisation et celles qui la rejettent en pra­tique ou par convic­tion, celles qui s’évertuent à s’allier aux Blancs et celles qui affirment leur auto­no­mie coûte que coûte. Que l’on pense, tou­jours, aux iden­ti­fi­ca­tions mobi­li­sées dans les luttes, celles qui se construisent à par­tir des notions de nation, de peuple ou de race et celles qui se réclament seule­ment d’un com­bat uni­ver­sel pour les droits en tant qu’être humain, celles qui se réclament d’une remé­mo­ra­tion voire d’une revi­vis­cence des cultures, des tra­di­tions, des croyances et des normes d’une ori­gine sup­po­sée ou connue, celles qui se reven­diquent plu­tôt d’un métis­sage mul­ti­cul­tu­rel cos­mo­po­lite ou celles qui prônent l’assimilation et la nor­ma­li­sa­tion dans le monde blanc hégé­mo­nique, celles pour finir qui défendent leur col­lec­ti­vi­té défi­nie d’une manière ou d’une autre ou celle qui ins­crivent leur action dans le cadre des luttes géné­rales de l’émancipation, que l’on pense à tout cela et, par-delà les par­ti­cu­la­ri­tés propres à l’histoire des deux pays, l’on ne pour­ra que recon­naître une iden­ti­té sub­stan­tielle – au sens fort du terme – entre les Noirs amé­ri­cains et les popu­la­tions issues de l’immigration en France. Pour clore cette liste qui est loin d’être exhaus­tive, je n’oublierai pas non plus de sou­li­gner la volon­té sou­vent affir­mée de réha­bi­li­ter les his­toires domi­nées, d’entretenir la mémoire des luttes contre l’esclavage et la colo­ni­sa­tion ou de pré­ser­ver l’héritage des résis­tances menées par les géné­ra­tions anté­rieures. Notons, enfin, l’empathie pour les luttes des autres peuples oppri­més en Asie, en Afrique ou sur le conti­nent amé­ri­cain. Toutes ces pro­blé­ma­tiques, ces points d’ancrage de la conscience poli­tique, qui sus­citent des contro­verses, qui divisent et attisent les résis­tances, des plus molé­cu­laires au plus mas­sives, qu’elles s’expriment dans le quo­ti­dien, à l’échelle indi­vi­duelle ou col­lec­tive, dans des batailles sociales, poli­tiques ou artis­tiques, sont com­munes au monde noir amé­ri­cain et au néo-indi­gé­nat fran­çais – on abou­ti­rait à la même conclu­sion en exa­mi­nant les conte­nus et les formes des contre-résis­tances que je dési­gne­rais comme blanches. Si ce livre échoue à faire per­ce­voir cette homo­lo­gie, c’est donc un mau­vais livre.
Certes, il s’adresse prin­ci­pa­le­ment à des lec­teurs, sinon connais­seurs, du moins atten­tifs aux résis­tances de l’immigration et des quar­tiers popu­laires. Il est indis­cu­table éga­le­ment que mon point de vue est extrê­me­ment situé voire biai­sé. Ma lec­ture de Mal­colm est for­cé­ment dis­tor­due par l’expérience indi­gène à tra­vers laquelle je parle et par le des­sein qui est le mien. J’espère cepen­dant pou­voir sug­gé­rer que la pra­tique poli­tique de Mal­colm, ses inter­ro­ga­tions et les réponses qu’il a for­mu­lées conservent, aujourd’hui, dans le contexte fran­çais, une per­ti­nence pour pen­ser notre propre action.

Ce livre n’a donc pas pour ambi­tion de faire œuvre de « mal­col­mo­lo­gie ». Je n’en ai guère les moyens. On pour­ra me repro­cher, à juste titre, une connais­sance cer­tai­ne­ment rudi­men­taire de l’histoire états-unienne contem­po­raine et même des mou­ve­ments de résis­tance noire qui l’ont mar­quée. Je connais par trop, pour en être contra­rié, ce genre de cen­sure oppo­sée aux mili­tants pour les empê­cher de prendre la parole. Et j’anticipe, sans dif­fi­cul­té, le pro­cès en déma­go­gie que pour­rait sus­ci­ter cette der­nière remarque. Je suis convain­cu, pour ma part, qu’un regard mili­tant sai­sit les enjeux, dans un lieu et un moment par­ti­cu­lier, bien plus sûre­ment qu’un regard « scien­ti­fique » et de manière cer­tai­ne­ment plus utile pour un autre militant.

Je n’y serai pas indif­fé­rent mais je ne cher­che­rai pas, dans cet ouvrage, à suivre chro­no­lo­gi­que­ment l’évolution de la pen­sée poli­tique « mal­col­mienne » ni à en faire une pério­di­sa­tion. Mon pro­pos est plu­tôt d’en déga­ger des thé­ma­tiques impor­tantes pour les débats fran­çais que d’en retra­cer l’histoire. Du reste, mal­gré la rup­ture de Mal­colm avec la NOI qui s’accompagne de révi­sions idéo­lo­giques et poli­tiques majeures, il me semble que les conti­nui­tés demeurent tout aus­si impor­tantes. On a pu ten­ter éga­le­ment de dis­tin­guer dif­fé­rents Mal­colm dans la brève période qui a sui­vi cette rup­ture. Il me paraît quant à moi que l’intensité de ses réflexions au cours de ces quelques mois, les contra­dic­tions qui sont les siennes, les che­vau­che­ments mani­festes des dif­fé­rents moments de sa pen­sée poli­tique, rendent inopé­rante une approche qui s’attacherait avant tout à repé­rer les seuils et les étapes fran­chis. Les hési­ta­tions, les inflexions ondoyantes ou par sac­cades, les chan­ge­ments, les oscil­la­tions, les revi­re­ments, les approxi­ma­tions aus­si, les excès polé­miques, les rac­cour­cis et les hyper­boles, carac­tères d’une pen­sée bouillon­nante et du dis­cours oral conçu pour orien­ter, mobi­li­ser, pro­vo­quer ou sim­ple­ment convaincre, tout cela, on s’en doute, prête aux inter­pré­ta­tions les plus diverses, à des mal­en­ten­dus de lec­ture voire aux extra­po­la­tions les plus fan­tai­sistes. À cela aus­si, il est dif­fi­cile d’échapper et je n’y échap­pe­rai pas. Mais je pense qu’un des moyens d’éviter les qui­pro­quos consiste à reje­ter la ten­ta­tion sim­pli­fi­ca­trice d’une lec­ture « évo­lu­tion­niste » de sa trajectoire.

Sur­tout, je crains fort que ce type de démarche par­ti­cipe le plus sou­vent de la construc­tion du mythe de la « rédemp­tion » de Mal­colm. Elles tendent cou­ram­ment à des­si­ner une tra­jec­toire mal­col­mienne s’inscrivant dans une courbe ascen­dante – et pré­dé­ter­mi­née – qui l’aurait conduit de l’obscurité pri­mi­tive d’un com­bat natio­nal, racial, reli­gieux, confus et bour­ré de super­sti­tions – qu’on com­prend et par­donne, bien sûr – à une poli­tique de l’Universel, que cet uni­ver­sel soit mar­xiste, musul­man, ou libé­ral démo­cra­tique à la manière d’un Mar­tin Luther King (avec la pré­ten­due « ren­contre man­quée », empê­chée par une mort bru­tale et injuste, digne des plus mau­vaises tra­gé­dies amoureuses).

Une intro­duc­tion réflexive à la pen­sée stra­té­gique de Mal­colm X se heurte à une autre dif­fi­cul­té. Mal­colm n’a pas pro­duit d’ouvrage où serait expo­sé de manière sys­té­ma­tique le pro­pos qui est le sien. Celui-ci, dans ses méta­mor­phoses et ses conti­nui­tés, doit être recons­truit à par­tir de frag­ments épars, d’intuitions plus ou moins déve­lop­pées de dis­cours en dis­cours, res­tées à l’état d’ébauche ou aban­don­nées, par­fois expli­cites, sou­vent non. Mal­colm ne choi­sit pas ses mots au hasard, son franc-par­ler légen­daire est aus­si l’expression de la rigueur intel­lec­tuelle qu’il s’impose. Mais ses idées, il ne les dit pas tou­jours dans un lan­gage for­mel dont le sens ne lais­se­rait pas de place au doute. Mal­colm parle et il parle beau­coup sous la forme de récits et d’images, d’illustrations plus ou moins sug­ges­tives, de mots d’ordre, de tâches à accom­plir, qui néces­sitent d’être tra­duits pour les inté­grer à la réflexion qui est la sienne. Mais peu importent, au final, les moda­li­tés d’énonciation qu’il a choi­sies. À la science impré­cise gla­née dans des lec­tures sans doute hété­ro­clites, au savoir dit « intui­tif » de sa condi­tion, pro­duit de son expé­rience de vie et de l’observation atten­tive des siens, Mal­colm ajoute la connais­sance stra­té­gique qu’il recueille de son com­bat contre l’oppression raciale. Seule son obs­ti­na­tion lucide à décou­vrir les moyens de défaire la domi­na­tion blanche pou­vait le conduire à se poser les bonnes ques­tions. À nous, bien sûr, d’en tirer le meilleur parti.

Il me faut, avant de conclure cette déjà longue intro­duc­tion, pré­ci­ser encore cer­taines choses. L’une des rai­sons qui jus­ti­fient ce livre est cer­tai­ne­ment la rare­té des ouvrages consa­crés à Mal­colm X en France. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, alors que la révolte noire s’intensifiait aux États-Unis et que des pas­se­relles se tis­saient entre ses cou­rants les plus radi­caux et le mou­ve­ment étu­diant blanc anti-impé­ria­liste, l’édition mili­tante d’extrême gauche fran­çaise a fait connaître cer­tains textes de Mal­colm, les accom­pa­gnant par­fois de com­men­taires et de dis­cus­sions. Sous le titre de Pou­voir noir, l’éditeur anti­co­lo­nia­liste Fran­çois Mas­pe­ro a fait tra­duire un recueil pré­cieux de dis­cours pro­non­cés par Mal­colm entre 1963 et 1965. Dans cette même période, était publiée éga­le­ment la fameuse auto­bio­gra­phie de Malcolm.

Puis ce fut le silence. En 1994, suite sans doute au regain d’intérêt sus­ci­té par le film de Spike Lee (1992) et à une nou­velle édi­tion de l’autobiographie, la LCR a réédi­té une ancienne bro­chure, enri­chie de quelques inédits en fran­çais, de témoi­gnages et d’autres docu­ments. Et ce fut à nou­veau le silence. Mal­colm a été en quelque sorte redé­cou­vert au len­de­main de la publi­ca­tion de l’Appel des Indi­gènes et de la grande révolte des ban­lieues qui ont don­né un nou­vel élan au débat sur l’entêtement colo­nial fran­çais et le racisme. À la réédi­tion de Pou­voir noir par La Décou­verte et la publi­ca­tion par cette même mai­son d’édition d’autres textes pro­duits par des figures de l’anticolonialisme et du mou­ve­ment noir amé­ri­cain, se sont ajou­tées d’autres tra­duc­tions publiées par de petits édi­teurs plus ou moins rat­ta­chés à l’extrême gauche blanche. Une mai­son d’édition pro­tes­tante gene­voise a publié éga­le­ment la tra­duc­tion d’un essai écrit par un théo­lo­gien noir amé­ri­cain, James H. Cone ([James H. Cone, Mal­colm X et Mar­tin Luther King, Genève, Labor & Fides, 2008.)], qui tente amou­reu­se­ment de défendre la thèse du rap­pro­che­ment néces­saire, iné­luc­table, par-delà la mort, de Mal­colm et de King. Je me dois de signa­ler aus­si un court essai uni­ver­si­taire, sou­vent inté­res­sant, rédi­gé par Frank Stei­ger. Inti­tu­lé Mal­colm X, les trois dimen­sions d’une révo­lu­tion inache­vée, ce livre a été publié en 2010 par L’Harmattan. Enfin, il est bien sûr ques­tion de Mal­colm X dans les études, sou­vent tra­duites mais bien peu nom­breuses au demeu­rant, trai­tant du mou­ve­ment noir états-unien (Je tiens à signa­ler deux ouvrages, déjà anciens mais fort inté­res­sants : Daniel Gué­rin, De l’Oncle Tom aux Pan­thères noires, Paris, Les bons carac­tères, 2010 (1re éd. 1973) et Robert L. Allen, His­toire du mou­ve­ment noir aux Etats-Unis, Paris, Mas­pe­ro, 1971, 2 vol.). J’ai peut-être omis un ou deux titres, une ou deux bro­chures mili­tantes, mais guère plus.

Il appa­raît clai­re­ment de ce petit inven­taire qu’en France, pour qui s’intéresse à Mal­colm, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Qui plus est, les rares com­men­taires qui le concernent ont été pro­duits par des Blancs, géné­ra­le­ment liés à la gauche radi­cale. Seule pro­duc­tion indi­gène, les docu­ments et ana­lyses publiées dans les années 1960 par Pré­sence afri­caine, une magni­fique revue dont beau­coup de livrai­sons méri­te­raient une réédi­tion (pour­quoi pas une antho­lo­gie des meilleurs textes ?). Comme je l’ai indi­qué au tout début, Mal­colm occupe désor­mais une grande place dans l’imaginaire anti­ra­ciste des quar­tiers. Dans les inter­ven­tions mili­tantes, il est cou­ram­ment cité et évo­qué. Il arrive même qu’il soit mal­adroi­te­ment imi­té. On ne trouve pas cepen­dant d’écrits poli­tiques qui se penchent sur ses pro­po­si­tions poli­tiques d’un point de vue indi­gène et à par­tir des pré­oc­cu­pa­tions spé­ci­fiques des indi­gènes en France .

Nous devons nous réap­pro­prier Mal­colm ! Ce livre ambi­tionne d’y contri­buer. Mon but ne sera pas atteint en per­sua­dant les mili­tants de l’immigration et des quar­tiers qu’il existe une stra­té­gie pré­éta­blie lais­sée en héri­tage par Mal­colm, ni qu’il suf­fi­rait de nous bais­ser pour la ramas­ser. Avec sans doute beau­coup de pré­somp­tion, j’espère plu­tôt que ce livre aide­ra à faire en sorte que la pen­sée libé­ra­trice de Mal­colm tra­vaille nos propres réflexions. L’intégrationnisme est usé jusqu’à la trame, il est temps de chan­ger les draps.

Sadri Khia­ri