« Si décevante qu’en soit l’issue, la séquence politique aura tout de même eu des vertus inestimables. Ces longs mois de “négociation” auront été pour les peuples européens une formidable pédagogie de l’Union européenne. Le voile se lève sur le fonctionnement des institutions, sur le rôle de chacun de ses acteurs. […] L’échec de la stratégie Tsipras est une formidable démonstration du caractère irréformable de l’UE et, partant, de l’impossibilité d’une voie réformiste.»
Clumsy, En finir avec l’espoir européen, Babordages, 13/07/2015.
« Avant 2009, la Grèce était un modèle de croissance. Son PIB a explosé de 66 milliards en 1986 à 137 milliards dix ans plus tard, puis à 248 milliards une décennie après pour culminer à 356 milliards de dollars en 2009 ! À cette époque, le pays “qui n’était pas prêt pour l’Europe” était tout aussi clientéliste, ses impôts bien plus mal récoltés (33% bon an mal an), mais — comme c’est bizarre — il fonctionnait.»
« L’Europe prise dans les dominos de la crise des subprimes n’a pas vu venir. Elle a mis des mois à réagir. Elle a ensuite forcé la Grèce à s’engager dans une crise plus grave que celle de la Grande Dépression aux USA dans les années 30. Ses complices furent la droite et la gauche grecques traditionnelles, celles-là même qui avaient truqué les comptes et laissé filer le déficit annuel avec une irresponsabilité crasse. »
« En fait, la solidarité européenne existe bel et bien, et on dépense en fait énormément en solidarité transrégionale. Mais uniquement à l’intérieur des États. Paris paye pour le Languedoc. La Bavière paye pour l’Allemagne de l’Est (même si ça l’énerve). Londres paye pour l’Ulster. Bruxelles et/ou la Flandre paye pour la Wallonie. C’est un peu normal, ces régions pauvres sont aussi des clientes des régions riches. Le miséreux de demain sera peut-être le riche d’aujourd’hui. Question d’opportunité géographique. Mais personne n’est en mesure de payer ou ne veut payer pour la Grèce parce que le système est toujours basé sur les nations et qu’aucune n’est aujourd’hui capable de penser une solidarité internationale, européenne. »
Marcel Sel, L’Europe périt où la démocratie naquit, Un blog de sel, 09/07/2015.
L’austérité est irrationnelle
« Après des années de récession, pendant lesquelles le PIB grec s’est réduit d’un tiers, le taux de chômage a dépassé 25%, l’économie a cessé de décroître en 2014 et le chômage a un peu diminué. Le coût social a été terrible. Les retraites ont été diminuées de 40%; les allocations-chômage cessent d’être versées au bout d’un an, et les chômeurs n’ont pas accès au système de remboursement des soins de santé ; le système de santé est à l’agonie, la pauvreté a explosé. L’économie s’est tellement contractée que la dette publique grecque a dépassé 170% du PIB, ce qui fait douter de la capacité du pays à atteindre l’objectif d’une dette publique à 120% du PIB en 2020. Même l’excédent primaire constaté est largement illusoire. Les grecs sont à bout.»
Alexandre Delaigue, La Grèce passera-t-elle 2015 dans l’euro ?, Classe Eco, 04/01/2015.
« La raison de l’effondrement grec, ce sont les politiques d’austérité qui ont nettement sous-estimé l’effet récessif des politiques de réduction des dépenses publiques et de hausses d’impôts. […] L’arithmétique de l’austérité est implacable : sans possibilité de dévaluer, sans reprise de l’investissement privé ou des exportations, la chute des dépenses publiques et des revenus de la population ne peut qu’entraîner l’économie dans un gouffre sans fond.»
Gilles Raveaud, Retour en quatre graphiques sur la tragédie grecque, AlterEco+, 13/07/2015.
« L’euro est un hybride d’un régime à taux de change fixe, comme l’ERM des années 1980, ou l’étalon-or des années 1930, et une monnaie commune. Le régime à taux de change fixe repose sur la crainte de l’expulsion pour tenir, tandis qu’une monnaie commune implique des mécanismes pour recycler des surplus entre États membres (par exemple, un budget fédéral). La zone Euro est en déséquilibre à mi-chemin – c’est plus qu’un régime à taux de change et moins qu’un Etat. Et c’est là le hic. Après la crise de 2008 – 2009, l’Europe n’a pas su répondre. Devait-elle préparer le terrain pour au moins une expulsion (c’est-à-dire le Grexit) afin de renforcer la discipline ? Ou aller vers une fédération ? N’ayant fait ni l’un ni l’autre, son angoisse existentielle n’a cessé de monter. Schäuble est convaincu que dans l’état actuel des choses, il a besoin d’un Grexit pour libérer l’espace, d’une façon ou d’une autre. Soudain, une dette publique grecque insoutenable, sans laquelle le risque de Grexit s’effacerait, a acquis une nouvelle utilité pour Schauble. […] Fondée sur des mois de négociation, ma conviction est que le ministre des Finances allemand veut que la Grèce soit poussée hors de la monnaie unique pour insuffler la crainte de Dieu chez les Français et leur faire accepter son modèle d’Eurozone disciplinaire.»
Yanis Varoufakis, Germany won’t spare Greek pain. It has an interest in breaking us, The Guardian, 10/07/2015 (traduction française Monica M.).
Il n’y a pas eu de négociations
« Ce n’est pas que cela se passait mal, c’est qu’il y avait un refus catégorique de débattre d’arguments économiques. Refus catégorique. Vous mettez en avant un argument que vous avez vraiment travaillé – pour être sûr qu’il soit cohérent, logique – et vous n’avez en face de vous que des regards vides. C’est comme si vous n’aviez pas parlé. Ce que vous dites est indépendant de ce qu’ils disent. Vous auriez aussi bien pu chanter l’hymne national suédois, vous auriez eu la même réponse. Et c’est déconcertant, pour quelqu’un habitué au débat universitaire… L’autre camp réplique toujours. Et bien là, il n’y avait pas réplique du tout. Ce n’était même pas de la gêne, c’était comme si personne n’avait parlé.»
Yanis Varoufakis, Our battle to save Greece, New Statesman, 13/07/2015 (traduction française Julien Ballaire).
« Le grand naufrage européen lié à la crise grecque a produit une révélation. Et cette révélation est largement due au premier ministre grec Alexis Tsipras comme à son ancien ministre des finances Yanis Varoufakis. En remettant, l’un et l’autre, des enjeux clairement politiques au cœur de la technocratie bruxelloise, en jouant la transparence et en brisant les scandaleux huis clos des réunions de l’Eurogroupe, les responsables grecs ont fait surgir au grand jour un inquiétant et nouveau problème : le cas allemand. L’intransigeance obstinée de l’Allemagne tout au long de cette crise, son entêtement dogmatique à bouter hors de l’euro la Grèce sont désormais compréhensibles par tous. Là où quelques observateurs, experts et politiques en étaient persuadés de longue date, ce sont désormais toutes les opinions publiques européennes qui ont sous les yeux cette nouvelle Allemagne.»
François Bonnet, L’Allemagne, le nouveau problème de l’Europe, Mediapart, 13/07/2015
« Face à une telle situation, Angela Merkel avait la possibilité de se montrer courageuse et d’expliquer ses erreurs aux contribuables allemands. Mais l’opération est bien trop risquée politiquement pour elle. Depuis 2010, la droite de la CDU et la CSU bavaroise, suivis à partir de 2013, les Eurosceptiques d’AfD, ne cessent de la mettre en garde contre les risques liés à cette politique grecque pour les contribuables. Accepter une restructuration de la dette aujourd’hui, ce serait pour la chancelière donner raison à ses adversaires de droite. Dans un contexte où, depuis janvier, la presse allemande, dans la foulée de Wolfgang Schäuble, a chauffé à blanc l’opinion contre les Grecs et où l’affaire des écoutes de la NSA avec la complicité des services secrets allemands a déjà coûté cher à la chancelière en termes de popularité, cette dernière ne peut reconnaître ses erreurs sans risquer un effondrement politique. Qui laisserait une place libre sur sa droite.»
Romaric Godin, Grèce : pourquoi Angela Merkel refuse de parler de la dette grecque, La Tribune, 07/07/2015.
L’Europe est une prison néolibérale gouvernée par les conservateurs allemands
« Les conditions dans lesquelles cette capitulation a été arrachée font voler en éclat le mythe d’une Europe unie et pacifiée, d’une Europe de la solidarité et des compromis. On a vu l’Allemagne obtenir de la Grèce ce que les anciens appelaient une paix carthaginoise. On sait que telle était la position dès le départ de M. Dijsselbloem, le Président de l’Eurogroupe. On a vu, avec tristesse mais aussi avec colère, la France finir par se plier à la plupart des exigences allemandes, quoi qu’en dise notre Président.»
« Cet accord organise la spoliation de la population grecque dans le paragraphe léonin qui concerne les privatisations et qui date directement de ce que l’on appelait au XIXème siècle la ‘politique de la canonnière’.»
« Si on ne l’avait pas encore compris c’est aujourd’hui parfaitement clair : l’Euro c’est l’austérité. Bien sur, il peut y avoir des politiques d’austérité sans l’Euro. Mais l’Euro implique en réalité la politique d’austérité et toute politique menée dans le cadre de l’Euro conduit à l’austérité. Il faut comprendre le sens profond de cette affirmation. Aujourd’hui, tant que l’on restera dans la zone Euro, il sera impossible de mener une autre politique économique que l’austérité.»
Jacques Sapir, Capitulation, Russeurope, 13/07/2015.
« Ce que beaucoup d’entre nous prenaient acquis, et en quoi certains d’entre nous croyaient, a pris fin en un seul week-end. En forçant Alexis Tsipras à une défaite humiliante , les créanciers de la Grèce ont fait beaucoup plus de provoquer un changement de régime en Grèce ou mettre en danger ses relations avec la zone euro. Ils ont détruit la zone euro que nous connaissons et démoli l’idée d’une union monétaire comme une étape vers une union politique démocratique. Ce faisant, ils sont revenus aux luttes de pouvoir nationalistes européennes du 19e et du début du 20ème siècle. Ils ont rétrogradé la zone euro dans un système toxique à taux de change fixe, avec une monnaie unique partagée, fonctionnant dans l’intérêt de l’Allemagne, maintenue ensemble par la menace de la misère absolue pour ceux qui contestent l’ordre dominant. La meilleure chose qui peut être dit de ce week-end est l’honnêteté brutale de ceux qui commettent ce changement de régime.»
Wolfgang Münchau, Greece’s brutal creditors have demolished the eurozone project, Financial Times, 13/07/2015.
« Ceux qui se réjouissent d’avoir sauvé l’intégrité de la zone euro se mentent à eux-mêmes. Pour la première fois, l’impensable a été pensé. L’irréversibilité de l’euro est morte au cours des deux dernières semaines. Grexit ou pas, la possibilité d’une sortie de la zone euro est désormais établie. La BCE l’a reconnue par la voix de deux membres de son directoire, Benoît Coeuré et Vitor Constancio, et l’Eurogroupe en a explicitement menacé la Grèce. Dès lors, la zone euro n’est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous ses Etats membres par des compromis équilibrés. Elle est un lieu de domination des forts sur les faibles où le poids de ces derniers ne comptent pour rien. Et ceux qui ne se soumettent pas à la doctrine officielle sont sommés de rendre les armes ou de sortir. On accuse Alexis Tsipras d’avoir « menti » à son peuple en prétendant vouloir rééquilibrer la zone euro. C’est faux, car il ne connaissait pas alors la nature de la zone euro. Maintenant il sait, et les Européens aussi.»
Romaric Godin, La défaite de la Grèce, la défaite de l’Europe, La Tribune, 13/07/2015.
« Nous qui croyons en la liberté, nous avons perdu, tout autant qu’eux. Car ce qui est arrivé ne concerne pas seulement les Grecs, mais comme toujours avec la solidarité, nous tous.»
Nicholas Mirzoeff, We Are all Greeks, Tidal, 13/07/2015.
Par André Gunthert, 14 juillet 2015
Source de l’article : L’image sociale