A quoi tient un scandale ? A Cannes, il a longtemps tenu au sexe, mais s’il fallait dessiner la courbe des émotions soulevées par celui-ci, elle ressemblerait plutôt à une débandade. Observons le cours de la pipe : une fellation chez Bellocchio en 1986 (le Diable au corps) avait déclenché la foudre sur la Croisette, avec campagnes de presse outragées et syncopes œcuméniques.
Dix-sept ans plus tard, une gâterie comparable dans le Brown Bunny de Vincent Gallo avait certes distillé son frisson, mais c’était déjà une autre affaire : les plus hostiles avaient entre-temps compris qu’il valait mieux être hypocrite et juger le film nul plutôt que révoltant. En 2013, la profusion de pipes qui enluminent l’Inconnu du lac, de Guiraudie, donne lieu à une orgie de commentaires, mais plus personne ne se risque à en dénoncer l’existence même…
Y a‑t-il une leçon à tirer de cette évolution ? Peut-être celle-ci : le glissement de la notion de scandale qui, ayant éprouvé ses limites et son inefficacité historique dans le champ du sexe, devra s’incarner ailleurs pour rester vivace. Dans le champ politique, par exemple : le scandale des crimes d’Etat dénoncés par les Manuscrits ne brûlent pas, du scandaleux Iranien Mohammad Rasoulof, est certainement celui qui, cette année à Cannes, nous aura le plus scandaleusement insurgé.
Source : Libé