L’Union européenne élabore depuis un certain temps déjà un cadre juridique pour les questions de liberté numérique. Le principe est que ce qui est illégal dans le monde physique l’est aussi dans la sphère virtuelle.
Les réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook ont lancé le grand nettoyage de nombre de ses comptes, à commencer par celui du même et actuel président américain Donald Trump, plus 7.000 autres comptes affiliés à la galaxie de conspiration d’extrême droite pro-Trump, dont celui du groupe QAnon. Après avoir ouvert la porte à la politique la plus basse et la plus méchante, les chaînes prétendent maintenant essayer d’empêcher un autre épisode violent comme l’invasion du Capitole par les Trumpers, et ce face à la date imminente de l’investiture de Joe Biden.
Selon Twitter, une nouvelle attaque contre le Capitole était prévue pour le 17 janvier.
Certains ont approuvé le mouvement, tandis que d’autres l’ont considéré comme un acte de censure. En Europe, la chancelière allemande Angela Merkel a qualifié cette décision de “problématique”. En France, le ministre des finances Bruno Le Maire s’est interrogé sur le fait que le fondement de la suspension des comptes n’est pas un cadre réglementaire légal mais que “ce qui est choquant, c’est que c’est Twitter qui a décidé de fermer”. Bref, laisser l’élite technologique faire et défaire à sa guise et quand cela lui convient, en dehors de toute référence à une norme nationale ou internationale élaborée par les États et leurs élus.
La pratique du “Moi le Suprême” par les entreprises mondiales aux États-Unis n’est pas nouvelle et ne changera pas avec cette attaque contre l’essence démocratique. Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise (à gauche), a rappelé que “le comportement de Trump ne peut servir de prétexte au GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) pour s’arroger le pouvoir de contrôler le débat public. C’est exactement ce qui s’est passé avec le Pinocchio-Président et Twitter.
D’autre part, Washington applique depuis longtemps une sorte d’extraterritorialité. Le droit étasunien est utilisé au-dessus du droit national, quel que soit le pays dans lequel vous vivez. Les conditions d’utilisation de Google, de Facebook Apple et même des franchises des entreprises étasuniennes font référence au droit des sociétés ou au droit du siège social.
En retour, l’industrie numérique a bénéficié, jusqu’à présent, de l’immunité juridique offerte par l’article 230 de la loi sur la décence en matière de communications. Si Trump est un Pinocchio sinistre et que, grâce à son armée numérique, il a mis en scène le premier coup d’État de l’ère moderne dans une démocratie occidentale, ces réactions ont quelque chose de cynique. La réglementation européenne ne dit rien ou presque sur la protection des internautes contre l’espionnage massif auquel ils sont soumis chaque milliseconde de leur vie.
La fortune de ces entreprises provient essentiellement de la conversion de données volées en capital.
Cependant, le débat est nécessaire et soulève d’autres questions : pourquoi serait-il “problématique” de fermer le compte Twitter d’un président qui a préparé un coup d’État en trois étapes (dénoncer la fraude avant l’élection, puis prétendre que son élection a été volée et, au final, huiler un soulèvement civique) et non celui d’un islamiste, d’extrême droite ou d’extrême gauche ? En France, des lois ont conduit à la suspension des comptes YouTube et Facebook de personnalités d’extrême droite telles qu’Hervé Ryssen et Alain Soral.
L’Union européenne défend sa méthodologie car elle développe depuis longtemps un cadre juridique pour ces questions de liberté numérique. Il existe en effet une législation européenne qui est en cours d’adoption. Il s’agit de la DSA (Digita Services Act), la loi sur les services numériques, promue par Thierry Breton, le commissaire européen chargé du marché intérieur. Le champ d’application de la DSA ne concerne que les pays de l’Union européenne. Par conséquent, lorsque Trump a appelé ses partisans à envahir le Capitole, il l’a fait en s’adressant à son peuple et non à l’Europe. Dans ce cas, la DSA aurait été inutile. Il en aurait été tout autrement lorsque Trump a invité les Français à se révolter contre leur président. Thierry Breton est celui qui a le mieux tracé le problème. Dans un article publié par le média en ligne Politico, le commissaire européen a écrit que la prise de contrôle du “Capitole est le 11 septembre des réseaux sociaux”.
Breton ajoute le paradoxe visible dans toute cette situation car, jusqu’à présent, les réseaux sociaux regardaient ailleurs, comme si le Brexit, Trump et autres barbaries numériques ne les concernaient pas. A cet égard, Breton note qu’en clôturant le compte de Trump : “les plateformes reconnaissent leur responsabilité. Ils ne peuvent plus cacher leur responsabilité envers la société en arguant qu’ils n’offrent qu’un service d’hébergement”.
La loi européenne sur les services numériques repose sur un principe et un ensemble de règles : le principe est que ce qui est illégal dans le monde physique l’est aussi dans la sphère numérique. Les règles fixées par les 27 pays de l’UE consistent à forcer les plateformes à appliquer les lois nationales ainsi que les directives européennes. Ils doivent donc supprimer les contenus terroristes, les incitations à la violence et tout contenu illégal (pédopornographie, armes, etc.).
Entre janvier 2017 et janvier 2021, le président étasunien a publié 23.234 tweets. La plateforme lui permettait d’insulter, d’attaquer, de rabaisser ses adversaires, de se moquer des autres présidents, de proférer des insultes raciales, de soutenir les violents de droite qui le vénèrent, d’anticiper les annonces officielles, de gouverner sur Internet, de diffuser un montage dans lequel Trump battait un journaliste portant un masque de CNN et même d’appeler à un soulèvement contre Emmanuel Macron.
À l’exception des apôtres du numérique, les preuves ne manquaient pas pour montrer que la liberté d’expression n’est pas manipulée par les “médias de système” ou autres, mais par les plateformes sociales. C’est là qu’entrent et sortent toutes les merdes que le marché admet. Les réseaux ont autorisé Donald Trump à concevoir un coup d’État et, comme il est allé trop loin et que le sang coule dans le Capitole, ils sont soudainement devenus les gardiens de la galaxie. Les sociétés sont honteusement vulnérables aux tentations et à la barbarie des espaces numériques. L’atout n’a pas été l’exception présidentielle mais la confirmation des capacités de ce monstre aux millions de têtes qui s’étend sans que, jusqu’à présent, personne ne puisse trouver d’antidote.
C’est contradictoire, mais tout comme personne ne s’est occupé du droit de diffuser ou d’empêcher la propagation des déchets toxiques, Trump n’a pas non plus eu droit à son compte. Ils sont les maîtres du monde, sans la moindre ombre de contrôle démocratique. Le bouton de la liberté se trouve au siège de Google, Facebook, Twitter, Instagram et d’autres empires numériques, et non dans la rue ou dans les Assemblées.
Samedi dernier, Twitter a supprimé un message du guide Suprème d’Iran, Ali Khamenei, déclarant qu’il n’était pas sage de faire confiance aux vaccins américains ou britanniques contre le covid-19. L’épisode fou et horrible de Trump nous montre que, face au pire, la liberté est entre les mains du privé. Elle repose sur trois mots et un acronyme, qui sont les obligations auxquelles les utilisateurs des tentacules numériques sont soumis : CGU, ” Conditions générales d’utilisation “.