Avril 2009
1/ Documentaire : idée motrice=> enquête, prépa, contacts/rendez-vous, casting, tournages, montage/mixage.
Le réel n’est pas donné d’avance : il faut trouver les scènes ad’hoc, les personnages en conflit, susciter les « flagrants délits » de sincérité… Et penser au montage dès l’enquête, et a fortiori durant le tournage !
On tourne dans le temps réel, on montera dans le temps narratif… raccords par inférences, à partir des moments et des expressions significatifs. Il faudra inventer un ordre d’exposition, bien au delà de l’ordre chronologique progressif d’investigation ou de tournage.
Difficultés : trouver les bons contacts, prendre le temps, convaincre les gens de « jouer » dans le film. Quelle stratégie de persuasion adopter ? En plusieurs fois, en découvrant progressivement avec eux l’enjeu du film ? Directement, sans détours ? Le rapport à autrui est quelquefois violent (implicitement). Trouver les personnes ressources à partir des personnes transfert (qui ont déjà l’agrément du groupe en question). Ne pas se tromper de lieux, de circonstances, de personnages.
Rejouer les situations ? Les filmer directement ? Il y aura toujours un point de vue : une perspective hiérarchique (du premier à l’arrière plan, importance des fonds visuels et sonores) et un axe de visée : visages (face, ¾ face, profil ?), saisie des attitudes et déplacements. Un plan spatialement cadré n’est qu’un prélèvement temporel choisi et délimité du soi-visant « réel ».
Interviews en situation ? Mieux : dialogues en situation (travail à la perche ou au HF ?). Filmer des plans d’ensemble, des plans rapprochés de personnes et des gros plan d’action (les gestes , les mains, les objets). Fuir les interviews sur « papier peint » et sur fonds inintéressants. Le rôle des fonds d’images et des sons seuls est de préparer une continuité finale. Le montage dans le plan (panos, recadrages, suivis) est souvent plus intéressant que montage de plan à plan. Nécessité cependant parfois du champ-contre/champ : on ne voit en effet que le quart des apparences (le frontal).
Maitriser : focales, diaf, obturateur, stabilité, bulle, point, prof de champ, cadrage. Se placer au point d’écoute pour faciliter le travail de la perche ? (Eviter systématiquement les décors bruyants).
Importance du dérushage = trouver le scénario final dans la matière (image et sons). Au montage, renoncer à certains plans pour atteindre des significations plus fortes, en raison des rapprochements (spatiaux, temporels) obtenus en mémoire à court terme. L’inférence comme concept-clef. Association par ressemblance, par thématique évoquée, par les sons d’ambiance et par le chevauchement des sons. Gestes et déplacements, changements de regards, paroles évocatrices (d’autres lieux, situations ou personnes, dans le passé, le présent ou le futur proche) concourent au raccord par inférence.
Veiller au rythme = le temps de la compréhension est plus rapide que le temps réel d’éxécution (cf.neurones-miroirs). Laisser aussi les émotions s’installer. Le spectateur colmate les interstices de l’action, dès l’instant où il se saisit des intentions, des réactions, et des émotions des personnages.
2/ Fiction : idée => enquête, scénario, casting, repérages, répétitions, tournage, montage et mixage.
L’enquête, l’observation, les notes de travail préparent au scénario ; le scénario est écrit directement dans le temps narratif. Le casting autorise un tournage à plusieurs prises pour le même plan.
On prend le temps d’éclairer, de faire les mises en place pour la « pyramide visuelle » de l’œil caméra, de placer les micros, de faire le silence plateau et même de répéter. Le scénario bouge au tournage : on supprime, on ajuste, on ajoute ; mais l’essentiel est déjà écrit et joué. Chaque plan bénéficie d’un point d’entrée et d’un point de sortie prévus par la mise en scène. Par ailleurs, les comédiens résistent mieux aux remarques que les acteurs du réel ; en outre, ils rejouent facilement la même scène.
Le dérushage permet de choisir les meilleures prises, de commencer un prémontage. On peut rajouter des sons, changer l’ordre initial, raccourcir et même rallonger une scène : les rushes sont abondants.
Organiser le double flux –situations, personnages– pour une continuité vécue en mémoire à court terme.
L’écran de projection n’est en effet qu’un écran d’alimentation de la mémoire à court/moyen terme (porteuse à la fois de traces et d’esquisses). Sur la toile blanche, seulement des photons ; dans le haut-parleur, seulement des vibrations. L’œil et l’oreille transforment ces flux physiques en flux mentaux : rétentions et protensions, sans cesse en mouvement, en redéfinition.
Le véritable écran –d’accumulation– est donc interne : le spectateur télécharge le film dans son for intérieur. Ici s’arrête pourtant la comparaison avec l’ordinateur et ses fichiers. Car cet écran mémoriel –où s’accumule le devenir des personnages et où se projette un horizon d’attente– est continument confronté au déjà connu qui s’y rapporte, afin d’être évalué par le moi profond du spectateur.
En termes de vérité : que nous raconte t‑on ? est-ce plausible, archi-connu, irréel, mensonger, exagéré, non représentatif, inattendu ? La réalité déjà connue (ou supposé telle) rapplique en force sur le perçu… En termes de jeu et de mise en scène : décalé, juste, impressionnant, faux, non crédible ; trop démonstratif, plaisant, esthétisant, discret, inventif ? … En termes d’affects et de désir : à qui s’identifier, à un personnage positif/négatif/ambigu ? à quel groupe social, pour quelles aspirations ? … En termes narcissiques (moi-idéal et idéal-du-moi) : beauté physique-mentale, laideur-méchanceté, intentions-réactions… Evaluation aussi par le surmoi du spectateur : courage ou lâcheté, indifférence ou solidarité ; les comportements sont examinés au regard des prescriptions idéologiques et culturelles de la société.
Chaque spectateur se positionne ainsi devant les personnages et les situations conflictuelles avec un parti-pris (soit un mélange de savoirs, de croyances et d’approximations qui caractérise la subjectivité), avec les préjugés « transparents et acquis » de son milieu de vie (règles communément admises, évidences partagées). C’est que le spectateur entre dans le film avec un je singulier (trajectoire psychologique, aspirations conscientes/inconscientes) et un nous d’appartenance (culturelle, sociale, milieu de vie, classe d’âge), inclus néanmoins dans une attente particulière : il est venu voir tels interprètes, tel type de film, tel metteur en scène, des actions imaginaires ou réelles…
Placé devant un dispositif aussi bien établi (narrateur omniscient, personnages hors du commun, star-system, temps narratif intensifié, effets spéciaux) il vient plus souvent s’évader de la réalité, se divertir –cf . l’offre des salles ! – que se confronter aux problèmes contemporains. Pas de temps morts, une pseudo-continuité (les ellipses sont effacées par les raccords), des climax, des émotions et un dénouement. La journée de travail sans émotions s’inverse de la sorte en émotions sans travail.
Reste que tous les spectateurs ne sont pas ainsi formatés. Certains cherchent du nouveau, une autre façon de voir le monde, ou une réponse à des problèmes réels, à des angoisses informulées. Le cinéaste et le spectateur regardent alors ensemble –et sur un mode artistique– un problème qui les concernent… « J’attends d’une représentation, non seulement qu’elle m’émeuve, mais qu’elle me rende sensible, d’une manière intelligible et poétique, les empêchements de l’être à s’accomplir ».
Au total, bien que les deux grands courants (documentaire-fiction) ne soient guère financés à part égale (loin s’en faut !), et qu’à l’évidence le divertissement de fiction ait envahi majoritairement les écrans, suscitant la réponse que l’on sait des publics, il n’empêche : l’un et l’autre peuvent aussi rencontrer un spectateur désireux de se nourrir –intellectuellement et émotivement– de films de confrontation. Dans ce désir, moins minoritaire qu’on ne le croit, les deux modes de croyance (doc-fic) se rejoignent dans le for intérieur de chaque spectateur, avec des effets voisins, même si peu mesurables en termes quantitatifs :
Fiction : enquête => scénario/tournage/montage => écran mémoriel => réalité de référence évoquée par le film (accrochage direct ou indirect à un “déjà connu”) => évaluation finale… Documentaire : enquête/tournage/montage [puis scénario finalement] => écran mémoriel => réalité de référence amenée en filigrane sur le film => évaluation du propos… (spect = je + nous).
Dans les deux cas, le régime de croyance opère (en positif ou négatif), après “comparution“ nécessaire du déroulé filmique devant la réalité de référence qui lui correspond ; réalité certes déjà condensée/organisée par le montage, mais aussi ressaisie/augmentée par le savoir et les attachements particuliers du spectateur, lequel –parfois– pourra y trouver émotions neuves et, aussi bien, nouvelles insertions mentales.