Projection film : Mr. Etrimo

08.03 2017 /
16h30 PointCulture ULB : avenue Paul Héger à 1050 Bruxelles

le mercredi 08/03 à 16h30 à PointCulture ULB : avenue Paul Héger à 1050 Bruxelles

Doc à goû­ter : Mr. Etri­mo de David Deroy et Mat­thieu Frances (par­te­na­riat avec Point­Cul­ture ULB : 2€ avec goû­ter compris) 

MONSIEUR ETRIMO — OFFICIAL TRAILER from Play­time Films on Vimeo.

Mon­sieur ETRIMO de David Deroy et Mat­thieu Frances

Celui qui avait les yeux plus gros que le ventre

Qui se cache der­rière ces immeubles déme­su­rés qui sillonnent la capi­tale belge ? Der­rière ces cages à poules de style moder­niste qui sont sor­ties de terre dans les années 1950, 60 et 70 ? Der­rière des immeubles tou­jours debout aujourd’­hui dans les rues d’An­der­lecht, d’Uccle, d’Ixelles, d’Au­der­ghem mais aus­si d’An­vers et de Liège ? Un homme : Jean Flo­rian Col­lin. Dans Mon­sieur ETRIMO, David Deroy et Mat­thieu Frances retracent, à la manière du plus pal­pi­tant bio­pic, le des­tin pros­père et tra­gique de cet homme tom­bé dans l’ou­bli, en 1985.

“Les taux sont super bas ! Il faut ache­ter ! Inves­tir dans l’im­mo­bi­lier, c’est main­te­nant qu’il faut le faire !” Des phrases qu’on ne cesse d’en­tendre à l’heure actuelle. On pour­rait d’ailleurs reprendre un des slo­gans à la mode dans les années 1960 : “L’homme avi­sé fait confiance à la brique”. Oui. C’est ce que Col­lin a fait à l’é­poque : faire confiance à la brique et construire, construire, construire avec un appé­tit gar­gan­tuesque. L’in­di­ges­tion n’é­tait pour­tant pas loin, mais il a pré­fé­ré en igno­rer les pre­miers symptômes…

Pro­fon­dé­ment frus­tré par sa condi­tion de bâtard, Col­lin vou­dra être le meilleur. Et il le sera. Un temps. Après une for­ma­tion à l’é­cole du génie d’An­vers, il s’en­gage acti­ve­ment dans la Résis­tance pen­dant la Seconde Guerre mon­diale et reçoit l’ordre de Léo­pold. Il entame alors sa car­rière d’ar­chi­tecte moder­niste et Art déco à Bruxelles — on lui doit notam­ment le Palais du Congo et la Rési­dence Ernes­tine à Ixelles. En 1935, Col­lin fonde ETRIMO, la socié­té d’E­tudes et de Réa­li­sa­tions Immo­bi­lières en Faveur des Classes moyennes. Son objec­tif est de don­ner à la classe moyenne la pos­si­bi­li­té d’ac­qué­rir un bien immo­bi­lier neuf et confor­table, construit dans un espace vert, tout en rem­bour­sant l’é­qui­valent d’un loyer nor­mal tous les mois. Et il y parviendra.

Après la guerre, c’est la relance : la recons­truc­tion bat son plein. À la fin des années cin­quante, les colo­niaux reviennent en Bel­gique et veulent inves­tir : c’est l’ex­plo­sion. En 1970, il construit 4.339 appar­te­ments, 660 stu­dios et 2.500 garages. Rien que ça. Obte­nir un per­mis de bâtir était, à l’é­poque, aus­si simple que d’ob­te­nir un per­mis de conduire. Peu impor­tait le sou­ci d’in­té­gra­tion, le sou­ci d’i­so­la­tion : il fal­lait construire vite et tou­jours plus. Rapi­de­ment, Col­lin s’im­pose comme étant le pre­mier construc­teur euro­péen devant les Fran­çais et les Alle­mands. Com­man­dant de bord hors pair, il condui­ra son navire ruti­lant à bon port. Jus­qu’à ce que…

Trop inves­ti dans une poten­tielle car­rière poli­tique au par­ti libé­ral, dont il sera le séna­teur de 1965 à 1971, Col­lin n’a pas vu l’i­ce­berg et il a fon­cé droit des­sus. En 1969, c’est la déban­dade, les cré­dits sont rares, les taux aug­mentent. Il n’y a plus d’argent. La socié­té ETRIMO est alors pla­cée sous concor­dat judi­ciaire. Ceux qui avaient mis toutes leurs éco­no­mies dans un appar­te­ment poten­tiel se retrouvent dému­nis avec, comme seul bien, un appar­te­ment qui ne sera jamais ter­mi­né. Faute de moyens. 

David Deroy et Mat­thieu Frances révèlent enfin au grand public cette per­son­na­li­té hors norme qui a chan­gé à tout jamais le pay­sage bruxel­lois. À tra­vers l’his­toire de cet homme, à la fois méga­lo­mane et patron pater­na­liste, c’est aus­si l’his­toire de la Bel­gique qui nous est contée, les villes belges que l’on per­çoit avec un regard nou­veau. Aux petits soins avec ses employés, Col­lin connaît leurs familles par cœur, se pré­oc­cupe, les envoie se repo­ser dans le châ­teau de Faulx-les-Tombes, rési­dence secon­daire qu’il a acquise dans ce seul et unique but. À l’heure de la mon­dia­li­sa­tion, Col­lin, ce bon­homme sou­riant aux airs de Walt Dis­ney, fait figure d’ex­cep­tion au sein de la famille des grands patrons.

Mon­sieur ETRIMO, c’est une immer­sion com­plète dans le monde des années 1970 grâce à la musique et aux images d’ar­chives, pho­tos, plans, vidéos super 8. Sans comp­ter les entre­tiens de proches (enfants, ex-épouse, col­la­bo­ra­teurs) qui viennent don­ner de l’homme une image com­plexe qui ne cesse de se trans­for­mer. Dif­fi­cile de juger. Mau­vais bougre, pro­fi­teur, patron aimant, huma­niste, homme poli­tique abu­sé ? Sans doute tout cela à la fois…

Un homme usé et vieilli, assis de dos, regarde de loin la Bel­gique qu’il a construite, les ménages qu’il a ren­dus heu­reux, les employés qu’il a aimés. Cet homme, seul, ne se retour­ne­ra plus. Et la nave va…

Nas­tas­ja Caneve

Ciner­gie