Affaiblir l’image du terrorisme

Par André Gunthert

Lire la presse en 1914 – 1918, c’est faire face à une infor­ma­tion offi­ciel­le­ment tron­quée et amé­na­gée, pour des rai­sons psy­cho­lo­giques aus­si bien que stra­té­giques, qui conduisent par exemple à mini­mi­ser ou à mas­quer les vic­toires de l’adversaire, et à mettre en avant ses défaites.

C’est la guerre. Ce n’est pas moi qui le dit, mais plu­sieurs médias, qui s’interrogent de manière insis­tante sur la cou­ver­ture à don­ner aux atten­tats jiha­distes. Non plus, comme à l’époque des pre­mières vidéos de déca­pi­ta­tion, pour pro­té­ger le public d’une vio­lence insou­te­nable – débat par ailleurs clas­sique. Mais pour fil­trer, ano­ny­mi­ser, affai­blir la com­mu­ni­ca­tion ter­ro­riste, dont la pro­prié­té est tra­di­tion­nel­le­ment de pro­fi­ter de l’amplification média­tique. Après l’éditorial de Jérôme Feno­glio indi­quant que Le Monde « ne publie­ra plus les pho­to­gra­phies des auteurs des tue­ries pour évi­ter d’éventuels effets de glo­ri­fi­ca­tion post­hume », Libé­ra­tion illustre à son tour de façon frap­pante cette mise en retrait par le décou­page des visages ou du corps des auteurs d’attentats.

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Extrait de la vidéo de l’exé­cu­tion de David Haines, dif­fu­sé par BFMTV, 14/09/2014.

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Libé­ra­tion, 29/07/2016.

Mal­gré l’évocation des devoirs de l’information, pieu­se­ment rap­pe­lés par Laurent Jof­frin, lorsque la presse s’interroge ouver­te­ment sur ce qu’elle doit cacher, c’est qu’on a chan­gé de régime. Comme l’expliquait ce matin Alexan­dra Schwarz­brod sur France Culture, ce débat s’appuie notam­ment sur des réac­tions de lec­teurs, qui expriment un effet de « satu­ra­tion ». On retrouve donc ici les mani­fes­ta­tions d’une cen­sure avouée, qui ne relève plus seule­ment de la marge d’appréciation édi­to­riale, mais d’un chan­ge­ment d’état plus glo­bal de la socié­té, qui s’inscrit désor­mais dans la logique d’une com­mu­ni­ca­tion de guerre.

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Pho­to caviar­dée, Le Jour­nal, 19 octobre 1914.

Lire la presse en 1914 – 1918, c’est faire face à une infor­ma­tion offi­ciel­le­ment tron­quée et amé­na­gée, pour des rai­sons psy­cho­lo­giques aus­si bien que stra­té­giques, qui conduisent par exemple à mini­mi­ser ou à mas­quer les vic­toires de l’adversaire, et à mettre en avant ses défaites.

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Le Petit Pari­sien, 9 août 1914.

A l’inverse, le trai­te­ment naïf de l’actualité, ampli­fié par la com­mu­ni­ca­tion gou­ver­ne­men­tale et par la caisse de réso­nance des brea­king news, a ali­men­té jusqu’à pré­sent le para­doxe consis­tant à assu­rer la com­mu­ni­ca­tion de l’ennemi, et à mettre en avant ses vic­toires à tra­vers l’imagerie des atten­tats. L’absence d’une illus­tra­tion des suc­cès de la stra­té­gie anti­ter­ro­riste est ren­due d’autant plus fla­grante par la répé­ti­tion d’une ico­no­gra­phie du deuil, de l’hommage ou du recueille­ment, dont on aper­çoit les limites en termes de conso­la­tion. Tel est du moins le sen­ti­ment sug­gé­ré par le débat actuel, qui pro­pose d’adapter le trai­te­ment média­tique à la per­cep­tion d’une situa­tion d’antagonisme hystérisé.

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En conseillant de repré­sen­ter désor­mais les ter­ro­ristes affu­blés d’un nez de clown et de dents de lapin, un jour­nal sati­rique alle­mand pousse à sa limite paro­dique ce ques­tion­ne­ment. Comme l’écrit Jof­frin, « une pho­to publiée ne chan­ge­ra rien à la stra­té­gie des ter­ro­ristes ». Ce qu’elle modi­fie en revanche, c’est la récep­tion du fait ter­ro­riste pour le grand public, pre­mier des­ti­na­taire de l’information, qui marque aujourd’hui sa réti­cence à ava­li­ser sans bron­cher la valo­ri­sa­tion publique des attentats.

 

 

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